Vacciner tous les adultes qui le désirent avant la fin de l’été : la promesse d’Emmanuel Macron est-elle réalisable ?
Nouveaux variants, nouveaux vaccins, nouvelles mesures de restriction : l’engagement du président devra se confronter à de nombreuses inconnues au cours des mois qui viennent.
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Depuis ses débuts, la campagne de vaccination contre le Covid-19 est vivement critiquée en France pour sa lenteur et la difficulté que rencontrent certaines personnes éligibles à accéder à la double injection. Lors de sa dernière intervention publique sur le front épidémique, le 2 février, le président Macron a formulé la promesse que « tous les Français adultes qui le souhaitent » seraient vaccinés d’ici à la fin de l’été. Il rassurait ainsi sur la montée en puissance du rythme de vaccination, tout en fixant un horizon commun où guetter la fin de l’épidémie et de ses restrictions.
Le pari est-il gagnable ? Difficile de trancher, tant les mois qui viennent ressemblent à une équation à inconnues multiples, avec de nouveaux variants, de nouveaux vaccins et éventuellement de nouvelles restrictions.
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- Combien de personnes Emmanuel Macron promet-il de faire vacciner ?
L’engagement ne concerne que les adultes, puisque les vaccins actuels ne sont accessibles qu’aux personnes de plus de 18 ans, en l’absence de données des laboratoires sur l’efficacité de leur produit sur les mineurs. La France compte environ 52 millions d’habitants de plus de 18 ans, mais l’on sait déjà que tous ne désireront pas se faire vacciner, le vaccin n’étant pas obligatoire. Pour anticiper la masse de Français sur qui l’opération devra être effectuée, il faut suivre le taux d’adhésion de la population à la campagne vaccinale.
Fin décembre 2020, Santé publique France évaluait à 40 % la proportion de Français prêts à recevoir deux piqûres contre le Covid-19 ; en janvier, ils étaient entre 56 % et 58 %, selon les sondages. L’hypothèse de travail jugée « raisonnable »par le ministère de la santé et des solidarités est, pour le moment, de viser 60 % de la population adulte à vacciner d’ici à la fin août, soit quelque 31 millions de personnes. « On anticipe plusieurs hypothèses, car on sait qu’il y a une adhésion vaccinale très évolutive », précise-t-on toutefois au ministère, qui prend également en compte un scénario à 70 %.

Selon le calendrier prévisionnel des livraisons de doses de vaccins, la France devrait avoir reçu, d’ici à la fin juin, quelque 78 millions de doses, soit de quoi assurer la vaccination de 41 millions de personnes – en prenant en compte un taux d’indisponibilité de 5 % et le fait que tous les vaccins ne nécessitent pas l’injection de deux doses. C’est-à-dire largement de quoi assurer les scénarios envisagés.
Cette montée en puissance est toutefois fortement conditionnée par l’autorisation de mise sur le marché européenne des vaccins développés par Janssen et CureVac, qui sont censés commencer leurs livraisons respectivement en avril et mai. Ces procédures semblent, pour le moment, en bonne voie. L’Agence européenne des médicaments devrait donner, d’ici au mois de mars, son feu vert au vaccin développé par Johnson & Johnson, a fait savoir, mercredi, le directeur exécutif de Janssen Italie, filiale du groupe américain. De son côté, l’entreprise de biotechnologie allemande CureVac espère avoir fini la phase 3 de ses essais cliniques d’ici à la fin du premier trimestre.
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Ce calendrier sur lequel se base l’exécutif dépend surtout du respect par les laboratoires de leur rythme de livraisons. En janvier, le retard pris par Pfizer a forcé le report de 100 000 rendez-vous. En février, Moderna a annoncé une baisse de 25 % de ses livraisons, qui devrait être compensée en mars.

Pour Pierre Parneix, praticien hospitalier en santé publique au CHU de Bordeaux, « aujourd’hui, notre stratégie est simplement le reflet d’une pénurie d’approvisionnement ». « On a des stocks d’une semaine, donc l’organisation est à flux tendu, souligne ce membre de la mission Pittet, chargée de l’évaluation de la gestion de la crise sanitaire due au Covid-19. On n’a pas de vision, on ne peut pas déployer des stratégies de vaccination massive puisqu’on ne sait pas exactement ce qu’on aura la semaine prochaine. »
- Le rythme de vaccination en France permettra-t-il de tenir cet objectif ?
Selon les données communiquées par la Direction générale de santé le 12 février, 2 220 762 personnes ont déjà reçu une première injection, soit 3,3 % de la population totale et 4,2 % de la population majeure. De plus, 617 715 ont reçu leur deuxième injection et sont désormais considérées comme vaccinées. Selon le tableau de bord du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, cela nous situe au même niveau d’avancée que les Pays-Bas et la Belgique et même devant les voisins allemand et espagnol.

A titre de comparaison, le Royaume-Uni a déjà injecté une dose à près de 20 % de sa population, en adoptant une stratégie bien différente, qui consiste à administrer le plus possible de premières doses, quitte à ne pas assurer au plus vite une immunité vaccinale complète à sa population.
La consigne ministérielle aux centres de vaccination est de proposer des rendez-vous six jours sur sept, il faudrait donc être en mesure de réaliser dès maintenant près de 330 000 injections par jour pour tenir l’objectif de 31 millions de personnes vaccinées avant le 31 août. Cela nécessiterait une forte montée en puissance, puisque, actuellement, le rythme tourne plutôt autour de 130 000 injections en semaine avec une grosse baisse le week-end. En moyenne, on estime donc l’effort vaccinal actuel à 80 000 injections par jour.

Multiplier par trois ou quatre la capacité effectrice des centres est un défi de taille que le ministère espère relever en ouvrant plus de centres et peut-être en développant des systèmes de drives ou de barnums. L’arrivée du vaccin d’AstraZeneca, qui ne nécessite pas de supercongélateur pour sa conservation, permet aussi de mobiliser la médecine de ville dès fin février, par le biais des médecins généralistes et, plus tard, dans les officines de pharmacie.
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- Quel objectif viser pour atteindre l’immunité collective ?
L’immunité collective est atteinte quand la part de population immunisée naturellement ou par la vaccination est suffisante pour permettre l’extinction d’une épidémie. Comme l’explique Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS au laboratoire maladies infectieuses et vecteurs de Montpellier, le seuil pour l’immunité collective du Covid-19 varie entre 40 %, selon l’hypothèse très optimiste, et 80 %, pour l’hypothèse pessimiste. Si l’objectif est de contrôler l’épidémie tout en maintenant les mesures de contrôle actuelles, on peut viser 10 %. Cela impliquerait toutefois de continuer à vivre avec le couvre-feu, les gestes barrières et la fermeture de nombreux lieux.
Dès le seuil de 40 % de la population, soit 27 millions de Français vaccinés, le risque de vague épidémique s’éloigne. « Mais cette immunité à 40 % ne peut pas vous prémunir contre la résurgence de petites épidémies, surtout à la faveur de déplacements transitoires comme les vacances qui sont des moments de brassage », nuance Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses à l’université de Montpellier.

Par ailleurs, il faut rester prudent, même si l’on atteignait les prévisions de 41 millions de personnes vaccinées en juin : tout dépendra de l’effet des vaccins sur la transmission du virus et du rythme de développement des variants, qui pourraient impliquer de vacciner davantage pour arriver au même résultat.
Il ne faut pas oublier que les vaccins déployés jusque-là dans le monde sont jugés « imparfaits », car ils préviennent des formes graves du Covid-19 mais ne bloquent pas complètement la transmission du virus, faisant des personnes vaccinées des « porteurs sains ». « Quand on prend en compte ce facteur, on aboutit au fait qu’il faudra une année avant d’aboutir à une immunité de 40 % avec une véritable efficacité, c’est-à-dire sans contagion », explique Mircea Sofonea.
- L’arrivée de nouveaux variants conduit-elle à un schéma vaccinal à trois doses ?
La stratégie actuelle est encore compliquée par la diffusion de nouveaux variants dans le monde, auxquels n’échappe pas le territoire français. Selon Pfizer-BioNTech, Moderna et AstraZeneca, leurs vaccins sont efficaces contre le variant identifié au Royaume-Uni, qui va devenir dominant en France dans les semaines ou mois à venir. Face au variant sud-africain, leur efficacité est moindre et même jugée insuffisante en Afrique du Sud en ce qui concerne le vaccin d’AstraZeneca (le pays a suspendu sa campagne). Qu’en sera-t-il face à de futurs variants ?
Le risque d’une campagne vaccinale lente est qu’elle favorise l’émergence de nouveaux variants. « Plus le virus circule, plus il y a de mutations, plus le virus aura de chances de s’adapter à des changements d’environnement », explique Mylène Ogliastro, vice-présidente de la Société française de virologie. C’est pourquoi, selon la chercheuse, il faut « développer la vaccination du mieux qu’on peut et contenir la circulation épidémique par tous les moyens, le temps qu’on ait des vaccins adaptés pour compléter la première vaccination ».
Se profile alors un schéma vaccinal à trois doses, la troisième étant « un boost immunitaire adapté aux nouveaux variants ». « Cette dose de réactualisation sera la clé pour nous garantir une protection sur le long terme, voir enfin le bout du tunnel et retrouver les habitudes prépandémiques », confirme Mircea Sofonea.
Car l’objectif à long terme est bien de sortir définitivement de l’épidémie et même de la pandémie. Selon les modèles, les vaccins bloquant la virulence mais pas la transmission du virus – comme ceux utilisés aujourd’hui – ont plus de chances de sélectionner des souches virulentes. Cet effet de l’évolution probable du virus sera principalement ressenti par les individus non vaccinés.
« On continuera malheureusement de parler du Covid-19 en 2022, parce qu’il y aura toujours des personnes qui ne seront pas vaccinées, donc il faudra toujours surveiller cette pathologie, même si elle ne représente pas systématiquement un risque épidémique », conclut Mircea Sofonea.
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