Le groupe LREM, fort de 313 députés, a vu 44 de ses membres le quitter.

A l’Assemblée nationale, la lente érosion d’un bloc La République en marche de plus en plus fracturé

Depuis 2017, le groupe fort de 313 députés a vu 44 de ses membres le quitter. En son sein, des mouvements plus petits se créent, alors que certains élus s’interrogent sur leur identité politique. 

Par Laura MotetMariama Darame et Julie CarriatPublié aujourd’hui à 19h30  

https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/03/08/a-l-assemblee-nationale-la-lente-erosion-d-un-bloc-la-republique-en-marche-de-plus-en-plus-fracture_6072382_823448.html

Christophe Castaner, président du groupe des députés La République en marche, lors de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris, mardi 2 mars.
Christophe Castaner, président du groupe des députés La République en marche, lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale à Paris, mardi 2 mars. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR  » LE MONDE »

« Islamo-gauchisme », loi sur la sécurité globale, état d’urgence… Au sein du groupe La République en marche (LRM), les polémiques passent, non sans instiller le doute parmi les députés. En cette dernière année utile du quinquennat, si les cadres s’occupent déjà de donner corps au bilan d’Emmanuel Macron, des soubresauts agitent la majorité. L’expression de plus en plus intempestive et médiatisée des clivages idéologiques qui l’ont toujours traversée agace et inquiète l’état-major de la Macronie. Elle vient brouiller, si ce n’est remettre en cause, le positionnement politique d’un groupe et d’un mouvement d’abord fondé sur le« pragmatisme » et le « dépassement ».

« Entre des ministres qui se corrigent les uns les autres et qui lancent des débats dont on se serait bien passé – même s’ils révèlent quand même des hésitations sur nos lignes politiques –, et puis nos contributions, dont quelques attaques entre nous, et vis-à-vis du gouvernement, tout ça fait désordre », a lancé Christophe Castaner, président du groupe LRM à l’Assemblée nationale, mardi 2 mars, lors de la réunion de groupe hebdomadaire. Le premier ministre, Jean Castex, était lui aussi présent pour rappeler aux troupes que, malgré « des expressions diverses, sans doute légitimes et naturelles », la « cohésion de la majorité » était « forte » et « plutôt fluide ».

Depuis la salle Colbert du Palais-Bourbon, devant les élus en visioconférence, M. Castaner a voulu, une fois de plus, siffler la fin de la partie dans la majorité, avant l’examen de deux textes sensibles (le projet de loi visant à modifier l’article 1 de la Constitution pour y intégrer la protection de l’environnement par référendum et le projet de loi climat et résilience), issus des travaux de la convention citoyenne pour le climat.

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Depuis son arrivée à la tête du groupe, en septembre 2020, l’ancien ministre de l’intérieur s’emploie à désamorcer les désaccords internes, sans jamais lancer de débat ouvert devant l’ensemble du groupe. Gestion des interviews des députés les plus remuants, évitement des confrontations… Dans la gestion Castaner, « tout est fait de façon à ce que tout soit maîtrisé », résume un député. « A coups de tribunes, de tweets et de lettres ouvertes, on installe au fond un système dans lequel on ne pourra pas se retrouver (…), ne laissons pas penser que notre réalité serait faite de divisions », a insisté mardi le chef de groupe, sans nommer les responsables de cette cacophonie politique.

Polémiques initiées par les ministres

Ces dernières semaines, les passes d’armes se sont multipliées autour de polémiques lancées et alimentées par les ministres eux-mêmes. D’abord sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, entre la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, et le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. Puis sur les repas végétariens dans les cantines opposant tour à tour le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, face à Barbara Pompili, à l’écologie.

* Survolez
Les députés sortants sont répartis dans leur dernier groupe parlementaire d’appartenance. Leurs trajectoires entre la sortie du groupe LRM et leur groupe actuelle n’est pas représentées. 

A cela s’ajoutent deux courriers envoyés par des députés à Jean Castex. L’un demandant au gouvernement d’aller plus loin sur ses mesures en matière d’égalité des chances, l’autre remettant en cause la légitimité de l’état d’urgence sanitaire. De quoi ranimer encore une fois le spectre de la division chez LRM.« 90 % des députés du groupe ont regardé ces polémiques avec beaucoup de déceptions et d’atermoiements », lâche un ténor du groupe. La majorité parlementaire s’était pourtant félicitée d’avoir tenu bon après un automne périlleux jalonné de textes régaliens, avec le retour de l’état d’urgence sanitaire, la proposition de loi sur la sécurité globale et, dernièrement, le projet de loi confortant les principes républicains. « Ce que retiendront nos concitoyens pour peu qu’ils aient suivi les débats, c’est une extrême division de la majorité sur la loi séparatisme alors même que nous étions arrivés à maintenir l’unité et d’ailleurs avec assez peu de difficultés durant les débats à l’Assemblée nationale », s’agace un autre cadre de la majorité.

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Immanquablement « ces désordres gouvernementaux » ont fait rejaillir des interrogations qui n’ont jamais vraiment disparu sur la capacité des élus à converger vers un même projet politique au-delà de leurs sensibilités d’origine. Le groupe LRM est pris en étau entre un gouvernement dont les membres expriment des positions de plus en plus polarisées et un mouvement qui peine à faire entendre ses idées. « LRM n’a pas pu écrire une histoire commune », estime Patrick Mignola, le président des députés MoDem, qui se remémore les débuts du groupe, quand plus de 300 élus macronistes, dont une majorité de débutants, ont été agglomérés tant bien que mal sous l’autorité de Richard Ferrand, alors président de groupe.

Loyauté

De cette période, une image est restée : celle des « députés Playmobil », des « godillots » votant tous les textes comme un seul homme. « Dans le groupe, le débat peut parfois être vif, mais au moment des votes nous avons toujours pris nos responsabilités et la majorité n’a jamais fait défaut », défend le porte-parole du groupe parlementaire, Pieyre-Alexandre Anglade (Français de l’étranger).

Selon les calculs du Monde effectués à partir des votes par voie électronique, issus des donnés de l’Assemblée nationale, les députés LRM ont voté en moyenne à 94,5 % en accord avec la ligne exprimée par le groupe. Il s’agit du deuxième plus haut taux de cohésion observé par rapport aux autres groupes politiques dans l’Assemblée durant ce mandat, derrière La France insoumise (99 %). Et cette loyauté dans les votes se renforce à l’approche des échéances électorales de 2021 et de 2022, chacun voulant préserver toutes ses chances d’une réinvestiture pour les prochaines législatives.

Ainsi s’ouvre la période de tous les doutes et des premiers bilans. Les députés se demandent s’ils souhaitent se représenter, si les promesses d’origine du macronisme ont été tenues, et mesurent aussi l’ampleur des départs de leur groupe : 44 depuis 2017. Ils étaient alors 313, en comptant les apparentés, bien au-dessus du seuil de la majorité absolue de 289. Au fil des démissions, les voilà 267, ce qui impose, à chaque vote, de compter désormais sur des partenaires, le MoDem et le groupe Agir, qui ont récupéré la moitié des démissionnaires. Le dernier départ en date est celui de la députée du Val-d’Oise Fiona Lazaar, qui citait en novembre l’épisode de l’article 24 comme élément déclencheur. « Quand vous avez des combats aussi éloignés des uns des autres, il y a un moment où on ne peut plus trouver un terrain d’entente… », résume-t-elle en relevant l’étroitesse du socle commun des « marcheurs ».

Les débats amorcés ces derniers mois sur la laïcité, la sécurité, l’égalité des chances, le bien-être animal, l’écologie et, dernièrement, la position de la majorité vis-à-vis de l’extrême droite continuent de fissurer un peu plus la cohésion fragile d’un groupe qui cherche encore son équilibre. Conséquence : certains députés ne s’adressent plus la parole ou s’invectivent sur les réseaux sociaux. « On aurait pu penser que La République en marche se serait stabilisée avec le départ de ceux qui avaient les positions les plus divergentes. On voit bien que non, et là on touche au problème fondamental du macronisme. La politique c’est d’abord faire des choix, avoir un minimum de repères communs, de valeurs communes pour que le débat démocratique se fasse », juge l’ex-député macroniste Aurélien Taché (Val-d’Oise), qui a fondé le parti Les Nouveaux Démocrates avec l’ex-LRM Emilie Cariou (Meuse).

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En manque de repères, certains élus LRM, notamment tenants de l’aile gauche, tentent de structurer d’autres partis. Territoires de progrès et En commun ont éclos au cours de l’année 2020, prenant acte des défaites du mouvement aux municipales et d’un gouvernement dont les piliers viennent de la droite. « De l’extérieur, pour beaucoup, le groupe LRM n’a finalement pas vraiment trouvé son espace politique », explique Jacques Maire (Hauts-de-Seine), cofondateur d’En commun. Ce parti, composé d’une quarantaine de parlementaires LRM, est appuyé par la ministre de l’écologie, Barbara Pompili. Dans le débat public, ces élus mettent en avant leurs divergences sur la politique sociale du gouvernement. Mais dans le groupe, beaucoup estiment qu’En commun « n’a aucun poids politique »« Ils n’ont jamais joué la carte de la négociation interne voire du rapport de force au bénéfice de leurs propositions. Cela ressemble davantage à des logiques d’opportunité politique pour exister », avance un responsable LRM.

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A l’intérieur du groupe, les alliances se font et se défont au gré des textes examinés et des affinités politiques. Durant les débats sur le projet de loi séparatisme, l’aile blanquériste (Aurore Bergé, Jean-Baptiste Moreau, François Cormier-Bouligeon), soutenant la vision ferme de la laïcité du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a tenté de peser sur les débats avec la question du voile. Face à eux, l’aile gauche bataillait auprès des ministères pour que des mesures d’égalité des chances soient en parallèle annoncées par le gouvernement. Les députés les plus politisés s’appuient ainsi sur ces mouvements internes, souvent de circonstance, pour pousser leurs propositions.

Groupe atomisé

Mais « la masse » du groupe est restée discrète quatre ans après son arrivée, occupée à réaliser le programme de réformes de 2017. Et si la majorité des députés font peu de vagues, c’est aussi parce que le groupe, plus que jamais, est atomisé. Comme ailleurs, les visioconférences ont fait leur œuvre : « C’est compliqué de sentir le groupe, parce qu’on le voit assez peu », résume Thomas Mesnier (Charente). Des députés, éloignés physiquement comme politiquement, ne cachent plus leur malaise. « Finalement, le seul dénominateur commun qui nous reste après ces quatre années, c’est Emmanuel Macron. Et ça, ça reste quand même puissant », veut croire un « marcheur » de la première heure, déçu lui aussi par l’absence de débat interne et un manque d’initiative face à l’exécutif. Des élus ont fini par se replier sur leur circonscription et une partie d’entre eux ne s’est jamais vraiment accoutumée à la vie de député. « S’il y a quelques francs-tireurs, il y a surtout des députés qui se font porter pâle », explique un cadre du groupe. Ils seraient une cinquantaine d’élus à ne plus mettre les pieds à l’Assemblée nationale, une constante depuis le début du quinquennat.

Et voilà que certains vont même jusqu’à s’interroger sur l’étiquette qui les a fait élire : En marche ! « Aujourd’hui, je fais véritablement la distinction entre le groupe parlementaire et le mouvement politique », souligne la députée du Val-d’Oise Cécile Rilhac. Cette impression s’est propagée depuis la démission, en octobre, du numéro 2 du mouvement, Pierre Person : nombreux sont ceux qui estiment que la formation ne les a jamais considérés. « On a l’impression que LRM a recréé tout ce qu’on détestait en politique, c’est-à-dire de l’entre-soi. Les cadres du parti sont entre eux, pilotent entre eux, ont leurs entrées à l’Elysée ce qui donne l’impression au président de concerter mais ce n’est pas le cas », tonne Mme Rilhac, désormais affiliée au parti.

Les critiques sont d’autant plus acerbes vis-à-vis du mouvement présidentiel que certains députés estiment que le mouvement n’est ni parvenu à faire la synthèse des positions hétéroclites du groupe – des radicaux de gauche aux anciens juppéistes de droite – ni à proposer un « corpus idéologique » à défendre dans l’Hémicycle. « Quatre ans après, il nous manque une vraie doxa politique et ce n’est pas au groupe parlementaire de le faire. C’est au parti. C’est lui qui doit être un incubateur d’idées, tranche un député LRM, actif au mouvement. Le dépassement des clivages n’est pas une doxa, c’est un outil politique. Prendre les idées des uns puis les idées des autres, c’est très bien pour démarrer mais, ensuite, il faut bien, à un moment donné, que l’on ait les nôtres. »

Après quatre années marquées par les crises, des « gilets jaunes » à la pandémie de Covid-19, les députés LRM avancent plus que jamais vers l’inconnu, bien loin de l’élan et de l’enthousiasme de 2017. Des députés se demandent ainsi avec quelle identité politique ils se présenteront devant les Français en 2022. « On assume d’être une coalition, un aréopage un peu complexe de sensibilités différentes, mais il n’y a pas eu de courants, de mouvements qui durent parce que ça ne marche pas »,affirme Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques (Français de l’étranger). Dans les états-majors du mouvement, on perçoit derrière ces dissensions apparentes le signe d’une « banalisation » du fonctionnement du groupe, similaire à toutes les autres formations politiques. Une majorité qui, assure-t-on, a fini par acquérir tant bien que mal « les codes de la politique ».

Laura Motet,  Mariama Darame et  Julie Carriat

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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