« Quelques solutions pour inverser la baisse du rendement des soins »
TRIBUNE
Samantha Jérusalmy – Partner chez Elaia
Jean-David Zeitoun – Docteur en médecine, docteur en épidémiologie clinique et entrepreneur
Renouer avec des dépenses de santé plus efficaces passe par un moindre gaspillage et le recours à l’intelligence artificielle, estiment Jean-David Zeitoun, médecin, et Samantha Jérusalmy, associée d’une société d’investissement, dans une tribune au « Monde ».
Publié aujourd’hui à 08h00, mis à jour à 15h18 Temps de Lecture 3 min.
Tribune. Les dépenses de santé suivent une loi des rendements décroissants. Les Etats dépensent toujours plus d’argent pour des gains de longévité de plus en plus imperceptibles. La tendance historique est nette. C’est vers 1750 que la santé humaine a commencé à s’améliorer, alors que l’espérance de vie en France se situait entre 25 et 30 ans. Les progrès reposaient sur le traitement public des villes et la désinfection de l’environnement, la nutrition et la vaccination. Ce sont les petits humains qui en ont surtout profité, puisque la mortalité infantile a massivement baissé.
La rentabilité de ces mesures de santé publique était majeure. Elles ont poussé l’espérance de vie pendant deux siècles. Au début des années 1950, la longévité moyenne était passée à environ 65 ans. Les enfants ne mouraient presque plus et les pays industriels se retrouvaient avec des adultes qui pouvaient tomber malades. On a commencé à atténuer les maladies cardiovasculaires, dont la mortalité a baissé de façon inattendue dès les années 1960. La moitié de l’amélioration venait de la prévention et de l’éducation, l’autre moitié du traitement des infarctus. Les coûts avaient augmenté mais restaient abordables et absorbables.
Aujourd’hui, nous dépensons plus d’argent contre les cancers et encore plus contre les maladies rares. Cet argent n’est pas perdu, car, là aussi, nous progressons, mais le rendement des dépenses devient médiocre.
De coûteuses technologies médicales
Deux phénomènes expliquent cette baisse de rendement.
Premièrement, l’espérance de vie est élevée et la marge se réduit. Les gains les plus faciles ont déjà été faits. On parle d’entropie de la table de mortalité. L’entropie est une fonction qui explique que plus un système évolue et moins il est capable d’évoluer, car l’énergie se disperse. Gagner un an d’espérance de vie est plus difficile à 83 ans qu’à 80 ans.
Deuxièmement, les technologies médicales coûtent de plus en plus cher à développer. La croissance économique nous avait à peu près permis de supporter ces conditions, et ce, d’autant que d’autres industries fonctionnent à rendement croissant. En schématisant, nous payons moins cher nos ordinateurs, ce qui nous autorise à investir plus pour notre santé.
Les systèmes de santé ont besoin de technologies de santé publique qui, par exemple, influencent les comportements pour encourager l’activité physique
Pourtant, cette équation n’est plus tenable. La pandémie de Covid-19 l’a rappelé et aggravé à la fois. La nature dynamique du virus rend la clarté impossible à court terme, mais la nécessité de retrouver du rendement ne change pas. Viser le rendement ne veut pas dire faire des économies. Les dépenses de santé ne baisseront nulle part. La récupération du rendement perdu doit permettre d’obtenir une meilleure santé pour un même niveau de solidarité nationale.
Au moins trois approches vont devenir ultra-prioritaires pour les Etats. Toutes reposent sur la technologie, en particulier l’intelligence artificielle (IA). Premièrement, les systèmes de santé ont besoin de technologies de santé publique. Ces technologies influencent les comportements pour encourager l’activité physique et décourager l’alimentation nocive. Elles informent ou elles détectent des signes de maladie précoce.
Leur intérêt populationnel vient de leur effet d’échelle. Elles réduisent l’émergence des pathologies chroniques ou de leurs complications. On parle surtout des maladies métaboliques et de leurs conséquences cardiovasculaires, mais aussi des troubles mentaux. Une urgence est de connaître leurs conditions de financement, car, dans l’industrie médicale, c’est surtout l’Etat qui définit les business models.
L’IA, une arme nouvelle
Ensuite, il y a les technologies cliniques. L’IA est plus mature dans ce domaine. En améliorant la reconnaissance ou la prédiction, elle précise les prises en charge et évite les soins futiles. L’IA sait déjà nous prévenir qu’une chirurgie n’est pas indiquée ou qu’une chimiothérapie sera inefficace. Elle sait aussi détecter un foyer d’arythmie qu’un cardiologue ne peut pas deviner, ce qui écourte la durée des interventions et renforce leur efficacité. Elle augmente le nombre de polypes détectés en coloscopie. L’IA est une arme nouvelle pour limiter la dispersion médicale, qui reste une banalité.
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La troisième priorité est de lutter contre le gaspillage. Les systèmes de santé sont connus pour leur inefficience. La plupart des pays qui ont cherché à quantifier leurs gaspillages ont estimé qu’environ un quart des dépenses de santé étaient perdues. En France, cela signifie 775 euros gâchés par personne et par an. Pour l’Assurance-maladie, cela voudrait dire des dizaines de milliards qu’elle pourrait non pas économiser, mais utiliser différemment en étant sûre d’avoir un impact. Au sein de cette catégorie, c’est au gaspillage administratif qu’il faut s’en prendre avant tout. Eliminer les mauvaises dépenses administratives n’affecte pas les soins.
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Ces solutions ne résoudront pas tous nos problèmes – nous en aurons toujours –, mais elles peuvent les atténuer. Elles sont susceptibles d’inverser la baisse du rendement des soins. Mais l’exécution sera cruciale. Nos retrouvailles avec des dépenses de santé plus efficaces ne sont pas inévitables. Il faudra les faire arriver.
Samantha Jérusalmy(Partner chez Elaia) et Jean-David Zeitoun(Docteur en médecine, docteur en épidémiologie clinique et entrepreneur)Contribuer