Le projet de loi Climat, trop ambitieux pour la droite, pas assez pour la gauche et EELV: « L’écart énorme entre les promesses politiques et leur réalisation sape notre démocratie » (Nicolas Hulot)

Nicolas Hulot : « L’écart énorme entre les promesses politiques et leur réalisation sape notre démocratie »

L’ancien ministre de la transition écologique juge que le projet de loi « climat et résilience », qui sera présenté le 10 février en conseil des ministres, n’est pas à la hauteur des enjeux. 

Propos recueillis par Audrey GarricAbel Mestre et Perrine MouterdePublié le 05 février 2021 à 17h00 – Mis à jour le 06 février 2021 à 07h58  

Temps de Lecture 8 min. 

Nicolas Hulot, à Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine, le 2 février.
Nicolas Hulot, à Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine, le 2 février. STEPHANE LAVOUE POUR « LE MONDE »

Réfléchir au « comment faire » et explorer les « angles morts » des politiques publiques pour parvenir à mettre véritablement en œuvre les mutations environnementales et sociales : l’ancien ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, par le biais de la fondation qui porte son nom et qui fête ses 30 ans, entend peser à travers son think tank sur le prochain quinquennat en proposant des « feuilles de route concrètes », dont les trois premières porteront sur les pesticides, les importations et le secteur automobile.

Un outil pour faire en sorte que les promesses des responsables politiques soient tenues et pour répondre à la crise de confiance « inquiétante » entre citoyens et politiques.

Quel regard portez-vous sur la crise sanitaire et sa gestion, près d’un an après qu’elle a démarré ?

Je comprends la crainte, la souffrance, l’angoisse de millions de citoyens, mais je comprends aussi la difficulté du gouvernement à faire face à une situation qui n’a pas d’équivalent. C’est une crise totalement inédite, fluctuant au jour le jour et avec des paroles divergentes de scientifiques. Dans ce bruit de fond, l’exercice démocratique et politique est sur la corde raide.

Ce qui m’intéresse, c’est ce que l’on peut faire en amont des crises et les enseignements que l’on peut en tirer ensuite, mais, lorsqu’on est au cœur du vortex, il faut faire preuve d’un minimum de solidarité et d’unité.

Mais j’espère que cette crise sanitaire ne fera pas d’ombre à d’autres crises, comme la crise écologique. Elle doit au contraire l’éclairer, notamment sur la nécessité de mettre des moyens en amont, quand on peut encore atténuer le choc.

Que pensez-vous du contenu du projet de loi « climat et résilience » issu des travaux de la convention citoyenne pour le climat ?

Ce que les experts nous disent, c’est que ce projet de loi en l’état n’est pas à la hauteur des enjeux et de nos engagements : ni de l’objectif de réduire nos émissions de 40 % d’ici à 2030 par rapport à 1990, et encore moins du nouvel objectif européen de les abaisser d’au moins 55 %. Sur tous les sujets, qu’il s’agisse de la rénovation des bâtiments, de la fin des véhicules polluants ou des aides d’Etat dont ont bénéficié les grandes entreprises pour se relever de la pandémie, c’est toujours le plus petit dénominateur commun qui est employé.

C’est dommage parce que l’important travail de la convention citoyenne donnait l’occasion au gouvernement de se rattraper pour la fin du quinquennat. Tout n’est pas joué puisqu’il y a encore le travail du Parlement. Mais le problème, c’est que l’écart énorme entre les promesses politiques et la réalisation des promesses aggrave la défiance entre le citoyen et le politique, ce qui sape notre démocratie.

L’Etat vient d’être condamné pour « carence fautive » dans la lutte contre le dérèglement climatique. Quelle portée ce jugement peut-il avoir ?

Il y a une valeur historique, car la justice rappelle l’Etat à l’ordre. Elle répète, là encore, que la République et l’Etat ne peuvent pas faire des promesses qu’ils ne mettent pas en œuvre.

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Pensez-vous que le projet de loi pour intégrer l’environnement dans l’article Ierde la Constitution aboutira ?

Je ne crois pas qu’il y aura un référendum avant la fin du quinquennat, même si je peux me tromper. Sur le fait de parvenir à réunir les deux chambres sur un texte qui ne soit pas simplement symbolique, je n’en mettrais pas ma main au feu, non plus…

On n’a pas besoin seulement de symboles, on a besoin de leviers, notamment juridiques, pour pérenniser l’action. Cela serait un acte structurant d’inscrire cette phrase dans la Constitution.

Quels sont les principaux verrous à la transition écologique ?

D’abord, il y a le problème de la méthode : quand on se fixe des objectifs à 2030 ou a fortiori 2050, il faut des points de passage pour les réaliser. Mois après mois, il faut regarder où l’on en est et adapter les moyens en fonction des réussites et des échecs. En France, il n’y a jamais de rappel à l’ordre si l’on n’est pas dans les clous.

Cela implique aussi d’anticiper les secteurs et les personnes qui vont être affectés par ces évolutions et de les accompagner. Une mutation, une transition, ou une métamorphose, comme le dit Edgar Morin, ça s’organise et se planifie. Sinon, nous arrivons à une impasse.

Au moment où on remet à l’ordre du jour le commissariat au plan, ce dont je me réjouis, je me désole de ne pas avoir entendu une seule fois François Bayrou[haut-commissaire au plan depuis septembre 2020] et les autres responsables politiques parler de la transition écologique et sociale.

Après, il y a la question des moyens, normatifs, réglementaires et législatifs. Quand on ne met pas dans la loi la sortie du glyphosate, on ne s’en fixe pas la contrainte. Et la contrainte n’est pas l’ennemie de la créativité, elle en est la condition. Il y a aussi la question des outils, des marchés publics, le levier des accords commerciaux. C’est toute une stratégie qu’il faut mettre en œuvre sur le « comment ».

Enfin, il y a une question de cohérence : quand on demande à nos agriculteurs de réduire les pesticides, de ne pas utiliser d’OGM, et que, dans le même temps, on en importe grâce à des traités de libre-échange et que l’on s’autorise à exporter certaines substances dangereuses comme l’atrazine, on crée des distorsions. On n’est alors pas dans les bonnes conditions pour respecter les objectifs.

En matière de transition énergétique, pensez-vous qu’il faille construire de nouveaux réacteurs nucléaires ?

Ma position sur le nucléaire n’a pas changé, elle s’est même confortée. Le nucléaire est un puits sans fond sur le plan économique, on ne maîtrise plus aucun coût, ni dans le démantèlement, ni pour le « grand carénage », ni sur les nouveaux EPR.

Il y a une fuite en avant que je ne comprends pas. L’argent que l’on met dans ce domaine ne sera pas mis ailleurs, et notamment dans l’efficacité énergétique. On a abandonné ce point crucial de la transition énergétique qu’est la réduction de notre consommation.

Comment avez-vous interprété le rapport de RTE et de l’AIE sur le scénario 100 % renouvelable ?

Je n’affirmerai pas que la France pourrait pourvoir, en l’état, à l’ensemble de ses besoins en énergie avec 100 % de renouvelables dans un délai court. Mais ce rapport confirme que, sur l’électricité, c’est techniquement possible. Il faut continuer progressivement à diminuer le parc nucléaire en fonction de la réduction de notre consommation et du développement des renouvelables.

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Souhaitez-vous porter ces objectifs et être candidat à la prochaine présidentielle ?

J’ai une telle conscience de la gravité et de la complexité de la situation que le prochain locataire de l’Elysée aura à gérer qu’à aucun moment je ne prétends être cette personne-là. Mon rôle sera collectif, pas personnel. Il n’y aura pas d’homme ou de femme providentiel. Il y aura un socle citoyen qui va faire émerger un certain nombre de propositions, d’aspirations. Qui pourra l’incarner ? Ce sera un collectif de personnes.

Soutiendrez-vous un ou une candidate ?

Ce n’est pas à l’ordre du jour. Parlons des idées, des projets mais aussi des moyens. Il faudra distinguer qui est vraiment écologiste, qui remet à plat un modèle qui épuise et un modèle qui concentre. On jugera sur le « comment ». A titre personnel, si quelqu’un sort de l’ombre et me semble avoir la crédibilité, la confiance, la probité, l’honnêteté, le sang-froid et l’énergie, je serai ravi !

Voterez-vous à la primaire des Verts ?

Je ne me suis même pas posé la question.

Le contexte international, avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche notamment, vous paraît-il plutôt favorable à l’action climatique ?

Il ne faut pas attendre de miracle mais le multilatéralisme, mis à l’épreuve par Donald Trump, va pouvoir retrouver un peu d’éclat et d’efficacité.

J’ai vu la rapidité avec laquelle le président Biden a décidé de revenir dans l’accord de Paris, et l’ancien secrétaire d’Etat John Kerry [nommé représentant spécial des Etats-Unis pour le climat] est un allié. Il aura, je pense, une diplomatie offensive sur le sujet.

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Mais où est passée la diplomatie écologique de la France ? Lors de la préparation de la COP21, du temps de François Hollande, la diplomatie n’était pas seulement économique, et nos diplomates s’étaient d’ailleurs mobilisés avec beaucoup d’enthousiasme.

A l’international, Emmanuel Macron est présent. Il a une constance dans l’interpellation, la mobilisation. Mais cela se fait au gré d’événements. Notre diplomatie quotidienne, courante, me semble très silencieuse par rapport à ce qu’elle a été. On n’entend pas Jean-Yves Le Drian [le ministre des affaires étrangères] sur ces sujets-là.

Au niveau européen par exemple, la France peut-elle encore peser pour rendre la politique agricole commune plus ambitieuse ?

Nous sommes dans un paradoxe incroyable. Jamais nous n’avons eu de conjoncture aussi favorable pour transformer de manière apaisée le modèle agricole français. Il y a une demande sociétale de produits de qualité et de proximité. Il y a aussi une possibilité de diversifier les revenus des agriculteurs, en les rémunérant pour réhabiliter la biodiversité, stocker du CO2, produire de l’énergie renouvelable. On peut mettre fin à nos importations de produits protéagineux et donc améliorer notre souveraineté alimentaire. On a l’argent de la PAC [politique agricole commune]. Tous les paramètres sont réunis, mais où est la vision ?

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Il y va de notre modèle agricole comme de notre modèle économique : ce n’est pas d’ajustements à la marge dont on a besoin mais de programmer sa mutation complète. De passer d’un modèle intensif en intrants à un modèle intensif en emplois. Donc, oui, la France peut encore jouer un rôle, mais, pour l’instant, elle n’est pas sortie de cette confrontation stérile entre enjeux environnementaux et enjeux socio-économiques.

Pensez-vous qu’il reste quelque chose de l’idée du « monde d’après », qui semble avoir disparu des débats ?

Lors du premier confinement, je voyais émerger une forme de sagesse. J’osais encore espérer que c’était un mal pour un bien et que, une fois sortis de cette crise, que j’espérais plus courte, on en tire un certain nombre d’enseignements.

Aujourd’hui, je n’en suis plus aussi certain. Il y a eu un monde d’avant et il y aura un monde d’après, qui ne sera plus le même. Mais le sera-t-il d’une manière bénéfique ou toxique ? Sera-t-on capable de mobiliser des moyens et de transgresser certaines règles qu’on s’impose en amont des crises ? Pourra-t-on avoir un vrai débat sur ce qu’on fait de la dette, sur les financements ? Saura-t-on être disruptifs ?

Honnêtement, je n’en sais rien. Mais on ne sortira pas de cette accumulation de crises par le haut avec des outils et des méthodes conventionnels.

Audrey Garric,  Abel Mestre et  Perrine Mouterde

Projet de loi climat : des mesures nombreuses, mais pas à la hauteur des ambitions

Le texte issu des travaux de la convention citoyenne sur le climat voulue par Emmanuel Macron est présenté en conseil des ministres mercredi. 

Par Rémi Barroux et Audrey GarricPublié le 10 février 2021 à 05h55 – Mis à jour le 10 février 2021 à 14h27  

Temps de Lecture 7 min. 

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/10/projet-de-loi-climat-des-mesures-nombreuses-mais-pas-a-la-hauteur-des-ambitions_6069399_3244.html

Emmanuel Macron lors d’une réunion avec les membres de la convention citoyenne sur le climat, à l’Elysée à Paris, le 29 juin 2020.
Emmanuel Macron lors d’une réunion avec les membres de la convention citoyenne sur le climat, à l’Elysée à Paris, le 29 juin 2020. STEPHANE LEMOUTON / SIPA

« C’est une loi qui introduit des ruptures majeures pour la société française », assure Barbara Pompili, la ministre de la transition écologique. Le projet de loi « climat et résilience », issu des travaux de la convention citoyenne pour le climat, doit être présenté en conseil des ministres mercredi 10 février.

Décrit par le gouvernement comme la dernière grande loi pour l’environnement du quinquennat, il marque pourtant un recul par rapport aux mesures des 150 conventionnels, notamment sur les axes les plus structurants de leurs travaux achevés en juin 2020. En l’état, ce texte ne permettra pas à la France de respecter ses engagements climatiques, selon les experts et les scientifiques qui l’ont étudié.

Le projet de loi comporte 65 articles, qui ont vocation à toucher tous les aspects de la vie quotidienne : la consommation, la production et le travail, les déplacements, le logement, l’alimentation, mais aussi la protection judiciaire de l’environnement.

« Agir sur les modes de vie »

Parmi ses mesures emblématiques, il prévoit par exemple la fin de la location des passoires thermiques en 2028, l’interdiction de la publicité pour les énergies fossiles, l’interdiction de certains vols intérieurs s’il existe une alternative en train en moins de deux heures et demie, la division par deux de l’artificialisation des sols, ou la fin de la vente des véhicules thermiques les plus émetteurs en 2030.

Au final, ce texte rassemble, partiellement ou en intégralité, 46 des 149 propositions de la convention citoyenne (soit 30 %). Les autres sont censées être mises en œuvre par l’intermédiaire du plan de relance, de la loi de finances et d’autres textes législatifs, par voie réglementaire, lors de négociations internationales ou encore dans un autre projet de loi présenté en janvier qui vise à inscrire la protection de l’environnement dans la Constitution.

L’ensemble de ces mesures doit répondre à un objectif : réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, par rapport à 1990, dans un esprit de justice sociale. La convention citoyenne avait été voulue par Emmanuel Macron pour sortir de la crise des « gilets jaunes », déclenchée par une augmentation de la taxe carbone. L’objectif de réduction des émissions correspond aux engagements internationaux de la France, qui visent à contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2 °C.

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« Le projet de loi s’ajoute aux lois sur l’énergie, la mobilité, l’économie circulaire et au plan de relance. A condition d’appliquer toutes ces mesures avec volontarisme, nous réussirons à tenir nos engagements, assure au Monde Barbara Pompili. Ce projet de loi a une spécificité : il allie du structurel et du culturel. Il ne contient pas seulement des mesures aux impacts carbone facilement mesurables, il agit aussi sur les modes de vie, avec les étiquettes climat sur les produits, l’éducation à l’environnement ou la régulation de la publicité. C’est cette action qui rendra la transition possible. »

« Risque de rester au milieu du gué »

Pour les instances consultées par le gouvernement, pourtant, le compte n’y est pas. Dans un avis critique rendu fin janvier, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) rappelle que pour atteindre l’objectif de réduction de 40 % des émissions en 2030, il faudrait « tripler le rythme annuel de réduction ». « C’est un bouleversement profond qui est visé dès maintenant, et non un ajustement à la marge. » Or, juge la troisième assemblée constitutionnelle, qui a accueilli les travaux de la convention citoyenne, si « les nombreuses mesures du projet de loi, considérées une à une, sont en général pertinentes », elles sont « souvent limitées, souvent différées, souvent soumises à des conditions telles que l’on doute de les voir mises en œuvre à terme rapproché ».

Ainsi, l’interdiction de location des passoires thermiques concerne 7 % des logements, alors que la convention citoyenne demandait une obligation de rénovation globale de l’ensemble du parc. L’interdiction des lignes aériennes ne concerne en réalité que cinq lignes – dix-sept autres auraient fermé préventivement, assure Matignon –, tandis que le malus au poids ne touchera que 2 % des ventes de véhicules et que la redevance sur les engrais azotés a été repoussée à 2024.

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Sur plusieurs chapitres du texte gouvernemental, notamment l’alimentation collective, le logement, les déchets ou les véhicules polluants, les mesures ne sont souvent que « des ajustements de dispositions existantes », ajoute le CESE. A l’unisson du Conseil national de la transition écologique (CNTE), il juge que le projet de loi ne sera pas à la hauteur des ambitions annoncées par le gouvernement.

« Il y a un risque de rester au milieu du gué, d’avoir un projet de loi qui permettra de réduire les émissions mais sans être sur la trajectoire de la neutralité carbone,redoute Benoît Leguet, le directeur général de l’Institut de l’économie pour le climat. Une grande partie des leviers à même d’accélérer la transition écologique sont mobilisés, comme les normes, les interdictions, la fiscalité, l’information, mais c’est contrebalancé par des mesures repoussées, des exemptions ou encore un manque de moyens donnés aux collectivités. »

Texte « symbolique »

L’étude d’impact associée au projet de loi montre elle-même la portée limitée du texte. Pour atteindre son objectif en 2030, la France doit réduire ses émissions de 112 millions de tonnes de CO2 équivalent par an, comparé à 2019. Or la vingtaine de mesures du projet de loi qui ont pu être quantifiées mènent, en cumulé, à une baisse d’émissions de près de 12 millions de tonnes par an, soit 10 % du chemin à parcourir. Seules trois mesures entraînent une réduction supérieure à un million de tonnes : l’interdiction de la location des passoires thermiques en 2028, les zones à faibles émissions et la taxe sur les engrais azotés.

« Avec ce projet de loi, on n’est pas au niveau de transformation requis par nos objectifs climatiques, juge Céline Guivarch, directrice de recherche à l’Ecole des Ponts-Paris Tech et économiste spécialiste du changement climatique. La preuve n’est pas faite que ce texte et les précédents plans et lois nous permettent de respecter nos objectifs. » 

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« En écartant sciemment les mesures les plus impactantes de la convention citoyenne, le texte reste symbolique. Son étude d’impact assume même de faire seulement – au maximum et en comptant les autres lois – deux tiers du chemin nécessaire pour atteindre les − 40 % en 2030 », regrette, de son côté, le député écologiste de Maine-et-Loire Matthieu Orphelin. Et encore, l’objectif de − 40 % va rapidement s’avérer insuffisant, alors que l’Union européenne a voté, fin 2020, un objectif de baisse des rejets carbonés d’au moins 55 %, qui sera bientôt décliné à l’échelle française.

« Tout ce qu’on a fait pendant le quinquennat peut nous conduire à réduire nos émissions de 120 millions de tonnes par an si l’effort est maintenu. Le projet de loi va permettre de lever les derniers verrous secteur par secteur », répond-on à Matignon. Des mesures pour favoriser l’essor de la voiture électrique – microcrédit, déploiement de bornes de recharge sur les autoroutes, etc. – devaient être annoncées prochainement.

Redonner des gages aux 150

Le gouvernement est sous pression, alors que la France n’est pour l’instant pas sur la bonne trajectoire pour respecter ses objectifs climatiques, comme l’a plusieurs fois montré le Haut Conseil pour le climat (HCC).

Le gouvernement s’est félicité, dimanche, d’avoir réduit les émissions de 1,7 % en 2019, « mais il a abaissé son objectif pour les prochaines années, repoussant l’effort à plus tard, contre l’avis du HCC », rappelle Céline Guivarch. L’Etat, condamné par le tribunal administratif de Paris pour « carences fautives » dans la lutte contre le réchauffement climatique, devra également prouver devant le Conseil d’Etat que « la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ».

L’exécutif devra aussi redonner des gages à des membres de la convention pour une partie déçus. « Nombre de mesures ont été amoindries ou repoussées, notamment du fait d’un travail de sape des lobbys », regrette Mélanie Cosnier, coprésidente de l’association Les 150, qui rassemble la majorité d’entre eux. « On attend que les parlementaires renforcent le projet de loi dans le sens de nos propositions, car l’urgence climatique est plus que jamais manifeste », rappelle la maire (sans étiquette) de Souvigné-sur-Sarthe (Sarthe).

Lundidans une lettre ouverte au président de la République, 110 associations de défense de l’environnement ou de lutte contre la pauvreté ont également appelé le gouvernement et les parlementaires à « redonner vie à l’ambition initiale de ce projet de loi ».

Le projet de loi, débattu en procédure accélérée, sera examiné par une commission spéciale à l’Assemblée nationale début mars, puis en plénière pour trois semaines à partir du 29 mars, avant le passage au Sénat. L’exécutif table sur un vote définitif à l’été ou à la rentrée. D’ici là, les 150 conventionnels se réuniront pour une ultime session, du 26 au 28 février, lors de laquelle ils exprimeront leur avis sur le sort réservé par le gouvernement à leurs mesures.

Rémi Barroux et  Audrey Garric

Le projet de loi sur le climat jugé insuffisant pour atteindre les objectifs de la France

Le Haut Conseil pour le climat regrette un « manque d’ambition sur la portée, le périmètre ou le calendrier » des réformes proposées

Par Audrey GarricPublié le 23 février 2021 à 06h00 – Mis à jour le 23 février 2021 à 11h43  

Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/23/les-mesures-du-projet-de-loi-climat-et-resilience-ne-sont-pas-suffisantes-pour-tenir-les-objectifs-de-la-france_6070860_3244.html

Un texte utile, mais dont l’ambition insuffisante devra être renforcée pour permettre à la France de tenir ses objectifs climatiques. Voilà en substance l’évaluation rendue, mardi 23 février, par le Haut Conseil pour le climat (HCC) sur le projet de loi Climat et résilienceissu des travaux de la convention citoyenne pour le climat. L’instance indépendante, composée de treize experts, s’est autosaisie pour livrer des recommandations en amont de l’examen du projet de loi, qui débutera à l’Assemblée nationale fin mars. Ce texte, avec ses soixante-neuf articles, vise à « introduire des ruptures majeures pour la société française », en s’attaquant à l’ensemble de la vie quotidienne, depuis nos déplacements jusqu’à notre alimentation, en passant par notre consommation et nos logements.

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Le Haut Conseil pour le climat – dont trois des membres n’ont pas participé aux délibérations sur cet avis, car ils étaient associés aux travaux de la convention citoyenne – regrette qu’une « proportion élevée » des mesures du projet de loi voie sa « portée réduite par un périmètre d’application limité, voire ponctuel, des délais de mise en œuvre allongés ou encore de nombreuses conditions associées à leur application ». Le HCC cite, par exemple, la régulation de la publicité, qui ne concerne que les énergies fossiles, et non pas tous les biens et services polluants tels que les SUV ou certains produits alimentaires, comme le souhaitaient les conventionnels.

Dans le secteur du bâtiment, les articles du projet de loi interdisant l’augmentation des loyers pour les passoires thermiques (logements énergivores étiquetés F et G) et les classant comme logements indécents en 2028, afin de pousser à leur rénovation énergétique, ne s’appliquent pas aux propriétaires occupants (qui représentent 58 % des occupants de passoires thermiques), et ils n’envisagent pas d’extension progressive aux autres classes énergétiques, note le HCC. Le projet de loi ne prévoit rien pour s’assurer de rénovations suffisamment ambitieuses, à un niveau bâtiment basse consommation (BBC).

« Délais incompatibles »

Quant à la mesure portant sur l’interdiction des vols aériens intérieurs là où il existe une alternative en train en moins de deux heures trente, elle ne concerne que huit liaisons, qui ne représentaient, en 2019, que 10 % du trafic métropolitain, rappelle le HCC. « Cette limite fixée à deux heures trente est beaucoup trop basse, et une partie de ce trafic pourrait par ailleurs être maintenue lorsqu’il s’agit de transporter des passagers en correspondance », précise l’autorité publique.

De nombreuses mesures du projet de loi sont en outre repoussées à 2024, 2025 ou 2030, « des délais manifestement incompatibles avec le rythme attendu de l’action contre le changement climatique et le rattrapage du retard pris par la France », prévient le HCC. L’instance regrette notamment que la mesure pour améliorer la qualité des repas en restauration collective (50 % de produits durables dont au moins 20 % de bio) ne soit étendue au privé qu’en 2025, de même que la généralisation de la consigne pour le verre. Ou que l’option végétarienne quotidienne dans la restauration collective ne puisse être généralisée qu’à l’issue d’une expérimentation de deux ans, déjà lancée par une partie des collectivités.

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Alors que la décennie en cours est cruciale pour répondre à l’urgence climatique, la France n’est pas sur la bonne trajectoire pour respecter ses objectifs, à savoir réduire de 40 % ses émissions d’ici à 2030 par rapport à 1990, et atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle a largement dépassé son budget carbone – le plafond d’émissions de gaz à effet de serre – pour la période 2015-2018, et « le rythme de réduction des émissions reste actuellement insuffisant », indique Corinne Le Quéré, climatologue à l’université britannique d’East Anglia, qui préside le HCC. Les rejets carbonés ont baissé de 1,2 % par an en moyenne sur les cinq dernières années, alors qu’il faudrait être à − 1,5 % et qu’il faudra atteindre − 3,2 % par an dès 2024.

« Compléter et améliorer »

Le projet de loi Climat et résilience peut-il permettre à la France de redresser le cap ? « L’absence de transparence méthodologique » de l’étude d’impact, réalisée par le gouvernement, ne permet pas au HCC d’évaluer les conséquences attendues du projet de loi dans sa globalité, et les « courts délais », depuis la publication du texte, ont « limité la possibilité d’une analyse détaillée ».

« On peut toutefois déjà dire que l’opportunité de rattrapage offerte par ce projet de loi n’est pas entièrement saisie », dit Mme Le Quéré, précisant que la plupart des vingt et une mesures quantifiées par l’étude d’impact ont un « effet potentiel limité sur le niveau des émissions ». L’accent mis dans le projet de loi sur les mesures de pilotage et de conduite de la transition bas carbone, comme l’attribution de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, peut accélérer l’atteinte des objectifs, mais tout dépendra des actions concrètes prises par l’Etat, ainsi que par les collectivités territoriales, précise le HCC.

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Celui-ci appelle alors à « compléter et à améliorer » la portée des mesures lors de l’examen du texte par le Parlement. Il propose entre autres de définir des obligations de rénovation des bâtiments, échelonnées jusqu’en 2050, avec des niveaux de performance énergétique à atteindre. Le renforcement des mesures, et du calendrier de mise en œuvre, est d’autant plus nécessaire que le nouvel objectif européen (une baisse des émissions de − 55 % d’ici à 2030 et non plus de − 40 %) « pourrait impliquer un rehaussement de l’effort français ».

Fin janvier, le conseil national de la transition écologique s’était déjà inquiété de la « baisse insuffisante des émissions de gaz à effet de serre induite » par cette loi, tandis que le Conseil économique, social et environnemental dénonçait des mesures « souvent limitées, différées ou soumises à (…) conditions ». Le gouvernement, de son côté, indique que le projet de loi s’ajoute aux autres mesures prises depuis le début du quinquennat et au plan de relance, l’ensemble permettant de tenir les engagements de la France. Les 150 conventionnels, eux, exprimeront leur avis lors d’une ultime session de travail, du 26 au 28 février.

Audrey Garric

Projet de loi « climat » : la ligne de crête de l’exécutif

Lors de l’examen du texte en commission spéciale, le gouvernement doit faire face à une double offensive. 

Par Rémi Barroux

Publié 15 Mars, mis à jour à 10h23 

Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/climat/article/2021/03/15/projet-de-loi-climat-le-difficile-exercice-d-equilibriste-du-gouvernement_6073157_1652612.html

La ministre de la transition écologique Barbara Pompili, à l’Assemblée nationale, le 9 mars.
La ministre de la transition écologique Barbara Pompili, à l’Assemblée nationale, le 9 mars. MARTIN BUREAU / AFP

Interdiction des publicités lumineuses, de celles distribuées dans les boîtes aux lettres ou pour des produits jugés polluant, sobriété numérique, augmentation de la part du vrac dans les commerces, suppression de certaines lignes aériennes, interdiction des passoires 
thermiques… Depuis le 8 mars, les débats autour des amendements sur le projet de loi « dérèglement climatique et résilience » sont intenses au sein de la commission spéciale chargée de préparer le texte pour les débats à l’Assemblée nationale, qui doivent débuter le 29 mars.

Intenses et longs puisque, pour achever d’ici à la date butoir du 19 mars l’examen des quelque 5 000 amendements déposés, les 71 membres de la commission spéciale ont dû sacrifier leur week-end. Résultat, dimanche 14 mars à 23 heures, ils avaient achevé l’examen de l’article 42, sur un texte qui en compte 69. Après avoir adopté les titres « consommer », « produire et travailler » et « se déplacer », il leur restait encore à étudier seize des vingt articles du volet « se loger », puis les titres « se nourrir » et, enfin, « renforcer la protection judiciaire de l’environnement ».

Des points de vue irréconciliables

Très vite, les premiers rounds ont révélé une double offensive menée contre le texte gouvernemental. Avec d’un côté ceux qui, à gauche et chez les écologistes, le trouvent trop peu ambitieux au regard de l’urgence climatique et de ce que proposait la convention citoyenne pour le climat (CCC). Et en face ceux qui, à droite, estiment qu’il va trop loin et risque de mettre en danger des secteurs économiques entiers. Entre les deux, la majorité, qui représente plus de 60 % de la commission et défend le projet de loi, a refusé quasi tous les amendements proposés, après en avoir déclaré un grand nombre irrecevables. Sur près de 2 150 amendements déjà étudiés, seuls 238 ont été adoptés dont les trois quarts en provenance de la majorité.

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« Les débats sont très clivés, presque caricaturaux. Si j’avais accepté les amendements LR [Les Républicains], il n’y aurait quasi plus aucun article dans le titre “consommer”, puisqu’ils demandaient la suppression de tous les articles encadrant la publicité, justifie Aurore Bergé, députée La République en marche (LRM) des Yvelines, et rapporteuse du titre « consommer » du projet de loi. Et il y avait la version opposée, c’est-à-dire ceux qui souhaitent la reprise mot à mot des propositions de la CCC, annihilant tout travail parlementaire. J’essaye de trouver un juste milieu. »

De fait, lors de l’examen des nombreux amendements sur les questions d’encadrement ou d’interdiction de certaines publicités, les points de vue ont semblé irréconciliables entre ceux qui réclamaient « l’interdiction de la publicité sur les produits climaticides » ou, au minimum, l’obligation d’en mentionner les dangers pour l’environnement et la santé, et ceux qui dénonçaient toute interdiction. « Je ne suis pas sûr que la suppression de la publicité soit l’arme essentielle pour lutter contre le dérèglement climatique », déclarait ainsi Julien Dive (LR, Aisne).A

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A l’inverse, les partisans d’un affichage environnemental plus contraignant regrettaient le manque d’ambition du gouvernement, qui, sur cette thématique, propose de miser sur les « engagements volontaires » des annonceurs. « Si on avait suivi cette logique pour le tabac, on n’aurait jamais eu la mention “nuit gravement à la santé” », avançait le député socialiste (Mayenne) Guillaume Garot.

D’un côté, on brandit la liberté d’entreprendre et les risques pour des secteurs économiques déjà mis à mal par la pandémie. De l’autre, on rappelle les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et l’urgence climatique. « Ce qu’il faut interdire, c’est le changement climatique, et on ne peut défendre la liberté de tout foutre en l’air, de massacrer la planète », s’insurgeait ainsi Delphine Batho (Deux-Sèvres, non-inscrite).

« Le débat est verrouillé »

Au milieu, le gouvernement, venu défendre son texte, tentait de rassurer à droite et à gauche. « Jamais il n’a été dit que l’on voulait donner un blanc-seing aux annonceurs », déclarait ainsi Barbara Pompili, la ministre de la transition écologique, quand Aurore Bergé exprimait son « souhait que l’on n’élargisse pas à l’infini le champ des interdictions ».

Ce scénario s’est répété maintes fois, notamment sur le transport aérien et la très sensible proposition d’interdire les vols quand une alternative ferroviaire existe en moins de deux heures trente – la convention citoyenne ayant proposé quatre heures – ou encore sur celle visant à introduire une différence de TVA entre le ferroviaire et l’aérien. « Vous voulez organiser la décroissance du secteur alors que nous voulons le décarboner, c’est une divergence et nous ne nous convaincrons pas», assénait aux défenseurs des mesures de la CCC le ministre des transports, Jean-Baptiste Djebbari.

Tout est-il joué ? « Il y aura des débats en séance plénière qui permettront encore au texte d’évoluer, par exemple sur le vélo », promet Jean-Marc Zulesi, député LRM des Bouches-du-Rhône, et rapporteur du titre « se déplacer ». Mais, au vu de cette première semaine de discussion, certains en doutent.

« La position d’équilibre (…) ne règle ni les enjeux sociaux, ni les enjeux climatiques », analyse Dominique Potier

« La ministre avait annoncé son ambition de vouloir améliorer le texte lors du débat parlementaire, mais on découvre la faiblesse de ce texte et on constate l’impossibilité de l’améliorer, le débat est totalement verrouillé, analyse Dominique Potier, député socialiste de Meurthe-et-Moselle. Face à la droite qui demande qu’on ne touche pas à la liberté d’entreprendre et à la propriété, le gouvernement adopte la position idéale d’équilibre, mais cela ne fait illusion pour personne. Et cela ne règle ni les enjeux sociaux, ni les enjeux climatiques. »

« Que le gouvernement mette en avant sa position d’un “juste milieu raisonnable” n’est pas le problème. La question, c’est le climat, et on est à mille lieues des propositions de la convention, qui n’étaient qu’un programme minimum de ce qu’il faudrait faire pour être sur la bonne trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre », complète Delphine Batho.

L’affrontement va continuer dans les prochains jours sur la place du bio, l’alimentation, l’agriculture, l’écocide et la protection de l’environnement, ou encore sur l’artificialisation des sols, sujet sur lequel un millier d’amendements ont été déposés.

Rémi Barroux

Le très contesté projet de loi Climat et résilience arrive en débat à l’Assemblée nationale

Le texte issu des 149 propositions de la convention citoyenne vise à toucher tous les aspects de la vie quotidienne. Associations, responsables politiques et instances diverses critiquent ses ambitions limitées. 

Par Audrey GarricMariama Darame et Rémi BarrouxPublié le 29 mars 2021 à 03h20 – Mis à jour le 29 mars 2021 à 10h12  

Temps de Lecture 5 min. https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/29/le-tres-conteste-projet-de-loi-climat-et-resilience-arrive-en-debat-a-l-assemblee-nationale_6074793_3244.html

Manifestation pour une « vraie » loi sur le climat, à Paris, le 28 mars.
Manifestation pour une « vraie » loi sur le climat, à Paris, le 28 mars. MICHEL EULER / AP

Les députés se lancent dans un marathon législatif de trois semaines à compter de lundi 29 mars, jour du début de l’examen du projet de loi Climat et résiliencedans l’Hémicycle. Fort de ses 69 articles, le texte issu des 149 propositions de la convention citoyenne pour le climat vise à toucher tous les aspects de la vie quotidienne – se déplacer, se nourrir, se loger, consommer, produire et travailler – avec des mesures allant de l’interdiction de certaines lignes aériennes à la lutte contre les passoires thermiques et l’artificialisation des sols, en passant par la régulation de certaines publicités et le délit d’écocide.

Près de 7 000 amendements ont été déposés, preuve des clivages que ce projet de loi cristallise depuis que le Parlement s’en est saisi. Dimanche, des manifestations ont réuni 110 000 manifestants (selon les organisateurs) à travers la France, à l’appel de plus de 650 organisations – un record – pour exhorter les députés à adopter « une vraie loi “climat” ». Ces derniers mois, les avis d’instances se sont multipliés pour critiquer la portée limitée du texte. Le Haut Conseil pour le climat a ainsi regretté, fin février, un « manque d’ambition sur la portée, le périmètre ou le calendrier » des réformes proposées, appelant le Parlement à aller plus loin, alors que la France n’est pas sur la bonne trajectoire pour respecter ses objectifs climatiques.

Des représentants patronaux aux ONG en passant par les militants écologistes, les pressions se multiplient sur le gouvernement et les députés de la majorité qui veulent défendre « un texte équilibré »« Nous voulons une écologie de progrès mais pas une écologie qui casse la croissance économique, ou qui mettrait une industrie la tête sous l’eau », défend Jean-René Cazeneuve, député La République en marche (LRM) et rapporteur général du projet de loi.

Faire de ce projet de loi un marqueur fort

Plusieurs dispositions continuent de faire débat jusque dans la majorité, comme les repas végétariens dans les cantines ou encore la fin de l’exonération fiscale sur le gazole routier. Certains députés craignent ainsi que les discussions se focalisent sur des mesures qui semblent davantage symboliques par rapport aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (− 40 % d’ici à 2030, par rapport à 1990).

L’article 9, qui prévoit une expérimentation, pendant trois ans, du « oui pub », à savoir l’interdiction de distribution de publicités dans les boîtes aux lettres sauf autorisation expressément affichée, illustre les affrontements à venir entre ceux qui vont tenter de limiter les aspects réglementaires et contraignants que porte le projet de loi, arguant de la défense de secteurs économiques (aérien, publicité, commerçants, agriculteurs, automobile…), et ceux qui considèrent que le texte ne va pas assez loin, au regard de l’urgence climatique. « Pour rendre des mesures acceptables, il faut mettre en face les moyens pour que les gens puissent les assumer », a argumenté, dimanche sur Franceinfo, la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili.

A quatorze mois de l’élection présidentielle, beaucoup au sein de la majorité espèrent faire de ce projet de loi un marqueur fort dans un contexte où la crise sanitaire laisse peu d’opportunités politiques. Pour ces débats en séance, le gouvernement a déposé vingt et un amendements pour préciser des annonces attendues portant notamment sur les conclusions de la mission Sichel sur la rénovation thermique des logements ou encore sur le développement des mobilités douces comme le vélo. « Sur la régulation de la publicité comme sur la rénovation thermique, on espère que le débat parlementaire fera évoluer le texte », affirme-t-on encore au ministère de la transition écologique.

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Jusqu’à présent, l’examen du texte en commission spéciale, du 8 au 19 mars, n’a pas modifié l’équilibre du projet de loi, malgré des reculs sur la rénovation énergétique ou la consigne du verre. « Plus de cent heures de débats et plus de 5 000 amendements déposés, dont 25 % jugés irrecevables – deux fois plus que d’habitude pour un projet de loi –, n’ont pas permis de renforcer l’ambition de ce texte », regrette Meike Fink, du Réseau Action Climat. « Le fait que le rapporteur et le gouvernement rendent un double avis défavorable presque systématique sur chacun des amendements a laissé très peu de chances aux propositions de la majorité comme de l’opposition », ajoute-t-elle, dénonçant un « débat muselé ».

Critiques des oppositions

Des arguments repris par les députés écologistes à l’Assemblée, privés de débat dans l’Hémicycle en vertu du « temps législatif programmé », qui limite les discussions à quarante-cinq heures réparties entre les groupes. « En commission, le texte a perdu entre un tiers et la moitié de son ambition, qui était déjà faible », dénonce le député (non inscrit) de Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, qui a déposé le 23 mars, avec Delphine Batho (non inscrite, Deux-Sèvres) et cinq autres députés, une proposition de loi « pour une vraie loi “climat” », qui permettrait, selon leurs calculs, de réduire les émissions de CO2 cinq à huit fois plus que le projet de loi actuel. « Sur ce texte, plus que jamais, l’Assemblée nationale est une chambre d’enregistrement », déplore le député socialiste de la Mayenne Guillaume Garot, qui attend du débat « une trajectoire claire » pour ne pas pénaliser les ménages les plus précaires.

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A droite, où l’on a déposé la majorité des 450 amendements de suppression d’articles dans le projet de loi, les députés souhaitent avant tout préserver la liberté d’entreprendre tout en tentant d’esquisser un discours sur « une écologie positive adaptée aux territoires »« Ce texte représente l’écologie de la taxation. Nous voulons une écologie du pouvoir d’achat, en faire davantage sur la rénovation thermique des bâtiments, sur les circuits courts, l’alimentation », plaide le président du groupe Les Républicains, Damien Abad.

A gauche, le Parti socialiste comme La France insoumise (LFI) estiment d’ores et déjà que le gouvernement ne sera pas à la hauteur dans la lutte contre le réchauffement climatique. « Ils n’ont pas compris que le changement climatique a commencé et qu’il est irréversible. Il faut donc préparer une tout autre organisation de la société », a déclaré le président du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon, lors de la marche parisienne contre la loi « climat ».

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Dans la majorité, les critiques portant sur le manque d’ambition du texte passent mal. « Il faut aussi reconnaître que la direction que prend la France avec ce texte est assez peu partagée dans le monde et reste une première », affirme la députée LRM des Yvelines et vice-présidente du groupe Marie Lebec. « Nous n’échapperons pas aux postures extrêmement caricaturales des oppositions », soutient pour sa part Célia de Lavergne (LRM, Drôme), rapporteuse du chapitre « se nourrir », où elle défend la généralisation du repas végétarien hebdomadaire dans les cantines.

Les députés de la majorité souhaitent la création d’un septième titre dans ce projet de loi, consacré à « l’évaluation climatique » et qui donnerait lieu à un rapport annuel de la Cour des comptes avec l’appui du Haut Conseil sur le climat. Mais, là encore, certains députés s’inquiètent déjà de voir le Parlement dépossédé de sa mission de contrôle sur l’action gouvernementale.

Audrey Garric,  Mariama Darame et  Rémi Barroux

Loi Climat : « La majorité utilise-t-elle, oui ou non, le motif d’irrecevabilité des amendements pour museler les oppositions ? »

TRIBUNE

Collectif

Plusieurs amendements au projet de loi Climat et résilience ont été jugés irrecevables alors même qu’ils reprenaient des propositions de la convention citoyenne sur le climat s’indignent, dans une tribune au « Monde », les quatre députés Nouveaux Démocrates Delphine Bagarry, Emilie Cariou, Guillaume Chiche et Aurélien Taché.

Publié le 31 mars 2021 à 07h00 – Mis à jour le 31 mars 2021 à 07h00    Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/31/loi-climat-la-majorite-utilise-t-elle-oui-ou-non-le-motif-d-irrecevabilite-des-amendements-pour-museler-les-oppositions_6075064_3232.html

Tribune. Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets ravive la controverse autour du cavalier législatif et de son utilisation. Un amendement est considéré comme cavalier dès lors qu’il introduirait des mesures sans lien, même indirect, avec le sujet dont traite le projet de loi ou la proposition de loi en cours de discussion. Des amendements, portant sur l’écoresponsabilité des entreprises ou encore sur l’adoption, par la France, de l’objectif européen de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, ont été déclarés irrecevables pour ce motif. Ils reprennent pourtant directement des propositions de la convention citoyenne pour le climat, dont ce projet de loi est censé être la traduction concrète. L’absence de lien, même indirect, avec le texte, apparaît alors peu justifiable.

Lire aussi : Que sont devenues les propositions de la convention pour le climat, qu’Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre « sans filtre » ?

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le sujet relatif aux amendements déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution, car ne présentant pas de lien, même indirect, avec le texte, provoque des débats houleux dans notre chambre. Des craintes, justifiées, s’expriment quant à l’utilisation abusive de cet outil de contrôle par la majorité. Cette polémique sur le musellement des oppositions est, de surcroît, largement alimentée par le choix discutable d’imposer un temps législatif programmé sur des textes majeurs.Lire aussi : la ligne de crête de l’exécutif

Et si les oppositions crient au scandale démocratique, un débat de fond n’en est pas moins légitime. D’abord parce qu’il touche à l’une des missions essentielles du Parlement, celle de faire la loi. Ensuite parce qu’il est révélateur d’un effet de bord délétère de la réforme de l’internalisation du contrôle a priori par l’Assemblée nationale de la recevabilité des amendements.

Opacité des arbitrages

Lorsque l’on s’en tient aux chiffres, la proportion d’amendements irrecevables, car considérés comme des cavaliers législatifs, est sensiblement la même pour la majorité que pour les groupes d’opposition. Mais le fait est que, au sein de ces amendements, l’absence de lien, même indirect, avec le texte est discutable.

L’article 45 de la Constitution dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Le règlement de l’Assemblée nationale – réformé par Richard Ferrand en 2019, qui a fait sienne cette doctrine dans son article 98 alinéa 6 – poursuivait un objectif clair dans un souci d’« efficacité » chère à La République en marche : réduire la durée des débats en séance et juguler l’inflation du nombre d’amendements déposés.

L’objectif paraît louable. Seulement, le Conseil constitutionnel considère que les instances de l’Assemblée n’ont pas l’obligation de justifier des décisions d’irrecevabilité liées à l’article 45. Et c’est là que le bât blesse. Car l’absence de motivation fait régner l’opacité autour des critères et arbitrages permettant de qualifier ce motif d’irrecevabilité.

La qualité des débats en pâtit

Si la recevabilité financière des amendements se fonde sur des bases concrètes et opposables, en l’absence de critères objectifs, l’existence d’un lien indirect reste soumise à l’arbitraire, écartant toute possibilité, pour les députés et députées de s’assurer de son bien-fondé. Nombreux sont les élus de tous bords qui ont fait les frais d’une application extrêmement stricte et à maints égards contestables de l’article 45 de la Constitution, sur les cavaliers législatifs. Sans explications claires, impossible donc, pour les députés de reprendre et de retravailler leurs amendements pour les soumettre à nouveau aux instances de l’Assemblée.

La majorité utilise-t-elle, oui ou non, ce motif d’irrecevabilité pour museler les oppositions ? La question est sensible certes et peut légitimement se poser. Mais, sans preuve tangible toutefois, l’alimenter ne fait que renforcer la suspicion sans apporter de réponses concrètes. Car le fond du sujet est que cette opacité constitue une entrave majeure à l’exercice constitutionnel du droit d’amendement des parlementaires.

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In fine, c’est la qualité des débats et du travail législatif qui en pâtit en écartant de facto des sujets cruciaux qui mériteraient un débat ouvert et contradictoire. Ce fut le cas pour certains amendements relatifs au burn-out lors de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail… Ou encore sur les dérives de groupuscules survivalistes dans le cadre du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Demande d’explications

Si le Parlement est le lieu où l’on vote la loi, c’est avant tout celui où l’on se parle. L’essence même de la fonction du député est de faire la loi, de la construire par un débat qui se doit d’être aussi approfondi que contradictoire et ouvert. Gardons en tête le mot de Clemenceau, qui répondait à ce sujet au général Boulanger, un certain 4 juin 1888 à la Chambre des députés : « Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage. Oui ! Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait. »

En touchant à l’essence du Parlement, on touche aux fondements de notre démocratie. Ce seul constat devrait suffire à ouvrir la réflexion d’une évolution du droit parlementaire. Sans renoncer à la rationalisation du débat parlementaire, sans ouvrir la possibilité aux jeux d’obstruction et compte tenu du très grand nombre d’amendements déposés, pourquoi, ne pas simplement proposer qu’un député puisse demander une fois par an, sur deux amendements de son choix déclarés irrecevables, une explication écrite et argumentée ?

Le cadrage : Le très contesté projet de loi Climat et résilience arrive en débat à l’Assemblée nationale

Renforcer la transparence du contrôle a priori de la recevabilité viendrait, d’une part, mettre un point d’arrêt aux suspicions en écartant toute polémique d’une utilisation politique du cavalier législatif. Elle offrirait, d’autre part, la possibilité d’améliorer la qualité et la fluidité du travail parlementaire en permettant aux députés de rectifier en connaissance de cause la rédaction de leurs amendements irrecevables.

Le débat est ouvert.

Delphine Bagarry (députée des Alpes-de-Haute-Provence, trésorière des Nouveaux Démocrates) ; Emilie Cariou (députée de la Meuse, coprésidente des Nouveaux Démocrates) ; Guillaume Chiche (député des Deux-Sèvres, porte-parole des Nouveaux Démocrates) ; Aurélien Taché (député du Val-d’Oise, coprésident des Nouveaux Démocrates)

Collectif

Voir aussi:

https://www.lemonde.fr/planete/live/2021/03/29/le-projet-de-loi-climat-et-resilience-arrive-a-l-assemblee-nationale-posez-vos-questions-sur-un-projet-conteste_6074865_3244.html

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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