Covid-19 : Spoutnik V, le vaccin qui fait la fierté des Russes et dont l’Europe se méfie
Relativement peu coûteux, plus facile à conserver et à transporter que d’autres, le vaccin russe affiche des performances insolentes contre le Covid-19. Mais les scientifiques restent divisés et l’Europe hésite à l’utiliser.
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Appelons cela le karma. Ou un clin d’œil du destin qui se vengerait d’avoir été trop brusqué. Ce mardi 2 février, Spoutnik V triomphe enfin, après tant de doutes et d’avanies. The Lancet, la revue médicale, publie ce jour-là des conclusions sans appel : le vaccin russe est efficace à plus de 91 % contre les formes symptomatiques du Covid-19, ce qui le place dans le peloton de tête mondial. Et l’Europe se trouve confrontée à un dilemme : l’accueillir, ou non, dans la famille des remèdes tant attendus.
Dans un commentaire joint à l’étude, la revue note, comme un rappel des épisodes précédents : « Le développement du vaccin Spoutnik V a été critiqué pour sa précipitation, le fait qu’il ait brûlé des étapes et une absence de transparence. Mais les résultats rapportés ici sont clairs et le principe scientifique de cette vaccination est démontré. » Une bonne tolérance avec des effets indésirables très limités, une efficacité impressionnante proche de celle des deux vaccins à ARN messager, et même une protection évaluée à 73 % quinze jours après la première dose : Spoutnik V affiche des performances insolentes.
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Ce même 2 février, pourtant, ce ne sont pas ces résultats favorables qui font la « une » de la presse mondiale, mais l’emprisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny, condamné à trois ans et demi de prison, quelques mois seulement après avoir été victime d’un empoisonnement. A peine trois jours plus tard, la patrie russe se tire elle-même une balle dans le pied. En visite à Moscou, vendredi 5 février, Josep Borrell ne tarit pas d’éloge sur le vaccin russe : le chef de la diplomatie européenne salue une « bonne nouvelle pour l’humanité » et dit espérer que l’Agence européenne des médicaments (AEM) pourra certifier rapidement le Gam-Covid-Vac, son nom officiel. Mais c’est l’expulsion de trois diplomates européens par Moscou, annoncée le même jour, qui monopolise cette fois l’attention.
« V » comme « Victory »
Science, politique, géopolitique. Le triptyque, classique depuis l’époque soviétique, semble indissociable du destin de Spoutnik V, qui pourrait bien devenir l’un des succès les plus marquants de ces dernières décennies pour la Russie. Relativement peu coûteux (environ 20 dollars − 16 euros − les deux doses), plus facile à conserver et à transporter que ses concurrents Pfizer-BioNTech et Moderna, le vaccin russe est prêt à partir à l’assaut du monde, au-delà des marchés qui lui paraissaient d’abord destinés, pays émergents et Etats amis.
Sa première apparition médiatique date du 11 août 2020, et c’est Vladimir Poutine en personne qui se charge des présentations, à une époque où l’on n’évoque guère la possibilité de voir un vaccin utilisable avant l’automne. Aussi triomphal que peut le permettre le cadre un peu terne d’une visioconférence, le chef du Kremlin annonce « le premier enregistrement au monde » d’un vaccin contre le Covid-19.
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En réalité, il s’agissait de l’autorisation de passer à l’étape 3 des tests, déjà franchie par les firmes chinoises CanSinoBio ou Sinopharm quelques semaines plus tôt, et par Moderna et Pfizer-BioNTech dès la fin juillet, plutôt que d’un enregistrement. Peu importe : la Russie doit être la première et son produit est « le meilleur », insiste le président russe. Et s’il restait des doutes, le nom choisi est là pour les lever : Spoutnik rappelle l’exploit soviétique de 1957, l’envoi du premier satellite dans l’espace. Le « V », comme « Victory » en anglais, est là pour marquer la victoire.
L’optimisme russe n’a rien d’étonnant. Le pays s’appuie sur une tradition vaccinale ancienne et établie. Dans les années 1950 et 1960, l’Union soviétique s’est même retrouvée en pointe s’agissant de la vaccination contre la poliomyélite. Son vaccin « vivant » s’était avéré plus efficace et plus facile à utiliser que ses homologues « à virus inactivé » fabriqués en Occident.
Technique du « vecteur viral »
Face au Covid-19, plusieurs instituts de recherche ont été mobilisés, y compris l’institut sibérien Vektor, à l’origine d’un deuxième vaccin russe encore en phase de tests. Le premier à annoncer des résultats positifs, dès mai 2020, est le centre Gamaleïa, dépendant du ministère de la santé. Dirigé par le biologiste Alexandre Guinzbourg, le laboratoire enregistrait des recherches prometteuses, dès 2014, sur un vaccin contre le virus Ebola. Il ne put toutefois jamais achever la totalité des tests réglementaires.
Spoutnik V s’appuie, lui, sur la technique du « vecteur viral ». Cette dernière, comme pour les vaccins à ARN messager, consiste à injecter une instruction génétique dans nos cellules et à les laisser produire l’antigène qui va lancer la réponse immunitaire. Sauf qu’il s’agit ici non pas d’ARN mais d’ADN, inséré dans le génome d’un adénovirus. C’est ce virus rendu inoffensif qui va porter le bout de ruban génétique jusqu’au noyau des cellules… et se désintégrer. Le fragment d’ADN de SARS-CoV-2 est alors pris en charge par la machinerie cellulaire pour produire l’antigène, en l’espèce, la fameuse protéine Spike.Eclairage : Comment fonctionnent les futurs vaccins contre le Covid-19
Les Russes ont adopté le même principe que les Anglais avec le vaccin AstraZeneca. Comme eux, ils prévoient deux injections pour renforcer et faire durer la réponse immunitaire. Mais là où les chercheurs d’Oxford utilisent deux fois le même cargo pour transporter leur marchandise génétique, ceux de l’institut Gamaleïa changent de vecteur : la première injection s’appuie sur l’adénovirus Ad26, la seconde sur Ad5. « C’est assez malin, commente Jean-Daniel Lelièvre, chef du service immunologie clinique et maladies infectieuses à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Cela permet d’éviter que des anticorps spécifiques contre le vecteur apparus après la première injection ne risquent de ruiner l’effet de la seconde. »
« Fiable comme une kalachnikov »
Les éléments prometteurs, que la plupart des scientifiques n’excluent pas, sont ainsi posés. Mais l’empressement russe les inquiète, tout comme le caractère éminemment politique des déclarations de Moscou. Les observateurs sont aussi échaudés : depuis plusieurs années, l’association entre la science et l’Etat russe évoque plus volontiers empoisonnements politiques ou dopage institutionnalisé…
Pour Spoutnik V, le décollage s’avère laborieux. Le 4 septembre 2020, une première étude parue dans The Lancet, à l’issue des phases 1 et 2 de l’essai clinique, pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Trois jours après, une trentaine de chercheurs réclament publiquement des éclaircissements devant des données jugées « incohérentes ».
L’échantillon retenu pour les tests de la phase 3, ensuite, apparaît particulièrement mince. Le protocole même de l’essai russe n’a pas été rendu public, contrairement à ceux de Pfizer-BioNTech, de Moderna ou d’AstraZeneca qui indiquaient le niveau de leurs points d’étape. Autre pratique inhabituelle, Moscou lance la vaccination de milliers de personnes issues de groupes à risque (des personnels soignants en premier lieu) en parallèle avec la conduite de la phase 3 des tests.
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Pour compenser ces déconvenues, la machine d’Etat est mobilisée. Les télévisions évoquent plus volontiers les perspectives riantes offertes par le vaccin que la réalité dans les hôpitaux russes. Selon la formule d’un talk-show qui fera date, Spoutnik V est assimilé à une autre fierté nationale : pendant que les vaccins occidentaux seraient « chers et capricieux », Spoutnik V, lui, serait « facile à manipuler et fiable comme une kalachnikov ».
Vedettes et ministres se font filmer en train de se vacciner. Vladimir Poutine, qui n’a, à ce jour, toujours pas reçu d’injection, indique que l’une de ses filles fait partie des cobayes de la phase 3, même si aucune image n’est diffusée. Les doutes exprimés par les scientifiques, ou leurs demandes d’éclaircissement, sont balayés comme étant le simple résultat de l’éternelle « guerre de l’information » menée contre la Russie, ou de la « russophobie ».
Contrats avec des pays amis
Malgré les ambitions affichées de Moscou, les premiers résultats de Spoutnik V à l’export restent timides. Dès la fin 2020, le fonds souverain russe qui a financé le développement du vaccin assurait qu’une cinquantaine de pays était intéressés, pour un total de 1 milliard de vaccins, soit 2 milliards de doses. Mais ces promesses vont mettre du temps à se concrétiser. Biélorussie, Venezuela, Bolivie, Algérie, Serbie… Les premiers pays à passer des contrats pour Spoutnik V sont pour l’essentiel des pays amis. Le vaccin russe peine à perdre son image de solution « light », du nom d’une nouvelle version conçue spécialement à destination des pays les plus pauvres − avec une seule dose et l’objectif prioritaire de faire reculer la mortalité.
Il faut dire aussi que la gestion russe du Covid-19 ne plaide pas en faveur de la réussite scientifique. Dès le printemps 2020, les chiffres de contamination et de mortalité en Russie apparaissent comme hautement suspects, et le pouvoir déploie une énergie inouïe à empêcher les informations d’arriver des régions où la situation dans les hôpitaux est catastrophique. Il faudra attendre fin décembre, et la publication de chiffres attestant d’une surmortalité importante, pour que le gouvernement reconnaisse avoir sous-estimé de quatre ou cinq fois la mortalité du Covid-19, sans pour autant changer ses méthodes de comptage. Ultime avatar national : le scepticisme n’épargne pas la population russe. En septembre, un magazine médical concluait que seulement 24 % des médecins interrogés étaient prêts à recevoir les deux doses du Spoutnik V.
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A l’étranger, tout au long de son développement, le vaccin russe n’a pas cessé non plus de susciter une grande méfiance chez les scientifiques occidentaux. Lorsque Vladimir Poutine a donné le coup d’envoi à Spoutnik V, aucune donnée sérieuse n’avait encore été publiée. La fameuse phase 3, celle qui vérifie l’efficacité et la sécurité du produit sur un grand nombre de volontaires, n’avait pas même commencé. « Une décision imprudente et inconsciente, dénonçait alors, dans la revue Nature, le généticien François Balloux, de l’University College, à Londres. Mener une campagne de vaccination avec un vaccin insuffisamment testé n’est pas éthique. Le moindre problème serait désastreux à la fois sur le plan sanitaire, mais aussi pour son impact sur la confiance de la population envers la vaccination. »
« Je ne sais pas trop ce que font les Russes mais c’est sûr que je ne prendrais jamais un vaccin qui ne serait pas passé par une phase 3 », tweetait pour sa part Florian Krammer, virologue à l’Icahn School of Medicine de New York. Même à Moscou, Svetlana Zavidova, responsable de l’association russe des essais cliniques, jugeait cette décision « ridicule ».
« Une grande expérience »
Un mois plus tard, en septembre, la publication dans The Lancet des résultats des essais de phase 1 provoquait une nouvelle controverse. Seize chercheurs occidentaux, conduits par l’Italien Enrico Bucci, professeur associé de biologie à la Temple University de Philadelphie et militant actif de « l’intégrité scientifique »,publiaient, dans la revue, une correspondance faisant état de « plusieurs sujets d’inquiétude » concernant l’article russe. Des figures trop similaires, des données manquantes, un flou généralisé quand au profil des « convalescents » auxquels les chercheurs russes avaient comparé leurs volontaires vaccinés afin d’établir la performance de leur produit à neutraliser le virus, ou encore des contradictions sur les dates de recrutement de ces volontaires et de leur suivi. « Ils ont écrit en retour mais sans jamais répondre à nos critiques ni donner l’accès à leurs données », regrette le biologiste italien.

Le climat dans lequel est accueilli le produit russe semble pourtant avoir évolué depuis la publication libératrice, le 2 février, toujours dans The Lancet, des résultats de l’essai de phase 3. « Ce sont des résultats indiscutablement bons, et il n’y a pas de raison de douter de leur véracité, admet Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie médicale au CHU de Bordeaux. Mais il faudrait que nous puissions accéder à l’ensemble des données. Si les Russes veulent être habilités en Europe, il faudra qu’ils les présentent à l’AEM. Si c’est le cas et que l’AEM valide, je n’aurai aucune réserve. » « Autant l’article de septembre avait suscité des réserves, autant celui-là me semble tout à fait compatible avec ce que l’on doit attendre, renchérit Odile Launay, directrice du centre de vaccinologie Cochin-Pasteur. Les Russes ont une grande expérience dans la recherche en vaccination. Je ne vois aucune raison de ne pas leur faire confiance. »
L’infectiologue relève toutefois qu’avec à peine 11 % de volontaires de plus de 60 ans, l’équipe de Spoutnik V n’a pas été beaucoup plus loin que celle d’Oxford-AstraZeneca pour tester son vaccin sur les populations les plus à risque.
« Absence de transparence »
Expert auprès de la Haute autorité de santé (HAS), Jean-Daniel Lelièvre se montre davantage réservé et fait part de plusieurs « questionnements ». D’abord, la définition des malades du Covid-19 choisie par les chercheurs russes ne lui paraît « pas claire du tout ». Les pertes de goût et d’odorat ne font, par exemple, pas partie des symptômes retenus. Il s’étonne également des résultats enregistrés quinze jours après la première dose, « très supérieurs au vaccin de Janssen [filiale de Johnson & Johnson] alors que les plates-formes sont identiques ». L’expert s’interroge également devant l’évolution des deux groupes de volontaires à partir du 21e jour suivant la première injection. Sans surprise (pour un vaccin efficace), le nombre d’infection y chute parmi les vaccinés. Mais, dans le même temps, « il grimpe brutalement dans le groupe placebo », sans explication convaincante, ce qui aboutit à doper les performances de Spoutnik.
Le tableau de synthèse : Comparez l’avancée des différents vaccins contre le Covid-19
Enrico Bucci et ses collègues ne sont pas non plus tout à fait convaincus. Sceptiques en septembre, ils persistent en signant, le 9 février, un article faisant état de « nouvelles préoccupations sur le vaccin Spoutnik ». Cette fois, ils signalent des incohérences dans la taille affichée des échantillons mais aussi dans certains résultats et s’interrogent sur « quatre décès » intervenus pendant l’essai : « deux seulement font l’objet d’explications suffisantes ». Surtout, ils insistent sur « l’absence de transparence » de l’équipe russe.
Et les scientifiques de conclure : « Alors que l’on attend du vaccin Spoutnik un certain degré d’efficacité et de sécurité, toute comparaison avec d’autres produits est exclue, de même que toute évaluation solide par la communauté scientifique sur la base des articles publiés par The Lancet, jusqu’à ce qu’une véritable divulgation des données ait lieu. »
Présidente du comité vaccin Covid-19 mis en place par le gouvernement en France, la virologue Marie-Paule Kieny affirme, pour sa part, n’être « pas surprise »par les bons résultats affichés par Spoutnik V. « J’ai conduit une mission en Russie en novembre [2020] et nous avions vu leurs données sur les animaux comme sur les humains. La mission était arrivée à un consensus sur le fait que leur projet était convaincant. Dans sa conception, avec ces deux adénovirus différents utilisés pour les deux injections, et dans les données présentées. » Le défaut de transparence avancé par ses détracteurs ? « Vous avez vu toutes les données des autres ? Moi pas. Il serait dommage d’avoir un préjugé contre ce vaccin parce qu’il est russe. »
Retards de livraison
Pour cette spécialiste, le vrai handicap de Spoutnik V tient à sa production. « L’institut Gamaleïa fait de la recherche, pas de la production à grande échelle. Ils ont passé des accords avec des fabricants locaux ou des producteurs internationaux de médicaments génériques mais il va être complexe de s’assurer de l’homogénéité du produit. Or, c’est aussi cela que regardent les agences de régulation, pas juste l’efficacité de la phase 3 mais tout le processus, du matériel de laboratoire utilisé pendant les essais jusqu’au développement industriel. Et ça, ça peut prendre du temps. »
Après les doutes, la Russie a eu, en effet, à affronter une autre difficulté s’agissant des capacités de production. A la base, les règles établies par Moscou étaient claires : les doses produites en Russie par six producteurs agréés sont réservées au marché russe. Celles pour l’export le sont uniquement à l’étranger, dans huit pays partenaires, dont cinq connus jusqu’ici : le Kazakhstan, l’Inde, la Chine, la Corée du Sud et le Brésil.

Une partie des vaccins semble toutefois être bel et bien expédiée depuis la Russie. C’est par exemple le cas des flacons destinés à l’Argentine, et là aussi les retards de livraison sont importants : au lieu des 5 millions de doses prévues pour le seul mois de janvier, seulement 600 000 l’avaient été début février.
A la même date, un total de 1,1 million de doses avaient été livrées à l’étranger. En Russie même, la campagne de vaccination, efficace à Moscou, se révèle plus poussive dans les régions. Selon les chiffres officiels, plus de 2 millions de personnes avaient reçu au moins une des deux doses du vaccin. Certains observateurs estiment toutefois ces chiffres gonflés, car ne correspondant pas aux statistiques établies par les régions elles-mêmes.
Dès l’origine, Moscou a cherché à nouer des partenariats, notamment en Europe, permettant à la fois d’augmenter les capacités de production de Spoutnik V et de donner plus de crédibilité à son image. En novembre 2020, Vladimir Poutine avait ainsi proposé à Emmanuel Macron une coopération en ce sens, lors d’une conversation téléphonique mais, malgré une visite à Moscou d’une délégation de l’Institut Pasteur, l’affaire en était restée là.
« Diviser les Européens »
Depuis la parution de la dernière étude de The Lancet, cependant, et en dépit des interrogations persistantes de plusieurs scientifiques, les Européens, qui, jusque récemment cachaient à peine leur scepticisme à l’égard du vaccin russe, ont commencé à le considérer d’un autre œil. Alors qu’ils sont eux-mêmes confrontés à des difficultés de livraison et que la stratégie de vaccination de la Commission fait l’objet de nombreuses critiques, voilà que, de Paris à Berlin, en passant par Bruxelles, on n’exclue plus d’acheter, un jour, du Spoutnik.
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« Si les producteurs russes, chinois ouvrent leurs dossiers, montrent de la transparence (…), alors ils pourraient obtenir une autorisation conditionnelle de mise sur le marché comme les autres », a ainsi expliqué, le 2 février au soir, devant des parlementaires européens, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. S’ils en font la demande à l’AEM, leur vaccin sera analysé « de manière scientifique et indépendante. Ce n’est pas une décision politique mais scientifique », a pour sa part déclaré Emmanuel Macron, le même jour, lors d’un entretien télévisé. La veille, la chancelière allemande Angela Merkel n’avait pas dit autre chose : « Tous ceux qui obtiennent une autorisation de l’Agence européenne des médicaments seront absolument bienvenus, j’ai parlé précisément de ce point avec le président russe. »
Rares sont les voix, en Europe, qui continuent à exprimer leurs réticences par rapport au vaccin russe à quelques exceptions près, dont fait partie la première ministre lituanienne. « Je ne suis pas convaincue des bonnes intentions du Kremlin qui voudrait partager le Spoutnik pour enrayer la propagation du virus », a ainsi confié Ingrida Simonyte au site Politico, le 8 février. « Malheureusement, Spoutnik vient avec beaucoup de propagande et l’ambition, même pas cachée, de diviser les Européens et leurs partenaires, au sud et à l’est », poursuivait-elle. Avant de conclure : « Oui, nous manquons de vaccins. Mais je crois au pouvoir de l’Europe et à l’honnêteté des producteurs de vaccins des deux côtés de l’Atlantique. »
Tentative de « clarification »
Pour l’heure, l’AEM n’a pas été saisie d’une demande formelle d’autorisation de mise sur le marché du vaccin Spoutnik V − ni même de démarrage d’une rolling review, cet examen des données en continu, qui la précède −, mais d’une demande de conseil scientifique permettant d’entamer des discussions entre l’entreprise et l’agence communautaire. Une démarche qui constitue généralement l’étape préparatoire à l’introduction formelle d’une demande d’autorisation de mise sur le marché. « Un rendez-vous a eu lieu il y a environ trois semaines avec des représentants de l’entreprise, afin de discuter de la suite », précise-t-on laconiquement à l’AEM. « A mon avis, pour l’instant, ces deux-là se regardent comme deux chiens dans un jeu de quilles », s’amuse un fonctionnaire européen.
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Dans une tentative de « clarification », mercredi 10 février, l’agence a précisé que le vaccin russe faisait partie de la liste des 26 projets qui reçoivent ses conseils sur les bonnes pratiques exigées par l’institution et dit échanger et collaborer avec la partie russe pour définir les prochaines étapes. « Les développeurs ont manifesté leur intérêt à bénéficier de la procédure d’examen continu (…) réservée aux projets les plus prometteurs », précise-t-elle. Mais rien de formel, pour l’heure.
Dans tous les contrats qu’elle a signés avec des laboratoires pour leur acheter des vaccins, la Commission a tenu à ce que les doses concernées soient produites en Europe. Si jamais Spoutnik V devait obtenir une autorisation de mise sur le marché européen, pour vendre des doses à l’exécutif communautaire, il lui faudrait faire en sorte de respecter ce point du cahier des charges. Berlin a déjà indiqué étudier des collaborations avec des sites allemands, et Vienne avec des usines autrichiennes.
En attendant, le vaccin Spoutnik V a déjà un pied en Europe. La Hongrie l’a en effet autorisé − tout comme elle a autorisé celui du chinois Sinopharm −, en activant une procédure d’urgence généralement réservée à des cas exceptionnels. La saga Spoutnik continue.
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Nathaniel Herzberg, Benoît Vitkine(Moscou, correspondant), Isabelle Mandraud et Virginie Malingre(Bruxelles, bureau européen)