Cyril Dion : « La convention citoyenne pour le climat a permis de mesurer à quel point la démocratie est un exercice exigeant »
TRIBUNE
Cyril Dion – Ecrivain, cinéaste et militant écologiste
Le cinéaste et militant écologiste, garant de la convention citoyenne pour le climat, tire les enseignements tirés de l’expérience inédite de ces dix-sept mois de démocratie délibérative.
Publié hier à 02h14, mis à jour hier à 16h06 Temps de Lecture 10 min.

Tribune.
La convention citoyenne pour le climat, exercice inédit de démocratie délibérative, s’est achevée dimanche 28 février après dix-sept mois de travail et un rapport riche de 149 propositions. Jamais nous n’aurions imaginé que cette initiative prenne une telle ampleur, à la fois dans ses travaux, dans les médias, dans le débat politique et dans la production législative et réglementaire qu’elle a entraînés.
Il y aurait une infinité de choses à dire et à analyser dans cette expérience pionnière. C’est ce que feront les chercheurs qui l’ont observée tout au long du parcours. Mais d’ores et déjà, quelques enseignements me semblent se dessiner.
- Pour faire bouger le gouvernement sur la question climatique, il faut vraiment insister…
Les alertes des scientifiques se multiplient, les preuves tangibles du changement climatique aussi, les perspectives sont noires, au point d’envisager qu’une partie de notre planète pourrait devenir inhabitable à la fin du siècle et, pourtant, les gouvernements du monde entier s’obstinent à ne pas répondre à l’urgence. La France, si elle n’est pas parmi les pires nations, ne fait pas exception à la règle, comme l’a mis en lumière le tribunal administratif de Paris en condamnant l’Etat pour « carence fautive » le 3 février.
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Alors que faire ? C’est la question qu’a dû se poser Nicolas Hulot en démissionnant de son poste de ministre en août 2018, dans un geste d’impuissance, alors que nous vivions un été caniculaire et que le gouvernement s’apprêtait à instaurer une taxe carbone (sur l’essence), pénalisant davantage les plus fragiles que les grands pollueurs.
Quelques semaines plus tard, la tension montait en flèche dans le pays. « Gilets jaunes », jeunes grévistes et militants pour le climat avaient envahi les rues et 2,3 millions de personnes s’associaient à l’initiative de quatre ONG pour attaquer l’Etat en justice (« l’Affaire du siècle ») pour inaction face au changement climatique.
C’est dans ce contexte qu’en février 2019, nous fûmes invités à rencontrer le président de la République Emmanuel Macron avec Marion Cotillard et que je décidai de lui proposer cette idée élaborée par le collectif des « gilets citoyens ». La convention est donc née d’un contexte particulier et d’un rapport de force.
Certains diront qu’Emmanuel Macron y a vu une opportunité pour sortir de la crise et faire un « coup » politique. D’autres, qu’il s’agit d’une petite victoire arrachée à l’exécutif. L’un n’exclut sans doute pas l’autre et, d’une certaine façon, peu importe. Cette situation a permis à la première assemblée citoyenne tirée au sort d’être constituée en France dans un objectif précis : formuler des propositions pour réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, dans un esprit de justice sociale.
- La démocratie délibérative, c’est du travail
Dès les premiers jours, l’ampleur de la tâche a saisi les organisateurs. Répondre à une question si vaste, si complexe, en si peu de temps, avec des personnes qui ne connaissent souvent pas grand-chose au sujet (quand elles ne sont pas tout bonnement climatosceptiques) fut une véritable gageure.
« La convention citoyenne a réussi à construire un plan solide, répondant à des objectifs climatiques et sociaux ambitieux, acceptables pour une majorité »
Pour cette grande première en France – et sans doute dans le monde pour un sujet aussi large –, un dispositif a été construit sur mesure : tirage au sort pour reconstituer une France en miniature, socle de connaissance et auditions de scientifiques incontestables sur le climat, auditions de parties prenantes de toute la société (élus, syndicalistes, chefs d’entreprises de tous secteurs, ONG, ingénieurs, agriculteurs, juristes…), groupe d’appui constitué d’experts pour éclairer les 150 sur la technicité des sujets, comité légistique pour traduire en loi les propositions, pléiade d’animateurs pour faciliter et équilibrer les débats…
Tout cela a demandé un travail hors norme, sans aucun doute perfectible (la question principale étant le poids et l’influence des experts), mais a surtout permis de mesurer à quel point la démocratie est un exercice exigeant. Permettre à 150 Français représentatifs de la diversité du pays de participer à la décision demande du temps, de l’attention et une sacrée dose de travail.
- Pour autant la démocratie délibérative, ça fonctionne
Lorsque la création de la convention fut annoncée, c’est le scepticisme qui dominait dans les médias, l’opposition et les ONG. « Comité Théodule », « manœuvre dilatoire », « coup politique », peu d’observateurs voyaient alors l’intérêt de cette initiative, jugeant que nous savions déjà ce qu’il fallait faire. Pourtant, avancions-nous alors, le problème n’est sans doute pas de trouver « quelles sont les solutions », mais « quelles modalités démocratiques pouvons-nous adopter pour les mettre en œuvre ? »
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Et c’est cet exercice que la convention citoyenne a réussi haut la main : construire un plan solide, répondant à des objectifs climatiques et sociaux ambitieux, acceptables pour une majorité. Car, non seulement leurs travaux ont été salués par le Haut Conseil pour le climat, la plupart des ONG, des figures comme Nicolas Hulot et même le Medef qui en a loué le « sérieux », mais ils ont largement été soutenus par les Français, si l’on en croit deux sondages commandés à la remise de leurs travaux.
« A l’exception du 110 km/h, les propositions séduisent 62 % des Français qui en ont entendu parler », selon l’institut Odoxa mandaté par Le Figaro et France Info. L’enquête commandée par le réseau Action climat à l’institut Elabe montre pour sa part un très large soutien à treize des quatorze mesures structurantes testées.
Comme nous l’avions déjà vu en Irlande où deux assemblées délibératives tirées au sort avaient permis de trancher les épineux débats du mariage pour tous et du droit à l’avortement, la convention citoyenne a réussi à proposer un point d’équilibre acceptable par le plus grand nombre et plus ambitieux que ce qu’aucun gouvernement français n’avait proposé jusqu’ici. Ce qui confirme que des citoyens tirés au sort, informés et formés aux sujets qu’ils doivent trancher, sont plus volontaires que leurs élus. Oui, mais…
- Démocratie ou oligarchie ?
Alors que de plateaux de chaînes d’info en tweets, des voix s’élevaient pour accuser les ONG et les organisateurs d’avoir « lobotomisé » les conventionnels et de leur avoir préécrit un projet ouvertement écologiste (ce que les 150 ont inlassablement démenti), que de nombreux éditorialistes fustigeaient la soi-disant radicalité de ces « Khmers verts », « collectivistes », « anticapitalistes » et même « décroissantistes », c’est une autre offensive d’influence qui se préparait dans les couloirs de grandes entreprises et de ministères.
Selon un rapport produit par l’Observatoire des multinationales, « les propositions des “citoyens”, avant même de pouvoir être examinées au Parlement, ont été l’objet d’une violente offensive de lobbying. Les principaux secteurs industriels concernés (automobile, aérien, agrochimie, publicité) ont mobilisé tous les leviers d’influence à leur disposition, en public et dans l’ombre, soutenus par une large coalition de conservatismes et d’intérêts établis ».
« Cédant à la pression des principaux secteurs industriels concernés, le gouvernement amoindrit le plan qu’il a lui-même commandé pour respecter les engagements qu’il s’est lui-même fixés »
Cette enquête semble corroborée par des révélations du Journal du dimanche [JDD] et du Canard enchaîné pointant le travail de sape du Medef sur le délit d’écocide et celui du lobby de la publicité sur les mesures visant à réglementer leur secteur. Résultat : l’ambition des mesures de la convention fut quasi systématiquement rabaissée.
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La situation confine alors à l’absurde : cédant à cette pression, le gouvernement amoindrit le plan qu’il a lui-même commandé pour respecter les engagements qu’il s’est lui-même fixés. Il s’empêche de tenir les objectifs (– 40 % en 2030) qu’il s’est lui-même donnés, alors que le Conseil d’Etat, le tribunal administratif de Paris, le Haut Conseil pour le climat (qu’il a lui-même instauré) et une partie de la population l’exhortent à le faire. Incompréhensible et pour le moins inacceptable pour ceux qui ont tant travaillé pendant dix-sept mois. Mais aussi pour des millions de Français qui s’inquiètent de l’évolution climatique du pays.
- Tenir sa parole, c’est le socle de la démocratie
En avril 2019, lorsqu’il annonce, avec une certaine audace, la création de la convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron déclare : « Ce qui sortira de cette convention sera, je m’y engage, soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit au référendum, soit à application réglementaire directe. » Il réitérera cet engagement le 20 janvier 2020, annonçant : « Si à la fin de vos travaux, vous donnez des textes de loi, des choses précises, là je m’engage à ce qu’ils soient donnés ou au Parlement ou au peuple français tels que vous les proposerez. »
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Enfin, le 29 juin, à l’Elysée, il s’engagera à transmettre 146 mesures sur 149. Ces promesses, il ne les tiendra jamais. En réalité, même les mesures formulées sous forme de textes de loi seront modifiées (et amoindries) avant d’être envoyées au Parlement et de nombreuses mesures (comme le moratoire sur la 5G) ne seront jamais transmises.
Or cet engagement, réitéré à de nombreuses reprises, était non seulement ce qui garantissait le pouvoir transformateur de cette expérience (sortir de la démocratie participative/consultative pour entrer dans la démocratie semi-directe et délibérative), mais il comptait pour tous ceux qui croyaient enfin à une amorce de changement.
« Naïfs », diront les sceptiques. Certes. Pour autant, à chaque fois qu’un responsable politique trahit sa parole, il affaiblit encore un peu plus notre fragile démocratie, il fait le lit du complotisme, de l’extrémisme et du populisme. Et il stimule des votes de pure contestation. Ainsi, lors de sa dernière session, les citoyens de la convention devaient évaluer la réponse du gouvernement à leurs travaux.
Résultat : une moyenne de 3,3 sur 10 pour environ 120 votants. Une quinzaine d’entre eux a systématiquement voté zéro à toutes les questions, même sur les rares sujets où le gouvernement a transcrit mot pour mot les propositions de la convention. [La ministre de la transition écologique] Barbara Pompili s’en est émue. Mais ce n’est pas si difficile à comprendre : ils se sont sentis trahis. Et dans ce jeu, les protagonistes ne peuvent être renvoyés dos à dos. Le président de la République s’était engagé. Trois fois. Publiquement. Et c’est lui le maître du jeu.
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- Une mutation démocratique s’impose
Où nous mènent ces cinq constats ? Selon moi à une nécessaire mutation démocratique. Partout dans le monde, nous voyons la démocratie représentative en danger. Les élus font l’objet d’une défiance grandissante, confrontés à des mouvements contestataires parfois violents, des poussées populistes, complotistes. Et ils n’y sont pas pour rien.
La démocratie représentative telle qu’elle est pratiquée peine à créer de véritables espaces de concertation et de prise de décision collective. Elle ne parvient pas à répondre à des enjeux cruciaux pour l’avenir de l’humanité comme le réchauffement climatique, qui fait l’objet depuis quarante ans d’atermoiements de partis de droite comme de gauche.
Les causes sont multiples : influence disproportionnée des intérêts privés face à l’intérêt général, électoralisme, déresponsabilisation des citoyens, affaiblissement des Parlements (particulièrement en France), modes de scrutin… En 2014, une étude publiée par Cambridge University Press concluait : « Une analyse multivariée indique que les élites économiques et les groupes organisés représentant les intérêts des entreprises ont un impact indépendant important sur la politique du gouvernement américain, tandis que les citoyens moyens et les groupes d’intérêt de masse n’ont que peu ou pas d’influence indépendante. »
Elle en tirait la conclusion que les Etats-Unis penchaient d’avantage du côté de l’oligarchie que de la démocratie (le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple). A la lecture de ce qui vient de se produire avec la convention citoyenne, il est difficile de ne pas opérer de parallèle. Or cette initiative visait à produire l’effet inverse.
Mais pour qu’elle puisse apporter un renouveau démocratique digne de ce nom, il eût fallu que les règles du jeu soient transparentes, respectées, et que les mesures élaborées par la convention puissent être tranchées démocratiquement par les Français (via le référendum) et/ou le Parlement, sans repasser par la moulinette des intérêts privés. C’était le sens du « sans filtre » (les groupes d’intérêts privés avaient déjà été auditionnés par la convention…).
Si nous voulons faire primer l’intérêt général, institutionnaliser des processus tels que le référendum d’initiative citoyenne délibératif, ou une troisième chambre (du futur ?), pourrait être nécessaire. J’espère que l’expérience de la convention citoyenne pour le climat y aidera.
- Epilogue
L’histoire n’est pas finie. Le projet de loi va désormais à l’Assemblée nationale et nous allons voir ce que les députés en feront. L’avenir nous réserve encore des surprises…
Cyril Dion est écrivain, réalisateur et militant écologiste. Il est notamment l’auteur du « Petit Manuel de résistance contemporaine » (Actes Sud, 2018) et a coréalisé avec Mélanie Laurent le film « Demain » (2015).
Cyril Dion(Ecrivain, cinéaste et militant écologiste)