« Je ne peux plus voir mon métier se dégrader autant » : infirmières, pourquoi elles démissionnent
par Cécilia Arbona publié le 7 avril 2021 à 6h15
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Le blues des blouses blanches, un an après le début de la crise sanitaire : 10 000 infirmiers et aides-soignantes auraient arrêté leur métier en 2020 d’après une étude de la fédération hospitalière de France.

Plus de 10 000 départs sans retour, retraites anticipées, démissions, renoncements, reconversions : ce chiffre en dit long sur la souffrance des soignants et sur l’incapacité des infirmières à poursuivre une carrière qui, pour bon nombre d’entre elles, est pourtant une vocation d’enfant.
Camille, Nantaise de 40 ans et mère de trois enfants a grandi avec cette ambition de soigner, de guérir, de réconforter. Son parcours était tracé, fléché sur les murs blancs de l’hôpital, son univers. « Depuis que je suis petite, je sais que je veux être infirmière ! J’ai fait mes études en fonction de ça. Après mon bac, j’ai eu la chance d’avoir le concours et j’ai pu enchainer, d’avoir mon premier boulot juste après avoir eu mon diplôme. Donc je travaille depuis mai 2003 », décrit Camille.
« De voir mon métier d’infirmière se dégrader autant, pour moi ce n’était plus possible »
« Ça a été compliqué quand j’ai commencé à me rendre compte que ce n’était plus fait pour moi, je me suis demandé ‘mais qu’est-ce que je vais faire après ?’ Ce n’est pas le métier qui ne me plaisait plus, c’est comment on le faisait. » Pour la quadragénaire, « la crise du Covid a servi de révélateur, car ce qui se passe n’est pas nouveau, mais ça a été amplifié avec la pandémie. J’adorais ce que je faisais en service de chimiothérapie mais je n’arrivais plus à faire mon métier comme je voulais le faire. »
Pour trouver sa nouvelle voie, Camille a fait un bilan de compétences : « Il m’a permis de m’orienter sur quelque chose qui me plait : je vais sortir de 8 mois de formation en tant qu’ouvrière horticole pour bosser en pépinière ou en fleuristerie pourquoi continuer avec un CAP de fleuriste car la création me plait énormément. »
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase
Pour rester dans le registre des fleurs et des bouquets, elle explique que le Covid a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : la situation dans les hôpitaux était déjà compliquée avant mais la crise sanitaire a été un révélateur, un accélérateur du malaise, des difficultés du monde hospitalier. « Ça fait un moment que les conditions de travail et de soins se sont dégradées, détériorées. Ça a mis en avant des problèmes qui existaient avant. »
« On en parle davantage aujourd’hui, mais des infirmiers et des infirmières qui pleurent ca existait déjà avant. »
Elle estime aussi qu’en abandonnant son métier, elle a permis d’alléger le quotidien de ses proches. « C’était compliqué pour mes proches, ma famille de me voir pas bien : je ne dormais plus, je rentrais à la maison avec tout ce poids sur mes épaules, je repartais le lendemain avec la boule au ventre ».
Partie « avant le début de la guerre »
Même changement radical de vie pour Élodie, 37 ans, célibataire, ex-infirmière en psychiatrie. Elle est partie en février 2020 alors que la première vague de l’épidémie commençait à déferler sur la France « Je suis partie juste avant le début de la ‘guerre' » admet-elle. Mes collègues m’ont dit après ‘t’as bien fait de partir’. J’avais vraiment besoin de faire une pause. Mais ma famille l’a mal vécu. Mes parents me disaient ‘ta place est à l’hôpital !’ Ils ne comprenaient pas, je les ai déçus en m’en allant »
« Mais pour moi c’était trop. Je rêvais du boulot, la nuit j’étais au boulot et là je me suis dit stop ! »
« Quand on est dans le service, au front, on ne se rend pas compte que ça nous demande une énergie folle, d’être toujours dans la bienveillance, l’accompagnement, le soutien », explique Élodie. « Parce qu’on se retrouve avec des malades dans des états pas possible. On voudrait aider davantage nos patients mais on ne peut pas. »
Elodie a déménagé, elle s’est installée à Concarneau dans le Finistère et elle teste de nouveaux boulots : elle a travaillé comme ouvrière dans une usine, puis six mois vendeuse en boulangerie et, maintenant, elle s’occupe du ménage dans des locations saisonnières.
43% des infirmiers ne savent pas s’ils continueront d’exercer leur profession dans cinq ans selon une étude de l’Ordre National des Infirmiers menée au mois de septembre dernier.
Covid-19 : démissions en série des infirmières à l’hôpital, « après la crise sanitaire on va affronter une crise sociale »
Pour les infirmiers et les aides-soignantes, la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a engendré beaucoup de stress et de fatigue. Un an après le début de la pandémie, ils sont nombreux à avoir arrêté leur métier. « Le moral est au plus bas, à cause de la fatigue accumulée ».
Publié le 07/04/2021 à 20h20 • Mis à jour le 07/04/2021 à 20h41

Meurthe-et-MoselleNancyLorraine
C’est au début de la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19, au mois de novembre 2020, que la liste du personnel soignant qui souhaite quitter l’hôpital public a commencé à s’allonger. Chez une partie d’entre eux, le ras le bol n’est jamais retombé depuis la découverte du virus. « En fait, on a oublié la fatigue tellement on est sous pression », explique un infirmier. « Moi par exemple, j’étais au bloc opératoire et du jour au lendemain, sans formation, je me suis retrouvé en réanimation. Même si ce métier est une vocation, l’amertume est là. Depuis un an, la vie de famille est très affectée par les changements : pas de repos, pas de récupération, moins de congés… Dans mon entourage, j’ai des collègues qui parlent régulièrement de démissionner ».
Nous sommes dans le pic de la vague et tout le monde a le moral à zéro
Un médecin du CHRU
On le savait, la situation était déjà compliquée mais la crise sanitaire a été un véritable révélateur des difficultés du monde hospitalier. « Après la crise sanitaire, on va essuyer une crise sociale à l’hôpital », dit un médecin du CHRU de Nancy. « Ce qui est certain, c’est que l’hôpital public se prépare à une période très difficile ».
Demande de disponibilité, démission, retraite
Ces départs constituent, selon les représentants syndicaux, un phénomène qui va en s’aggravant. « Depuis la situation sociale due au coronavirus, on reçoit énormément d’appels, plus que d’habitude pour des procédures de démissions ou de mise en disponibilité », explique Sophie Perrin-Phan Dinh, infirmière et représentante CGT au CHRU de Nancy. « Ce sont surtout des infirmières. Et aujourd’hui, elles sont nombreuses à menacer de quitter leur poste ».
On ne forme pas assez d’infirmières
Stéphane Maire, délégué CFDT au CHRU de Nancy
De son côté, Stéphane Maire, délégué CFDT au CHRU de Nancy, raconte : « J’ai par exemple le dossier d’une infirmière qui veut partir maintenant et à qui on refuse la rupture conventionnelle. On ne veut pas les laisser partir par manque de monde bien sûr, mais aussi parce qu’on ne forme pas assez de personnels soignants ».
Pourquoi elles démissionnent ?
Avec le Covid-19, plus le rythme s’accélère, plus la crise empire. « Cela s’est accéléré avec la troisième vague et donc un ras le bol lié à l’épuisement. Les plannings change tout le temps », raconte une infirmière. Même son de cloche chez les médecins.
Pour la première fois au mois de février, des infirmières ont posé des arrêts maladies d’épuisement
Pr Jean-Michel Constantin, Hôpital Pitié-Salpêtrière
Un phénomène que l’on retrouve partout en France et également dans les hôpitaux de Paris. Jean-Michel Constantin est chef du service anesthésie-réanimation à l’Hôpital Pitié-Salpêtrière. Il raconte : « c’est très possible que l’on affronte une série de démissions en cascade car on continue à tirer sur la fatigue avec tous les problèmes financiers qui s’ajoutent. Et puis ce n’est pas fini. Au moment où le Covid va baisser, on va être obligé d’accélérer toutes les opérations déprogrammées, avec un hôpital qui sera à genoux ».
Selon le Syndicat CGT du CHRU de Nancy, le service des ressources humaines local estime qu’en 2019, il y a eu 80 départs, autant qu’en 2020. Pour l’instant, il n’évoque pas une recrudescence des démissions.
Les hôpitaux français pourraient bientôt manquer cruellement de personnel soignant. Une récente enquête de la Fédération hospitalière de France *menée auprès de 300 établissements recensait plus de 10.000 départs, démissions, retraites, fins de contrat, d’infirmiers et d’aides-soignants. Yves Quemener
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