La pandémie de Covid-19 « a effacé des années de gain d’espérance de vie »
La surmortalité en 2020 s’est traduite par une régression « jamais vue depuis la seconde guerre mondiale dans de nombreux pays », conclut une étude menée dans vingt-six pays.
Publié le 06 mars 2021 à 10h00 – Mis à jour le 06 mars 2021 à 15h30
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Avec ses 2 millions de morts du Covid-19 dans le monde, 2020 restera gravée comme un moment sombre dans l’Histoire humaine. Chez les démographes, cette année si particulière génère une moisson d’études sur la dégradation de l’espérance de vie. Ainsi, une équipe de l’université du Danemark du Sud et de celle d’Oxford constate que dans 26 pays développés disposant de statistiques de bonne qualité (essentiellement l’Europe, les Etats-Unis et le Chili), l’espérance de vie à la naissance a diminué dans 24 d’entre eux. Elle a décliné d’au moins une année entière dans onze pays pour les hommes et dans sept pays pour les femmes.
Contrairement à la tendance de progression presque générale au XXe et au XXIe siècles, « le Covid-19 a effacé des années de gain d’espérance de vie », notent les auteurs de cette étude rendue publique mardi 2 mars sur le site de prépublication MedRxiv. La surmortalité de 2020 s’est traduite par une régression « jamais vue depuis la seconde guerre mondiale dans de nombreux pays » et depuis l’éclatement de l’URSS.
Les grands perdants sont les hommes américains, dont la durée de vie moyenne s’est réduite de 2,1 ans, et bulgares, 1,6 année en moins. La gent masculine a ensuite été durement touchée en Pologne, Suède, Espagne, Lituanie, tandis que les femmes paient aussi un lourd tribut aux Etats-Unis ainsi qu’en Espagne. Pour prendre la mesure de ce qu’il s’est passé, l’équipe de démographes souligne que dans 14 pays s’agissant des femmes, dans 10 pour les hommes, la population se retrouve avec un espoir de longévité moyenne inférieure à ce qu’elle était en 2015, une année où pourtant la saison de grippe a été très meurtrière.
Vacciner d’abord les plus âgés

En France, 667 400 personnes sont décédées, soit 9 % de plus qu’en 2019, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). L’espérance de vie à la naissance a diminué de 0,4 an pour les femmes et de 0,5 an pour les hommes. Et même davantage si l’on considère que la moyenne de longévité aurait dû progresser suivant la dynamique des années précédentes.
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Les données de l’Insee comme celles de l’équipe anglo-danoise recensent tous les décès de 2020, pas seulement ceux imputables au SARS-CoV-2. Dans les pays où les bases de données permettent l’identification des causes de la mort, l’impact du Covid-19 apparaît encore plus nettement. Les démographes ont ainsi pu mesurer que la pandémie est à elle seule responsable de la perte d’une année entière d’espérance de vie au Chili, au Pays-de-Galles, en Angleterre, Belgique, Espagne et en Slovénie. Or pour les hommes et les femmes de ces contrées, gagner un an avait pris, précédemment, 5,6 années en moyenne.
Certaines causes de mortalité ont été au contraire modérées par les mesures de confinement et les restrictions de déplacement.
Certaines causes de mortalité ont, au contraire, été modérées par les mesures de confinement et les restrictions de déplacement – les accidents de la route, d’autres maladies infectieuses. Ce phénomène compense parfois en partie la rudesse des statistiques du Covid-19. Cela pourrait expliquer pourquoi la Norvège et le Danemark, ainsi que la population féminine de Finlande, n’enregistrent pas de perte d’années potentielles en 2020. En réalité, au Danemark par exemple, la perte de longévité due à la pandémie est réelle mais est masquée par l’évolution globale de l’espérance de vie.
Les populations âgées sont d’autant plus touchées dans les pays développés qu’elles y sont nombreuses. Joshua R. Goldstein (Université de Californie, Berkeley) leur consacre un autre article dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), en date du 16 mars, avec deux autres chercheurs. A partir des données recueillies en Allemagne, en Corée du Sud et aux Etats-Unis, le démographe montre mathématiquement que c’est en en vaccinant d’abord les plus âgés que l’on sauve le plus de vies. Cela peut sembler contre-intuitif, concède-t-il, mais c’est de cette façon aussi qu’on « maximise les années d’espérance de vie restantes ». Car si celles-ci diminuent fatalement avec l’âge, cela est compensé par l’augmentation exponentielle du risque de décès.

« Plusieurs façons d’aborder la question »
C’est un point de vue beaucoup plus global que publie, le 18 février, la revue Scientific reports signée par Héctor Pifarré i Arolas (université Pompeu Fabra, Barcelone) et d’autres démographes majoritairement européens. Ces derniers ont cherché à évaluer le poids de la pandémie en agrégeant des données de 81 pays. Il en ressort qu’au 6 janvier, le nombre d’années de vie perdues s’élèverait globalement à 20,5 millions, ce qui correspond à une moyenne de 16 années de vie en moins par personne décédée. Cette fois, le poids des personnes âgées apparaît relativisé : les moins de 75 ans représentent les trois quarts de ce phénoménal total d’années de vie anéanties.
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« Il y a plusieurs façons d’aborder la question : celle de Joshua Goldstein porte sur le risque individuel, celle du Scientific Reports souligne que dans les pays avec des populations plus jeunes, l’impact de la pandémie porte aussi sur ces générations-là,commente Magali Barbieri, chercheuse sur les questions de mortalité à l’université de Berkeley (Californie) et à l’Institut national d’études démographiques (INED). De toute façon, les données vont continuer d’arriver. Globalement, nous pensons que les excès de mortalité sont supérieurs aux décès déclarés. »
Pour parvenir à leurs résultats, l’équipe d’Héctor Pifarré i Arolas a distribué 1 279 866 décès par classes d’âge et pondéré les années potentielles évanouies en fonction de l’espérance de vie correspondant à chacune d’elles. Plus une personne meurt jeune, plus le nombre de celles-ci est important. Par exemple, en France en 2019, si une femme à sa naissance pouvait envisager d’être sur Terre jusqu’à 85,6 ans en moyenne et un homme 79,7 ans, cet espoir est de 66,1 ans pour les femmes de 20 ans et plus et de 60,3 ans pour les hommes du même âge ; puis il passe à 46,4 ans et 41,1 ans respectivement pour les 40 ans et plus ; 27,8 ans et 23,4 ans pour les 60 ans et au-delà ; enfin, il se réduit à 23,5 ans et à 19,6 ans à partir de 65 ans.
Inégalités énormes entre les pays
Les inégalités sont énormes entre les pays en fonction de leur niveau de développement. Par exemple, toujours en 2019, l’espérance de vie à la naissance ne dépassait pas 56,8 ans pour les femmes et 54,8 ans pour les hommes au Nigeria, bien loin des scores de la Suisse : 86 ans pour les femmes et 82,4 ans pour les hommes. Les auteurs ont donc dû se livrer à des pondérations d’autant plus complexes que la pandémie n’a pas commencé à se manifester partout au même moment. Et certains démographes chevronnés leur reprochent d’avoir agrégé des données disparates pour aboutir à cette valeur abstraite de 16 années perdues rapportée au nombre de décédés et non à l’ensemble de la population.
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Cependant, leurs ordres de grandeur sont robustes, assurent les chercheurs. Cela leur a permis d’estimer que la surmortalité due au Covid-19 est, selon les pays, de deux à neuf fois supérieure aux bilans moyens des grippes saisonnières (survenues entre 1990 et 2017), comme à ceux des accidents de la route. Elle représenterait aussi entre un quart et la moitié du nombre de décès attribuables aux maladies cardiaques.
« La question de la mortalité du Covid dépend de ce qu’il va se passer demain, prévient Magali Barbieri. La pandémie va-t-elle simplement cesser avec la vaccination, ou les gens qui ont été contaminés vont-ils garder des séquelles et développer des maladies à l’avenir ? »Notre sélection d’articles sur le Covid-19
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