Le plan décennal anti-cancer, construit sur la même logique que les plans précédents, n’apparaît pas à la hauteur de l’enjeu. « Une fois traité tabac et alcool, l’environnement reste marginal. »

Cancer : « la France en mauvaise place », pointe le Réseau Environnement Santé

(Communiqué du Réseau Environnement Santé- RES)

Recherche19/02/2021

http://jv0p.mjt.lu/nl2/jv0p/mhyqz.html?m=AUcAACO1xtMAAcnJkpoAAADpiaEAAABOHNEAI3B2AAjfXABgL3qn_kDaarTjRLK263-6tA-aOQAIaqg&b=9d3d6e7b&e=e0a3a267&x=5F3LfpSUq85WaUkXaBj5hhsMXuCs0DPIVB2KlgpD7TU

Émis par : RES

La lutte contre le cancer doit être basée sur les connaissances scientifiques d’aujourd’hui et pas celles d’il y a 50 ans.

« Bilan positif pour le 3ème plan cancer » déclare le directeur général de l’INCa en présentant la stratégie décennale 2021-2030. Les chiffres fournis par le CIRC et les projections sur la période 2020-2040 contredisent ce bel optimisme.

Les estimations du CIRC diffèrent déjà notoirement de ceux de l’Institut National du Cancer de 19 % pour le nombre de cas et de 16 % pour les décès, alors qu’ils reposent pourtant sur les mêmes données, celles fournies par les registres du cancer. La différence vient de la méthode d’extrapolation à l’ensemble de la population, sachant que les registres ne couvrent pas les grandes régions urbaines et industrielles, ce dont tient compte le CIRC et pas l’INCa. Cela démontre la nécessité de disposer de registres nationaux.

Si on regarde sa place dans le monde, aujourd’hui, la France se situe au 9ème rang au niveau mondial (5ème rang pour les hommes, 12ème rang pour les femmes), mais au 4ème rang pour le cancer du sein, 1er cancer féminin (et même au 2ème rang pour les femmes de moins de 59 ans) et au 7ème rang pour le cancer de la prostate, 1er cancer masculin (6ème chez les moins de 64 ans). Selon le CIRC, le nombre de nouveaux cas de cancer en France passera en 20 ans de 478 000 à 579 000 (+21%) et le nombre de décès de 186 000 à 252 000 (+35%).

Si on peut se réjouir de la chute régulière d’un cancer comme celui de l’estomac, ce qui montre qu’il n’y a pas de fatalité, d’autres comme le cancer du pancréas progressent très rapidement. Ce sera la 3ème cause de décès par cancer d’ici 20 ans, car il n’existe aujourd’hui aucun traitement. On cherche pourtant en vain une indication dans la stratégie décennale relative à la compréhension des causes environnementales de ce cancer.

Si on compare avec les pays les moins touchés comme le Bhoutan, pays suffisamment développé pour avoir une collecte de données fiable, le taux français est 4,8 fois plus élevé pour les hommes, (100 fois plus élevé pour le cancer de la prostate !), et 3, 7 fois plus élevé pour les femmes (20 fois plus élevé pour le cancer du sein).

La France se distingue aussi par ses départements d’outre-mer. La Guadeloupe détient le taux le plus élevé au monde pour le cancer de la prostate devant la Martinique, respectivement +85 % et +70% par rapport à la métropole).

Face à une situation aussi préoccupante, le plan décennal, construit sur la même logique que les plans précédents, n’apparaît pas à la hauteur de l’enjeu. L’accent y est en effet mis sur le soin, ce qui est nécessaire mais manifestement pas suffisant et, une fois traité tabac et alcool, l’environnement reste marginal.

Les Perturbateurs Endocriniens, dont le rôle est pourtant déterminant dans les cancers les plus fréquents (sein et prostate), comme le rappelle le dernier rapport de l’Endocrine Society, sont à peine évoqués. Le programme Halifax publié dans la revue de référence Carcinogenesis a démontré la validité des nouveaux concepts sur la biologie du cancer (une substance peut être classée cancérogène pas seulement si elle a un effet mutagène mais si elle agit via 10 autres mécanismes clefs) et l’effet des faibles doses de substances chimiques.

Un volet recherche « Cancer de l’enfant-Environnement » est bien signalé, mais l’enjeu concerne évidemment aussi les adultes. Plus que jamais, cette question doit faire l’objet d’une concertation citoyenne, or le RES, comme toutes les associations agissant pour promouvoir la santé environnementale, n’ont même pas été consultées. La Stratégie Nationale Perturbateurs Endocriniens adoptée en septembre 2019 n’a fait depuis l’objet d’aucune réunion.

Le RES soutient l’idée d’une conférence nationale annuelle de santé environnementale proposée par la mission parlementaire d’enquête sur la santé environnementale et appelle à la tenue de rencontres régionales citoyennes pour la préparer.

Contact: André Cicolella – Réseau Environnement Santé – contact@reseau-environnement-sante.fr

« L’environnement est le grand impensé du plan cancer »

CHRONIQUE

Stéphane Foucart

La nouvelle stratégie nationale de lutte contre le cancer entend agir sur les facteurs de risque comportementaux plutôt que sur la préservation de l’environnement. Un parti pris qui est aussi un choix politique, estime Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».

Publié hier à 05h00, mis à jour hier à 11h33    Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/28/l-environnement-est-le-grand-impense-du-plan-cancer_6071451_3232.html

Chronique. L’historien des sciences Robert Proctor (université de Stanford) l’a montré dans un ouvrage important (Cancer Wars. How Politics Shapes What We Know & Don’t Know About Cancer, Basic Books, 1996, non traduit) : lorsque le cancer s’invite dans le débat public, il est souvent autant question de science et de santé que de communication et d’idéologie politique. La stratégie nationale de lutte contre le cancer, présentée début février par le président Emmanuel Macron, n’a pas dérogé à cette règle.

Non que les efforts consentis ne soient réels : le président français a annoncé un financement du nouveau plan en forte hausse et des ambitions fortes. Dans son allocution, M. Macron en a annoncé les éléments saillants : « faire reculer la mortalité des sept cancers les plus létaux »« mieux accompagner les conséquences de la maladie et de ses traitements sur la qualité de vie et l’emploi »« passer en une décennie de 150 000 cancers évitables par an, à moins de 100 000 ».

On le voit, le volet du plan visant à réduire l’incidence des cancers repose essentiellement sur la réduction de ceux dits « évitables ». Une définition s’impose ici : on parle de cancers « évitables » pour définir ceux qui sont liés à des facteurs de risque connus (tabac, alcool, sédentarité, alimentation, etc.), et dont l’impact sur la probabilité que tel ou tel cancer survienne est à la fois bien établi et quantifié par des grandes études épidémiologiques de qualité.

40 % de cancers « évitables »

Selon les données les plus récentes sur le sujet, publiées en juin 2018 dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, environ 40 % des cancers survenant en France chaque année sont ainsi « évitables ». Le classement par facteurs de risque inscrit sans surprise le tabac en première place (70 000 cancers par an), suivi de l’alcool (28 000), d’une alimentation déséquilibrée (18 000), du surpoids et de l’obésité (18 000), etc. On le voit, les cancers « évitables » apparaissent comme le fait de comportements individuels. Il suffirait que les individus renoncent à leurs mauvaises habitudes pour améliorer la situation.

Cette approche repose sur une vision de la santé publique dominée par l’épidémiologie, dont nul ne conteste l’efficacité. Mais elle a aussi ses angles morts. D’abord, elle sous-entend que, puisque 40 % des cancers sont « évitables », c’est que les 60 % restant ne le seraient pas. Ils seraient par nature « inévitables » et représenteraient un minimum incompressible.

Un tel glissement est trompeur. Pour comprendre, il faut savoir que la connaissance épidémiologique repose, en grande partie, sur l’accessibilité des données d’exposition à certains facteurs de risque. Or, par définition, les facteurs de risque les plus accessibles sont ceux liés au comportement ou aux conditions individuels. Chacun est capable de remplir un questionnaire pour estimer sa consommation de fruits et légumes, de viande, de tabac, d’alcool, chacun connaît son poids, et son niveau d’activité physique, etc.

Perturbateurs endocriniens

A l’inverse, nul ne sait à quel perturbateur endocrinien ou autre polluant diffus il est ou a été exposé au cours de sa vie ni à quel niveau. Les études épidémiologiques intégrant de telles données existent, mais elles sont à la fois récentes et limitées par leur coût prohibitif.

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En outre, les connaissances accumulées depuis une quinzaine d’années par la toxicologie, l’endocrinologie et la biologie du développement indiquent que les conséquences des pollutions diffuses sont souvent peu objectivables par l’approche épidémiologique : effets parfois importants à faibles doses d’exposition, effets différés d’expositions au cours de la vie fœtale, effet cocktail, absence de population témoin pour certains polluants trop largement distribués, etc. Il sera toujours très complexe de mettre un nombre de cancers en face de tel pesticide, de tel plastifiant, ou de tout autre contaminant à bas bruit de la chaîne alimentaire, par exemple.

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Tout cela conduit mécaniquement à minorer le rôle des dégradations environnementales au sens large dans l’augmentation des maladies chroniques – et à faire de l’environnement le grand impensé du nouveau plan cancer. En tenir compte imposerait de renforcer la recherche sur les causes du cancer, mais aussi d’user de précaution en contraignant par la voie réglementaire de nombreux secteurs économiques (agroalimentaire, agriculture, chimie, cosmétique, transports, etc.). Au contraire, la focalisation sur les grands facteurs de risque comportementaux (tabac, alcool, habitudes alimentaires, sédentarité…) conforte une vision politique libérale, qui fait de l’individu l’unique responsable de son destin sanitaire.

Responsabilité individuelle ou collective ?

Ce parti pris conduit à faire peser la responsabilité du cancer sur les individus plutôt que sur les structures économiques. Il se perçoit dans certaines décisions récentes : absence de soutien de l’Elysée à l’initiative Dry January, par exemple, ou encore rejet, en 2018, d’une proposition visant à restreindre les publicités télévisées faisant la promotion d’aliments obésogènes pour les enfants – le surpoids et l’obésité étant des facteurs de risque reconnus du cancer. Il fallait plutôt « responsabiliser les parents », comme l’ont dit des élus de la majorité.

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De même, les viandes transformées sont responsables d’au moins 4 000 cancers par an, dont une part substantielle est due à l’adjonction de sels nitrités. Là encore, les propositions du député du Loiret Richard Ramos (MoDem) de taxer ou de bannir ces produits de nos charcuteries n’ont jusqu’à présent pas été appuyées par le gouvernement. Cette affaire résume bien la question. Qui sont les premiers responsables des cancers induits par les viandes transformées : ceux qui en mangent ou ceux qui les ont rendues cancérogènes ?

Stéphane Foucart

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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