L’avant-projet de loi dit « 4D » – pour décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification, remis sur les rails

Décentralisation : le projet de loi « 4D » de nouveau sur les rails

Menacé d’être enterré par la crise sanitaire, ce nouveau texte devrait être finalement présenté fin mars-début avril au conseil des ministres. Il ne fait pas, cependant, l’unanimité parmi les élus

Par Patrick Roger Publié le 22 Février 2021 à 12h00

Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, à l’Assemblée, le 26 janvier.
Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, à l’Assemblée, le 26 janvier. BERTRAND GUAY / AFP

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Rattrapé in extremis. L’avant-projet de loi dit « 4D » – pour décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification – a été transmis jeudi 18 février pour avis au Conseil d’Etat. Il devrait être présenté fin mars-début avril au conseil des ministres et inscrit en première lecture au Sénat avant la fin de la session législative. Mais il revient de loin. C’est le premier ministre, Jean Castex, qui à l’occasion d’un déplacement à Orléans, le 13 février, l’a exhumé, en assurant qu’il figurait bien parmi les « priorités » du gouvernement et que sa présentation au conseil des ministres interviendrait « au début du printemps ».

L’acte fondateur avait été posé par Emmanuel Macron lui-même lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, lors de laquelle il entendait tirer les enseignements de la crise des « gilets jaunes ». Le chef de l’Etat annonçait alors « un nouvel acte de décentralisation », dont il assurait qu’il devrait « aboutir pour le premier trimestre 2020 ». Chargée de conduire ce chantier, la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, engageait une vaste tournée de concertation avec les élus locaux. Mais la crise liée au Covid-19 a bousculé bien des chantiers en cours, différé les priorités, désorganisé l’agenda politique et parlementaire.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Jean Castex : « Le rôle de tout responsable politique est de résister à la tentation de la polémique »

Mme Gourault, elle, continue, à son rythme, à se déplacer dans les régions quand les mesures de déconfinement le permettent et à consulter les élus locaux et leurs représentants – « plus de deux mille élus rencontrés », affirme son entourage. Mi-décembre 2020, le texte est quasiment bouclé. Elle en présente les grandes lignes aux associations d’élus et aux syndicats de la fonction publique territoriale ainsi qu’à la délégation aux collectivités territoriales du Sénat. Ne manque plus que le feu vert pour qu’il soit transmis au Conseil d’Etat.

Engagement pris par Macron

Jusque-là, tout allait bien, même s’il ne manquait pas de « bons camarades » de la ministre de la cohésion des territoires pour glisser régulièrement à leurs interlocuteurs que ce projet de loi, « dont les Français n’ont rien à faire », ne verrait jamais le jour. Arrive le séminaire gouvernemental convoqué au début de l’année, le 13 janvier. Alors que l’actualité reste focalisée sur l’évolution de la situation sanitaire, Emmanuel Macron veut parvenir à redonner corps à un récit politique. Il sonne la mobilisation générale, assortie d’une recommandation qui ressemble à une objurgation : « Levez le crayon ! »

Les arguments pour défendre ce projet de loi ne manquent pas

Traduction : arrêtez de vouloir à tout prix présenter un texte de loi qui, de toute façon, n’aura aucune chance d’être adopté avant la fin du quinquennat ; désormais, on se concentre sur l’essentiel, ce qui a un sens politique et des chances d’aboutir. Il prévient très clairement les ministres qui portaient un projet de loi que des choix allaient être opérés. Néanmoins, il encourage chacun d’entre eux à faire remonter une note à l’Elysée sur l’état d’avancement de son texte et qui soit convaincante sur son utilité, à la fois « pour les Français » et sur le plan politique.

Le ministère rend sa note dans les deux jours qui suivent. « Nous n’avions pas de doute sur l’appui de Matignon, assure l’entourage de la ministre. Du côté du président de la République, nous n’avions jamais eu de signaux négatifs. Mais pas de signaux positifs non plus. » Les arguments pour défendre ce projet de loi ne manquent pas : poursuivre l’entreprise de transformation de l’action publique qui faisait partie des engagements du président de la République ; mettre de l’huile dans les rouages entre l’Etat et les collectivités territoriales, dans une période où celles-ci sont fortement sollicitées ; sans oublier l’engagement pris par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, réaffirmé lors des déclarations de politique générale d’Edouard Philippe, le 12 juin 2019, comme de Jean Castex, le 15 juillet 2020. « On ne pouvait pas se permettre, avec le travail que l’on avait mené auprès des territoires et les actes qui avaient été posés, de clôturer ce quinquennat par une promesse qu’on n’allait pas tenir », note un des acteurs du dossier.

« Le texte le plus prêt »

Quelques associations d’élus se manifestent pour apporter leur appui à « un acte fort de déconcentration et de décentralisation », comme l’Association des petites villes de France ou France urbaine, qui regroupe les grandes villes et métropoles et appelle à « achever le travail engagé avec les territoires ». Du côté des trois grandes associations d’élus regroupées au sein de Territoires unis – Association des maires de France (AMF), Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France (RdF) –, en revanche, aucun signe, hormis une déclaration du président de RdF, Renaud Muselier, déçu que toutes les revendications des régions n’aient pas été prises en compte dans le projet de loi et qui lâche que, « si le dossier est enterré, ce ne serait pas plus mal ».

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« Le téléphone chauffait, confie le ministère de la rue de Varenne, très proche géographiquement de Matignon. Il y a eu une phase d’inquiétude mais le travail ne s’est jamais arrêté. » Les réunions interministérielles, pendant cette période, sont tendues. « Les administrations n’ont pas envie de se couper un doigt, rapporte un participant. C’est un réflexe naturel de ne pas vouloir se voir dessaisi de certaines prérogatives. Il y a eu de la résistance. » Les arbitrages de Matignon ont penché en faveur du ministère de la cohésion des territoires, à l’exception de la médecine scolaire, qui restera dans le giron de l’éducation nationale, alors que les départements souhaitaient pouvoir en récupérer la compétence.

Jusqu’à la déclaration du premier ministre, le 13 février, à Orléans, qui remet en piste le projet de loi « 4D ». « C’est le texte qui était le plus prêt et le plus bouclé »,convient l’entourage d’un ministre, qui aurait bien aimé que son texte connaisse le même sort. La ministre de la cohésion des territoires n’est elle-même avertie que l’avant-veille du feu vert qui va être délivré par M. Castex, sur ses terres et celles du ministre chargé des relations avec le Parlement, Marc Fesneau – issu du MoDem comme Mme Gourault –, qui devrait conduire la liste de la majorité dans le Centre-Val de Loire aux élections régionales de juin. Ce qui ne tient rien du hasard.

Un des arguments qui ont pesé dans le choix de l’exécutif tient aussi à la proximité des élections régionales et départementales qui doivent se tenir les 13 et 20 juin. Les oppositions commençaient à fourbir leurs arguments sur l’immobilisme de l’exécutif et la promesse non tenue d’un nouvel acte de décentralisation. Il s’agit de leur couper l’herbe sous le pied mais aussi de les amener à se positionner sur la nouvelle organisation des pouvoirs entre l’Etat et les collectivités qui, sans constituer un big bang, devrait permettre à ces dernières d’exercer des compétences différenciées en fonction des situations territoriales.

« Nous jouerons le jeu »

L’avenir du projet de loi « 4D » n’est pas pour autant assuré. Une des conditions premières est celle de son « acceptabilité » par les associations d’élus, notamment celles regroupées dans Territoires unis. L’option dominante est de « prendre ce qu’il y a à prendre dans ce projet de loi ». Le président de l’ADF, Dominique Bussereau, a regretté sur son compte Twitter d’apprendre par la presse que le projet de loi était relancé. Néanmoins, assure-t-il, « mon souhait, même si ce n’est pas le Pérou, est que cette loi soit votée »« Nous sommes prêts à cranter ce qu’il y a dedans », indique-t-il au Monde.

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Malgré les déclarations de M. Muselier en janvier, RdF reconnaît après tout que la réinscription du projet de loi « 4D » à l’agenda parlementaire « n’est pas une mauvaise nouvelle »« Si le gouvernement veut vraiment faire bouger les choses, c’est possible, indique un proche du président de RdF. Nous jouerons le jeu. »

Le test du Sénat, où le projet de loi « 4D » devrait être examiné en première lecture avant la fin de la session législative, sera déterminant

C’est plus du côté de l’AMF, présidée par François Baroin, le maire (Les Républicains) de Troyes, que s’expriment des réserves et des doutes sur la volonté décentralisatrice de l’exécutif. Certains, néanmoins, à l’image du secrétaire général de l’association, Philippe Laurent, sont partisans de « faire un truc soft »« Est-ce qu’on brandit la flamme de “plus décentralisateur que moi tu meurs” ou est-ce qu’on construit ce qui est possible ?, indique le maire (UDI) de Sceaux (Hauts-de-Seine). Il y a des choses dans ce projet de loi. On les prend. Les grandes déclarations de principe défendues par le Sénat, elles ne verront jamais le jour. »

Le test du Sénat, où le projet de loi « 4D » devrait être examiné en première lecture avant la fin de la session législative, sera déterminant. Soit l’opposition de droite, majoritaire au Palais du Luxembourg, choisit d’en faire un objet de cristallisation politique, au risque de compromettre la suite de son examen à l’Assemblée nationale. Soit elle accepte d’accompagner le mouvement enclenché par un texte qui, quoi qu’elle en dise, reprend nombre de propositions portées par les élus locaux. C’est ce qui, en définitive, déterminera l’avenir de ce projet de loi, sauvé des eaux mais pas assuré d’aller jusqu’au bout de son cheminement.

Patrick Roger

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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