Covid-19 : en Allemagne, Angela Merkel menace de court-circuiter les Länder
Excédée par l’attitude de certains dirigeants régionaux, alors que les taux d’incidence sont en hausse, la chancelière allemande réfléchit à une gestion plus centralisée de la pandémie.
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Face à la pandémie, le fédéralisme est-il devenu un problème pour l’Allemagne ? Angela Merkel ne le dit pas de façon aussi explicite, mais c’est bien ce qu’elle laisse entendre depuis quelques jours. Invitée du grand talk show politique du dimanche 28 mars au soir sur la chaîne publique ARD, la chancelière allemande, qui se prête très rarement à ce genre d’exercice médiatique, a fermement enjoint aux Länder de mettre en œuvre des restrictions strictes pour lutter contre la hausse exponentielle du nombre de contaminations, alors que plusieurs d’entre eux ont annoncé des assouplissements.
« Nous devons maintenant mettre en place les mesures appropriées avec beaucoup de sérieux. Or certains Länder le font, mais d’autres ne le font pas encore », s’est agacée Mme Merkel, reprochant à ceux qui regimbent de « violer » les engagements pris, début mars, entre le gouvernement fédéral et les ministres-présidents des seize Länder du pays.
Trop d’exceptions
Une région, en particulier, est dans le viseur de la chancelière : la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Dans ce Land du Nord-Ouest, qui concentre à lui seul près d’un quart de la population du pays, il a été décidé que seules les communes présentant un taux d’incidence supérieur à 100 cas pour 100 000 habitants activent le dispositif dit de « freinage d’urgence » (Notbremse), qui prévoit de fermer les commerces non essentiels, les clubs de sport et les lieux de culture quand ce seuil est atteint. Pour Mme Merkel, cela crée trop d’exceptions : si le taux d’incidence dépasse 100 dans un Land, c’est sur tout son territoire que les mesures de freinage doivent s’appliquer. Lundi, le taux d’incidence s’élevait à 129,6 en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, soit à peu près le même qu’à l’échelle nationale.
Dimanche soir, la chancelière n’a pas hésité à se montrer menaçante. « Je ne vais pas rester deux semaines sans rien faire », a-t-elle prévenu. Sous-entendu : si les Länder ne mettent pas en œuvre les restrictions sur lesquelles ils se sont engagés, l’Etat fédéral se chargera lui-même de les imposer. Parmi les mesures envisagées, des restrictions de sortie du domicile voire un couvre-feu nocturne, jamais appliqué en Allemagne à l’échelle nationale.
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Interrogé, lundi, par la Süddeutsche Zeitung, le ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, a apporté son soutien à Mme Merkel. « Le gouvernement fédéral doit agir. Il en a la possibilité », a-t-il affirmé, évoquant deux options : une révision de la loi de protection contre les maladies infectieuses, déjà complétée à deux reprises depuis le début de la pandémie, ou l’adoption d’une nouvelle loi donnant au gouvernement fédéral la compétence dans un des domaines où ce sont normalement les Länder qui légifèrent. Parmi ces domaines, listés à l’article 74 de la Loi fondamentale, figurent « les mesures contre les maladies humaines et animales constituant un danger public ».
Jusque-là, Mme Merkel n’a jamais recouru à une telle arme, estimant suffisant de rassembler les chefs des Länder par visioconférence pour caler avec eux les mesures anti-Covid-19. Mais la dernière réunion de ce type, lundi 22 mars, a été un fiasco : douze heures de pourparlers pour finir par annoncer un quasi-confinement de cinq jours à Pâques, avant que la chancelière y renonce au bout de trente-six heures – excuses publiques à l’appui – en expliquant que la mesure était inapplicable.
Désaveu cinglant
En rappelant à l’ordre les Länder tentés de desserrer l’étau, Mme Merkel a aussi lancé un sérieux avertissement à l’un de ses successeurs potentiels à six mois des législatives du 26 septembre : Armin Laschet, nouveau patron de la CDU et ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Alors que celui-ci peine à s’imposer comme le candidat commun des conservateurs (CDU-CSU) à la chancellerie, la critique de Mme Merkel à l’égard de sa gestion de la crise sanitaire sonne comme un désaveu cinglant. Lundi, M. Laschet lui a répondu en se faisant le défenseur du fédéralisme. A ses yeux, les réunions régulières entre la chancelière et les chefs des Länder doivent rester l’instance où se prennent les décisions face à la pandémie, à condition de les rendre plus efficaces en réduisant le nombre de participants.
Cet avis n’est pas celui du ministre-président de Bavière et chef de la CSU, Markus Söder. « Il ne sert à rien de se réunir à nouveau pour se lamenter et échanger des points de vue, si au final chacun fait ce qu’il veut. Si la chancelière prend une initiative au niveau national pour changer la loi et donner des directives claires, elle aura mon soutien », a déclaré l’autre homme fort de la droite allemande.
Venant du patron de la Bavière, région dont les dirigeants sont d’ordinaire de fervents avocats du fédéralisme, cet appel au renforcement des prérogatives de l’Etat fédéral est pour le moins habituel. A moins que ce soit, pour M. Söder, une façon de déjà se projeter dans le fauteuil de chancelier fédéral. Pour cela, il faudrait toutefois que ce soit lui – et non M. Laschet – qui soit le candidat commun de la CDU-CSU aux législatives. Sur ce point, les deux hommes ont convenu de se mettre d’accord et de faire connaître leur décision entre Pâques et la Pentecôte, autrement dit entre le 5 avril et le 23 mai.
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