Au Chili, une campagne de vaccination exemplaire contre le Covid-19
Plus de 4,1 millions de Chiliens ont déjà reçu une première dose de vaccin. Le pays ambitionne de vacciner 80 % de ses 19 millions d’habitants d’ici à juillet.
« Nous sommes le deuxième pays au monde à vacciner le plus rapidement, derrière Israël », a affirmé le ministre chilien de la santé, Enrique Paris, lundi 8 mars. De fait, la campagne de vaccination contre le Covid-19 avance à un rythme impressionnant dans ce pays d’Amérique du Sud. Depuis début février, plus de 4,1 millions de personnes sur 19 millions d’habitants y ont déjà reçu une première dose, soit l’équivalent de 22 % de la population, contre moins de 6 % en France ; 772 000 sont complètement vaccinés.
« Nous sommes évidemment très fiers », s’est félicité le ministre, membre depuis juin 2020 du gouvernement de droite du président Sebastian Piñera. Après le personnel de santé, les enseignants et les personnes âgées de plus de 60 ans, les habitants de moins de 60 ans atteints d’une comorbidité ont commencé à être vaccinées cette semaine.
Le succès de la stratégie du Chili – qui n’a pas été épargné par la pandémie et déplore plus de 21 000 morts du coronavirus – repose notamment sur le recours à plusieurs fournisseurs. « Nous avons commencé très tôt à négocier des contrats avec plusieurs laboratoires, qu’ils réalisent ou non des essais cliniques dans le pays », explique Rodrigo Yañez, sous-secrétaire aux relations économiques internationales au sein du ministère des affaires étrangères, l’un des principaux responsables des négociations pour l’achat de vaccins.
Autant qu’en France
Le Chili, dont la Chine est le premier partenaire commercial, a principalement fait appel à l’entreprise chinoise Sinovac, qui a réalisé des essais cliniques de phase 3 dans le pays. Santiago a également inoculé près de 330 000 doses du vaccin du laboratoire américain Pfizer. « Nous avons aussi conclu l’achat de 4 millions de doses avec AstraZeneca, 4 millions avec Johnson & Johnson, et nous menons des négociations très avancées avec [le laboratoire russe] Gamaleya et l’entreprise chinoise Cansino », précise M. Yañez.
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Avec la livraison, lundi, de 2,1 millions de nouvelles doses du vaccin chinois Sinovac, ce sont près de 10 millions de doses de vaccin contre le coronavirus qui sont déjà arrivées au Chili – autant qu’en France, qui compte pourtant 3,4 fois plus d’habitants. Le pays fait également partie des bénéficiaires du mécanisme de financement de l’OMS Covax. Fort de ces réserves, le gouvernement ambitionne d’avoir vacciné 80 % de sa population d’ici au mois de juillet, et vise donc l’immunité collective au premier semestre.
Autre élément explicatif de l’intense rythme de vaccination chilien : l’existence d’un solide réseau de centres publics de proximité. « Cela remonte aux années 1950, lors de la fondation du système national de santé ; ce réseau très étendu de centres de soins de santé primaire n’a pas été remis en question durant la dictature [du général Pinochet, de 1973 à 1990] », explique José Miguel Bernucci, secrétaire national du Colegio médico, l’ordre chilien des médecins.
Relâchement
« Le Chili a une longue histoire de mise en place de programmes de vaccination : c’est l’un des premiers pays au monde à avoir éradiqué la variole, la polio, la rougeole… », ajoute-t-il. Une histoire qui explique la confiance des Chiliens envers les campagnes de vaccination et la relativement faible influence des mouvements antivaccins dans le pays. « Notre système est capable de vacciner, en temps normal, jusqu’à 500 000 personnes en une journée », met en avant Rodrigo Yañez.
La distribution des vaccins est confiée aux communes. Celle-ci a d’abord été ponctuée de couacs courant février, alors que près de 40 000 personnes ont reçu une première dose de vaccin sans être prioritaires. « Une situation extrêmement marginale ; certaines communes ont appliqué des critères plus laxistes que d’autres pour déterminer qui était prioritaire », selon M. Yañez, qui affirme que tout est rentré dans l’ordre aujourd’hui.
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Si les professionnels de santé saluent le succès de la campagne de vaccination, ils estiment que cette dernière ne suffira pas à lutter dans l’immédiat contre la progression du Covid-19 dans le pays. « Le traçage des cas contacts est nettement insuffisant, et ce depuis le début de la pandémie », dénonce José Miguel Bernucci, qui appelle la population à la vigilance, alors que la courbe de nouveaux cas quotidiens est en hausse depuis la mi-janvier. « Les bons chiffres de la vaccination encouragent malheureusement de nombreuses personnes à se relâcher et à oublier les gestes barrière », estime Claudia Cortes, vice-présidente de la société chilienne d’infectiologie.
Dans ce contexte, le secrétaire national du Colegio médico juge inévitable l’arrivée d’une deuxième vague de contamination dans le pays. « Les effets de la vaccination massive ne se feront sentir qu’à la fin de l’année, voire en 2022 », estime M. Bernucci, qui s’inquiète aussi de l’efficacité des vaccins face aux variants du virus, notamment brésilien. De son côté, le gouvernement espère bien que l’immunisation progressive des habitants permettra d’accélérer la réouverture du pays et la réactivation de son économie – mise à mal par la pandémie et par la contestation sociale contre les inégalités entamée fin 2019. Après une chute de 6 % du PIB en 2020, la Banque centrale chilienne mise sur une croissance d’au moins 5 % en 2021.