Il existe une division genrée de la santé qui n’existait pas avant la crise sanitaire, les femmes souffrent bien plus que les hommes

Covid-19 : « Le grand soir en termes d’égalité hommes-femmes n’est qu’une illusion en matière de santé »

TRIBUNE

Natasia Hamarat – Sociologue

Jacques Wels – Sociologue

Si l’adaptation du cadre d’emploi a pu bénéficier aux travailleurs, il existe cependant une division genrée de la santé qui n’existait pas avant la crise sanitaire, analysent dans une tribune au « Monde » les sociologues Natasia Hamarat et Jacques Wels.

Publié le 08 mars 2021 à 14h28 – Mis à jour le 08 mars 2021 à 14h35    Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/08/covid-19-le-grand-soir-en-termes-d-egalite-hommes-femmes-n-est-qu-une-illusion-en-matiere-de-sante_6072354_3232.html

Tribune. On ne peut résumer la récente crise épidémique à son seul impact sanitaire. Les multiples mesures qui ont été mises en place, à différentes échelles selon les pays, incluant notamment couvre-feu, fermeture des écoles et entreprises, soins aux proches et une modification profonde des conditions d’emploi, ont aussi impacté la santé des individus, dans des proportions encore difficiles à évaluer.

Car, si les nombres de tests positifs et de décès nous parviennent de manière journalière, les effets corollaires aux mesures visant à contenir l’épidémie ne sont que peu identifiables à l’heure actuelle. En matière d’emploi, les spéculations vont bon train. La crise actuelle a redéfini les cadres de la relation au travail

Lire aussi  « Notre corps, nous-mêmes » : une nouvelle version du best-seller féministe

D’une part, une partie de la population a perdu son emploi de façon permanente ou temporaire. D’autre part, une part importante des salariés a vu ses conditions de travail changer, avec des variations en termes d’horaire et un développement sans précédent du travail à domicile. Cela a suscité quelque enthousiasme de la part de certains chercheurs (This Time It’s Different : The Role of Women’s Employment in a Pandemic Recession et The Impact of Covid-19 on Gender Equality,de Titan AlonMatthias DoepkeJane Olmstead-Rumsey & Michèle Tertilt) : la crise actuelle contribuerait à redéfinir la relation d’emploi et, plus encore, elle permettrait à la fois une augmentation de l’usage de mécanismes de réduction du temps de travail ou de travail à domicile et un usage moins inégal de ces mécanismes entre les hommes et les femmes.

Une occasion de réformer le travail

Les résultats de certaines études montrent que les hommes ont été obligés d’augmenter la fréquence de leur contribution à l’espace familial et au travail domestique durant le confinement (The Division of Domestic Labor Before and During the Covid-19 Pandemic in Canada, Kevin Shafer, Casey Scheibling, Melissa A. Milkie, nov. 2020)

Dans ce contexte, la crise est perçue par d’aucuns comme une occasion de réformer le travail et de remettre en question la division du travail domestique, ce qui aurait en retour des effets bénéfiques sur la santé des travailleurs tant on sait que ce type de rééquilibrage contribue à l’améliorer.

 Lire aussi  « Pourquoi un homme choisit-il un métier en lien avec la santé des femmes ? »

Mais qu’en est-il au juste de cette égalité entre les hommes et les femmes ? L’étude des données récentes n’invite pas à l’enthousiasme. Si l’adaptation du cadre d’emploi a pu bénéficier, dans une certaine mesure, aux travailleurs, et notamment aux femmes, il existe aujourd’hui une division genrée de la santé qui n’existait pas avant la crise.

Les femmes plus touchées que les hommes

Dans une enquête que nous avons récemment réalisée (« Are employment arrangements implemented during the first wave of Covid-19 associated with better health outcomes for women aged 55 and over ? ») sur base de données européennes Share, nous avons étudié l’impact de la crise sanitaire sur la santé des travailleurs masculins et féminins âgés de 55 ans et plus en Europe en fonction des changements expérimentés en matière de temps de travail et de travail à domicile. Les résultats nous indiquent trois choses.

Premièrement, si l’on regarde les données globales, on observe en Europe une dégradation de la santé autoévaluée des travailleurs qui n’est pas due au Covid-19. Mais cette altération est répartie inégalement en fonction du sexe. Lorsque l’on analyse la santé autoévaluée des individus avant la pandémie, les indicateurs pour les hommes et les femmes sont similaires, avec une différence de l’ordre du pourcent. Après la première vague, on a observé que seuls 3 % de la population masculine âgée de 55 ans à l’emploi ont déclaré avoir une santé générale moins bonne qu’avant la crise, contre 6 % pour les femmes.

Lire aussi  « Au royaume du patriarcat, pour subordonner les femmes, il faut subordonner les sages-femmes »

Deuxièmement, le travail à domicile et la réduction du temps de travail au sortir de la première vague (les données ont été collectées durant l’été 2020) indiquent que les travailleurs qui ont bénéficié de tels mécanismes ont largement moins souffert de la crise que les autres. La différence est d’autant plus grande que les femmes qui ont réduit leur temps de travail et/ou bénéficié du travail à domicile ont moins rapporté une mauvaise santé que les hommes.

Troisièmement, et c’est là toute la nuance, les femmes, comparées aux hommes, et indépendamment des changements relatifs au temps de travail et au travail à domicile, ont déclaré une santé bien plus dégradée que celle des hommes.

Un constat pour l’ensemble des pays européens

Qu’en retenir ? Les décisions politiques pour contrer la crise sanitaire ont eu des effets bénéfiques lorsqu’ils ont porté sur des adaptations de l’emploi. Mais les effets corollaires de cette crise – ceux qui n’ont donc pas trait aux adaptations de l’emploi – ont, eux, contribué à la dégradation de la santé des femmes de telle sorte que les effets bénéfiques de l’adaptation des conditions d’emploi ont été estompés.

Ceci est un constat généralisé à l’ensemble des pays européens, qui trouve sa source dans la division domestique du travail, la fermeture des écoles, les tâches liées aux soins ou encore l’amoindrissement du lien social et qui n’a que peu à voir avec l’emploi. Dans un tel contexte, les femmes souffrent bien plus que les hommes, et le grand soir de l’égalité prédit par certains n’est qu’une illusion tant l’écart en termes de santé entre hommes et femmes s’est creusé.

Natasia Hamarat est doctorante à l’Université libre de Bruxelles. Ses recherches portent sur la sociologie politique de la santé, le soin et les prises de décision en fin de vie et la santé au travail.

Jacques Wels est sociologue de l’emploi et s’intéresse principalement à la relation entre marché du travail et santé. Il est actuellement JSPS fellow à l’université Hitotsubashi au Japon.

Natasia Hamarat(Sociologue) et  Jacques Wels(Sociologue)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire