« Ne pas condamner des réunions non-mixtes et ne pas expliquer pourquoi de telles réunions ne devraient pas pouvoir être organisées constitue une faute sur le plan moral comme sur le plan politique » – « Le refus des comportements discriminants, c’est comme le combat pour la liberté d’expression. »

Réunions non-mixtes, non sujet qui révèle la confusion morale et tactique à gauche

https://blogs.mediapart.fr/noam-ambrourousi/blog/310321/reunions-non-mixtes-non-sujet-qui-revele-la-confusion-morale-et-tactique-gauche

Réelles ou fantasmées, fréquentes ou exceptionnelles, les réunions non-mixtes ou leur principe auraient dû être condamnés avec fermeté. Contraires aux valeurs défendues par notre camp et sources de divisions, elles ne l’ont pourtant pas été, offrant un boulevard à nos adversaires politiques.

Une hystérisation entretenue par ceux qui soutiennent et entretiennent de nombreuses formes de discriminations 

En l’espace d’une semaine, alors que, faute de la moindre préparation de la part d’un gouvernement qui avait fait « le pari de la vaccination » (pari payé par les Français), le pays s’enfonce dans une crise sanitaire qui n’en finit plus, le sujet central sur les plateaux des chaînes info, ainsi que dans les diverses tribunes des quotidiens de déférence, semble être devenu celui des réunions non mixtes.

La droite, qu’il s’agisse de sa version start’up (LREM) ou serre-tête/collier de perles (LR), l’extrême droite, mais aussi le PS qui, faute de la moindre colonne vertébrale politique semble se raccrocher, sans vraiment donner l’impression de les comprendre, aux mots « République » et « Laïcité »[1] , ont alors saisi l’occasion qui leur était offerte de faire oublier leurs turpitudes pour se présenter en gardiens de la République et des valeurs universelles avec pour but de « cornériser » certains de leurs adversaires politiques.

Dans un mouvement de retournement quasi orwellien, l’UNEF fut ainsi accusée de vouloir nous « mener à des choses qui ressemblent à du fascisme », par un ministre promoteur d’un système d’enseignement ségrégué, pour ne pas dire séparatiste, et proche de mouvements comme SOS éducation, dont l’essence républicaine ne saute pas forcément aux yeux[2]. Pour ce qui semble être une maladresse[3], Audrey Pulvar s’est quant à elle vue accusée de racisme, par une ancienne ministre d’un Président adepte du Karcher dans les banlieues, et ayant fortement œuvré à la « BACisation » des esprits au sein de la police, ainsi que par un candidat aux régionales d’Ile-de-France dont le mouvement politique en connait un rayon en matière de racisme. Tout ça, à partir de citations tronquées ou tout à fait déformées, Audrey Pulvar ayant dès sa déclaration initiale indiqué son peu de goût pour les réunions non-mixte, et l’UNEF ayant indiqué depuis, que toutes les personnes se sentant concernées par le sujet pouvaient venir dans les groupes de parole qu’elle organise.

Philosophiquement et idéologiquement condamnable et contreproductif sur le plan politique le principe des réunions non mixtes doit être condamné 

Une fois indiqué que nous ne sommes pas dupes de cette instrumentalisation on ne peut cependant qu’être étonné, d’une part, que des réunions non-mixtes puissent être envisagées et, d’autre part, de l’ambivalence des positions de certains que l’on a connus autrefois plus tranchés.

Car les déclarations poste-polémique de la direction de l’UNEF ou les précisions apportées par Audrey Pulvar ne doivent pas masquer que ces réunions existent dans certains cas et qu’il est même assez tendance de les défendre dans certains cercles. Dans ces conditions, ne pas condamner de telles réunions et ne pas expliquer pourquoi de telles réunions ne devraient pas pouvoir être organisées constitue une faute sur le plan moral comme sur le plan politique. Et la faiblesse des arguments avancés pour défendre ces réunion ou groupes de paroles est assez pathétique.

Commençons par les arguments, qui sont en général de trois ordres.

Le premier que l’on peut qualifier de « puisqu’ils le font (i.e ils se regroupent en non mixité/ils discriminent/ils nous excluent), nous le faisons aussi », argument que l’on trouve plutôt sur le terrain et qui n’est pas repris par les responsables politiques qui ont bien conscience (mais pour combien de temps) du danger et de l’impasse politique d’un tel argument.

Deuxième « argument », c’est celui du « rayon paralysant du MLF ». Le MLF a mis en place des groupes de paroles interdits aux hommes dont circulez, vous n’avez rien à dire. Et pourtant si, il y a à dire, MLF ou pas.

Enfin troisième « argument » invoqué mais qui appartient à la même famille des arguments d’autorité le fameux « c’est un groupe de parole ». Ah bein si c’est un groupe de parole, d’accord on peut faire n’importe quoi ! Et pourtant non, la catégorie « groupe de parole » ne donne pas le droit de faire n’importe quoi et je ne pense pas, du moins je l’espère ardemment, que les tenants du « c’est un groupe de parole » apprécieraient que se montent des groupes de parole sur un racisme anti-blanc fantasmé, groupe qui serait interdit aux non-blancs…

Mais au-delà de ces arguments grotesques il importe de rappeler pour quoi ces réunions non mixtes, devraient être condamnées sans la moindre ambiguïté. Dans ce qui suit, j’entends par réunion non-mixte toute réunion interdite à certaines personnes pour des motifs de couleur de peau, d’appartenance de genre ou de non appartenance supposée au camp des victimes.

De telles réunions doivent tout d’abord être condamnées car elles légitiment et risquent d’institutionnaliser des comportements que la majorité même des organisateurs de telles réunions combattent. Comment peut-on justifier d’exclure quelqu’un d’une réunion ou lui interdire la parole du fait de sa couleur de peau ou de son identité (supposée) de genre ? Tout militant sensible à la cause antiraciste ou universaliste ne peut cautionner de telles pratiques. Le refus des comportements discriminants, c’est comme le combat pour la liberté d’expression. De même que la défense de la liberté d’expression ne peut se limiter aux seules expressions avec lesquelles on est d’accord, il ne peut y avoir de bonne discrimination.

Ces réunions sont également condamnables car elles sous-entendent que la seule parole des victimes, c’est-à-dire celles qui ont subi telle ou telle situation de discrimination ou de violence, serait valable, la non victime étant dans le meilleur des cas « invitée à se taire » quand elle n’est pas interdite de réunion, au motif qu’elle ne peut pas comprendre voir qu’elle empêcherait la parole du seul fait de son apparence physique (trop blanc, trop « homme », trop…). Une telle naturalisation de comportements (« tu es un homme donc tu vas couper la parole des femmes qui ne pourront pas s’exprimer ») qui sont au contraire le produit de phénomènes sociaux est consternante.

Enfin, au-delà de ce qu’elles sous-entendent du point de vue philosophique et idéologique, de telles réunions sont aussi un non-sens sur le plan tactique et politique. D’une part, elles divisent notre camp et constituent un écran de fumée salvateur pour nos adversaires. D’autre part, elles empêchent cette fameuse « convergence des luttes » dont on nous rebat les oreilles depuis tant d’années. Faut-il être stupide pour voir dans l’homme participant à un groupe de parole consacré aux discriminations dont sont victimes les femmes ou dans la femme blanche venue dans un groupe de parole consacré aux contrôles au faciès, l’ennemi plutôt que le soutien ?

Une prise de parole claire et une condamnation sans ambiguïté aurait empêché que prospère une polémique, qui ne sert que nos adversaires 

Pour toutes ces raisons, on attendait des responsables politiques interrogés sur le sujet une prise de position claire du type « si ces réunions existent, ce qui reste à démontrer, elles doivent évidemment être condamnées mais nous acceptons pas de leçons d’antiracisme ou de vertu républicaine de la part de personnes dont tout le parcours a consisté à miner l’universalisme républicain ». La condamnation sans ambiguïté du principe même de telles réunions (qu’elles existent ou pas) aurait permis d’éteindre la polémique. A la place nous avons eu droit à des déclarations peu claires du type « le MLF l’a fait », « c’est un groupe de parole », y compris par celui qui nous avait pourtant habitué à mieux sur ces sujets[4], qui ont permis à cette polémique pourrie de prospérer avec le concours de médias trop contents de pouvoir monter des plateaux pour/contre dont ils raffolent tant.

[1] Il est d’ailleurs intéressant, à quelques dizaines d’années d’intervalle, de noter la similitude des trajectoires (néant des propositions politiques, invocation d’une laïcité vidée de son sens, réseau de potentats locaux, propension aux plus grandes compromissions pour obtenir ou conserver des postes de pouvoir…) entre le PS et le Parti radical de gauche.

[2] https://www.lesinrocks.com/actu/en-cachette-la-sulfureuse-association-sos-education-efface-tous-ses-liens-avec-le-nouveau-ministre-de-leducation-nationale-125444-19-05-2017/

[3] On peut lui accorder le bénéfice du doute à défaut du sens politique, puisqu’elle est revenue deux jours après sa déclaration, les non discriminés n’étant plus invités à se taire dans les groupes de paroles  mais à ne pas interrompre la parole des victimes qui doivent pouvoir être les premières à pouvoir s’exprimer.

[4] https://www.franceinter.fr/emissions/questions-politiques/questions-politiques-21-mars-2021

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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