La difficile quête de terrains pour implanter les parcs éoliens et solaires
Les énergéticiens témoignent d’une difficulté grandissante à implanter des éoliennes et des panneaux photovoltaïques.
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Tout commence avec des cartes. Des dizaines de cartes. Il y a celle des limites cadastrales, celle des zones Natura 2000, celle des réseaux d’électricité… Une fois superposées, ces différentes couches livrent leur trésor : un emplacement potentiel pour un futur parc éolien ou solaire. Alors que la France affiche l’ambition d’augmenter largement la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique tout en luttant contre l’artificialisation des sols, la quête de terrains des développeurs est de plus en plus cruciale.
Pour l’éolien terrestre, la programmation énergétique de la France (PPE) prévoit un doublement de la puissance installée d’ici à 2028, un objectif qui exige que la filière se développe à un rythme accéléré. Or, en 2020, la progression a été quasiment similaire à celle de l’année précédente. « Au-delà du ralentissement dû au confinement, le principal phénomène qui pèse sur le secteur est celui du foncier, explique l’Observatoire des énergies renouvelables dans son baromètre annuel publié en janvier. L’accès aux terrains est de plus en plus ardu, une difficulté grandissante fortement liée à l’acceptabilité des sites par les citoyens. »
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Aujourd’hui, trois régions (Hauts-de-France, Grand-Est et Occitanie) réunissent environ 65 % des quelque 8 000 éoliennes du pays. Un phénomène qui accroît le sentiment de « saturation » de certains élus et d’une partie de la population. « S’il y a une telle concentration, ce n’est pas parce que ces zones sont les meilleures en matière de vent, mais parce qu’on ne peut pas installer de parcs ailleurs », regrette Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Radars militaires et civils, couloirs aériens, sites remarquables… Près de la moitié du territoire est interdite aux projets éoliens. « On voit fondre la taille moyenne des projets que l’on prospecte chaque année, constate Sébastien Appy, directeur opérationnel de Valeco. On accepte désormais des parcs de deux éoliennes. Quand on compare cela aux objectifs de la PPE, on se dit qu’il va y avoir un problème. »
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Face à cette situation, la filière réclame de longue date une « libération de l’espace ». Le sujet a été abordé par le groupe de travail « pour un développement harmonieux de l’éolien », mis en place par le ministère de la transition écologique et qui a rendu ses conclusions mi-janvier. Une mission doit être lancée pour étudier si des solutions techniques pourraient permettre de réduire la superficie des zones d’exclusion autour des radars militaires et les préfets doivent être appelés à identifier les zones propices au développement de l’éolien dans leur région. « Le sujet n’est pas uniquement d’établir de nouvelles cartes, note toutefois Nicolas Couderc, le directeur France d’EDF Renouvelables. Le fait d’associer les préfets contribue bien sûr à avoir un dialogue vertueux mais il faut en parallèle poursuivre le travail avec les pouvoirs publics pour lever les contraintes. »
Terres déjà artificialisées
En attendant, les développeurs misent sur les progrès techniques, qui permettent déjà d’implanter des éoliennes plus performantes dans des zones moins ventées. Les premiers chantiers de « repowering », consistant à remplacer les éoliennes d’un parc ancien par de nouvelles infrastructures plus puissantes, ont également démarré.
Si les centrales photovoltaïques ne sont pas soumises aux mêmes contraintes que l’éolien, les objectifs de la PPE – soit 35 gigawatts (GW) à 44 GW installés d’ici à 2028, contre 10 GW aujourd’hui – exigent là aussi un vrai changement d’échelle. « Il faut accélérer et pour cela il faut trouver de nouvelles opportunités d’installation », rappelait à la mi-décembre 2020 Jean-Louis Bal, le président du SER. Pour les centrales au sol, ce sont entre 3 000 et 4 000 hectares qui doivent être mobilisés chaque année. « Pour EDF Renouvelables, nous n’avons pas d’inquiétude sur le fait de trouver ces espaces, mais il faut le faire de manière intelligente, en lien étroit avec les autres usages des espaces concernés », précise Nicolas Couderc.
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La priorité est d’avoir recours à des terres déjà artificialisées. Dans ses appels d’offres, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) attribue des points supplémentaires pour l’utilisation de sites dégradés, tels que des friches industrielles, d’anciennes carrières ou des délaissés autoroutiers. Fin janvier, l’entreprise RES a par exemple annoncé le lancement de travaux de construction d’un parc photovoltaïque sur l’ancien site sidérurgique d’Arcelor-Mittal à Laudun-l’Ardoise (Gard). « C’est le genre de projet qui ne pose aucune difficulté », observe le directeur des affaires publiques de l’entreprise, Pascal Craplet.
Ce gisement des terrains dégradés, scruté de près par les énergéticiens depuis une dizaine d’années, commence toutefois à se tarir. Où, alors, installer les nouvelles centrales ? Encore embryonnaire, le photovoltaïque flottant est l’une des pistes envisagées, même si son potentiel reste à préciser. EDF a lancé début février la construction d’une centrale sur la retenue d’eau de l’usine hydroélectrique de Lazer (Hautes-Alpes) et une installation exploitée par Akuo Energy fonctionne depuis 2019 sur l’eau d’une ancienne carrière à Piolenc (Vaucluse).
« Engouement énorme »
Premier propriétaire foncier de l’Etat, le ministère des armées intéresse également la filière. Mais sa contribution s’annonce modeste : sur ses 270 000 hectares, il s’est engagé à n’en mettre à disposition que 2 000 d’ici à 2022.
Inévitablement, c’est donc vers les terres agricoles – environ 30 millions d’hectares – que se tournent les regards. Le 19 janvier, une charte de bonnes pratiques a été signée entre EDF Renouvelables, les chambres d’agriculture et la FNSEA pour « mieux encadrer les projets photovoltaïques au sol sur terres agricoles ». L’ambitieux plan Solaire d’EDF prévoit la construction de 30 GW de photovoltaïque d’ici à 2035. « Il y a un engouement énorme et une certaine pression sur la possibilité d’investir les terrains agricoles », confirme Céline Mehl, ingénieure à l’Ademe, qui travaille à une étude attendue sur la définition de l’agrivoltaïsme.
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Derrière ce terme récent, censé regrouper les initiatives visant à concilier à la fois les usages agricoles et la production d’électricité, se cache pour l’instant une très grande variété de pratiques. L’Ademe entend proposer des critères précis et opérationnels pour le développement de la filière. Et des garde-fous, pour éviter abus et effets d’aubaine. « Il y a plein de cow-boys qui parcourent la pampa et promettent de pseudo-projets d’agrivoltaïsme en misant sur un assouplissement de la réglementation », met en garde Antoine Nogier, pionnier de l’agrivoltaïsme et fondateur de Sun’Agri. Cette société conçoit des technologies de pointe permettant de piloter des panneaux qui, telles des « persiennes intelligentes », bloquent ou laisser passer la lumière, en fonction des besoins des cultures. « Il ne faut pas simplement partager l’espace entre renouvelables et agriculture, insiste son PDG. La priorité doit être d’améliorer la productivité agricole grâce à l’énergie solaire. »
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Faire baisser le degré d’alcool des vignes grâce aux ombrières intelligentes, réduire la consommation d’eau de certaines cultures, éviter à des fruits de « brûler » lors de sécheresses… S’esquisse alors une autre carte : celle des cultures les plus vulnérables au dérèglement climatique. « Elles représentent un potentiel de plusieurs centaines de milliers d’hectares, rappelle Antoine Nogier. Il n’y a pas besoin d’installer des centrales au sol sur des pâturages ou des forêts ! » Reste à faire la démonstration des bénéfices de l’agrivoltaïsme : des dizaines de projets expérimentaux doivent être déployées au cours des prochaines années.
*Un projet de parc photovoltaïque en Gironde menace 1 000 hectares de forêt de pins
Le projet Horizéo est contesté par l’association environnementale Sepanso, tout comme par la Fédération des chasseurs de la Gironde. Une consultation publique est prévue au second semestre 2021.
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Porté par deux énergéticiens français, Neoen et Engie, le projet Horizéo vise à installer un parc photovoltaïque d’envergure à Saucats (Gironde). Cette municipalité, située dans le sud de la métropole bordelaise, est connue pour sa réserve naturelle et son immense forêt de pins maritimes. Si ce projet d’un milliard d’euros – qui devrait être mis en service en 2025-2026 – permettrait d’assurer la consommation annuelle d’électricité de 600 000 personnes, il n’est pas au goût de tous. Car, pour construire ce parc photovoltaïque, il faudrait procéder à l’abattage de plus de 1 000 hectares de forêt de pins. Une pratique que la Sepanso, association de défense de l’environnement, et la Fédération des chasseurs de la Gironde dénoncent avec fermeté.
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Sur le papier, le projet est prometteur. Il s’appuie sur une technologie foncière photovoltaïque grâce à laquelle seront développées des technologies beaucoup plus innovantes, comme la production d’hydrogène vert local, le stockage de batteries, un centre de données pour la transition numérique… Dans une région qui, de surcroît, ambitionne d’atteindre une capacité de production de 8,5 gigawatts d’énergie solaire d’ici à 2030.
Si les arguments de cette énergie verte sont tout à fait louables pour la Sepanso, l’association appelle toutefois à la vigilance. Tout d’abord, explique Daniel Delestre, vice-président de la Sepanso Gironde, « accepter de transformer ces 1 000 hectares de forêt dans l’ère métropolitaine, c’est faire sauter un verrou par lequel la biodiversité peut circuler. C’est, pour nous, l’un des premiers sujets de préoccupation. »
L’association interroge également la pertinence du projet en matière de bilan carbone des installations photovoltaïques. « Quand on regarde attentivement le bilan carbone en cycle de vie de ce type d’installations, c’est franchement pas bon. »La Sepanso pointe également du doigt le fait que ce genre d’infrastructures est« aussi peu favorable à la biodiversité qu’un parking de grande surface », citant l’exemple de la centrale de Cestas, dans le même département, de 270 hectares. Finalement, conclut Daniel Delestre, « si on nous dit que le projet de Saucats permettrait aux moutons de venir paître tranquillement dans l’herbe laissée par de faibles densités de panneaux, alors on examinerait la situation ».
« Rôle capital » de la forêt
De leur côté, les entreprises qui pilotent le projet se défendent de ne pas détruire une forêt, mais de s’inscrire dans un cycle biologique forestier. Pour la filière bois, des boisements compensateurs seront mis en œuvre. De surcroît, les énergéticiens mettent en avant leur expérience des parcs solaires et assurent qu’ils tiendront compte des enjeux de défrichement et de biodiversité. « Sur un projet comme celui-là, on va passer d’une biodiversité liée à la monoculture de pins, une biodiversité dite “ordinaire”, à une biodiversité type landes où des espèces pionnières vont recoloniser tous les panneaux et, entre les panneaux, les parcelles qui étaient jusqu’alors dédiées à la production de bois », se défendent-ils.
Mais, outre la Sepanso, le projet n’a pas non plus l’aval de la Fédération des chasseurs de la Gironde. « Cette forêt avait été reboisée après la tempête de 1999, aux frais du contribuable, donc l’autorisation de défrichement risque d’être difficile à obtenir. Plus de 1 000 hectares, c’est énorme !, s’agace son président, Henri Sabarot. Notre position n’est pas du tout d’être contre le photovoltaïque quand ce sont sur des zones artificialisées, mais on ne peut pas cautionner la coupe et la destruction d’une forêt qui joue un rôle capital dans ce territoire. » La fédération et la Sepanso souhaitent faire part de leurs doutes, lors de la concertation publique qui se tiendra lors du second semestre de 2021. En espérant que la crise sanitaire n’empêche pas l’expression des points de vue lors de réunions publiques qui pourraient être limitées.
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Claire Mayer(Bordeaux, correspondante)
**La vague de l’éolien en mer renverse la transition énergétique
Par Nabil Wakim et Perrine Mouterde
Publié le 23 novembre 2020 à 05h30 – Mis à jour le 23 novembre 2020 à 16h11
ENQUÊTE
Si l’éolien offshore ne représente qu’une faible partie de la production, la croissance de ce secteur-clé de la transition énergétique attire tous les industriels. En retard, la France commence à structurer son industrie.
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450 tonnes, 10 mètres de haut : l’immense museau à moitié cylindrique semble tout droit sorti de la galerie de robots impériaux de La Guerre des étoiles. En ce jour de septembre, à Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), General Electric (GE) inaugure la fabrication de la première nacelle d’éolienne qui va équiper, au large de Saint-Nazaire, le premier parc français. Après de longues années de recours juridiques et d’embûches administratives, le champ opéré par EDF devrait commencer à être progressivement opérationnel en avril 2022, pour alimenter en électricité et en chauffage l’équivalent de 720 000 foyers par an. « La route n’a pas toujours été simple », reconnaît Jérôme Pécresse, PDG de GE Renewable Energy, qui salue « une étape importante pour le développement de l’éolien en France ».
Alors qu’elle doit fournir les 80 machines du parc de Saint-Nazaire, l’usine General Electric est déjà en plein travaux d’agrandissement. Elle fabrique aujourd’hui des nacelles pour des éoliennes de 6 mégawatts, les turbines les plus puissantes au moment de la signature de l’appel d’offres en 2011. Mais le groupe américain s’est lancé dans la conception d’une machine bien plus puissante : une éolienne de plus de 12 mégawatts, avec des pales de plus de 100 mètres, pour une hauteur totale de 260 mètres.
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GE espère vendre ces géants au plus grand parc éolien du monde en cours de finalisation au Royaume-Uni. Le projet Dogger Bank, d’une capacité installée totale de 3 600 mégawatts (l’équivalent de plus de deux EPR nucléaires), dit tout du rêve de grandeur de l’éolien en mer : opérationnel à partir de 2023, il devrait fournir de l’électricité à 4,5 millions de foyers britanniques.
Une révolution à l’échelle planétaire
L’éolien offshore ne fournit aujourd’hui qu’une toute petite fraction de l’électricité produite dans le monde (environ 0,3 % en 2018) mais pourrait représenter dans les vingt prochaines années un marché de plus de 1 000 milliards de dollars (soit 842 milliards d’euros), selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Une révolution pour la transition énergétique à l’échelle planétaire. « Deux secteurs ont changé la donne cesdix dernières années dans le monde de l’énergie : les forages de schiste et la croissance du solaire photovoltaïque, analyse Fatih Birol, directeur de l’AIE. L’éolien en mer a le potentiel d’être le troisième. »
Le développement rapide des énergies renouvelables s’est basé sur un modèle à l’opposé du fonctionnement classique d’un réseau électrique : une très forte décentralisation et la multiplication de petites installations – des parcs de quelques éoliennes terrestres, des panneaux solaires en toiture ou sur les parkings.
L’éolien offshore prend le contre-pied de cette logique : les parcs en construction, essentiellement concentrés dans le nord de l’Europe, atteignent souvent 1 000 mégawatts de capacité installée, soit l’équivalent d’un réacteur nucléaire – en France, les parcs solaires dépassent rarement 30 mégawatts –, des projets de grande taille, à une échelle industrielle comparable à celle de grands projets pétroliers ou gaziers. Les éoliennes en mer tournent, comme leurs petites sœurs sur terre, de façon intermittente, mais les vents du large sont plus puissants et plus réguliers, ce qui permet de produire de manière quasi continue.
Une forte concentration en Europe
Ces projets nécessitent la mise en place d’un écosystème industriel tourné vers la mer. Pour preuve, en France, le chantier de Saint-Nazaire va mobiliser aussi bien les Chantiers de l’Atlantique, qui construiront les sous-stations électriques en mer, Réseau de transport d’électricité (RTE), qui installera les raccordements, et une kyrielle d’entreprises de taille moyenne. Les budgets sont eux aussi d’un autre ordre : le projet de Dunkerque, attribué en 2019 à EDF face à six concurrents, est estimé autour de 2 milliards d’euros, pour un coût du mégawattheure estimé inférieur à 50 euros – contre plus de 150 euros pour les premiers parcs français.
« Aujourd’hui, cinq pays représentent près de 95 % des capacités installées d’éolien offshore » Sophie Meritet, maîtresse de conférences à Paris-Dauphine-PSL
« L’éolien offshore, avec de grands espaces en mer, permet ce type de méga projets,note Yara Chakhtoura, vice-présidente de la commission offshore de France énergie éolienne (FEE) et directrice générale de Vattenfall Eolien, filiale française du groupe public suédois. Et la compétition grandissante reflète l’état du marché qui ne fait que grossir. La Commission européenne, par exemple, parle d’un potentiel de 450 gigawatts en Europe à l’horizon 2050. »
La dynamique du secteur et la baisse des coûts attirent les industriels rompus aux grands chantiers. Le groupe français Nexans, expert du câble électrique, a ainsi réorganisé une partie de sa production mondiale autour de l’éolien en mer : son usine de Caroline du Nord a été entièrement repensée début 2020 afin de pourvoir aux besoins à venir du marché dans les prochaines années. A la différence du solaire, dont la production est massivement localisée en Chine et en Asie du Sud-Est, l’éolien offshore est encore fortement concentré en Europe.

Le Royaume-Uni de Boris Johnson fait la course en tête avec 10 GW de capacité installée et une trajectoire de 40 GW en 2030. En Europe, on comptait fin 2019 plus de 5 000 éoliennes offshore connectées au réseau, l’Allemagne et le Danemark suivant de près les Britanniques – et toujours aucune en France. La Commission européenne a annoncé début novembre des objectifs ambitieux en la matière, visant 60 gigawatts d’ici 2030 au sein de l’Union. Mais la Chine devrait connaître dans les prochaines années un développement fulgurant : l’AIE prévoit que le pays devrait devenir le numéro un en capacité installée en 2025. Pékin est d’autant plus intéressé par cette technologie qu’elle permettrait de construire des parcs éoliens près des zones côtières les plus peuplées du pays.
« On est à un tournant du marché »
« Aujourd’hui, cinq pays (Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, Danemark et Chine) représentent près de 95 % des capacités installées d’éolien offshore, c’est un secteur très concentré, explique Sophie Meritet, maîtresse de conférences à l’université Paris-Dauphine-PSL. Mais de nouveaux pays se positionnent, comme Taïwan, la Corée du Sud, les Etats-Unis… » Les acteurs européens, comme le danois Orsted ou l’espagnol Iberdrola, ont développé une expertise reconnue dans un univers de plus en plus concurrentiel.
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Une avance bienvenue, alors que de nouveaux acteurs aux poches pleines s’intéressent au sujet : les groupes pétroliers européens, comme BP ou Total, ont de grands projets dans le secteur. Ces majors des hydrocarbures veulent prendre le train de la transition énergétique pour réduire leur impact carbone et améliorer leur image. Surtout, elles sont habituées à financer des projets colossaux. BP a ainsi annoncé en septembre un investissement de 1,1 milliard de dollars pour entrer au capital de deux champs en mer aux Etats-Unis. Total a également pris des parts dans un parc éolien offshore en Ecosse et a investi dans un méga projet d’éolien flottant au large de la Corée du Sud.
« On est là à un tournant du marché », analyse Romane Guitard, spécialisée dans le financement de projets renouvelables chez Augusta.Les pétroliers vont-ils devenir les nouveaux rois de l’éolien ? « Cette arrivée se fait de manière progressive, relativise Colette Lewiner, autrice du rapport mondial sur l’énergie de Capgemini. D’abord, il s’agit surtout des Européens. Et quand on regarde dans le détail, cela reste une toute petite partie de leurs investissements. » « Ils vont découvrir le monde de l’électricité où les bénéfices sont beaucoup moins spectaculaires que dans le monde du pétrole. Il n’est pas certain que leurs actionnaires apprécient tous », raille quant à lui le patron d’un grand groupe bien installé dans le secteur.

Mais les pétroliers ont aussi une expertise technologique en mer et un écosystème de partenaires industriels habitués à travailler avec eux sur le sujet. « Les connaissances techniques pour l’éolien flottant sont très proches de celles utilisées pour les plates-formes pétrolières », note Sophie Méritet. « On trouve facilement des salariés prêts à travailler sur l’offshore dans notre branche exploration production », témoigne ainsi le PDG de Total, Patrick Pouyanné, qui explique vouloir investir en priorité dans des « projets géants ». Un vrai changement de cap pour le groupe français, qui a longtemps été réticent à investir dans le secteur.
Le manque d’ambition français
Il faut dire qu’en matière d’éolien offshore, la France accuse un retard considérable : l’Hexagone ne compte aucune éolienne commerciale au large de ses côtes – le pays possède pourtant la première façade maritime du continent. Depuis le lancement des premiers appels d’offres en 2011, sept projets (Saint-Nazaire, Fécamp, îles d’Yeu-Noirmoutier, Saint-Brieuc, Courseulles-sur-Mer, Dieppe-Le Tréport et Dunkerque) ont été attribués, représentant une puissance de plus de 3 500 mégawatts. Les nombreux recours juridiques déposés et la longueur des procédures ont étendu à l’extrême le calendrier, mais tous devraient finalement être mis en service entre 2022 et 2027, trois d’entre eux sont désormais en chantier. Un nouvel appel d’offres pour un nouveau parc au large de la Normandie doit être lancé en 2021, pour une attribution avant la fin du quinquennat.
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Les premières fermes pilotes d’éolien flottant doivent également commencer à fonctionner à partir de 2023 (à Groix, Gruissan, Leucate et Fos-sur-Mer). La feuille de route énergétique de la France, publiée en avril, a permis de fixer un cap pour les prochaines années : elle prévoit d’attribuer 1 000 mégawatts par an pour atteindre 5 200 à 6 200 mégawatts d’éolien en mer en activité en 2028. Cette ambition, modeste, ne permettra pas de rattraper le retard face aux voisins européens, mais elle est considérée par le gouvernement comme un « signal fort » à l’égard de la filière. « Pour la suite, il va falloir changer d’échelle aussi au niveau français, en lançant plus de projets ou de plus grande taille », souligne Yara Chakhtoura.

Ce retard n’a pas empêché les Français de profiter de la dynamique européenne. « Le manque d’ambition côté français n’a pas empêché l’essor de la filière qui s’est développée à l’export, note Carole Mathieu, du Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales. Aujourd’hui, les acteurs français sont pleinement dans la course : la compétition est forte, mais le marché est tellement porteur qu’ils vont en bénéficier. »
EDF Renouvelables, par exemple, compte des parcs et des projets au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Asie. Engie s’est associé au portugais EDPR dans le cadre d’une joint-venture et ambitionne de devenir l’un des plus grands opérateurs de parcs. Si les résultats de ces deux groupes ont été fortement impactés par la crise sanitaire, leurs revenus issus de leurs activités renouvelables continuent à croître.
Planifier l’espace maritime
En France, une filière industrielle commence aussi à se structurer autour de quatre usines de fabrication de pales, d’assemblage de nacelles et de construction de sous-stations électriques installées à Montoir-de-Bretagne mais aussi à Cherbourg (Manche) pour GE et à Saint-Nazaire pour Les Chantiers de l’Atlantique. Au Havre, Siemens-Gamesa doit également lancer prochainement la construction de l’une des plus grandes usines d’éoliennes en Europe. « Ces quatre usines représentent le tiers des usines de pales et de nacelles d’Europe, assure Yara Chakhtoura.La France a réussi un joli hold-up ! » Là aussi, le démarrage a été très progressif : l’usine de Montoir-de-Bretagne a dû se mettre quasiment à l’arrêt en 2018, faute de commandes fermes en France…Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le laborieux démarrage de l’éolien en mer
La dynamique semble enfin s’installer : la hausse des emplois liés au secteur de l’éolien (+ 11 % en 2019) a été portée par l’offshore, qui représente désormais 3 000 emplois. Selon la filière, ce chiffre devrait être multiplié par cinq à l’horizon 2030. « Notre pays a été capable de construire une filière industrielle nouvelle sur tout un segment de la chaîne de valeur de l’éolien, alors même que nous ne sortions aucun parc, a reconnu en octobre la ministre de la mer Annick Girardin. Mais cela interroge : comment maintenir cette filière émergente alors que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) n’offre pas la visibilité compatible avec les stratégies industrielles ? »
Pour répondre à cet objectif, la filière réclame non seulement le respect strict du calendrier d’appels d’offres inscrit dans la PPE, mais aussi la mise en place d’une planification de l’espace maritime pour les prochaines décennies. Une évolution indispensable pour que l’ensemble des acteurs et usagers de la mer puissent se projeter. « Nous avons besoin d’un cap à l’horizon 2050 et de savoir où seront implantés les prochains projets. Nos voisins ont fait leur planification, pas nous : c’est ce qui manque à la France pour améliorer la coexistence avec les usagers et pour donner de la visibilité à tous les acteurs », insiste Yara Chakhtoura. Un changement d’échelle réclamé par les industriels pour s’assurer que les usines françaises ne tourneront pas à vide.Nabil WakimPerrine Mouterde