« La manière dont la critique de l’islamophobie est dénigrée dans toute une partie de la gauche, y compris celle dont je fais partie, est révélatrice d’un aspect désolant de l’islamo-gauchisme » (Yvon Quiniou, philosophe)

IEP de Lyon : un syndicat étudiant veut exclure la Licra d’un événement antiraciste

Par Louis Nadau

Publié le 22/03/2021 à 18:38

https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/iep-de-lyon-un-syndicat-etudiant-veut-exclure-la-licra-dun-evenement-antiraciste?utm_source=nl_quotidienne&utm_medium=email&utm_campaign=20210323&xtor=EPR-1&_ope=eyJndWlkIjoiOGFhNDgzMzIwMWE0MDhlOGE1ZDc3NmFjMGI4NDRiYmMifQ%3D%3D

Le syndicat « Solidaires étudiant-e-s » a publié ce lundi 22 mars un communiqué sur sa page Facebook demandant l’exclusion de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), jugée ambigüe sur l’islamophobie, de la semaine nationale d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme (Sacra). « La participation de la Licra n’est pas remise en cause », assure l’IEP.

Sciences Po, épisode III. Après le placardage des photos de deux enseignants jugés islamophobes et le retrait du nom de Samuel Patyparmi ceux envisagés pour baptiser une promotion à Strasbourg, c’est au tour de l’IEP de Lyon de susciter la polémique. Comme l’a relevé Le Figaro, le syndicat Solidaires étudiant-e-s a publié ce lundi 22 mars un communiqué sur sa page Facebook demandant l’exclusion de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) de la semaine nationale d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme (Sacra).

https://www.facebook.com/plugins/post.php?href=https%3A%2F%2Fwww.facebook.com%2FSolidairesEtu.IEP.Lyon%2Fposts%2F3952004204846311&width=500&show_text=true&height=651&appId

Dans ce communiqué, Solidaires et le collectif Pamplemousse – lesquels n’ont pas répondu aux sollicitations de Marianne à cette heure -, s' »interrog[ent] sur la présence de la Licra« , « en raison des nombreuses ambiguïtés la concernant notamment vis-à-vis de son rapport à l’islamophobie, ainsi qu’à la laïcité« . « Nous estimons que la lutte contre l’islamophobie, l’antisémitisme, la négrophobie ou toute autre forme de racisme doit être une priorité, et qu’à ce titre, les institutions comme Sciences Po Lyon doivent s’entourer de collectifs et associations dont le travail se montrer à la hauteur de la lutte. La Licra n’en fait pas partie« , concluent les auteurs du texte.

A LIRE AUSSI : Grenoble : les noms de deux professeurs accusés d’islamophobie placardés sur les murs de l’IEP

La participation de la Licra à la semaine nationale d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme,  organisée du 21 au 28 mars dans l’établissement, se limite à la diffusion de quatre vidéos et à autant de rencontres entre des bénévoles de la Licra et des étudiants de l’IEP de Lyon. Le syndicat et le collectif étudiants citent en guise de « sources » les critiques formulées à l’encontre de l’organisation antiraciste, partisane d’une ligne universaliste, par les sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, selon qui la Licra alimenterait un « déni de l’islamophobie« .

« Nous nous sommes engagés avec la Licra pour une collaboration qui s’étalera sur plusieurs années. Nous avons pris note de ce communiqué, mais la programmation ne vas pas bouger, et la participation de la Licra n’est pas remise en cause« , nous a fait savoir la communication de l’IEP de Lyon. La Licra n’a pas tardé à réagir à sa mise en accusation : « Après avoir voulu censurer la pièce de Charb, après avoir organisé des formations en non-mixité ‘raciale’, après avoir mis en accusation un intervenant de la Licra dans un lycée, le syndicat Solidaires veut interdire le pluralisme à Sciences Po Lyon. Nous ne céderons rien !« 

Après avoir voulu censurer la pièce de Charb, après après organisé des formations en non-mixité « raciale », après avoir mis en accusation un intervenant de la @licra dans un lycée, le syndicat @UnionSolidaires veut interdire le pluralisme à @ScPoLyon Nous ne céderons rien ! pic.twitter.com/HjiAh5xuxB— Licra (@_LICRA_) March 22, 2021

« Islamo-gauchisme : quand la revendication identitaire remplace l’analyse de classe »

Par Yvon Quiniou

Publié le 23/03/2021 à 10:46

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Yvon Quiniou, philosophe et l’auteur, entre autres, de « Pour une analyse critique de l’islam » (H§O), dénonce ce qu’il perçoit comme la montée de l’islamo-gauchisme.

La manière dont la critique de l’islamophobie est dénigrée dans toute une partie de la gauche, y compris celle dont je fais partie, est révélatrice d’un aspect désolant de l’islamo-gauchisme, ce courant de pensée ahurissant qui déferle sur nombre d’intellectuels et de partis qui renoncent à leurs valeurs fondatrices. Ce qui s’est passé à l’IEP de Grenoble, mais aussi d’autres attaques dont des enseignants ont été victimes (dont l’une meurtrière) en sont la preuve, hélas éclatante.

Avant d’aborder la manière dont la critique de l’islam est (mal)traitée, je rappelle cependant que c’est le politologue Pierre-André Taguieff qui a élaboré la notion d »islamo-gauchisme » il y a près de 20 ans, avec beaucoup de lucidité, désignant alors la collusion entre une certaine extrême gauche et une partie des islamiques (ou islamistes), sur fond d’antisionisme (sinon d’antisémitisme).

Partant du fait que les partisans de l’islam, en France, appartenaient aux classes populaires avec tout le poids de pauvreté, d’oppression, d’exclusions souvent et de misère culturelle que cela implique, ils n’en ont eu qu’une approche sociologique et partiale. Sociologique en oubliant de se prononcer sur les idées et les pratiques religieuses des musulmans, oubliant que la pauvreté ne justifie pas que l’on croit et fasse n’importe quoi, surtout quand on refuse certains acquis scientifiques comme le darwinisme (s’agissant des « intellectuels » ou des imams d’abord) et, pire, que l’on adhère à une doctrine dogmatique, le Coran, qui fait de la Charia la loi antirépublicaine de la Cité, qui infériorise la femme, édicte des interdits de vie de tous ordres dans l’ordre vestimentaire, alimentaire ou sexuel (voir la condamnation de l’homosexualité particulièrement atroce dans leur texte de référence) qui sont scandaleux et, enfin, celui qui voue l’incroyant ou l’athée à l’exclusion, sinon à la mort (j’en ai été victime, verbalement). »La notion même d’islamophobie utilisée pour nommer la critique de tout cela est une injure malhonnête destinée à discréditer »

Or, se réclamer de la gauche et s’interdire de condamner tout cela c’est trahir ses idéaux d’émancipation et, tout autant, mépriser la capacité de ces croyants de s’extraire de leur aliénation religieuse : la religion cesserait-elle d’être « le soupir de la créature opprimée » et son « opium »qui l’enfonce dans sa situation en la lui faisant oublier, comme l’a dit magnifiquement Marx sans jamais revenir sur ce diagnostic critique ?

Par ailleurs, cette approche est scandaleusement partiale (et partielle) : comment oublier que l’islam domine dans les pires régimes religieux et autocratiques du monde (Maghreb, Moyen-Orient) et que les féministes, dans ces pays, demandent que les femmes s’en émancipent ? C’est dire, à ces deux points de vue, que la notion même d’islamophobie utilisée pour nommer la critique de tout cela et que je reprends pleinement à mon compte en tant qu’homme de gauche, est une injure malhonnête destinée à discréditer, dévaloriser ceux qui sen réclament : en quoi y aurait-il « phobie », c’est-à-dire processus maladif ? À Grenoble ils ont été traités de fascistes et on les a accusés de professer une doctrine meurtrière… alors que ces termes vaudraient pour eux, leurs accusateurs : drôle de renversement de l’accusation qui témoigne à quel point cette forme de gauche intellectuelle est en perte de repères et dit n’importe quoi !

C’est alors l’occasion de retrouver plus largement les thèmes de l’identité, de la différence et de la race que ce courant de pensée politique valorise et met en avant. Or ces thèmes sont largement mystificateurs : ils consistent à fractionner le peuple, à nourrir ses divisions en les essentialisant, et à refuser de porter un jugement de valeur critique sur ce qu’ils représentent. C’est oublier, par exemple, que toutes les identités ou les différences culturelles et historiquement produites ne se valent pas et qu’il y en a qui sont porteuses d’aliénation : elles rendent les êtres humains, hommes ou femmes bien entendu, autres que ce qu’ils pourraient être dans d’autres conditions de vie, en l’occurrence moins ou pires. Valoriser, sous prétexte d’humanisme, l’identité ou la différence quelle qu’elle soit c’est être aveugle à cette réalité terrible de l’aliénation qui est, elle un fait social engendré par une société de classes, le capitalisme aujourd’hui, que les marxistes ont mis en évidence dans le plus grand silence des médias et que d’autres penseurs, comme Pierre Bourdieu ou Gérard Mendel ont eu le courage d’éclairer, eux aussi, à leur façon. »Il ne faut donc pas que l’approche identitariste, différentialiste ou racialiste de la société efface l’analyse de celle-ci en termes de lutte des classes »

À l’inverse, l’on vient même de voir des moines bouddhistes, en Birmanie, soutenir le coup d’État militaire tout récent au nom de « l’identité » ! D’où également le dernier thème : la race. Sous prétexte de ne pas verser dans le racisme (et c’est très bien), on tombe dans le « racialisme », dans l’exaltation de la différence raciale, ici, comme si ceux qui sont victimes d’une oppression raciale, raciste en l’occurrence, ne l’étaient pas précisément, et aussi à cause d’une essentialisation de la race (terme qui n’a plus de sens scientifique) qui autorise qu’on hiérarchise les races et qui a justifié que l’une domine l’autre ou les autres. Sans compter la causalité sociale qui aura été responsable du racisme, à savoir l’exploitation économique dont ceux qui appartiennent aux races dominées ont été victimes : voir la colonisation et ce qui s’est passé aux États-Unis autrefois… et ce qu’il s’y passe encore aujourd’hui.

Derrière mon analyse et qui justifie qu’on condamne ce mouvement culturel, idéologique et politique, il y a une valeur essentielle, qui est consubstantielle au progressisme et à la gauche, jusqu’à présent : l’Universel, celui qu’ont défendu les philosophes des Lumières et qu’a proclamé la Révolution française, fût-ce avec des insuffisantes concrètes. Or cet Universel est non seulement ignoré mais attaqué comme étant la matrice du totalitarisme – un « post-marxiste », Étienne Balibar a même pu soutenir publiquement cette position sans être contredit !

En réalité, c’est bien à ce critère normatif qu’il faut se référer quand on veut dénoncer les diverses formes d’inhumanité que la société contemporaine génère : car nous sommes tous des êtres humains et les souffrances que ceux-ci subissent ne sont pas le seul lot des « minorités » ou des « différents ». Les travailleurs exploités existent de tous bords, quelles que soient leurs identités, différences ou couleur de peau, et le malheur social qui pèse sur eux tous doit être dénoncé à un niveau global, dans sa racine qui est le capitalisme néolibéral, lequel se moque de l’universalisme moral. Il ne faut donc pas que l’approche identitariste, différentialiste ou racialiste de la société efface l’analyse de celle-ci en termes de lutte des classes, dont la portée critique et émancipatrice est, elle, universelle !

Entretien avec Pierre-André Taguieff, première partie : qu’est-ce que l’islamo-gauchisme ?

Idées

Propos recueillis par Hadrien Brachet – Publié le 19/02/2021 à 17:02

https://www.marianne.net/societe/entretien-avec-pierre-andre-taguieff-premiere-partie-quest-ce-que-lislamo-gauchisme

Les déclarations de Frédérique Vidal sur l' »islamo-gauchisme » à l’université ont créé la polémique. À travers un entretien en trois parties, « Marianne » donne la parole à Pierre-André Taguieff qui a travaillé à forger le terme au début des années 2000. Dans cette première partie, le philosophe et politologue analyse l’initiative de la ministre de l’enseignement supérieur et revient aux sources du concept d' »islamo-gauchisme ».

Plutôt discrète sur la gestion de la crise sanitaire, Frédérique Vidal s’est offert un moment d’exposition médiatique en dénonçant la montée de l’« islamo-gauchisme » à l’université. En proposant, le 16 février, de confier au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) une enquête sur « l’ensemble des recherches » qui se déroulent en France, la ministre de l’enseignement supérieure s’est attiré les foudres d’une partie du monde universitaire. Au premier rang desquels le CNRS lui-même, assurant dans un communiqué que, « s’il pourra participer à la production de l’étude », l’islamo-gauchisme « ne correspond à aucune réalité scientifique. »

Mais la ministre n’est pas la première à s’inquiéter d’un tel phénomène. En octobre dernier, dans le sillage de l’attentat contre Samuel Paty, Jean-Michel Blanquer avait déclaré sur Europe 1 que « l’islamo-gauchisme » faisait « des ravages à l’université. » Dans la foulée, une centaine d’universitaires le soutenaient et alertaient dans Le Monde : « Il serait temps de nommer les choses et aussi de prendre conscience de la responsabilité, dans la situation actuelle, d’idéologies qui ont pris naissance et se diffusent dans l’université et au-delà. »

Marianne se propose de revenir aux sources de ce débat à travers un entretien fleuve avec Pierre-André Taguieff qui publie le 17 mars Liaisons dangereuses: islamo-nazisme, islamo-gauchisme (Paris, Éditions Hermann). Au début des années 2000, alors que la deuxième Intifada éclatait, le philosophe s’est attelé à conceptualiser « l’islamo-gauchisme. » Dans cette première partie, il analyse la proposition de Frédérique Vidal de confier une enquête au CNRS et donne sa définition de « l’islamo-gauchisme. »

Marianne :Quel regard portez-vous sur l’initiative de Frédérique Vidal de demander une enquête au CNRS sur les études menées en France ? Est-ce bienvenu que les politiques se saisissent de cet enjeu ?

Pierre-André Taguieff : Je ne peux que saluer cette prise de conscience et cette initiative, non sans cependant exprimer ma surprise devant le total revirement de Frédérique Vidal qui rejoint ainsi, quatre mois plus tard, les analyses, les positions et les inquiétudes justifiées de Jean-Michel Blanquer. Quant au moment choisi par la ministre pour faire cette déclaration inattendue, il est à l’évidence contestable. Mais l’on sait que l’argument douteux du « bon moment » permet de repousser indéfiniment la position des problèmes qu’on ne veut pas voir poser. La crise sanitaire et sociale ne doit pas interrompre la vie politique et les débats qui l’animent.

La question reste de savoir comment, dans quel cadre et par qui l’enquête sera réalisée. Pourquoi choisir l’alliance Athéna [l’alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales censée mener l’étude mais qui s’en éloigne dans un communiqué du 18 février, N.D.L.R.] plutôt que, par exemple, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) ? Quoi qu’il en soit, c’est dans le cadre de l’alliance Athena que Lionel Obadia a rédigé récemment un rapport sur le statut des « sciences participatives », et qu’en 2016 a été réalisé le rapport « Recherches sur les radicalisations… ». Pourquoi pas, dès lors, un rapport dans le même cadre, mais dans une perspective tout autre, sur le statut des fausses sciences sociales calquées sur l’idéologie décoloniale, la « théorie critique de la race » et l’intersectionnalisme ? L’enquête et l’évaluation critique sur les dérives militantes et les impostures intellectuelles dans les milieux académiques rempliraient une fonction démystificatrice et contribueraient à la lutte contre le nouvel obscurantisme.« La direction du CNRS, choisit clairement son camp idéologique. »

Mais le P.-D.G. du CNRS, Antoine Petit, protecteur des études postcoloniales et défenseur de la « théorie critique de la race », paraît fort mal placé pour favoriser une telle enquête et en garantir l’impartialité. Rappelons les positions qu’il a prises en novembre 2019 dans l’avant-propos qu’il a rédigé, en écriture inclusive, pour un méchant ouvrage collectif rassemblant des auteurs postcoloniaux et décoloniaux : « La “race” devient la nouvelle grille de lecture du monde sur laquelle s’intègre la grille du genre, et qui s’articule à la hiérarchie homme/femme (…). Dans une société non métissée, le social et le genre dominent, mais dans l’espace interracial, le social s’efface derrière le racial. »

On comprend dès lors que, dans un étrange communiqué publié le 17 février, titré « L’“islamogauchisme” n’est pas une réalité scientifique », la direction du CNRS, choisissant clairement son camp idéologique, puisse condamner « les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de “race” ». Mais, par une flagrante inconséquence, la direction du CNRS donne son accord pour réaliser une enquête sur un phénomène qu’elle dit inexistant.

On peut s’étonner par ailleurs que, par ce communiqué illustrant maladroitement le recours à l’argument d’autorité, la direction du CNRS « condamne » l’emploi du terme « islamo-gauchisme » au nom de la défense de la « liberté académique » ! Pourquoi ne pas condamner aussi l’usage des termes politiques comme « néonazisme », « néofascisme », « extrême droite » ou « islamisme », voire « diversité » ou « universalisme », en tant que « slogans politiques » ne renvoyant à aucune « réalité scientifique » ? Le mot « racisme » est-il une insulte, un « slogan politique » ou un « concept scientifique » ? Est-ce à la direction du CNRS, par un communiqué de presse, de trancher ? Un tel parti pris témoigne surtout d’une affligeante ignorance de ces questions et d’une grande perméabilité aux modes intellectuelles. Mais surtout, on ne saurait être juge et partie. Dans ces conditions, l’impartialité de l’enquête ne saurait être considérée comme garantie.« Il importe de faire une cartographie des secteurs de l’enseignement supérieur touchés par l’endoctrinement décolonial et islamo-gauchiste. »

Ayant moi-même publié en 2018 un ouvrage savant, chez CNRS Éditions, intitulé « Race » : un mot de trop ? Science, politique et morale, précédé de nombreuses publications sur la question depuis les années 1980, je crois savoir de quoi je parle, contrairement à bien d’autres. Il ne s’agit pas bien sûr de délégitimer globalement les études sur les questions de race et les formes de racisme, mais d’expertiser sérieusement les travaux réalisés dans ce domaine. Or, en langue française, la plupart d’entre eux se présentent comme des catéchismes ou des bréviaires idéologiques, fabriqués paresseusement à coups d’emprunts aux publications militantes étasuniennes, et appliquant mécaniquement à la société française des outils conceptuels forgés pour analyser l’ordre social-racial américain, tel le « racisme systémique » (dit auparavant « institutionnel » ou « structurel »). Transposé par les activistes académiques à la française, cela donne le « racisme d’État », pur fantasme, alors que ce qui caractérise la France, c’est son antiracisme d’État.

Ce projet d’enquête et d’évaluation critique répond d’une certaine manière à la demande faite début novembre 2020 par le Manifeste des cent ainsi que par l’Observatoire du décolonialisme, lancé en janvier 2021, deux initiatives dues à des chercheurs et à des universitaires décidés à porter dans le débat public les interrogations sur le malaise profond suscité dans le monde universitaire par l’irruption de l’activisme décolonial, sous diverses étiquettes aussi floues qu’attrape-tout (« études postcoloniales », « études de genre », « recherches sur le racisme », sur « les discriminations », « l’intersectionnalité », « la diversité », la « théorie critique de la race », etc.). Il importe de dresser un état des lieux concernant les travaux supposés scientifiques réalisés par les enseignants-chercheurs dans les universités, de faire une cartographie des secteurs de l’enseignement supérieur touchés par la propagande et l’endoctrinement décolonial et islamo-gauchiste ainsi qu’une évaluation critique de la qualité scientifique des travaux réalisés dans un certain nombre de laboratoires. Il ne faut pas négliger non plus l’action de divers groupes de pression (associations, etc.), ni le rôle joué par certains syndicats étudiants qui apportent leur pierre à la construction d’une machine à normaliser la nouvelle pensée « radicale » unique, dénonçant la laïcité comme un masque de l’islamophobie et l’universalisme républicain comme un héritier de l’impérialisme français, et plus largement occidental. Comment, par exemple, ne pas s’interroger sur les conditions de possibilité de cet événement inédit : l’avènement d’une vice-présidente de l’Unef voilée ?« Les convergences idéologiques et les alliances militantes entre islamistes et gauchistes dérivaient d’un commun antisionisme radical. »

Fournir des informations vérifiées sur l’occupation du terrain universitaire par des activistes ayant obtenu des titres ou des postes grâce à une discrimination positive dissimulée (favorisant les « minorités ») avec l’aide de réseaux militants actifs (dont les membres interviennent systématiquement dans les jurys de thèses des candidats affidés) et sur certaines pratiques relevant de l’esprit de censure et de la violation des libertés académiques (par l’exclusion et la criminalisation des contradicteurs, en tant que « dominants », « racisants » ou « mâles blancs hétéros »), c’est le premier pas dans une nécessaire contre-offensive intellectuelle. Dans l’enseignement supérieur, trop de laboratoires ou d’UMR sont sous l’emprise de diverses mouvances de la gauche radicale converties au décolonialisme et à l’indigénisme, qui font passer subrepticement dans les matières enseignées et les sujets de recherche des thèmes empruntés à la propagande et à l’endoctrinement islamistes, à commencer par celui de « l’islamophobie d’État », couplé avec la dénonciation litanique du « racisme systémique », formule magique mais concept vide sur lequel s’appuie la littérature pseudo-sociologique sur les « discriminations systémiques ».

Comment définissez-vous l’« islamo-gauchisme » ?

J’ai forgé l’expression « islamo-gauchisme » au début des années 2000 pour désigner une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche (que je qualifie de « gauchistes »), au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle grande cause révolutionnaire à vocation universelle. C’est en observant, à partir de l’automne 2000 alors que débutait la seconde Intifada, un certain nombre de manifestations dites propalestiniennes où des activistes du Hamas, du Jihad islamique et du Hezbollah côtoyaient des militants gauchistes, notamment les trotskistes de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, devenue en 2009 le NPA) ou des anarchistes, que j’ai commencé à employer l’expression « islamo-gauchisme ». Au cours de ces mobilisations, les « Allahou akbar » qui fusaient ne gênaient nullement les militants gauchistes présents, pas plus que les appels à la destruction d’Israël sur l’air de « sionistes = nazis » ou « sionisme = racisme ». Le 7 octobre 2000, au cours d’une manifestation propalestinienne organisée à Paris, le cri « Mort aux Juifs » fut lancé, tandis qu’une femme voilée arborait une pancarte où on lisait, autour d’un dessin représentant une étoile de David et une croix gammée liées par un signe d’égalité : « Stop au terrorisme juif hitlérien ! 1 Palestinien mort = 1 000 inhumains (Juifs) morts ».

La dimension antijuive de ces manifestations était frappante, ainsi que l’importance prise par la nazification des « sionistes » et plus largement des Juifs, destinée à faire entendre ce message résumant l’inversion victimaire en cours : les Juifs-sionistes sont les nouveaux nazis, tandis que les Palestiniens sont les nouveaux Juifs. L’instrumentalisation et le dévoiement de l’antiracisme consistaient alors à lui donner le visage de l’antisionisme, fondé sur l’image du Palestinien victime d’un « sionisme » fantasmé, celle d’un Palestinien non pas acteur mais victime absolument innocente d’un conflit dû à l’existence même de l’État d’Israël (« colonialiste », « impérialiste », « raciste »). Ces thèmes de la propagande palestinienne étaient intériorisés par toute l’extrême gauche et une partie de la gauche.

C’est donc l’analyse des particularités de la vague antijuive commencée en octobre 2000 qui m’a conduit à caractériser le premier moment de l’islamo-gauchisme contemporain : les convergences idéologiques et les alliances militantes entre islamistes et gauchistes dérivaient d’un commun antisionisme radical, c’est-à-dire de la forme contemporaine de la judéophobie. L’extrême gauche n’était pas encore convertie à l’islamophilie inconditionnelle et la « lutte contre l’islamophobie » – slogan du fréro-salafisme – n’était pas encore le grand thème mobilisateur. Par ailleurs, j’ai rapidement compris que ces convergences n’avaient pas surgi soudainement en 2000 et que la seconde Intifada n’avait fait que leur donner une visibilité plus grande. Le second moment de l’islamo-gauchisme, centré sur l’image du musulman victime du racisme, s’illustre précisément par les appels à « lutter contre l’islamophobie », qui se multiplient à partir du milieu des années 2000.« L’emprise islamo-communautariste, favorisée par le ralliement des mouvances d’extrême gauche à la « lutte contre l’islamophobie », s’est considérablement accrue. »

Quel est le présupposé idéologique commun des islamistes et des gauchistes ? La thèse selon laquelle l’islamophobie constitue la principale forme de racisme et celle selon laquelle l’antiracisme dit « politique » est le combat des combats. Il s’ensuit que l’ennemi commun est caractérisable soit comme « raciste », soit comme « islamophobe ». À l’extrême gauche, cet antiracisme islamisé tend à remplacer le vieil antifascisme communiste. On peut voir dans ces attitudes et ces comportements le résultat de la stratégie des Frères musulmans qui jouent sur la culpabilisation et le victimisme pour conquérir l’opinion occidentale. Bref, l’Occident « mécréant-islamophobe » (pour les islamistes) ou « capitaliste-raciste » (pour les gauchistes) est toujours le seul coupable.

Au moment où je l’ai forgée, en 2001-2002, l’expression « islamo-gauchisme » avait donc à mes yeux une valeur descriptive, en ce qu’elle désignait une alliance militante observable entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche, au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle cause révolutionnaire supposée « universelle », comme certains marxistes, tel Étienne Balibar, le claironnaient. C’est par la suite, notamment lorsque l’islamo-gauchisme est entré dans les universités et dans certains syndicats étudiants tandis que le mouvement des Indigènes de la République (lancé début 2005) lui conférait un visage, que je me suis efforcé de donner à l’expression un contenu conceptuel.

La menace islamo-communautariste avait été signalée en 2003-2004 par Michel Laurent, alors premier vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU) et président de l’université d’Aix-Marseille II, qui s’inquiétait de la poussée de « tendances communautaristes, le plus souvent à caractère religieux », et précisait que ce phénomène « constitue à la fois une réalité que certains d’entre nous vivent au quotidien, et, plus largement, un sujet de crispation politique et de revendication dans notre société ». Depuis, l’emprise islamo-communautariste, favorisée par le ralliement des mouvances d’extrême gauche à la « lutte contre l’islamophobie », arme idéologique principale des stratèges islamistes, s’est considérablement accrue.

Parallèlement, la CPU a perdu sa lucidité, comme en témoigne son communiqué stupéfiant publié le 16 février, « “Islamo-gauchisme” : stopper la confusion et les polémiques stériles », qui constitue un singulier mélange de corporatisme aveugle, de mauvaise foi dans le déni, d’ignorance volontaire et d’arrogance. Il met en œuvre la stratégie des yeux grands fermés, celle qui consiste à mettre la poussière sous le tapis. Une fois de plus, on entend le « rien à signaler » des ronronneurs, le « circulez, il n’y a rien à voir » des partisans du statu quo, le « tout va bien » des grands féodaux pratiquant l’entre-soi. Et ce, sous les applaudissements des médias de gauche et d’extrême gauche, qu’ils soient, face à l’emprise islamo-gauchiste croissante, simplement complaisants ou activement complices.

Les heureux dormeurs de la CPU ne veulent pas voir ni savoir ce qui se passe sous leurs yeux. Pourquoi donc s’indignent-ils pompeusement devant une légitime demande d’enquête objective sur des dérives idéologiques et des pratiques douteuses observables dans certaines universités devenues des temples du décolonialisme et des territoires conquis de l’islamo-gauchisme alors que nombre d’enquêtes journalistiques, ces dernières années, ont mis en évidence le phénomène ? Comment ces indignés peuvent-ils ignorer, par exemple, les travaux de Bernard Rougier, de Gilles Kepel et d’Hugo Micheron sur l’imprégnation islamiste de la société française, et en particulier du champ universitaire ? Comment peuvent-ils ignorer que cette imprégnation commence dès l’enseignement secondaire, comme l’a montré Jean-Pierre Obin dans ses travaux ?

La deuxième partie de l’entretien :La posture « islamo-gauchiste » à l’université*

La troisième partie de l’entretien :« Les censeurs jouent les censurés »

*Entretien avec Pierre-André Taguieff, deuxième partie : la posture « islamo-gauchiste » à l’université

Idées

Propos recueillis par Hadrien Brachet Publié le 20/02/2021 à 16:00

https://www.marianne.net/societe/entretien-avec-pierre-andre-taguieff-deuxieme-partie-la-posture-islamo-gauchiste-a-luniversite

Les déclarations de Frédérique Vidal sur l’« islamo-gauchisme » à l’université ont créé la polémique. À travers un entretien en trois parties, « Marianne » donne la parole à Pierre-André Taguieff qui a travaillé à forger le terme au début des années 2000. Dans cette deuxième partie, le philosophe et politologue décrit les manifestations de la posture « islamo-gauchiste » à l’université.

L’« islamo-gauchisme » gangrène-t-il l’université ? Marianne se propose de revenir aux sources de ce débat à travers un entretien fleuve avec Pierre-André Taguieff. Au début des années 2000, alors que la deuxième Intifada éclatait, le philosophe s’est attelé à conceptualiser « l’islamo-gauchisme. » Après en avoir donné sa définition, il détaille dans cette deuxième partie les manifestations de la posture « islamo-gauchiste » à l’université et les départements les plus affectés à ses yeux. (Suite abonnés)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Un avis sur « « La manière dont la critique de l’islamophobie est dénigrée dans toute une partie de la gauche, y compris celle dont je fais partie, est révélatrice d’un aspect désolant de l’islamo-gauchisme » (Yvon Quiniou, philosophe) »

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