Idées noires, dépression, anorexie… plongée dans les hôpitaux où l’on répare les adolescents
Les troubles des adolescents ont explosé depuis le début de la crise du Covid-19. Deux temples de la pédiatrie nous ont ouvert leurs portes, alors qu’une campagne nationale de prévention est lancée ce mardi. Ici, lors d’ateliers, de thérapies collectives, de temps d’écoute, on tente chaque jour de raviver le désir de vivre.

Par Elsa Mari et Florence Méréo Le 7 avril 2021 à 06h29
A la couleur des cicatrices, on peut remonter le temps. Les plus blanches datent de plusieurs années, les plus rouges, de quelques semaines. Sur ses bras dénudés, Chloé (NDLR : le prénom a été modifié) porte son fardeau. Des dizaines de marques d’automutilation, espoir éphémère de se faire du bien, tout en disant au monde entier à quel point elle a mal. « C’est ma solution pour me défouler », confie-t-elle, désolée.
Chloé, Parisienne de tout juste 16 ans, est une brillante élève de classe scientifique, qui dévore les livres mais s’épuise à repousser la vie. La lycéenne a bien trop peur de ce qui pourrait arriver aux autres et en particulier à ses parents – la maladie, un accident ou maintenant le Covid – pour pouvoir vivre pleinement la sienne. A la Toussaint, quand l’adolescente a eu « un plan suicide en tête, très précis », elle a su qu’il était temps d’accepter de l’aide. Hospitalisée depuis cinq mois, elle la trouve à la Maison de Solenn.
Si ce nom fait tilt, c’est qu’il a été donné en souvenir de la fille de Patrick Poivre d’Arvor. Et que Bernadette Chirac a fait de la création de cette structure en 2004, le « combat d’une vie ». Dans ce temple parisien des adolescents, lumineux, aéré, coloré, 3 000 jeunes et leur famille viennent chaque année chercher un répit. « Bonjour, je suis bien au centre de la guérison ? » demande même Louise (NDLR : le prénom a été modifié), une jeune femme anorexique qui sollicite un rendez-vous, et la promesse de jours meilleurs. Depuis plusieurs mois, la permanence téléphonique sonne plus de vingt fois par jour.
Une «déferlante» d’urgences
Déjà en nette augmentation avant la crise sanitaire, les chiffres ont explosé depuis. Et les 30 % supplémentaires de 11-19 ans accueillis ici n’ont rien d’une exception. « Depuis un an, il y a une hausse spectaculaire des passages aux urgences pour les moins de 15 ans. Chez les pédiatres, les généralistes, dans les PMI… partout, c’est la déferlante, confirme Christèle Gras-Le Guen, la présidente de la Société française de pédiatrie. Aucune région n’est épargnée. Dans mon service, à Nantes, on hospitalise normalement pour des méningites, des maladies infantiles, des bronchiolites. Là, 25 de mes 36 lits sont occupés par des ados dépressifs. La fermeture des écolesne va rien arranger », alerte la professeure, « rongée » par l’inquiétude.
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Face à l’urgence, le gouvernement a lancé, ce mardi, une campagne pour encourager la parole des Français en souffrance, surtout des jeunes, avec ce slogan : « En parler, c’est déjà se soigner. »
[#SantéMentale #COVID19] Santé publique France, @Sante_Gouv et leurs partenaires @Filsantejeunes@Psycom_actu lancent aujourd’hui une campagne dédiée à la santé mentale avec une attention particulière aux 18-24 ans
👉 En parler, c’est déjà se soigner #EnParlerpic.twitter.com/y7A74NOpJL— SantépubliqueFrance (@SantePubliqueFr) April 6, 2021
A la Maison de Solenn, aucun mal-être n’a accepté de se confiner. « Tout est en augmentation : les tentatives de suicide, les troubles alimentaires, les jeunes malades, diabétiques par exemple, qui refusent de continuer à se soigner ou les phobies scolaires, détaille la gardienne des lieux, la psychiatre Marie-Rose Moro. Enfin, en ce moment, on a du mal à assurer les phobies. Il y a tellement d’urgences vitales, de jeunes qui disent Je n’ai plus envie de vivre, que la priorité est de réanimer leur élan de vie », souffle la directrice, en pull rose flashy. Ici, personne ne porte la blouse blanche, « trop médicale ».
«Chez lui, il dort jusqu’à 15 heures»
Concilier la hausse des demandes aux conditions d’accès plus difficiles à cause du virus, la tâche est périlleuse. « Notre objectif est de ne laisser tomber aucune famille. De leur trouver une solution individuelle. C’est un casse-tête permanent », relève la professeure Moro. La famille, éprouvée depuis le premier confinement, c’est son dada. Elle lui consacre un très bel ouvrage, illustré par Laure Monloubou, qui paraît ce mercredi (« Leur(s) familles(s) expliquée(s) aux enfants et aux parents. Quand ça va, quand ça va pas ») et en reçoit, toujours en équipe, plusieurs matins par semaine.


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Ce mardi, c’est Aminata, 20 ans, et son petit Isaac (NDLR : les prénoms ont été modifiés), bientôt trois ans. Après plusieurs années de travail, la jeune maman, rejetée par les siens après son accouchement, en a terminé avec les crises qui secouaient son corps à la faire chavirer. Mais il lui reste, au fond d’elle, « quelque chose qui fait exploser ».
« Qu’avez-vous au fond ? » demande la psychiatre.
« La rage, ou plutôt la colère », répond-elle, dans un contraste saisissant avec son air poupin.
Avant de se quitter, les psys et infirmières font le point sur les autres patients. « On a un problème avec le petit Gaspard (NDLR : le prénom a été modifié), lance l’un d’eux. Il frappe et rackette un autre élève. Avec le lycée en demi-jauge, il n’a cours sur place qu’une semaine sur deux. Quand il est chez lui, il dort jusqu’à 15 heures. On doit s’occuper de sa dépression. »
«Cet endroit, c’est ma bouée de secours»
Le Covid, Chloé aussi l’a « très mal vécu. » « D’un seul coup, le confinement, les cours à distance, le huis clos familial… C’était trop difficile. Je n’avais pas faim, je tombais par terre », décrit-elle, en triturant les pages des deux mangas qu’elle garde à portée de main. Son hospitalisation, c’était « juste » avant le deuxième confinement.
« Une chance pour moi de l’avoir vécu ici. Cet endroit, c’est ma bouée de secours. Mais des fois, je me dis que je ne le mérite pas, lâche-t-elle. Je sais que beaucoup, beaucoup de jeunes attendent une place… » Un sentiment – illégitime – d’illégitimité sur lequel la lycéenne devra travailler, main dans la main avec les soignants et les autres adolescents.
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Louise (NDLR : le prénom a été modifié), qui a passé l’appel de détresse sur son anorexie profonde, n’aura effectivement pas « la chance » d’obtenir le rendez-vous espéré. Elle a 22 ans, si jeune mais déjà trop adulte pour la Maison de Solenn. Elle ne mange plus, mais absorbe brûle-graisse et autres laxatifs. Avec 40 kg pour 1,68 m, sa situation inquiète fortement Mathieu Richardeau, l’infirmier qui recherche tous les services à proximité pour qu’elle y soit admise. Ce mal profond de l’alimentation, triste revers du confinement, touche de plus en plus de jeunes. A 20 km de là, à l’hôpital Jean-Verdier de Bondy, en Seine-Saint-Denis, les appels aux secours s’envolent.

Unité des « troubles alimentaires », 2e étage. Dans l’une des salles, on rencontre Helena. Elle hésite à se lancer. Jette un coup d’œil à Clémence. D’un regard, les ados s’entendent et la seconde quitte la pièce. L’anorexie les a détruites. Trop risqué d’en parler devant une autre malade. Sa parole pourrait réveiller ses angoisses. Alors, elles se confieront chacune à leur tour. Enfin seule, la lycéenne de 16 ans relève la tête, laissant apparaître ses yeux bleu gris.
Dépression et anorexie
« Les journées passaient et se ressemblaient, entame-t-elle, sans émotion. Alors j’ai commencé à me peser tous les matins. Ce chiffre qui variait sur la balance, c’était la seule chose qui différenciait le lundi du mardi. Ça structurait le confinement. » Au début, en mars 2020, sans école, c’était comme des vacances dans sa grande maison. Puis, ses repères se sont brouillés. Helena a lutté, cherchant à contrôler son corps à défaut de sa vie, remettant de l’ordre là où il n’y en avait plus.
Depuis un an, la jeune fille, complexée par son poids, avait commencé à compter ses calories. Et l’ennui et le vide du confinement ont laissé un champ illimité à son obsession naissante. Pour rythmer son quotidien, elle s’impose alors une nouvelle restriction draconienne, pas plus de 300 calories par jour. Même pas l’équivalent d’un avocat.
La dépression se mêle à l’anorexie, comme, si dit-elle, l’une nourrissait l’autre. Selon les jours, ce mal-être l’anesthésie ou la submerge. « Avec des lames, je me lacérais les cuisses soit parce que j’avais trop d’émotion, soit parce que je ne ressentais plus rien. » Comme l’impression de ne plus exister. Un jour, son père sursaute en posant sa main sur son épaule décharnée. Quelque chose ne va pas.
Mais le déclic opère, après le 11 mai, lorsque la famille sort manger une gaufre au centre commercial. En s’accordant une bouchée, Helena s’effondre en pleurs. Bilan chez un psychiatre, prise en charge. Voilà maintenant six mois qu’elle est suivie dans cette unité (Ufitaa) pour adolescents, un modèle inédit, inspiré des Anglo-Saxons. Ici, pas d’hospitalisation mais un long programme de guérison, dans un cocon de psychologues, pédiatres, diététiciens.
La crise fait perdre les repères
« Les demandes ont augmenté de 100 % sur les six derniers mois c’est du jamais-vu, déplore le psychiatre Noël Pommepuy, chef de service. Cette crise leur a fait perdre leurs repères. Or, les adolescents ont besoin de sécurité pour se sentir bien. Ils ont trouvé dans l’anorexie un moyen de réguler leurs angoisses. » Une issue de secours qui n’est rien d’autre qu’un piège. C’est la maladie psychiatrique la plus meurtrière : 8 % décèdent par suicide ou dénutrition.

Aujourd’hui, à l’hôpital, c’est la dernière thérapie « multifamiliale », mêlant enfants et leurs six parents. Héléna, Clémence et Léa continueront, leur travail, chacune avec les siens. L’émotion est palpable. Arrivés démunis, les trois couples ont tissé des liens forts, se prêtant lors des séances à des jeux de rôles, comme lorsque leurs filles devaient les convaincre de manger.
Quand on lui parle de son rapport à la nourriture, Clémence, lycéenne de 17 ans, peau laiteuse, cheveux blond vénitien, se recroqueville. Tout est parti d’un régime durant le confinement. « Pour montrer que je n’allais pas bien. » Déjà harcelée au collègue, l’ado ne s’aimait pas. Et quand la France se calfeutre, elle se sent oubliée. « Je me suis sentie lâchée par tout le monde. » Le mécanisme destructeur se met en route. Elle s’affame, son corps proteste. Qu’il se taise ! « Se priver de manger, c’est la meilleure des souffrances, lance-t-elle. Ça peut paraître bizarre… mais il faut avoir du mental et je me sentais forte d’y arriver. »
L’ «envie de guérir»
Si durant le printemps 2020, la maladie s’est déclenchée pour Clémence, elle s’est révélée pour Léa. Avant, cette élève de terminale de Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne) se faisait parfois vomir, mais « coincée » avec ses parents, elle doit arrêter sous peine qu’ils s’en aperçoivent. La mode du sport à la maison débarque et Léa compense, s’épuise, sans presque rien avaler, devant des vidéos du matin, au soir.
« Ils ont commencé à voir que je perdais mes cheveux dans la douche, j’étais au ralenti, je bégayais, j’avais presque du mal à respirer. » Son état est si critique qu’elle est hospitalisée, nourrie par sonde de juin à octobre. Puis, elle arrive à Jean-Verdier, où son horizon s’éclaircit, peu à peu. Elle sourit : « Je peux le dire, aujourd’hui, j’ai envie de guérir. » Clémence, elle, ne l’envisage pas encore. Si elle reprend du poids, qui va s’occuper d’elle ? « J’ai peur d’être délaissée. »
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Et puis, ces écoles qui referment leurs portes, ça l’angoisse beaucoup. Quant à Helena, elle a compris qu’elle n’était pas la seule à avoir implosé durant cette crise sans fin. Ses amies aussi. Quatre ont des troubles alimentaires. « Etre anorexique, c’est ne plus avoir de personnalité, on devient des chiffres et des calories. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être davantage vivante. »
Il est l’heure de participer à l’activité de fin, organisée par les parents. Ils font entrer les filles dans le cercle. A voix haute, chacun lit un mot qu’il faudra bientôt jeter dans la poubelle au centre. « Culpabilité », « ruminations », « peur » … Prêts ? Trois, deux, un… Les papiers froissés volent. Un cri libérateur rugit : « Ha ! »
Numéro d’écoute : 0800.130.000 ou Psycom.org
ikTok, Instagram, Twitch… Les nouveaux cabinet ados
Mise à mal par la crise sanitaire liée au Covid-19, la santé mentale s’est fait une place sur les réseaux sociaux préférés des adolescents. Un moyen de tenir bon et de dédramatiser des consultations toujours taboues.

Par Clémence Bauduin Le 10 janvier 2021 à 15h26
« Aujourd’hui c’est la première fois que je me dis Je m’aime et que j’y ai cru. Ça fait tellement de bien. » La petite phrase n’est pas volée derrière la porte d’un cabinet de psychologie, mais accessible à quiconque possède un compte TikTok, le média favori des 12-25 ans. Elle est signée « Alan », qui se présente sur ce réseau social comme un adolescent de 15 ans, et qui réagit là à un post de Marc, plus connu sur cette plateforme sous le pseudo de MentalBoost.
Sur son compte, MentalBoost prodigue ses conseils au format TikTok – des vidéos courtes, qu’il arrange chaque fois de la même identité visuelle. Chacune d’elles aborde tantôt la confiance en soi, tantôt la santé mentale au temps du confinement ou encore le rapport aux parents. Après cinq mois d’existence, son compte, qui ne fait mention d’aucun diplôme, est suivi par plus d’un million d’abonnés.

Si l’expertise de ce mentor nouvelle génération peut laisser les acteurs de la santé mentale dubitatifs, les retours des abonnés, eux, sont souvent dithyrambiques. « T’es tellement apaisant c’est un truc de ouf », « tu sers à quelque chose sur TikTok, je t’apprécie beaucoup », réagissent tour à tour « It’s Jeremy Honey » et « Gluxp ». Sa vidéo la plus visionnée dépasse les 4 millions de vues.
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Crise sanitaire oblige, la psychologie trouve un nouvel écho sur les canaux de communication privilégiés des ados, et MentalBoost est loin d’être seul sur ce créneau. « Il y a un vrai mouvement de fond autour de la santé mentale sur les réseaux sociaux, observe le docteur Jean-Victor Blanc, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Une communauté se développe, composée de patients, de psy, de coachs en développement personnel, mais aussi de comptes plus militants ou politiques. »

Sur Instagram, difficile de connaître précisément l’âge d’un utilisateur à moins que celui-ci ne le renseigne sur son profil, mais qu’importe : pour Jean-Victor Blanc, cette tendance relève plus de la génération que de l’âge. « On distingue de moins en moins les ados des jeunes adultes, notamment parce que le cerveau achève son développement vers 25 ans, explique le médecin. Sur les réseaux, on touche un public allant de 13 à 30 ans qui correspond à une génération plus anxieuse, mais aussi plus concernée par sa santé mentale, que les générations précédentes. »
Le phénomène a déjà éclos sur le nouveau géant du streaming vidéo Twitch. Depuis plusieurs mois, des streamers stars – des personnes qui animent leurs propres vidéos en ligne et en direct – se prêtent au jeu du divan devant leurs abonnés. Face à eux : des experts de la santé mentale comme Alok Kanojia, un psychiatre enseignant à l’université de Harvard qui se fait appeler « Dr K » en ligne.
https://www.youtube.com/embed/GevxekO9Kyc?feature=oembed&enablejsapi=1
Ce dernier « reçoit » virtuellement des vedettes de la plateforme, à l’instar de la streameuse Amouranth, et le tout est relayé en direct, au vu et au su de tous leurs – majoritairement jeunes – abonnés. Les vidéos atteignent, là encore, rarement moins d’un million de vues.
Si cette mode s’est pour l’heure surtout fait une place aux Etats-Unis, la France n’est pas en reste sur le plan des confidences en ligne à la manière des radios libres d’une autre époque, en témoigne la streameuse française Jeel. Cette dernière anime l’émission Docteur Jeelou, au cours de laquelle elle invite d’autres streamers pour parler problèmes de cœur, tout en répondant aux questions des personnes qui les regardent.
Lever des barrières
Moins geek, mais tout aussi virtuel, Instragram recèle de nombreux comptes axés sur la psychologie. Le docteur Houda Hjiej, pédopsychiatre à Casablanca, au Maroc, a lancé son compte pendant le premier confinement, au printemps dernier. « J’ai été sollicitée par des jeunes gens ou par des mamans qui avaient besoin de communiquer par rapport à la situation », se souvient-elle.
Le docteur Hjiej se lance alors dans les lives, des échanges directs avec son nouveau public, qu’elle voit comme « un prolongement » de son métier. « Cette période a donné des idées aux praticiens, ça a levé des barrières », estime-t-elle.
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Ce nouveau moyen de découvrir la psychologie a contribué à lever l’appréhension de la consultation et à casser des tabous tenaces. « À l’hôpital, je ne vois que les personnes qui font l’effort de dépasser leurs préjugés pour venir consulter. Les réseaux sociaux, eux, drainent une population qui n’est pas toujours prête à franchir ce pas », se réjouit Jean-Victor Blanc.
« Le fait d’être derrière un écran démystifie l’angoisse du pédopsychiatre, complète Houda Hjiej. Les jeunes et leurs parents se rendent compte qu’on est un humain avant tout. »

Lever des barrières oui, mais sans tout mélanger. Entre le cabinet dans lequel il reçoit ses patients à Saint-Antoine et son compte @culturepopandpsy, Jean-Victor Blanc marque une frontière bien délimitée. « Quand j’utilise des musiques ou des gifs sur mon compte Instagram, j’aimerais bien que ça soigne, mais ça ne remplace pas une consultation, sourit le médecin. C’est en revanche un très bon outil pour changer les mentalités. »
Exit les représentations archaïques des maladies psychiques : celles-ci sont désormais décrites sous un jour plus rassurant. @culturepopandpsy dédramatise les maladies mentales en évoquant les vedettes qui en souffrent ou en connaissent les rouages. Sur ce plan, l’actualité est riche. « De Selena Gomez à Gringe en passant par Kanye West, tous les mois des personnalités prennent la parole sur ces questions », explique le médecin, auteur du livre « Pop & Psy » consacré à la même thématique.
Une vigie des pensées suicidaires
Face à des marqueurs de souffrance pédopsychiatrique alarmants et à la recrudescence des tentatives de suicide chez les jeunes, les réseaux sociaux ont parfois même un rôle de vigie. « Cela dépasse ce qu’on peut être en mesure de faire en cabinet », estime Jean-Victor Blanc.
Sur Twitter et Instagram, le programme Papageno travaille à promouvoir l’écoute et l’accès aux soins en privilégiant les canaux de communication contemporains. Il lancera au printemps prochain un projet baptisé Elios, pour « Équipe en ligne d’intervention et d’orientation pour la prévention du suicide » : une équipe de webcliniciens joignable directement sur les réseaux sociaux. Ce dispositif est une première en France.
« Beaucoup de jeunes n’ont pas accès aux soins par les canaux traditionnels y compris le téléphone, fait remarquer Charles-Edouard Notredame, psychiatre de l’adolescent et membre actif du programme Papageno. Les réseaux sociaux peuvent être une formidable porte vers une démarche auprès d’un praticien. »
Une ressource pour les ados souffrant de psychotrauma. Repérer pour mieux agir #SuicidePrevention @LilleMda@MDA_84 @mda_gard @MDAParis14https://t.co/RKaeOSZfEN— Papageno Programme (@PapagenoSuicide) November 30, 2020
Si le rôle salvateur de ces nouvelles plateformes a déjà fait ses preuves, attention toutefois à l’absence de cadres. « Parfois, je tombe sur des vidéos délétères pour les jeunes, regrette Houda Hjiej. On voit des gens intervenir sur le plan médical pur sans qu’ils soient aptes à le faire. Ils s’adressent à des mineurs qui ont accès sans contrôle à ces vidéos, alors que les consultations classiques, elles, sont cadrées. » Sans parler des contenus sponsorisés dont le but est de vendre tel ou tel produit miracle pour se sentir mieux.
La démocratisation de l’écoute psychologique ou psychiatrique est à double tranchant. « La parole est accessible à tous et par conséquent, le conseil aussi, conclut Charles-Edouard Notredame. Il faut que les professionnels de la santé mentale se saisissent eux-mêmes des réseaux sociaux, au risque d’être dévoyés par des gens qui ne s’y connaissent pas. »