De nombreux projets routiers en cours ou en attente
Le plan de relance prévoit une enveloppe de 252 millions d’euros pour le volet routier, une somme qui ne comprend pas les nouveaux tracés.
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Alors que le gouvernement s’est engagé à « zéro artificialisation nette », les projets routiers se succèdent. Mais si ces projets de contournement ou d’« aménagement » sont légion, beaucoup dorment dans les tiroirs, attendant souvent que les financements soient trouvés.
Dans le cadre du plan de relance, 252 millions d’euros sont prévus pour le volet routier, ce qui permettra, précise-t-on au ministère de la transition écologique et solidaire, de venir en accélérer certains. Dans les semaines à venir seront étudiés les projets éligibles. Il y en aurait plusieurs dizaines d’actifs actuellement, des projets de petit contournement ou d’élargissement de voies existantes
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Les nouveaux tracés ne seraient pas compris dans cette enveloppe, précise-t-on au ministère. Ainsi, selon le ministère, on ne peut comparer le dossier du contournement de la route nationale 88 (RN 88), au nord du Puy-en-Velay (Haute-Loire), et celui de l’A 45, la nouvelle autoroute qui devait relier Saint-Etienne et Lyon, un projet abandonné par le gouvernement le 17 octobre 2018. « Dans le cadre de la RN 88, il s’agit de l’aménagement d’un tracé déjà existant, alors que l’A 45 représentait un nouvel axe. »
La liste est longue de ces chantiers qui, souvent, donnent lieu à des oppositions locales. Les plus connus sont le grand contournement Ouest de Strasbourg, 24 kilomères d’autoroute en 2 x 2 voies, avec un financement privé par Arcos, filiale de Vinci, pour un coût de 553 millions d’euros, mise en service annoncée pour 2021. Ou le contournement Est de Rouen, une autoroute de 41,5 kilomètres qui coûterait 1 milliard d’euros, dont 490 millions venant de l’Etat et des collectivités, mise en service prévue pour 2024.
Au pied d’une forteresse classée
Dans le cas de la RN 88, la région a annoncé, dès 2018, qu’elle voulait avancer vite sur ce dossier. L’Etat n’ayant pas suffisamment de moyens, les collectivités locales prennent souvent la main. Les routes nationales sont gérées et exploitées par l’Etat, mais depuis longtemps, celui-ci contractualise – avec les régions, les départements ou les métropoles – l’entretien et le suivi de ces routes.
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Certains de ces dossiers sont supervisés par la Commission nationale du débat public (CNDP) comme le projet de liaison routière Fos-Salon (Bouches-du-Rhône), soit l’aménagement d’une infrastructure routière ou autoroutière d’environ 25 kilomètres entre la zone portuaire de la commune de Fos-sur-Mer et l’A 54 au niveau de Salon-de-Provence. Le maître d’ouvrage serait l’Etat et le coût estimatif, dit la CNDP, compris entre « 272 et 533 millions d’euros en fonction des différentes options ». Ou encore l’aménagement, dans le Rhône, de l’autoroute A 46 Sud à 2 x 3 voies (au lieu des 2 x 2 voies), une section de 20,6 kilomètres entre Ternay (A 7) et Manissieux (A 43), ainsi que celui du nœud de Manissieux (sud-est de Lyon), soit environ 250 millions d’euros.
Ces projets sont parfois annulés par la justice, comme en témoigne le projet d’une rocade de contournement de 3,2 kilomètres autour de Beynac-et-Cazenac (Dordogne), au pied d’une forteresse classée du XIIe siècle, un projet vieux de trente ans. Dans ce cas, la cour administrative d’appel de Bordeaux a décidé, en décembre 2019, la démolition des infrastructures déjà construites par le département, notamment deux piles de pont dans le lit de la Dordogne. Une issue que voudraient éviter les opposants de la RN 88, en empêchant les travaux de débuter.
En Haute-Loire, divisions autour du contournement de la RN88 : « Ce projet est d’un autre temps »
Le dossier controversé du contournement de la route nationale 88 (RN88) au nord du Puy-en-Velay, en Haute-Loire. 14 000 véhicules chaque jour dont quelque 10 % de camions, un enfer pour les centaines d’habitants de ces communes rurales.
La construction d’une quatre voies éviterait de traverser des villages, un gage de sécurité et de tranquillité pour les habitants. Mais elle détruirait des espaces naturels, alors que le gouvernement s’est engagé à lutter contre l’artificialisation des terres.
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Deux images résument bien le dossier controversé du contournement de la route nationale 88 (RN88) au nord du Puy-en-Velay, en Haute-Loire. D’un côté, une file incessante de voitures et de poids lourds qui empruntent cet axe essentiel, reliant Lyon à Toulouse en passant par Albi, Saint-Etienne, et traversant les villages de Saint-Hostien et du Pertuis : 14 000 véhicules chaque jour dont quelque 10 % de camions, un enfer pour les centaines d’habitants de ces communes rurales.
De l’autre, des pentes boisées, aulnaies, frênaies… des petits rus serpentant entre des prairies humides, un riche habitat abritant des espèces protégées, parmi lesquelles le milan royal ou la loutre d’Europe et, côté végétaux, la digitale à grandes fleurs et la buxbaumie verte. De vastes zones naturelles à l’abri du suc du Pertuis, un sommet volcanique culminant à 1 097 m d’altitude, dont 140 hectares doivent être préemptés pour réaliser une quatre voies sur 10,7 km, et permettre d’éviter les bourgs de Saint-Hostien et du Pertuis.
Ce projet, qui remonte à plus de trente ans, et pour lequel la déclaration d’utilité publique (DUP) date de 1997, s’est vu conforté, le 3 septembre, par l’avis favorable à la demande d’autorisation environnementale, émis par la commission d’enquête publique: « La commission estime que l’intérêt général – la sécurité des usagers et des riverains de l’actuel tracé de la RN 88 –, le désenclavement du département et de son chef-lieu prévaut aux enjeux agricoles et environnementaux. »
Destruction de terres agricoles, de prairies et de forêts
Cet avis a été accueilli favorablement par les soutiens au projet, parmi lesquels Laurent Wauquiez, le président (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui a la maîtrise d’ouvrage de ce dossier et finance près de 90 % des 226 millions d’euros de coût – auxquels il faut adjoindre 38 millions d’euros d’une autre déviation de la RN88 aux abords d’Yssingeaux. L’Etat s’est engagé à financer 6,4 % de ce chantier, dans le cadre du contrat de plan Etat-région, et le département de Haute-Loire 6,2 %.
La commission d’enquête a recueilli 2 103 contributions, entre le 15 juillet et le 15 août. Sur ce total, écrivent les commissaires enquêteurs, 1 268 sont « clairement favorables » au projet. Pour Laurent Wauquiez, qui n’a cessé de pousser ce projet situé non loin du Puy-en-Velay, dont il fut maire jusqu’en 2016 – il est aujourd’hui vice-président de la communauté d’agglomération –, cela montre que la Haute-Loire « ne s’est pas laissée intoxiquer par des opposants venus, pour la plupart, de l’extérieur ». Sur le terrain, on retrouve chez les opposants : France Nature Environnement 43, SOS Loire Vivante, ou encore la Coordination Lutte des Sucs, un collectif de jeunes locaux…
A Saint-Hostien, sur les hauteurs du petit village, Michelle Riffard s’indigne cependant. Devant sa jolie maison en pierre entourée d’arbres, l’ex-infirmière puéricultrice de 73 ans, réfute l’argument du président de région. « De nombreux habitants et agriculteurs sont contre ce projet. Bien sûr, il faut sortir les camions de Saint-Hostien, mais pas comme ça, en détruisant autant de terres agricoles, de prairies et de forêts », avance-t-elle. Au bout de son terrain, elle indique une ligne encore virtuelle. C’est là que devra passer la quatre voies. « Il va falloir d’importantes surfaces pour compenser la perte des zones humides et d’autres surfaces naturelles, observe l’habitante de Saint-Hostien. Elles ne sont pas encore trouvées et on démarrerait quand même le chantier ? »
De nombreuses constructions sont nécessaires
Dans son avis du 20 mai, assez critique à l’encontre du projet, l’autorité environnementale soulève ce problème. Elle recommande « de préciser avant le commencement des travaux les compensations apportées par chacun des sites (…) qui auront été retenus et sécurisés ». Avant elle, le Conseil national de protection de la nature avait émis un avis défavorable, le 6 mai, « tant que ne seront pas présentées les mesures ERC [éviter, réduire, compenser] réelles, opérationnelles et pérennes (et non des intentions) ».

Ce projet nécessitera de nombreuses constructions : un viaduc de près de 300 mètres de long pour franchir une rivière, treize ouvrages d’art, la plupart permettant le passage de la faune, des murs de soutènement, des clôtures sur l’ensemble du tracé, des écrans phoniques, des aménagements paysagers… Une partie des voies sera encaissée dans le sol, ce qui conduira à extraire une quantité importante de terre. Où sera-t-elle stockée ? Sur les 3 millions de mètres cubes extraits, 1,6 million de déblais pourront être réutilisés sur place. « Les zones de mise en dépôt des matériaux excédentaires ne sont pas localisées », relève l’autorité environnementale.
Ces objections n’entament pas l’adhésion des partisans du contournement, telle la maire de Saint-Hostien, Isabelle Verdun. « Au niveau sécurité, pollution, ce n’est plus possible. Mais en même temps, j’ai des commerçants sur le trajet de la route actuelle, et je ne sais pas ce qu’ils deviendront », dit l’élue du bourg de 750 habitants.
« Désenclavement » de la région
Au cœur du village, Julien Pascal, le patron de l’hôtel-restaurant-tabac Le Meygal, qui accueille les voyageurs de passage, se dit partagé : « J’ai deux casquettes, celle du professionnel qui travaille avec la route, qui lui apporte un flux, une clientèle qui aime faire étape ici. Mais je suis habitant du village et la route est un véritable fleuve qui le coupe en deux. »
Quelques kilomètres plus au nord, au Pertuis, de nombreux habitants voudraient voir le trafic emprunter une autre voie. Mais les communes concernées par le projet veulent aussi être sûres de bénéficier d’un échangeur qui leur permettra l’accès à la future voie rapide. Et les riverains de la future quatre voies font grise mine. « C’est la nationale qui m’a amené jusqu’ici, où j’ai acheté une maison, et c’est son contournement qui m’en fera sûrement partir, assène Francis Collet, 52 ans, professeur de physique-chimie qui habite au Pertuis depuis vingt-cinq ans. Le contournement va impacter tous les habitants du coin avec les travaux qui vont durer plusieurs années. » L’achèvement du chantier est annoncé pour fin 2024.
Les partisans du projet insistent aussi sur le temps gagné – évalué pourtant à quelques minutes seulement par rapport à la route actuelle – et sur le « désenclavement » de la région. « La déviation va permettre de dynamiser ce département rural et de moyenne montagne, et notamment son chef-lieu [le Puy-en-Velay] », lit-on dans le rapport de la commission d’enquête. Un argument défendu par la députée (LR) de la circonscription, Isabelle Valentin. « Le développement économique est notable aux abords des quatre voies déjà existantes. Le problème n’est pas de gagner dix minutes, mais de sécuriser les habitants », estime la députée.
Dans ce magnifique paysage, les points de vue semblent irréconciliables. Xavier Maleysson, agriculteur à Rabuzac, est découragé. Après des années d’opposition, il craint, à l’instar d’autres agriculteurs, que le projet n’aboutisse. Eleveur de chèvres et de vaches Salers, cultivant aussi la luzerne et le blé, il fait partie des 29 exploitations agricoles qui seront impactées par le nouveau tracé. « Si ça se fait, mes terres seront coupées en deux et comme la route sera en tranchée, il y aura des passerelles, mais les bêtes n’aiment pas ça, » proteste-t-il.
« Catastrophe environnementale et sociale »
Avec Mélanie, son épouse, Xavier a accueilli dans sa ferme de Rabuzac, le 17 juin, une manifestation d’opposants. Le 17 novembre, ils appellent à manifester devant la préfecture, au Puy-en-Velay, contre « la catastrophe environnementale et sociale » que représenterait le projet. « Ce projet est d’un autre temps. On artificialise des terres alors que le gouvernement s’est engagé à zéro artificialisation nette. C’est le “tout bagnole” alors que les transports en commun ne sont pas suffisants », résume Jean-Jacques Orfeuvre, de FNE 43. Myriam Laïdounie-Denis, conseillère régionale EELV, enfonce le clou : « Avec cette somme démesurée investie par la région pour 10,7 km de quatre voies, il y a une iniquité totale entre les territoires. »
Plus globalement, l’autorité environnementale estime que « le dossier ne précise pas en quoi le projet s’inscrit dans l’objectif “zéro artificialisation nette” du territoire, ni comment il intègre et contribue à répondre à l’engagement de la France d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Le projet ne prévoit pas de mesures de compensation pour ces deux sujets ».
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L’abandon par le gouvernement du projet d’autoroute A45, en octobre 2019, attise les espoirs. Dès que l’arrêté préfectoral sera publié, des recours seront engagés, promettent les opposants altiligériens. En attendant, peut-être, des formes d’action plus directes contre le démarrage du chantier. Des risques que ne veut pas sous-estimer le nouveau préfet de Haute-Loire, Eric Etienne. « J’en appelle à la raison, le dossier est étudié depuis des années. Il existe des procédures judiciaires. S’ils [les opposants] ne sont pas d’accord, des recours existent, confie-t-il, avant la publication de l’arrêté qui doit lui permettre de lancer les travaux. Je souhaite êtretransparent et écouter tout le monde. »