« L’impérieuse nécessité d’une action européenne commune et stratégique autour de la santé »
TRIBUNE
Jean-Paul Tran – Thiet Membre de l’Institut Montaigne
Angèle Malâtre-Lansac – Directrice déléguée à la santé de l’Institut Montaigne
Pour éviter le « spectacle désolant des égoïsmes des pays européens » du début de la pandémie, Angèle Malâtre-Lansac et Jean-Paul Tran Thiet, membres de l’Institut Montaigne, détaillent, dans une tribune au « Monde », les trois priorités, que doit, selon eux, se fixer la future stratégie de l’UE en matière de santé.
Publié le 18 février 2021 à 06h45 Temps de Lecture 4 min.
Tribune. La Commission européenne est sous le feu de la critique en raison de linsuffisante quantité de vaccins disponibles sur le continent. Cette polémique ne doit pas éclipser le fait que la Commission pose depuis quelques mois les premiers jalons d’une Europe de la santé, dont la nécessité est aujourd’hui criante.
La santé est et reste une compétence souveraine des États membres. Pourtant, le spectacle désolant des égoïsmes des pays européens, au début de la pandémie, tout comme la faiblesse des mécanismes de coordination et de réponse à la menace sanitaire ont montré l’impérieuse nécessité d’une action commune et stratégique autour de la santé.
Lire aussi « Ne serait-ce qu’en matière sanitaire, l’Union européenne doit disposer d’un régime de crise »
En annonçant, dans son discours sur l’état de l’Union du 11 novembre 2020, la mise en place d’une Europe de la santé dotée d’un budget de 5 milliards d’euros sur sept ans (2021-2027) – contre 449 millions actuellement (2014-2020) –, Ursula von der Leyen a montré une volonté forte d’accroître notre capacité de gestion des crises et de mieux nous préparer aux menaces sanitaires transfrontières. Le plan européen de lutte contre le cancer présenté le 3 février s’inscrit dans cette même volonté de transformation de l’approche européenne autour de la prévention et de la recherche et développement (R&D) en santé.
Trois priorités
Cette Europe de la santé devrait se fixer trois priorités : coordonner les réponses face aux crises sanitaires, rebâtir une sécurité sanitaire fondée sur une filière industrielle forte, améliorer la performance de nos systèmes de santé par le partage d’expériences et de données.
L’agence américaine Barda pour la R&D biomédicale a montré son efficacité en permettant le financement d’essais cliniques et l’accroissement des capacités de production. La mise en place en Europe de la Health Emergency Response Authority (« autorité pour la réaction aux urgences sanitaires »), inspirée du modèle américain, préparera une réponse coordonnée aux futures crises sanitaires, à travers la constitution de stocks de médicaments et d’équipements stratégiques et l’investissement dans la R&D ainsi que dans des partenariats public-privé.
« Soutenir les écosystèmes régionaux d’innovation permettrait d’associer sur un même territoire lieux de soins, laboratoires de recherche, industries, partenaires publics et privés »
Le début de la pandémie a démontré que le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies était trop faiblement doté, et qu’il disposait d’une capacité d’action réduite, laquelle l’a empêché d’intervenir précocement et d’apporter une réponse coordonnée ou des informations claires aux pays européens. Un renforcement de ses compétences et un mandat élargi permettront de recueillir plus rapidement et plus efficacement des données de santé, de surveillance épidémiologique et de planification des réponses sanitaires dans nos pays.
Une stratégie industrielle forte
L’entrée en vigueur de procédures centralisées d’autorisation de mise sur le marché au niveau de l’Agence européenne du médicament a constitué une première initiative, laquelle a montré son efficacité lors de l’agrément des vaccins. Il faut aller plus loin. Assurer le développement de filières industrielles fortes en Europe suppose des politiques incitatives et des aides à l’innovation. Soutenir les écosystèmes régionaux d’innovation permettrait ainsi d’associer sur un même territoire lieux de soins, laboratoires de recherche, industries, partenaires publics et privés.
Rassembler les informations pertinentes sur l’état de la sécurité sanitaire européenne (en créant notamment une plate-forme d’information en temps réel sur les stocks et les risques de pénuries) mettrait à disposition une cartographie de nos sites de production de principes actifs, de médicaments et de dispositifs médicaux d’intérêt stratégique. Ces données faciliteraient l’évaluation de la situation de nos technologies de santé et l’identification des actions de prévention.
Quant à la fixation de prix européens communs, difficilement envisageable aujourd’hui compte tenu des spécificités des systèmes de protection nationaux, elle pourra être utilement anticipée par un travail d’harmonisation des critères d’évaluation du service rendu aux patients. Le modèle canadien peut servir d’exemple, avec son programme commun d’évaluation des médicaments, lequel a depuis 2004 remplacé les dix-huit processus indépendants du gouvernement fédéral aussi bien que des gouvernements provinciaux ou territoriaux.
Création de standards d’évaluation communs
L’identification de « bonnes pratiques » au niveau européen permettrait d’améliorer l’efficacité de nos systèmes de santé (pour le traitement des maladies orphelines ou pour l’anticipation des conséquences du vieillissement de la population, par exemple). L’espace européen des données proposé par la Commission européenne ainsi que son Livre vert sur le vieillissement montrent la voie.
Notre plate-forme nationale Health Data Hub doit y participer (dans le respect de la protection des données personnelles), afin de mutualiser les coûts, de soutenir la recherche et d’élargir la taille des populations étudiées (notamment pour les maladies orphelines) – donc d’améliorer l’offre de soins et de créer des politiques de santé publique plus efficaces, conjointement pilotées par des acteurs publics et privés.
Lire aussi « L’Europe de la santé qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux existe déjà en partie »
Créer les conditions de la confiance à travers des cas d’usage suppose, comme le conseillait l’Institut Montaigne dans son rapport de 2019 intitulé « Système de santé : soyez consultés! », d’associer davantage les patients à l’évaluation des systèmes de soins, en encourageant par exemple l’utilisation des patient-reported outcome measures (« résultats dont font état les patients ») et la création de standards d’évaluation communs pour chaque pathologie.
Au final, en s’appuyant sur les expertises nationales et dans le respect du principe de subsidiarité, l’Europe de la santé démontrerait aux citoyens que l’Union s’occupe réellement de sujets prioritaires pour leur sécurité et leur bien-être.
Angèle Malâtre-Lansac est directrice déléguée à la santé de l’Institut Montaigne ; Jean-Paul Tran Thiet est un ancien haut fonctionnaire français et européen et membre de l’Institut Montaigne.
Jean-Paul Tran Thiet(Membre de l’Institut Montaigne) et Angèle Malâtre-Lansac(Directrice déléguée à la santé de l’Institut Montaigne)