Covid-19 : les personnes obèses, vulnérables et pourtant oubliées dans la pandémie
Les personnes atteintes d’obésité sont particulièrement susceptibles de développer des formes graves de la maladie, mais plus d’un an après le début de la pandémie, leur prise en charge n’a pas progressé.
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« Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu ces regards de haut en bas. Avant, c’était du coin de l’œil, sans insistance. Aujourd’hui, le regard n’est plus le même. » Derrière les masques, Paul (le prénom a été modifié), 46 ans, a senti un changement d’attitude.
Atteint d’obésité sévère, ce fonctionnaire, résidant en Seine-Saint-Denis, s’astreint depuis un an à une discipline sanitaire stricte : télétravail, sorties limitées aux courses une fois par semaine, respect rigoureux des gestes barrières… Aussi, lorsqu’il se permet de demander au client d’un supermarché de remettre son masque sur son nez et que celui-ci le toise, Paul soutient désormais le regard. « Il fut un temps où on était tous dans le même panier face au virus. Aujourd’hui, le collectif commence à se fissurer, on nous fait comprendre qu’on enquiquine, on considère que c’est de notre faute si les hôpitaux sont pleins. » « Nous », ce sont les personnes souffrant d’obésité.
Car ce sont bel et bien deux épidémies qui se superposent et se télescopent. L’une, récente, le Covid-19, qui en une quinzaine de mois a touché plus de 130 millions de personnes dans le monde et entraîné la mort de 2,8 millions d’entre elles. L’autre, plus ancienne, l’obésité, qui touche 13 % de la population mondiale, mais qui a triplé en quarante ans et prend des proportions alarmantes dans de nombreux pays.
Certes, l’obésité n’est pas une maladie transmissible, mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’hésite pas à la qualifier d’épidémie, au vu de sa diffusion rapide, et du nombre de décès qu’elle entraîne chaque année : 2,8 millions.
Au printemps 2020, alors que le monde découvrait sidéré la virulence du SARS-CoV-2, l’obésité – communément définie lorsque l’indice de masse corporelle (IMC), le poids divisé par la taille au carré, est supérieur à 30 – est vite apparue comme un facteur de risque de développer des formes graves du Covid-19. Très tôt, des médecins réanimateurs ont constaté que près d’un patient sur deux, dans leurs services, en souffrait, et Emmanuel Macron mentionnait l’obésité, au côté du diabète et du cancer, dans sa première adresse aux Français sur la crise sanitaire du 12 mars. Pour autant, la prise en charge n’a pas suivi, et un an plus tard, le sentiment qui prédomine est celui d’une population pointée du doigt, sans avoir été suffisamment protégée et en particulier vaccinée.
« Un cas d’école de la politique sanitaire française »
Début 2021, les associations de patients ont appris avec stupéfaction que l’obésité ne figurait pas dans les critères de vulnérabilité pour prioriser la vaccination, alors que, depuis le début de la pandémie, 45 % des malades du Covid-19 en réanimation en sont atteints – et 47 % sur la période janvier-mars 2021, tandis que sur l’ensemble de la population française, l’obésité touche 17 % des adultes.
« Quand le premier ministre [Jean Castex], début janvier, a dit que les personnes en état de fragilité pourraient se faire vacciner, j’ai bêtement pensé que l’obésité serait incluse, raconte Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO). Je suis tombée des nues en découvrant qu’on ne figurait pas dans la liste, mais je ne pense pas que ce soit un oubli. On est quand même un peu nombreux, 8 millions, or on n’avait pas 8 millions de vaccins. » Les autorités de santé ont depuis élargi les conditions d’éligibilité et les personnes de plus de 50 ans atteintes d’obésité peuvent se faire vacciner depuis le 25 février… Mais toujours pas les plus jeunes. Pour Agnès Maurin, présidente de la Ligue contre l’obésité, « c’est un cas d’école de la politique sanitaire française, qui ne s’intéresse pas suffisamment aux maladies chroniques, contrairement aux maladies aiguës ».
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Le statut équivoque de l’obésité en France ajoute à la confusion : alors que l’OMS a reconnu l’obésité comme pathologie chronique dès 1997, suivie depuis par une poignée de pays (le Portugal en 2004, l’Italie en 2019…), ce n’est pas le cas officiellement en France, où elle est d’abord vue comme un facteur de risque. « On a tendance à voir les maladies qu’engendre l’obésité, sans voir l’obésité elle-même », soupire le professeur Olivier Ziegler (CHRU de Nancy), qui préside le groupe de coordination des centres spécialisés de l’obésité.
Pour beaucoup d’associations, la reconnaissance comme maladie chronique permettrait non seulement d’améliorer la prise en charge et les remboursements de soins, mais aussi de changer le regard de la société sur cette maladie. « On a encore une grosse majorité de la population qui pense qu’on n’est pas capable de faire des efforts, mais c’est beaucoup plus compliqué que cela, déplore Anne-Sophie Joly. Passé un certain IMC, votre balance reste bloquée sur un chiffre. Même si vous perdez du poids, votre corps va être en mode survie et lutter pour revenir à 100 kg. »
L’obésité est une pathologie multifactorielle qui trouve son origine dans de nombreuses causes : génétiques, épigénétiques, environnementales. C’est aussi une maladie qui épouse les cartes de la précarité sociale et touche davantage les populations les moins favorisées. Des études ont également permis de comprendre le rôle de certains polluants, de perturbateurs endocriniens, ou encore de facteurs psychologiques comme le stress.
« L’obésité est une vraie polypathologie qui ne se limite pas à la malbouffe. C’est une maladie des systèmes, des organes, et de la façon dont ils dialoguent, résume la professeure Karine Clément (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris), spécialiste du microbiote. Il y a une reconnaissance scientifique que c’est une pathologie, mais il manque la reconnaissance sociétale. »
Téléconsultation « bâclée »
La reconnaissance de maladie chronique pose cependant des questions de définition, car l’obésité ne peut être réduite au seul calcul de l’IMC, et certains collectifs se montrent nuancés sur le sujet : « D’un point de vue militant, il nous semble dangereux que la grosseur soit forcément considérée comme pathologique, précise Asceline Pourcelot, membre de l’association Gras politique, qui lutte contre la grossophobie. Nous pensons que si l’accès aux soins est amélioré pour toutes et tous, les cas où l’obésité devient une maladie chronique invalidante diminueront. »
Mais pour ceux nécessitant un suivi médical, « c’est important d’entendre dire : “ce n’est pas votre comportement qui est en cause, vous êtes victimes d’une programmation biologique”, indique Olivier Ziegler. A ce moment-là, les regards s’ouvrent », poursuit le professeur, pour qui la pandémie de Covid-19 « a amplement démontré que les complications mécaniques et immunologiques de l’obésité sont bien là ».
Les associations déplorent pourtant que l’obésité soit encore mal comprise par une partie des médecins, et que la formation sur le sujet en médecine générale soit réduite à seulement quelques heures. Un grand nombre de personnes touchées par l’obésité ont ainsi déjà fait l’expérience de remarques déplacées sur leur poids, d’injonctions à maigrir, voire d’un désintérêt pour leur état
C’est ce qu’a expérimenté Edmond Boublil, 55 ans, testé positif au SARS-CoV-2 début mars. Si cet entrepreneur, créateur de la marque de mode Tailla Nostra, s’en est sorti sans complications en une douzaine de jours, il en veut à son médecin traitant d’avoir « bâclé » sa première téléconsultation après avoir appris qu’il était malade du Covid-19 : « Il a pris les choses à la légère, ne m’a parlé que quelques minutes alors qu’il savait que je suis à risque. Il n’a pas proposé de prendre de mes nouvelles et ne m’a proposé aucun traitement préventif. » Un sentiment d’une consultation expédiée à la va-vite que n’a pas digéré M. Boublil, dans une phase stressante où il avait besoin d’être accompagné, d’autant que le quinquagénaire n’avait pas encore pu être vacciné.
« Pari gagnant »
Le Dr Slim Hadiji, généraliste dans les quartiers nord de Marseille, prend soin à l’inverse d’assurer un suivi assidu de ses patients malades. Parmi les 1 800 personnes qu’il suit, il estime qu’environ un quart souffrent d’obésité, dont une quinzaine ont été infectées par le SARS-CoV-2. « Pour un patient atteint du Covid-19, c’est deux passages par jour d’infirmière à domicile – trois pour les patients atteints d’obésité. L’infirmière me communique les mesures prises via un groupe WhatsApp et je fais des bilans biologiques au démarrage, au 5e et au 10e jours, détaille le Dr Hadiji. Je décèle ceux qui décompensent, ceux qui ont besoin d’anticoagulation supplémentaire, et au premier signe d’hypoxie, je fais livrer de l’oxygène à domicile. » Le médecin se félicite de ce « pari gagnant », qui lui a permis « de ne perdre aucun de [ses] patients obèses ».
Bien qu’elle ne sorte que très rarement depuis un an, Nora (le prénom a été modifié), 21 ans, a été testée positive début mars. Atteinte d’une infection pulmonaire, la jeune femme a été prise de très fortes et épuisantes toux lors de la phase aiguë de la maladie, et a passé plusieurs jours sous oxygénation à domicile : « J’avais une peur terrible de partir à l’hôpital. Je suis passée à deux doigts. » Vingt jours plus tard, le résultat de son test est revenu négatif. Slim Hadiji s’en félicite : « On a évité le pire pour elle. »
Tout au long de l’année écoulée, les médecins traitants ont aussi eu à rassurer des patients encore plus inquiets que le reste de la population et qui se sont davantage isolés.
Pour Antoine Epin, généraliste remplaçant en Meurthe-et-Moselle, qui consacre sa thèse à l’obésité et aux préjugés liés au poids, « la question dans cette période n’est pas de faire maigrir les patients, mais de se soucier de leur qualité de vie ». Cette année, le médecin a surtout cherché à « assurer leur sécurité en leur permettant d’avoir accès aux masques, d’aménager au mieux leurs conditions de travail et de préserver une activité physique » malgré les restrictions. Ce jeune généraliste préfère laisser le patient aborder s’il le souhaite la question du poids, et ne pas insister s’il sent des réticences à en parler. « Il faut respecter le patient. La médecine de l’obésité se fait au jour le jour, en l’accompagnant dans sa démarche, avec son accord et dans la mesure de ses capacités. »
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Pour les personnes atteintes d’obésité, le défaut de considération se manifeste aussi par un manque d’installations adaptées. « On ne se donne pas les moyens de prendre nos corps en compte, proteste Asceline Pourcelot. Dans les services médicaux, c’est rare d’avoir du matériel adapté à nos poids, qu’il s’agisse de lits, de lève-personnes ou de tensiomètres. »
Paul, lui, raconte avec amertume la fois où, pour pouvoir passer une IRM, on lui a proposé de se rendre… à l’hôpital vétérinaire d’Alfort. « La première fois qu’on entend ça, on accuse le coup. Désormais, quand je dois passer une IRM ou un scanner, je vérifie avant tout rendez-vous que la machine pourra bien supporter mon poids. » Plus que la maladie du Covid-19 en tant que telle, c’est la crainte de s’en remettre à un système hospitalier inadapté à son corps que Paul craint. « Je ne me dis pas que je suis fragile face au Covid-19. Mais si je le chope aujourd’hui, et que je dois être soigné, ça va être très compliqué. »
« Politiques stigmatisantes »
De plus en plus de médecins et scientifiques ont pris conscience des effets ravageurs des préjugés liés à la corpulence. En avril 2020, un groupe de chercheurs internationaux publiait dans la revue Nature Medicine une « Déclaration conjointe pour mettre fin à la stigmatisation liée au poids ». En s’appuyant sur un corpus d’études scientifiques, ces experts y reconnaissent que « les individus atteints d’obésité font face à une forme répandue de stigmatisation sociale, qui s’appuie sur la croyance non fondée que le poids est le résultat d’un manque d’autodiscipline ». Les chercheurs signataires, qui y voient un enjeu de droits humains et de droits sociaux, « condamnent l’usage de mots, images, attitudes, politiques stigmatisantes » et s’engagent à lutter au quotidien contre ces stéréotypes et la discrimination qui peut en découler.
S’appuyant sur des travaux scientifiques précédant la diffusion du SARS-CoV-2, cette déclaration ne rend toutefois pas compte de l’impact de la crise sanitaire sur les préjugés. Certaines politiques publiques initiées à la faveur de la pandémie ont ainsi été perçues comme culpabilisantes. Ainsi du plan de lutte contre l’obésité lancé en juillet 2020 par le Royaume-Uni, qui invite les Britanniques à perdre du poids « pour réduire la pression sur les médecins et infirmiers, et leur libérer du temps pour traiter d’autres patients malades et vulnérables ». Une formule qui a valu à ce programme un éditorial au vitriol de la revue The Lancet Diabetes & Endocrinology, intitulé « Culpabiliser n’est pas une stratégie ».
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En France, la pandémie n’a pas révolutionné la gestion de l’obésité. Les services médicaux qui traitent d’obésité ont plutôt été confrontés à une forte tension entre la demande et leurs capacités d’accueil, et les actes de chirurgie ont été lourdement déprogrammés. Les interventions bariatriques ont notamment chuté de 30 % en 2020, une baisse plus marquée que pour d’autres activités – l’ensemble des hospitalisations chirurgicales en France ayant diminué de 15 %. « On peut tout à fait expliquer à un patient qu’on ne peut pas l’opérer dans l’immédiat. Encore faut-il qu’il y ait un suivi diététique et psychologique dans la période. Or les patients ont été laissés dans le flou », regrette Simon Msika, président de la Société française et francophone de chirurgie de l’obésité (Soffco-MM) et chirurgien à l’hôpital Bichat (Paris). « Je suis déçue qu’il n’y ait pas eu plus de prise de conscience, abonde Karine Clément. Avec la pandémie, c’était notamment le moment de se dire qu’il faut des forfaits pour ces patients avec une prise en charge globale. »
Une partie des professionnels compte sur la « feuille de route obésité » lancée en 2019 par le gouvernement, et dont l’objectif principal est d’assurer d’ici à 2023 une meilleure coordination entre médecine générale, spécialistes libéraux et services hospitaliers. « En France, on a fait un travail de fond, assure Olivier Ziegler, mais on a surtout à gérer l’absence de médecins spécialisés et de remboursement des parcours. » La feuille de route fixe également des objectifs de réduction de la prévalence de l’obésité (de 15 % parmi les adultes et de 20 % parmi les enfants d’ici à 2023) ; un cap ambitieux, trop ambitieux selon certains observateurs, dubitatifs face à l’absence de moyens supplémentaires alloués à ce défi.
Covid-19 : comment le Royaume-Uni a pris la mesure de l’importance de la lutte contre l’obésité
Le gouvernement a mis en œuvre une série de mesures, sans suffisamment prendre en compte l’environnement global des personnes obèses.
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Boris Johnson l’a déclaré sans fard à la suite de son séjour à l’hôpital, en avril 2020 : « J’étais trop gros ». Le premier ministre britannique en est depuis persuadé : c’est parce qu’il était obèse (110 kg pour 175 cm, soit un indice de masse corporelle supérieur à 30) qu’il a développé une forme grave du Covid-19. Depuis, il a expliqué avoir renoncé à ses fringales nocturnes de fromage et s’est mis au footing : il aurait perdu jusqu’à 1,5 stone (9,5 kg).
Surtout, le dirigeant conservateur, adepte du vélo à titre personnel mais jusqu’alors fervent opposant du Nanny State (« l’Etat surprotecteur ») a fait de l’obésité son sujet de santé publique numéro un. Plus question de refuser l’action politique pour tenter d’éradiquer le phénomène, ni de dénoncer, comme dans une tribune signée en 2004 dans le Daily Telegraph (et titrée « c’est de votre faute si vous êtes gros »), ces députés qui déjà voulaient s’occuper du tour de taille des Britanniques.
Il faut dire que les études cliniques ont désormais établi un rapport clair et alarmant entre excès de poids et risque accru de développer une forme grave du Covid-19 et d’en mourir. Ce qui contribuerait au triste record de mortalité du Royaume-Uni : quasiment 127 000 décès depuis le début de la pandémie, « même si on ne peut pas établir la part qu’a joué l’obésité, elle est clairement un facteur aggravant », souligne le docteur Adam Briggs, membre de l’association caritative Health Foundation.
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Les chiffres sont alarmants : 28 % des adultes britanniques sont considérés comme obèses, selon des données de l’hôpital public britannique datant de 2019 (et 21 % des enfants de 10 ou 11 ans). Alors qu’un tiers des enfants britanniques vivent dans des foyers pauvres – une fois soustraits les frais de logement, souvent très élevés, aux revenus des familles –, le lien entre grande pauvreté et obésité est caractérisé : 27,2 % des enfants des zones les plus défavorisées sont considérés comme obèses, contre 13,9 % pour ceux vivant dans les zones les moins défavorisées. Sédentarité, difficultés d’accès à une nourriture saine et bon marché, ont ancré des habitudes alimentaires dans le quotidien : il est courant de voir les collégiens dévorer des chicken wings et des frites à la sortie de l’école, en plein après-midi.
Les sports en extérieur réautorisés
En juillet 2020, Downing Street a donc publié un premier « plan anti-obésité », proposant, tous azimuts, un contrôle accru des publicités alimentaires sur le petit écran, des promotions dans les supermarchés (pièges à malbouffe, estime le gouvernement) et une meilleure information des consommateurs. Le 4 mars, il a aussi annoncé 100 millions de livres sterling (117 millions d’euros) destinés au NHS – l’hopital public – et aux municipalités, afin de financer du conseil médical à environ 700 000 personnes, des campagnes de publicité nationales ou locales et des initiatives dans les écoles, concernant 6 000 enfants des zones les plus pauvres.
Par ailleurs, ces derniers mois, le gouvernement a systématiquement encouragé les Britanniques à faire du sport et il a veillé à ne pas trop les priver de sorties durant le deuxième confinement (novembre 2020) et le troisième (commencé fin décembre) : ils ont pu sortir pour faire de l’exercice, à condition de rester près de chez eux. Et après les écoles (rouvertes le 8 mars), les sports en extérieur viennent d’être réautorisés lundi 29 mars, deux semaines avant les magasins non essentiels.
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S’ils saluent ces initiatives, les spécialistes de santé publique restent dubitatifs. « Un changement s’est opéré, mais on reste quand même beaucoup dans cette logique où la lutte contre l’obésité passe largement par un changement des comportements des gens plus que par une volonté de changer leur environnement », explique Adam Briggs. « Si tous les gens en surpoids ou obèses perdent 2,5 kg, cela peut faire économiser 105 millions de livres sterling dans les cinq prochaines années au NHS. Cet hiver, vous pouvez prendre votre part pour protéger le NHS et sauver des vies ! » insiste ainsi le gouvernement dans un document officiel de juillet 2020…
« Un phénomène complexe »
« Le gouvernement n’aborde pas le problème dans toutes ses dimensions, l’obésité est un phénomène complexe, pour être vraiment efficace, une politique publique doit envisager l’ensemble des paramètres, agir sur le logement, les transports, l’éducation », ajoute M. Briggs.
« L’obésité n’est pas due à un déficit de connaissances, les gens savent ce qui fait grossir, mais ils évoluent dans un environnement où les prix, les commodités disponibles n’aident pas à rester en bonne santé. Penser que la seule chose à faire, c’est de donner davantage d’informations aux gens ne va pas résoudre le problème », regrettait pour sa part Harry Rutter, professeur en santé publique à l’université de Bath, dans un podcast mis en ligne par la Health Foundation fin 2020.
Les experts s’inquiètent que Downing Street s’apprête à abandonner son projet d’interdire la publicité en ligne pour la junk food et se prive par exemple du levier fiscal, n’ayant proposé aucune taxe supplémentaire sur les aliments trop gras, trop sucrés ou trop transformés, par exemple. Pourtant, dans ce domaine, des solutions créatives ont déjà été mises en place, avec succès, comme la taxe sur les sucres dans les sodas, instaurée dans le pays en 2018 (quelques pence au-delà de 5 g de sucre/100 ml). « Elle a eu un effet très positif en poussant les fabricants à réduire la teneur en sucre des boissons, et les ventes n’ont pas ralenti », commente M. Briggs.
Cécile Ducourtieux(Londres, correspondante)
Covid-19 et obésité : « Le tissu adipeux servirait de réservoir de virus »
Un indice de masse corporelle élevé entraîne un défaut d’immunité, note la docteure Muriel Coupaye, présidente de l’Association française d’étude et de recherche sur l’obésité.

La docteure Muriel Coupaye, endocrinologue à l’hôpital Louis-Mourier à Colombes (Hauts-de-Seine) et à la Pitié-Salpêtrière (Paris), préside l’Association française d’étude et de recherche sur l’obésité (Afero).
Que sait-on à ce jour du risque que fait peser l’obésité sur le fait de développer une forme grave du Covid-19 ?
Il n’est pas formellement démontré que l’obésité augmente le risque d’être infecté par le SARS-CoV-2, en revanche, il est prouvé qu’en cas d’infection l’obésité augmente le risque de développer une forme grave du Covid-19, avec une gradation quasi linéaire à partir d’un indice de masse corporelle [IMC, indicateur de corpulence en fonction du poids rapporté à la taille] à 30.
Dès mars 2020, les cliniciens qui s’occupent d’obésité ont été avertis du risque par les médecins réanimateurs, pour qui il n’est pas habituel d’avoir autant de patients en situation d’obésité dans leurs lits. Très rapidement, des études ont pu montrer que la prévalence de l’obésité était importante, entre 40 % et 50 % en réanimation, et que l’obésité augmentait également le risque [d’avoir besoin d’être placé sous] ventilation mécanique.
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Initialement, les autorités de santé avaient établi un facteur de risque à partir d’un IMC de 40, en raisonnant par analogie avec la grippe H1N1 de 2009. Mais l’ampleur de l’épidémie en 2009 n’était pas la même. Plusieurs acteurs, dont l’Afero, se sont mobilisés pour que le seuil d’IMC considéré comme étant à risque de forme grave soit abaissé de 40 à 30, ce qui a été acté fin avril 2020.
Pour le risque de décès, il y a eu beaucoup d’études dont il ressort qu’il augmente surtout à partir d’un IMC à 40. Mais le premier facteur de risque, avant tous les autres, c’est l’âge du patient.
Quels mécanismes expliquent ce risque ?
Ils sont multiples et ce sont essentiellement des hypothèses, il n’y a pas d’études qui les valident parfaitement. Dans le tissu adipeux, le nombre de récepteurs ACE2 est élevé. Or c’est sur ces récepteurs cellulaires que vient se fixer la protéine spike [la clé d’entrée du SARS-CoV-2 dans l’organisme]. Le tissu adipeux servirait ainsi de réservoir de virus.
L’obésité entraîne par ailleurs un défaut d’immunité. Il est établi depuis longtemps que les personnes en situation d’obésité sont plus fragiles : par exemple, le vaccin contre la grippe marche moins bien pour elles. Les raisons de ce défaut d’immunité ne sont pas encore très claires.
L’obésité s’accompagne d’une inflammation de bas niveau. Quand il existe une infection à SARS-CoV-2, cela peut favoriser l’orage cytokinique, c’est-à-dire l’emballement du système immunitaire qui peut faire basculer vers une forme grave. Ce qui émerge également, c’est le microbiote. Certaines personnes ont un microbiote pathologique et une barrière intestinale plus perméable, ce qui favorise le passage du virus au niveau de l’intestin, par une porte d’entrée digestive, mais ce n’est qu’une hypothèse.
Dans l’obésité, le risque de thromboses est aussi augmenté, ce qui participe à la gravité et à la mortalité. Il y a donc de multiples mécanismes explicatifs, mais aucun n’a été prouvé formellement. J’ai beaucoup de patients qui ont eu le Covid, et heureusement, très peu ont fait des formes graves. L’âge est un facteur majeur, et il y a probablement des facteurs génétiques et immunitaires qu’on n’a pas encore identifiés.
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Est-ce que la pandémie de Covid-19 pourrait servir de catalyseur pour une meilleure prise en charge de l’obésité ?
L’obésité est une maladie, mais ce n’est pas une maladie comme les autres. Il y a certainement eu un changement de considération de l’obésité de la part des autorités de santé et de l’ensemble des soignants. Mais pour nous, les spécialistes de l’obésité, on n’a pas eu de changements dans notre quotidien. Le souci majeur est l’accès aux soins spécialisés : dans les hôpitaux, nous sommes en sous-effectif chronique et, en ville, les consultations de diététique et de psychologie ne sont pas remboursées.
Avec le confinement, on a eu une aggravation des situations. Beaucoup de patients se sont isolés et ont pris du poids. Comme dans la population générale, il y a une grande angoisse, la communication dans les médias est très anxiogène, les personnes en situation d’obésité sont souvent très anxieuses, puisqu’elles savent qu’elles sont à risque de formes graves.
Or, dans les services d’obésité, nous n’avons eu aucun moyen supplémentaire. Moins d’internes arrivent, alors que la demande de consultations a explosé. Les gens se désespèrent parce qu’il y a des délais de consultation très longs. C’est le nerf de la guerre.
On souhaiterait aussi pouvoir proposer des forfaits de prise en charge pour les patients, mais, sur la problématique des remboursements, nous n’avons pas eu gain de cause. Il y a encore un problème de lisibilité du parcours de soins, et on a des patients qui arrivent après dix ans d’échec de prise en charge. Mais il faut rester optimiste, les choses vont avancer en 2021, grâce à la feuille de route obésité 2019-2022, dont le but est d’améliorer la prise en charge des personnes en situation d’obésité.