Le comité citoyen sur les vaccins contre le Covid-19 s’interroge sur son utilité

Les premiers pas difficiles du comité citoyen sur les vaccins contre le Covid-19

L’instance consultative, imaginée par le gouvernement et composée de 35 Français tirés au sort, a débuté ses travaux tardivement et s’interroge sur le sort réservé à ses recommandations face à une situation sanitaire mouvante. 

Par Raphaëlle Besse DesmoulièresPublié aujourd’hui à 11h20  

Temps de Lecture 5 min. 

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/17/les-premiers-pas-difficiles-du-comite-citoyen-sur-les-vaccins-contre-le-covid-19_6073451_3244.html

Isabelle Micholet-Constantin, 68 ans, attend en compagnie de son mari après sa vaccination dans une pharmacie parisienne, le 15 mars.
Isabelle Micholet-Constantin, 68 ans, attend en compagnie de son mari après sa vaccination dans une pharmacie parisienne, le 15 mars. BRUNO FERT POUR « LE MONDE »

Quand ils ont décroché leur téléphone, début janvier, beaucoup ont cru à une blague. La voix au bout du fil leur précise qu’ils ont été tirés au sort pour rejoindre un collectif citoyen vaccins dont la mise en place a été annoncée un mois plus tôt par le premier ministre, Jean Castex. Rares sont ceux qui en ont entendu parler, mais l’aventure leur paraît suffisamment intéressante pour donner de leur temps. « S’investir dans ce genre de mission, c’est quelque chose de formidable ! », s’exclame Philippe Hartmann, un conducteur de car de 59 ans, habitant à Gap (Hautes-Alpes).

 Lire aussi  La suspension du vaccin d’AstraZeneca complique les promesses de l’exécutif sur la sortie de crise

Au final, 35 Français ont été sélectionnés, 18 femmes, 17 hommes, de tout âge, citadins, ruraux, issus de milieux socioprofessionnels différents. L’objectif : qu’ils formulent des « propositions relatives aux questionnements, peurs, résistances et questions éthiques que peut susciter la vaccination contre le Covid-19 », selon la lettre de mission du 9 décembre 2020, envoyée par le chef du gouvernement à Patrick Bernasconi, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), chargé d’organiser cette nouvelle expérience de démocratie participative.

Arrivé sous les quolibets – « foutage de gueule », « comité Théodule », « gadget totalement délirant et antidémocratique », s’est déchaînée l’opposition –, le collectif citoyen a pris le temps de s’installer. En janvier et février, les sessions ont été consacrées à une formation en accéléré avec des experts : médecins, pharmaciens, chercheurs, logisticiens, élus locaux… Ce n’est que la semaine dernière, lors de leur troisième rencontre, qu’ils ont commencé à élaborer leurs premières recommandations.

« Enorme problème de communication »

Alain Fischer, le président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale qui chapeaute ce comité citoyen, leur avait demandé de réfléchir à plusieurs thématiques : la communication à l’égard du grand public, le dialogue avec les professionnels de santé ainsi que les difficultés d’accès à la vaccination en fonction de critères géographiques et sociaux. Pendant trois jours, aidés par des animateurs dont le rôle est de cadrer le débat, les 35 volontaires ont planché pour dégager des premières propositions. Parmi les pistes de réflexion dévoilées mardi 16 mars, qui doivent être affinées d’ici à la fin du mois : la mise en place d’une « communication positive, adaptée à chaque catégorie de la population », la multiplication des lieux de vaccination et la systématisation des « unités mobiles » dans le but d’« aller vers le public », ou le fait d’évoquer plus fréquemment « les recherches sur les traitements » contre le Covid.

Le travail n’est pas simple. Tout se fait en visioconférence, le contexte sanitaire ne permettant pas de se retrouver en présentiel. Les journées sont longues derrière son écran et ce n’est pas l’idéal pour créer une émulation collective, mais le dialogue se noue. Certains poursuivent les discussions sur des groupes WhatsApp, d’autres se nourrissent des conversations avec leur famille, leurs voisins, des professionnels de santé. « Les gens sont tellement désemparés, ils viennent chercher qui ils peuvent, souligne Marjorie, qui habite une petite commune de la Drôme et préfère, comme la plupart des participants interrogés, ne pas donner son nom de famille. Là, au moins, on sent une légitimité à faire partie de ce collectif. »

Lire aussi  Covid-19 : près de sept Français sur dix opposés au passeport vaccinal

L’actualité imprègne les échanges. Les nouveaux déboires du vaccin AstraZenecca, dont l’utilisation a été suspendue dans plusieurs pays européens, dont la France, après une suspicion de graves effets secondaires, ne sont pas de nature à rassurer ceux qui étaient déjà sceptiques. Dans le comité, on les appelle les « frileux », comme Valérie, qui dit ne pas avoir « confiance pour le moment ». A 48 ans, cette assistante commerciale en recherche d’emploi ne se définit pas comme une « antivax », mais considère que l’« on ne doit rien imposer et laisser aux gens le temps d’accepter ». Pour cette habitante d’un village des Côtes-d’Armor, « tout cela a été fait très vite » et il y a « besoin de plus de recul et de transparence ».

L’argumentaire agace Philippe Hartmann, qui le juge « un peu léger ». Lui qui a subi un triple pontage il y a quelques années a eu « un coup de bol énorme » en ayant déjà reçu ses deux injections contre le Covid-19. Marjorie aussi est favorable à la vaccination, mais cette mère de famille de 45 ans précise ne pas être « là pour dire aux 44 % de Français qui sont réticents d’aller se faire vacciner ». Avant d’intégrer le collectif citoyen, Henri avait, lui, un « sentiment mitigé » face à « un vaccin tout neuf, développé extrêmement rapidement », mais il a depuis changé d’avis. Ce sont les informations reçues au fil des auditions qui ont fait basculer ce retraité breton de 70 ans. Ce qui lui fait dire qu’il y a aujourd’hui « un énorme problème de communication » de la part des pouvoirs publics. « Les infos changent tout le temps, on entend tout et son contraire », renchérit Lilya, une thésarde de 25 ans qui vit dans les Hauts-de-Seine.

« Dans le temps long »

Leur cheminement est rendu plus complexe par la décision prise de coupler leur travail à celui d’une commission temporaire vaccination, composée de 31 membres du CESE et présidée par Marie-Andrée Blanc, présidente de l’UNAF (Union nationale des associations familiales). Des réunions communes alourdissent le processus au risque de le rendre moins lisible. Autre obstacle : la mandature du CESE, qui doit être renouvelé, prend fin le 31 mars. A cette date, la commission temporaire aura disparu. « Le CESE ne ferme pas pour autant ses portes, déclare Mme Blanc. Tout sera mis en œuvre pour assurer la continuité et le passage de relais sera fait. »

Alain Fischer, le président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, chapeaute le comité citoyen. Lors d’une conférence de presse à Paris, le 25 février 2021. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Mais la principale difficulté est ailleurs. A peine le comité installé, une course contre la montre s’est engagée. Réclamé dès le printemps 2020 par le Conseil scientifique, le collectif citoyen a débuté son activité « très tardivement », déplore le politiste Yves Sintomer, alors que la campagne de vaccination avait déjà commencé. « En soi, l’initiative pouvait être positive, mais la temporalité et les conditions dans lesquelles il a été mis sur pied en font un peu un pétard mouillé, analyse-t-il. Ce n’est pas du tout le même exercice qui était demandé à la Convention citoyenne climat, qui avait une marge de manœuvre plus large par rapport à la question posée. »

 Lire aussi  En France, 68 000 personnes seraient mortes du Covid-19 en 2020

Jean-Christophe, 59 ans et cadre chez Enedis dans la métropole du Grand Nancy (Meurthe-et-Moselle), reconnaît s’être « posé la question de l’intérêt du collectif à date »« Autant je voyais l’intérêt plus en amont, en novembre par exemple, autant, là, ça me semble moins évident », poursuit-il. Pour lui, ces réunions « ne débouchent pas suffisamment vite ou au fil de l’eau concernant une problématique mouvante et qui s’inscrit dans l’urgence ». Un avis que ne partage pas Marjorie : « On est là pour travailler sur la campagne grand public » quand les vaccins seront disponibles à plus large échelle. Raison pour laquelle Lilya veut s’atteler « dès maintenant » aux recommandations concernant les jeunes, qui seront probablement parmi les derniers à être vaccinés.

Un axe que partage Alain Fischer. L’état d’avancement des travaux est « tout à fait normal, estime-t-il. Le collectif citoyen est dans le temps long contrairement au temps politique qui est aujourd’hui dans un temps beaucoup plus court au vu de l’évolution rapide des connaissances scientifiques. » Reste à savoir ce que le gouvernement retiendra, le moment venu. « Quand ça remonte, souvent, ce n’est pas pris en compte, on l’a vu avec la convention citoyenne pour le climat »,s’inquiète Jean-Christophe. A l’exécutif aussi de démontrer que ce nouvel exercice de démocratie participative n’est pas qu’un énième « comité Théodule ».

Lire aussi  Covid-19 : les transferts massifs de patients, pour éviter la saturation des hôpitaux en Ile-de-France, remis en question

Raphaëlle Besse Desmoulières

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire