Islamisme et islamophobie : pour la présidente de l’Unef, c’est un partout, la balle au centre
Oui mais…

Par Louis Nadau
Publié le 17/03/2021 à 19:17
À entendre Mélanie Luce, présidente de l’Unef, on croirait qu’établir une hiérarchie les attentats islamistes subis par la France et une islamophobie qui n’en arrive heureusement pas à ces extrémités sous nos latitudes revenait à invisibiliser cette dernière, ou à contribuer à la stigmatisation de nos concitoyens musulmans.
Peut-on vraiment renvoyer islamophobie et islamisme dos-à-dos ? À cette question, la présidente de l’Unef, Mélanie Luce, semble répondre par l’affirmative. Invitée d’Europe 1 ce mercredi 17 mars, la représentante du syndicat étudiant de gauche était notamment interrogée sur les incidents survenus à l’IEP de Grenoble – racontés par Marianne -, où les noms et photographies de deux enseignants accusés d’islamophobie ont été placardés devant l’établissement début mars, avec la motion « Des fascistes dans nos amphis T […] et Kinzler démission. L’islamophobie tue. » Ces affichages avaient notamment été relayés par la section locale de l’Unef.
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« On a expliqué plusieurs fois que c’était une erreur de relayer ces photos, on a d’ailleurs eu l’occasion de s’excuser auprès de l’enseignant en question. C’est une erreur maladroite parce qu’en aucun cas la section locale de l’Unef n’a voulu lancer une vindicte sur ces personnes (sic)« , s’excuse aujourd’hui Mélanie Luce, apportant son « soutien face aux menaces » que les deux enseignants « peuvent subir« , et jugeant « inadmissible » ce placardage, auquel l’Unef « ne s’est jamais associée » – mais qu’elle a tout de même relayé.
« EST-CE QUE L’ISLAMOPHOBIE TUE ? »
Poussée dans ses retranchements par une Sonia Mabrouk plus combative que lorsqu’elle reçoit Bernard Arnault, Mélanie Luce se révèle incapable de répondre clairement à cette question, pourtant simple : « Est-ce que vous pensez aujourd’hui que l’islamophobie tue dans notre pays ?«
« Qu’est-ce que vous appelez islamophobie ? Parce que j’ai vu vos différentes descriptions, et je trouve qu’elles ne sont pas bonnes. Je suis allée, avant cette interview, regarder dans le dictionnaire, explique la dirigeante syndicale. Que nous dit le dictionnaire ? Que l’islamophobie, c’est l’hostilité envers l’islam et les musulmans. » Rappelons, puisque nous en sommes à l’heure des précisions conceptuelles, que le terme « islamophobie » est critiqué par une partie de la gauche lorsqu’il est utilisé pour semer la confusion entre racisme et critique d’une religion.
Revenons-en à l’Unef : « L’hostilité envers l’islam et les musulmans, c’est ce qui a amené des terroristes d’extrême droite à faire une tuerie sur la mosquée de Christchurch, c’est ce qui a amené aussi l’extrême droite en France à incendier une mosquée« , explique sa présidente, invoquant donc l’attaque survenue en mars 2019 en… Nouvelle-Zélande. Si l’on veut bien admettre que le racisme n’ait pas de frontière, il faut tout de même souligner que la question était circonscrite au cas de l’Hexagone.
HIÉRARCHISER N’EST PAS « INVISIBILISER »
« Qu’est-ce qui tue dans notre pays, l’islamophobie ou l’islamisme ?« , relance d’ailleurs Sonia Mabrouk. « Il y a les deux, tout simplement« , répond Mélanie Luce. « Vous pouvez me donner un nom de quelqu’un qui a été malheureusement tué à cause de l’islamophobie ?« , insiste l’intervieweuse d’Europe 1. « Je viens de le faire. Vous ignorez toutes les victimes de la mosquée de Christchurch ? Vous ignorez aussi toutes les victimes de Biarritz il y a quelques années ?« , s’insurge Mélanie Luce.
La présidente de l’Unef ne trouve donc rien de mieux, pour étayer son propos, qu’un attentat survenu à des milliers de kilomètres de la France, et qu’une attaque (et non attentat, les autorités judiciaires n’ayant pas employé ce terme) de mosquée survenue non pas à Biarritz, mais à Bayonne en octobre 2019, lors de laquelle deux personnes avaient été blessées.
DÉFINITION « SCIENTIFIQUE »
Cela signifie-t-il que ces faits sont anecdotiques, ou que la haine des musulmans n’existe pas ? Bien sûr que non, mais tout se passe comme si affirmer qu’il existe une hiérarchie de gravité entre les attentats islamistes régulièrement subis par la France et une islamophobie qui n’en arrive heureusement pas à ces extrémités sous nos latitudes revenait à « invisibiliser » cette dernière, ou, pire, à contribuer à la stigmatisation de nos concitoyens musulmans.
« Vous avez décidé que l’islamophobie c’était une définition que vous avez acceptée vous-mêmes, mais qui n’a aucune cohérence scientifique« , poursuit pourtant Mélanie Luce. La définition scientifique c’est l’hostilité envers les musulmans et l’islam. » Au passage, notons qu’il s’agit en fait de la définition du dictionnaire Larousse, et non d’une définition « scientifique« . « À partir de ce moment-là, si on parle d’hostilité envers les musulmans, la question c’est est-ce qu’on accepte dans notre pays l’hostilité envers les musulmans ? Je ne pense pas qu’il faille l’accepter. » Certes. Mais l’hostilité envers les islamistes, c’est permis ?
Par Louis Nadau
Mélanie Luce
IEP de Grenoble : « C’était une erreur de relayer ces photos », confesse Mélanie Luce
08h33, le 17 mars 2021

L’INTERVIEW POLITIQUE EST UNE CHRONIQUE DE L’ÉMISSION EUROPE MATIN – 7H-9HDIFFUSÉE LE MERCREDI 17 MARS 2021Partagez sur :
Mélanie Luce, présidente de l’UNEF, répond aux questions de Sonia Mabrouk au sujet de la précarité de nombreux étudiants face à la pandémie, de la définition du racisme, de la discrimination et de l’affaire de l’IEP Grenoble.
Invité(s) : Mélanie Luce, présidente de l’UNEF

De plus en plus isolée, l’UNEF sous le feu des critiques
Sa présidente, Mélanie Luce, a admis que des « réunions non mixtes racisées » étaient organisées en son sein. Plusieurs élus demandent sa dissolution.
Il aura suffi d’un passage sur Europe 1, le 17 mars, pour que Mélanie Luce, la patronne du syndicat étudiant l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), déchaîne les passions. Interrogée par Sonia Mabrouk, la syndicaliste a admis l’organisation de réunions « non-mixtes racisées » au sein de son organisation – comme révélé par Le Monde en 2017 – provoquant l’ire d’une partie de la droite et de l’extrême droite mais aussi de membres de la majorité.
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Le syndicat étudiant est certes régulièrement dans le viseur de ses adversaires. Jamais pourtant les réactions n’auront été si violentes. Réagissant dès mercredi 17 mars au soir, Eric Ciotti, le député du parti Les Républicains (LR) des Alpes-Maritimes, a demandé la dissolution du syndicat. « L’UNEF est devenu l’avant-garde de l’islamo-gauchisme en France. Sous couvert de neutralité, ce syndicat étudiant est un mouvement clairement anti républicain », écrit l’élu dans un communiqué.
« L’UNEF a sombré dans le gauchisme américain depuis bientôt dix ans. C’est de la discrimination raciale. Comment aurait-on réagi si on faisait des réunions interdites aux juifs », s’est insurgé le député du Vaucluse (LR) Julien Aubert. Ce dernier assure avoir déposé plainte pour « discrimination raciale » contre le syndicat étudiant.
Une « dérive de long terme »
Pour François-Xavier Bellamy, président du groupe LR au Parlement européen, il s’agit là d’une « dérive de long terme ». Lui aussi favorable à une dissolution, le philosophe estime qu’une réunion où les personnes sont admises ou exclues en fonction de leur couleur de peau relève du « racisme ». « Que dirions-nous si des salles étaient interdites aux noirs ou aux Arabes ? Une action doit être menée pour faire la lumière sur ces faits et les qualifier, plaide-t-il, soit l’UNEF rompt avec ces pratiques, soit il faut le dissoudre ».
La présidente de l’#UNEF admet que son syndicat organise des réunions interdites aux Blancs : dans nos facs, des sa… https://t.co/HgHoHxQBJ1— fxbellamy (@Fx Bellamy)
M. Bellamy se dit d’autant plus consterné que le syndicat, dont il n’a jamais été proche, n’a pas toujours été dirigé ainsi. « Souvenons-nous qu’en 2013, l’UNEF se prononçait contre le port du voile à l’université », tient-il à rappeler. « Cette organisation nous provoque et nous teste », s’inquiète pour sa part Eric Pauget, député LR des Alpes-Maritimes, qui demande l’arrêt immédiat des subventions publiques à l’UNEF « avant même sa dissolution ». Le député Rassemblement national (RN) du Nord, Bruno Bilde, demande également la coupure « des subventions ».
Au-delà de la droite, plusieurs voix se sont exprimées, notamment au sein de la majorité pour critiquer le syndicat étudiant. « L’UNEF a fait un choix, pour survivre, d’un clientélisme indigéniste exacerbé totalement scandaleux » , a ainsi regretté l’ancien ministre de l’intérieur et président du groupe La République en marche (LRM) à l’Assemblée, Christophe Castaner. L’Union des étudiants juifs de France (UEJF), qui s’est souvent retrouvée par le passé aux côtés de l’UNEF dans des mobilisations antiracistes, s’est, elle, interrogée sur Twitter : « A quel point faut-il être basané pour y rentrer ? Avec un peu de chance, les juifs séfarades pourront y être admis… Les Ashkénazes, eux, tout autant victimes de la haine antisémite, seront clairement trop blancs ». Francis Kalifat, le président du CRIF, a fait, quant à lui, un parallèle avec le groupe d’extrême droite Génération identitaire : « J’ai en son temps salué la dissolution de Génération identitaire, j’espère pouvoir très vite saluer la dissolution de l’UNEF qui reconnaît par la voix de sa présidente l’organisation de réunions interdites aux Blancs ».
« C’est caricatural »
Face à ce déchaînement, l’UNEF fait le dos rond. Mélanie Luce précise que les réunions dont il est question n’ont lieu « que deux fois par an maximum » et ne concerne que les militants du syndicat. « Il y a des réunions non-mixtes sur les discriminations, qu’elles concernent les femmes, les LGBT ou les questions de racisme, explique l’étudiante en droit à l’université Paris-II-Panthéon-Assas. Ce sont des groupes de paroles internes à l’organisation, au niveau du bureau national [direction du syndicat] et des AGE [associations générales d’étudiants, la section de base de l’UNEF]. Ce ne sont pas des réunions publiques. Toutes les personnes qui se sentent concernées peuvent venir, on n’a jamais refusé personne ». Une fois ces réunions tenues, un compte rendu a lieu « en réunion mixte » cette fois-ci, soit dans la section locale, soit au sein du bureau national.
Mme Luce assure que le syndicat demeure pour autant « universaliste ». « On a toujours dénoncé l’obscurantisme et on est attaché à la loi de 1905 », continue-t-elle. Et d’ajouter : « Il y a une fracture générationnelle, les étudiants se soucient plus de discrimination. On lit toujours Marx. On dénonce le racisme systémique, le racisme institutionnel. On ne parle pas de racisme d’Etat. »
Pour la dirigeante, les attaques que subit l’UNEF sont une manière pour ses adversaires de réclamer le pendant de la dissolution de Génération identitaire, une comparaison qu’elle réfute d’ailleurs : « C’est caricatural. On n’est pas d’extrême gauche. Nous sommes progressistes, on rassemble plusieurs courants politiques ». Selon elle, cette polémique est utile au gouvernement pour décrédibiliser la parole de l’organisation alors même qu’elle bataille pour obtenir des mesures contre la précarité des étudiants et pour rouvrir les universités.
La fin d’une « pouponnière » politique
Depuis plusieurs semaines, l’UNEF, organisation née en 1907, est sous le feu des critiques. Début mars, à Grenoble, sa section locale a relayé un post (avant de l’effacer) où l’on voyait notamment des collages accusant nommément des professeurs d’islamophobie. La direction du syndicat avait alors condamné sa section grenobloise. Cet incident s’ajoute à plusieurs polémiques autour du rapport de l’UNEF à la laïcité (par exemple le fait que sa vice-présidente, Maryam Pougetoux, soit voilée) et à sa conception de l’antiracisme.
Une partie de la gauche dénonce ainsi une dérive du syndicat étudiant qui fut longtemps une école de cadres. De nombreux socialistes, « insoumis », communistes et même macronistes de la première heure en sont issus. C’était le passage quasi obligé, l’école de militantisme où l’on apprenait à lutter aussi bien contre la droite et l’extrême droite, mais aussi à naviguer dans les arcanes politiques.
L’UNEF semble aujourd’hui de plus en plus isolée. Devenue deuxième organisation étudiante derrière la modérée FAGE, elle paie, en partie, sa volonté d’indépendance vis-à-vis des formations de gauche, alors qu’auparavant chaque courant avait son « grand frère » qui donnait des conseils, des instructions stratégiques mais aussi une structuration politique forte. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et si le syndicat n’est plus la « pouponnière » qu’il fut, son discours a aussi pu perdre en cohérence.
Résultat : les figures de gauche, qui ne sont jamais avares de tweets ou de messages de solidarité, se font remarquer par leur discrétion depuis l’apparition du mot-dièse #DissolutionUnef. Comme s’ils voulaient saisir l’occasion de se séparer d’un vieux membre de la famille devenu trop encombrant.
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