Débat sur le bilan de la catastrophe de Fukushima 10 après !

Dix ans après, l’impossible bilan de la catastrophe nucléaire de Fukushima

Par  Nabil Wakim et  Perrine Mouterde

Publié aujourd’hui à 05h00, mis à jour à 15h48

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/11/dix-ans-apres-l-impossible-bilan-de-la-catastrophe-nucleaire-de-fukushima_6072670_3244.html

DÉCRYPTAGES

Un comité de l’ONU estime qu’aucun décès ni cancer n’est, à ce jour, directement imputable aux radiations, dont les effets se feront sentir dans l’environnement pendant des siècles. D’autres experts demandent des études épidémiologiques plus poussées.

Il y a dix ans, un séisme très puissant et le gigantesque tsunami qu’il provoque ravageaient la côte nord-est du Japon, tuant plus de 18 000 personnes. Le site de la centrale de Fukushima Daiichi, l’une des plus grandes au monde, est alors englouti. A la catastrophe naturelle s’ajoute l’un des accidents nucléaires les plus graves de l’histoire – classé au niveau 7, le plus élevé, sur l’échelle internationale des événements nucléaires –, dont les effets sont majeurs.

  • Exposition aux radiations : des conséquences difficilement « perceptibles »

Le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (Unscear) avait dressé un premier bilan de l’impact de l’accident en octobre 2013. Près de huit ans plus tard, après avoir pris en compte les études et travaux publiés au cours des dernières années, ses experts parviennent à la même conclusion : aucun décès ni aucun effet néfaste sur la santé des résidents de la préfecture de Fukushima directement attribuable à l’exposition aux rayonnements n’ont été documentés, et il est peu probable qu’un effet futur sur la santé soit perceptible, écrivent-ils dans un rapport publié mardi 9 mars.

« Il y a toujours un risque de cancer quand des populations sont exposées, même à de faibles doses, mais nous ne pensons pas pouvoir détecter d’augmentation par rapport à l’incidence normale de la maladie dans cette population », explique Gillian Hirth, la présidente de l’Unscear.

Tomoko Hatsuzawa à Fukushima le 25 mai 2011. Elle appartient à un groupe de parents qui mène des actions pour protéger leurs enfants de la radioactivité. Son fils Naoyuki est alors âgé de 11 ans. HISASHI MURAYAMA POUR « LE MONDE » 
Tomoko et Toshi Hatsuzawa, dans leur maison à Fukushima le 5 mars 2021. Naoyuki, leur fils de 21 ans, est parti faire des études à Saitama. HISASHI MURAYAMA POUR « LE MONDE » 

L’incidence des cancers de la thyroïde a été particulièrement observée. L’accident de Tchernobyl a en effet permis d’établir de façon claire la corrélation entre l’exposition aux retombées radioactives et le risque de développer ce type de cancer, dû à l’iode 131. Dès 2011, les autorités japonaises ont donc lancé un programme de dépistage systématique des cancers de la thyroïde auprès des 360 000 résidents de la province de Fukushima âgés de moins de 18 ans. Ces campagnes ont révélé un nombre très important de cancers mais, pour les scientifiques, ce résultat serait lié à un « effet du dépistage », conduisant à un surdiagnostic, plutôt qu’à l’exposition aux radiations.

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« L’amélioration des techniques permet de repérer des nodules de très petite taille, et donc des cancers qui ne se seraient sans doute en partie jamais déclarés, explique Enora Cléro, épidémiologiste à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ces campagnes de dépistage ont été menées dans la préfecture de Fukushima mais aussi dans des préfectures n’ayant pas été exposées aux retombées radioactives, et les résultats obtenus sont similaires. » Pour l’IRSN, il est donc « encore prématuré » de se prononcer sur une éventuelle augmentation des cancers de la thyroïde.

En 2018, le Japon a reconnu pour la première fois qu’un employé atteint d’un cancer du poumon était mort des suites d’une exposition aux radiations

A Tchernobyl, le nombre de ces cancers a augmenté très fortement quatre ans seulement après la catastrophe. Mais à Fukushima, les populations ont été exposées à des doses 10 à 100 fois inférieures. L’accroissement des cancers pourrait donc apparaître bien plus tard.

Florent de Vathaire, directeur de l’unité sur l’épidémiologie des radiations de l’Inserm, a par exemple étudié une cohorte de 7 000 enfants ayant été traités par radiothérapie avant l’âge de 1 an pour des taches sur la peau. « On a bien eu un excès de cancers de la thyroïde pour des doses d’exposition assez faibles, mais il n’est apparu que plus de vingt ans après », insiste-t-il.

Certains travailleurs de la centrale de Fukushima Daiichi ont par ailleurs reçu des doses beaucoup plus importantes. En 2018, le Japon a reconnu pour la première fois qu’un employé atteint d’un cancer du poumon était mort des suites d’une exposition aux radiations. Au total, depuis 2011, six cas de travailleurs ayant développé un cancer et une leucémie ont été considérés comme des accidents du travail. Dans son rapport, l’Unscear estime qu’une augmentation de l’incidence des leucémies et des cancers est « peu susceptible d’être discernable ».

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Gillian Hirth dit espérer que ce document, « robuste », puisse rassurer les populations de Fukushima et du Japon. Mais une partie des citoyens et des scientifiques peine à être convaincue. Le militant Kolin Kobayashi, membre de l’association Echo-Echanges, dénonce des « campagnes de propagande » visant à minimiser l’impact des faibles doses. Keith Baverstock, ancien consultant en santé et radiations ionisantes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), doute, de son côté, que l’on puisse un jour évaluer précisément les conséquences de l’exposition aux radiations à Fukushima. « Il faudrait que des études épidémiologiques majeures soient menées et ce n’est pas le cas, juge-t-il. Et les experts de l’Unscear sont désignés par des gouvernements qui possèdent des réacteurs nucléaires. »

  • Evacuation : des effets sur la santé physique et psychologique 

Au-delà des conséquences potentielles liées à une exposition aux radiations, l’accident a eu d’autres effets sur la santé des populations. Dans les mois qui ont suivi la catastrophe, plus de 80 000 personnes ont reçu un ordre d’évacuation lié au niveau de contamination. D’autres, désignées comme des « réfugiés volontaires », ont choisi d’elles-mêmes de quitter leur commune. Les plus vulnérables, notamment, ont été affectés par ce changement de vie soudain. Stress, anxiété, alcoolisme, perturbation du régime alimentaire, aggravation des maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension ont été constatés.

Hiroshi Kanno, fermier et éleveur de bétail, dans son élevage de Katsurao le 24 mai 2011, juste avant d’être évacué. Le village faisait partie de la zone d’exclusion. HISASHI MURAYAMA POUR « LE MONDE » 
Hiroshi Kanno le 6 mars 2021 à Koriyama, où il vit dorénavant, à une trentaine de kilomètres de son ancien village. Il reconnaît que les radiations lui font toujours peur. HISASHI MURAYAMA POUR « LE MONDE » 

En 2012, plus de 67 % des réfugiés interrogés dans le cadre d’une enquête connaissaient un syndrome de stress post-traumatique, et près de 47 % en souffraient encore en 2017. A partir de 2013, le nombre de suicides a également augmenté. Les autorités japonaises estiment que plus de 2 300 personnes sont mortes de façon prématurée en raison des défaillances des structures médicales et des conditions de vie difficiles liées à l’évacuation.

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Dix ans plus tard, seule une minorité des quelque 160 000 réfugiés a fait le choix du retour. Pour eux, s’ajoute au traumatisme associé à l’accident celui de retrouver un environnement radicalement bouleversé. Dans les villages de montagnes, les anciens voisins ne sont plus là. De certaines communes du littoral, il ne reste plus rien. De petits pavillons neufs ont remplacé l’ancien tissu urbain.

« Certaines personnes âgées qui sont rentrées sont tombées dans une dépression et un alcoolisme très profonds et se laissent mourir. Elles sont comptabilisées comme des morts naturelles quand on les retrouve, raconte Cécile Asanuma-Brice, sociologue et chercheuse au CNRS et résidente permanente au Japon depuis 2001. La politique du gouvernement axée sur le retour à tout prix a également justifié des attitudes discriminantes de la part des communes qui accueillaient les réfugiés, qui ont été vus comme des assistésCela a généré une pression sociale d’exclusion très forte. » « Dans certaines villes, plus de la moitié de la population qui est rentrée a plus de 65 ans, ajoute Reiko Hasegawa, sociologue spécialiste de Fukushima. La situation sera intenable dans les années à venir. » 

  • Des sols et de l’eau contaminés pour des centaines d’années 

Dans la catastrophe, le Japon a eu un peu de chance : la zone située immédiatement autour de la centrale est une région rurale, relativement peu dense et en grande partie forestière. A Tchernobyl, le pouvoir soviétique avait décidé d’abandonner la zone. A Fukushima, le gouvernement japonais a fait exactement l’inverse : il s’est lancé dans un chantier considérable pour la rendre de nouveau habitable.

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Premier chantier : la décontamination des sols. Dans une zone de 50 km autour de la centrale, en dix ans, les zones urbaines et les terres agricoles ont été grattées, de 5 cm à 10 cm, pour retirer la terre et les matériaux contaminés par des éléments radioactifs. Dans ces zones, le niveau de contamination est redescendu à la limite acceptée au niveau mondial. Mais les forêts, qui représentent environ 75 % de la préfecture de Fukushima, n’ont pas été décontaminées – et ne le seront pas.

Ce gigantesque chantier a produit entre 17 millions et 20 millions de mètres cubes de déchets, l’équivalent de 5 000 piscines olympiques, selon Jean-Christophe Gariel, directeur général adjoint chargé de la santé et de l’environnement à l’IRSN. « C’est considérable », estime M. Gariel qui précise que ces déchets sont aujourd’hui transférés vers un site centralisé. Le gouvernement japonais s’est donné jusqu’à 2045 pour trouver un lieu de stockage définitif – certains de ces déchets resteront radioactifs pendant encore trois cents ans. L’ONG Greenpeace dénonce, de son côté, le « mythe de la décontamination » et estime que, dans plusieurs endroits de la zone contaminée, la radioactivité est supérieure à celle constatée par les autorités japonaises.

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« L’autre sujet critique est la question de l’eau », souligne M. Gariel, qui explique que la centrale doit toujours être refroidie en permanence. Résultat, de l’eau contaminée continue de s’accumuler sur le site – soit 170 mètres cubes supplémentaires chaque jour, ce qui porte le volume total à environ 1,2 million de mètres cubes.

En 2022, le site aura atteint sa capacité de stockage maximal. Le gouvernement japonais n’a pas encore tranché sur ce qu’il comptait faire de cette eau, mais l’option la plus probable est qu’il la déverse progressivement dans l’océan, après en avoir extrait la plupart des éléments radioactifs. Un sujet qui ne fait pas l’unanimité au Japon, notamment auprès des pêcheurs. Si le processus de décontamination a bien avancé, « on ne peut pas parler d’un retour à la normale, explique M. Gariel. Un accident nucléaire impacte toute la vie, il ne faut pas simplement prendre en compte la radioactivité. » 

  • Un impact économique majeur

« Dans une catastrophe naturelle, on peut chiffrer l’impact des destructions ; là, c’est plus difficile car les conséquences sont multiples », souligne l’économiste Sébastien Lechevalier, spécialiste du Japon. « L’accident arrive alors que le Japon se remet tout juste de la crise financière de 2008 », rappelle-t-il. Le ministère de l’économie du pays estime que l’impact sur le produit intérieur brut (PIB) aura été de 3,5 % et que la catastrophe a fait replonger le pays dans la récession. Surtout, la reprise est plus longue et plus difficile que pour un tremblement de terre, comme le pays l’avait expérimenté à Kobe, en 1995.

Mitsugi Sasaki, propriétaire d’un restaurant de soba, devant la maison de ses parents, où il a grandi à Otsuchi, le 26 novembre 2013. Après le tsunami, il est revenu à Otsuchi, a repris le restaurant familial et a recherché ses parents, avec sa jeune chienne Yuki. HISASHI MURAYAMA POUR « LE MONDE » 
Mitsugi Sasaki, devant son restaurant à Otsuchi, avec ses chiens, le 1er mars 2021. Il n’a toujours pas retrouvé ses parents disparus lors du tsunami. HISASHI MURAYAMA POUR « LE MONDE » 

Il faut d’abord prendre en compte les coûts de démantèlement et de décontamination, qui pourraient se chiffrer à plus de 200 milliards d’euros. Dans la foulée de la catastrophe, le pays arrête ses centrales nucléaires et augmente fortement ses importations de charbon, de gaz et de pétrole. « Cela a pesé fortement sur la balance commerciale qui est devenue déficitaire », note la chercheuse Guibourg Delamotte, maîtresse de conférence à l’Institut national des langues et civilisations orientales.

Cette hausse de la consommation d’énergies fossiles, qui fait augmenter en flèche les émissions de gaz à effet de serre du pays, est en partie compensée par un vaste plan d’économie d’énergie mais fait aussi grimper le prix des factures d’électricité pour les Japonais. « Il faut aussi ajouter la quasi-destruction de la filière nucléaire et de nombreux groupes industriels qui lui sont liés », note M. Lechevalier, qui rappelle qu’elle finançait aussi tout un pan de la recherche universitaire ou privée

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Plusieurs usines qui fournissaient le secteur automobile sont détruites ou mises à l’arrêt, et les chaînes de production sont interrompues. L’année 2011 reste celle où Toyota perd sa première place de constructeur mondial au profit de General Motors.

L’accident a également aggravé la dette publique du Japon, déjà très élevée auparavant : elle représente 236 % du PIB en 2012, après le vote de plusieurs plans de reconstruction de plus de 200 milliards d’euros.Le 11 mars 2011, le Japon frappé par un séisme puis par un tsunami

Le vendredi 11 mars 2011, à 14 h 46 heure locale (6 h 46 à Paris), un séisme sous-marin de magnitude 9,1 se produit à 130 kilomètres au large de l’archipel du Japon, dans l’océan Pacifique. Un puissant tsunami frappe ensuite la façade orientale de la région du Tohoku sur plus de 600 km de côte. La vague géante submerge les digues de protection et provoque des destructions massives dans les villes côtières. La mer envahit également la centrale de Fukushima Daiichi, provoquant le deuxième accident nucléaire le plus grave après celui de Tchernobyl (1986). Une coupure électrique et une défaillance des générateurs de secours ont empêché le bon fonctionnement du système de refroidissement, engendrant des explosions dues à la surchauffe, un nuage radioactif et un écoulement d’eaux contaminées dans le Pacifique. Au total, le bilan humain est lourd : 22 500 morts et disparus, dont une grande majorité sont engloutis par le tsunami.

Voir aussi:

https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2021/03/10/le-francais-moyen-est-plus-irradie-quun-habitant-de-fukushima/

Lire nos articles sur les dix ans de la catastrophe :

Nabil WakimPerrine Mouterde

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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