Liberté, légèreté, fluidité : les nouvelles lois de la mobilité urbaine
Les mouvements sociaux, la lutte contre la pollution ainsi que le coronavirus ont décidé les citadins à reprendre leur mobilité en main. Les nouveaux moyens pour se déplacer en ville prolifèrent et posent de nombreux défis aux élus et aux autres usagers.

Chevauchant la selle d’un monocycle, une jeune femme pédale dans le quartier de la Part-Dieu, à Lyon. Assises à califourchon à l’arrière d’un drôle de vélo allongé piloté par leur mère, les pieds calés sur un repose-pied en bois, deux petites filles profitent du paysage urbain de Toulouse. Un skate électrique, petites lumières rouges clignotantes, file sur les quais de la Seine, à Paris. Plus loin, un homme en imperméable noir et en casque de moto, juché sur une seule roue, se propulse comme une fusée supersonique, tandis qu’un cycliste promène son chien dans une remorque accrochée derrière son vélo.
Les objets roulants non identifiés ont envahi les villes : cruiser (petit skate), triporteur doté d’un caisson, trottinette multicolore, hoverboard (planche à deux roues latérales), « fatbike » aux pneus aussi imposants que des bouées de sauvetage, et puis les bons vieux rollers. On a même aperçu, zigzaguant dans une rue étroite, une drôle de trottinette à trois roues sur laquelle un livreur avait empilé plusieurs dizaines d’exemplaires du Monde, qu’il filait porter en temps et en heure à des lecteurs.
Transport individuel
Le profane s’y perd un peu. Mais à quoi roulent tous ces trucs ? Qui sont ces gens si pressés ? Tous arborent en tout cas, malgré l’incongruité de leur moyen de transport, le visage impavide de celui qui se déplace pour un motif impérieux. Ce n’est pas parce qu’on roule sur un gros vélo jaune auquel a été soudé un chariot de supermarché surmonté d’une guirlande scintillante qu’on va sourire aux passants.
Comme si les citadins, confrontés à une incertitude pesante, avaient décidé de reprendre en main un aspect de leur vie que toutes les restrictions ne sauraient leur enlever : le choix de leur mode de déplacement.
On ne sait plus très bien si cette profusion de machines roulantes nous replonge dans un passé mythifié (avec les monocycles) ou dans un futur hyperbolique (avec les roues électriques). Aussi divers soient-ils, ces objets présentent plusieurs caractéristiques communes. D’abord, ce sont des modes de transport individuels. Une enquête auprès de 4 500 personnes publiée, en janvier, par deux sociétés de conseil, Chronos et L’Obsoco, a confirmé la montée en puissance, en 2020, du déplacement solitaire, que ce soit en voiture, sur un scooter, à vélo ou à pied. Comme si les citadins, confrontés comme tout le monde à une incertitude pesante, avaient décidé de reprendre en main un aspect de leur vie que toutes les restrictions ne sauraient leur enlever : le choix de leur mode de déplacement.
Avalant les pistes et les bandes cyclables, tous se meuvent au moins aussi vite qu’une voiture, dont la vitesse moyenne ne dépasse pas, en ville, 15 km/h. Les utilisateurs apprécient également la légèreté de leurs engins, facteur de liberté et de fluidité. « Les problèmes de circulation, la continuité des pistes cyclables, les grèves dans les transports, la volonté de réduire la pollution et, enfin, la pandémie ont amené nos adhérents à choisir un mode peu encombrant et non polluant »,assure Philip Roche, président de l’Association nationale des utilisateurs de micro-mobilité électrique, qui rassemble les fans de trottinettes, hoverboards et gyroroues.
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Aujourd’hui, parmi les engins qui cheminent sans vrombir dans les villes, près de neuf sur dix peuvent être rangés dans la catégorie des vélos. Au milieu de cette myriade d’instruments roulants émergent diverses familles de « vélo-cargos », conçus pour transporter des sacs de courses ou des enfants. Cette solution, adaptée au « dernier kilomètre » cher aux logisticiens, est aussi privilégiée par un nombre croissant d’entrepreneurs, qui se libèrent ainsi des bouchons, du stationnement et du carburant.
Si tous ces engins roulent, quand c’est possible, sur les pistes cyclables, leurs utilisateurs continuent d’adresser aux collectivités des demandes parfois concurrentes. Les usagers des gyroroues, des skates ou des trottinettes appréhendent les moindres fissures, racines d’arbre et autres plaques d’égout, dont les cyclistes s’accommodent davantage.
Engorgement des aménagements existants
A l’inverse, l’usage du vélo requiert des arceaux de stationnement en nombre, à proximité des lieux de destination comme des logements. Pour accrocher les volumineux « cargos », il faut ficher des attaches au sol, comme il en existe déjà quelques-unes à Strasbourg ou à Bordeaux. « La métropole de Lyon finance le stationnement pour les cargos, destinés aussi bien aux livraisons, à proximité des commerces, qu’aux particuliers », assure Fabien Bagnon, vice-président (divers gauche) de la métropole. Sous la gare Montparnasse, à Paris, un parking à vélos de 357 places inauguré en novembre 2020 en propose une douzaine pour les vélos larges. Même Vannes, 53 000 habitants, prend en compte les nouvelles mobilités pour aménager ses futurs parkings.
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Les usagers, qu’ils se déplacent en skate, en biporteur ou à vélo pliant, se rejoignent pour réclamer « davantage de pistes cyclables », qui seront nécessairement tracées, dans les secteurs denses, au détriment du trafic motorisé. Livreur à Lyon, Guilhem Athiel constate l’engorgement des aménagements existants : « Nous faisons tout pour trouver des solutions de livraison urbaine avec des vélos qui se faufilent dans le trafic, mais nous croisons des 4 x 4 de plus en plus gros. »
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Les élus comme les autres usagers devront en tout cas s’habituer à ces exigences. Comme l’a révélé une étude de l’Insee publiée mi-janvier, 42 % des déplacements de moins de 1 kilomètre entre le domicile et le travail sont encore effectués en voiture. Mais l’usage du vélo a gagné 50 % entre 2015 et février 2020. Les objets roulants plus ou moins identifiés sont prêts à prendre la relève de l’automobile.
A Nantes, Nielsen Concept mise sur un abri vélo intelligent, solidaire et 100 % écolo
Par Yan Gauchard
Publié le 25 juin 2020 à 01h34 – Mis à jour le 25 juin 2020 à 07h02
FACTUEL
Cette start-up recycle des conteneurs maritimes pour les transformer en garages à vélos sécurisés, accompagnés de multiples services. D’ici à la fin de l’année, un logiciel convertira les kilomètres avalés en économie de CO2 réalisée. Elle remporte le prix de l’innovation urbaine 2020 du « Monde »-Cities, dans la catégorie « Mobilité ».Les Prix de l’innovation urbaine « Le Monde »-Cities
Pour la cinquième année consécutive, Le Monde décerne ses Prix de l’innovation urbaine-« Le Monde » Cities. Soixante et un projets ont été soumis au jury par un comité de sélection composé de personnalités du monde entier, experts des mutations urbaines : élus, chercheurs, dirigeants d’entreprise ou de fondations, architectes, urbanistes…
Formé des journalistes du Monde qui suivent au quotidien les champs couverts par ces prix, le jury, présidé par Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, a récompensé des innovations développées à l’initiative de municipalités, d’entreprises, de start-up comme d’associations, d’ONG, de fondations, de citoyens ou groupes de citoyens, dans cinq catégories : mobilité, énergie, habitat, urbanisme, participation citoyenne. Le Grand Prix, doté de 20 000 euros, a été décerné, parmi ces cinq projets, à celui qui se distingue particulièrement par son approche innovante, l’ampleur de son impact potentiel et sa possibilité de reproduction.
Comment transformer un monstre de métal de deux tonnes – conteneur maritime faisant partie du paysage du port de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) – en casemate parée de vertus écologiques ? A Nantes, la start-up Nielsen Concept a développé, en guise de réponse ingénieuse, un abri vélo « sécurisé et intelligent », comme le qualifie Nicolas Salmon, cofondateur de la société. Le dispositif, baptisé Mobilypod, se veut bien plus qu’un banal garage à vélos inviolable, accessible 24 heures sur 24 grâce à un digicode autonome : la société se fait fort d’agrémenter cette « bonbonnière à vélos » d’une profusion de services, selon les besoins de ses clients : réservation d’emplacements à l’avance, mise à disposition et gestion d’une flotte de deux-roues électriques, recharges de batteries, atelier de réparation, douches…
Le concept, destiné aux entreprises et aux collectivités, se veut « 100 % vert ». Grâce à un partenariat noué avec l’entreprise Wattway, filiale de Colas, les Mobilypod sont parés de dalles photovoltaïques assurant l’alimentation de l’abri en électricité, donc la recharge des batteries des vélos entreposés.
Inspiration scandinave
Nicolas Salmon a puisé un certain nombre de ses idées auprès des pays d’Europe du Nord. Nielsen Concept décline d’ailleurs le patronyme nordique de la cofondatrice de l’entreprise : « Nielsen, c’est le nom de ma femme, native du Danemark, précise M. Salmon. On s’inspire beaucoup de la culture vélo de ce pays pour alimenter nos réflexions ».
La stratégie élaborée fait de l’entreprise un véritable couteau suisse, capable de s’adapter « à chaque problématique relative à la question des mobilités douces ». Le Mobilypod peut ainsi accueillir en son sein vélos, trottinettes ou scooters électriques. La start-up mise aussi sur la mise à disposition de vélos cargo ou de cycles aménagés pour le transport de personnes à mobilité réduite. Et comme le maître-mot, ici, est l’adaptabilité, Nielsen Concept peut garnir son parc de sa propre gamme de produits.

Le cercle vertueux est assuré à toutes les étapes de la chaîne : l’assemblage des vélos – danois évidemment – de Nielsen Concept est réalisé localement par des salariés d’ateliers d’insertion. Et en amont de la filière, des entreprises de travail adapté se chargent de concevoir le portail d’accès aux abris vélos. « Au-delà de l’envie d’apporter des réponses utiles pour la promotion de moyens de transports décarbonés, l’idée était de concevoir un projet ayant du sens de A à Z, fait valoir M. Salmon. En tant que responsables de société, renvoyer l’ascenseur à des gens ayant besoin d’un coup de pouce était une évidence à nos yeux ».
« Le vélo est devenu désirable »
L’entreprise, qui affiche une capacité de production de 200 abris vélos par an, vise « 1,2 million de chiffre d’affaires » en 2021. Pour l’heure, une dizaine de Mobilypod sont livrés en France. Le dispositif a notamment séduit Grenoble-Alpes Métropole. Une grande enseigne de bricolage est également sur les rangs pour signer un contrat.
« Les grèves de l’hiver dernier et le Covid-19 ont rendu le vélo désirable, relance M. Salmon. Les employeurs ont envie d’accompagner ce mouvement, ne serait-ce que sur le volet qualité de vie au travail. Attention, on n’est pas des ayatollahs du deux-roues. On a conscience que certains usagers ont besoin des transports en commun ou de leur voiture. Mais le vélo permet au moins de boucler les premiers ou les derniers kilomètres menant au bureau. On peut très bien combiner le Mobilypod à une aire de covoiturage pour éviter aux automobilistes de brûler du 10 litres aux 100 en ville ».
La start-up, qui vient de remporter le challenge « Green connexion » organisé par la SNCF, devrait déployer son équipement dans plusieurs gares des régions Ile-de-France, Nouvelle-Aquitaine et Pays de la Loire. Et elle ambitionne d’être présente sur l’un des sites des Jeux olympiques de 2024 à Paris.
Ultime innovation : d’ici à la fin de l’année, un logiciel convertira les kilomètres avalés par les usagers du Mobilypod en économies de CO2 réalisées. Un outil supplémentaire permettant aux entreprises et collectivités de valoriser leur bilan carbone.Yan GauchardNantes, correspondant