Covid-19 : dans les hôpitaux, une troisième vague paraît inéluctable
De plus en plus de malades en réanimation, reprise de la déprogrammation, nouveaux transferts de patients… Les signaux d’alerte se multiplient partout en France malgré le couvre-feu généralisé.
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Sommes-nous arrivés au point de bascule à l’hôpital ? Ce fameux point d’inflexion, où la courbe s’emballe, avec des patients du Covid-19 qui affluent à un rythme effréné, menaçant les établissements de saturation ?
L’indicateur hospitalier est scruté de toutes parts, tant il apparaît crucial dans le passage à des mesures de confinement plus strictes, et dans leur acceptation. Sur le terrain, si la situation n’est pas homogène, les signaux d’alerte se multiplient.
Une certitude générale : le niveau de tension reste élevé et la tendance est à la hausse. La barre des 3 000 malades en réanimation a été franchie cette semaine, quand le nombre de patients hospitalisés s’élevait à 27 169 personnes, mercredi 27 janvier. Soit des niveaux similaires à ceux atteints entre la fin octobre et le début de novembre 2020, mais à un rythme bien différent de celui de l’automne, avec ce « plateau montant » ou ce « faux plat » décrits par les autorités sanitaires depuis le début de l’année.
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« Dans les hôpitaux, certains collègues voient déjà fortement monter le niveau épidémique depuis plusieurs semaines, à Nice, à Nancy, à Reims, à Dijon…, rapporte le professeur lillois François-René Pruvot, à la tête de la Conférence des présidents de commissions médicales d’établissement (CME) des CHU. A Lille, on reste encore sur un plateau qui croît légèrement, mais c’est parti, la diffusion épidémique est là, on le voit dans toute la région, à Amiens, Compiègne, Arras… »
En une semaine à l’hôpital d’Arras, la recrudescence a été brutale. « On ne s’attendait pas à ce que ça reparte aussi vite, alors que toute notre énergie est focalisée sur la campagne de vaccination », souligne la directrice du groupe hospitalier Artois-Ternois, Hélène Deruddre.
Soixante-dix soignants contaminés
Les patients hospitalisés en médecine, de même que ceux en réanimation, pour le Covid-19, ont été multipliés par trois – ils sont une dizaine en réanimation mercredi 27 janvier, une trentaine en médecine. Pour monter de nouveau des unités Covid-19 et leur affecter du personnel soignant, la déprogrammation d’autres patients est enclenchée. A compter de lundi 1er février, les dix salles de blocs opératoires ne seront plus que six. « Les chirurgiens se sont déjà organisés pour faire le tri entre ce qui peut encore être différé et ce qui ne peut pas », reprend la responsable.
« On va continuer, mais c’est difficile », Hélène Deruddre, directrice du groupe hospitalier Artois-Ternois
Avec cette donnée supplémentaire par rapport aux précédentes vagues : soixante-dix soignants sont contaminés par le Covid-19, au 27 janvier. « En dix jours, on a eu presque autant de professionnels contaminés qu’en un mois, en novembre… »,témoigne la directrice.
L’hôpital d’Arras n’a pas encore reçu les résultats permettant de savoir si le « nouveau variant » anglais, plus contagieux, est en cause. En attendant, la moitié de l’équipe de cardiologie est à plat, ainsi que des soignants de gériatrie et d’autres services… Chez les personnels, ce n’est pas la « grande forme », reconnaît sobrement la directrice des soins, Fabienne Burnel, avec en plus de « la fatigue et la lassitude » après une année « sur le front », « l’inquiétude pour leurs collègues contaminés, dont certains sont instables ». « On va continuer, mais c’est difficile », dit la directrice.

En Ile-de-France, l’état-major de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a tiré la sonnette d’alarme, mardi 26 janvier, au point d’en appeler clairement à des « mesures nouvelles plus drastiques » et à un confinement « le plus vite possible ». « La situation est inquiétante selon tous les indicateurs, on est sur un plateau ascendant, ça ressemble beaucoup à un début d’exponentielle », a prévenu le professeur Bruno Riou, directeur médical de crise.
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Pas encore de saturation, avec 219 patients atteints du Covid-19 en réanimation – soit, tout de même, près de la moitié des lits « habituels » de l’institution –, ni de déprogrammation de patients supplémentaires pour libérer des personnels soignants, mais « on part de haut, et on accélère », a souligné le professeur, pointant que 41 patients supplémentaires sont arrivés dans ces lits ces dix derniers jours. Les indicateurs pré-hospitaliers « prédictifs » virent eux aussi au rouge, comme le passage aux urgences, qui a augmenté de 25 % en une semaine.
« Hypothèse de transferts extra-régionaux »
Dans le sud de la France, on a déjà le sentiment d’en être à l’étape d’après. « Clairement, dans notre région, la troisième vague est là », acte Anthony Valdez, directeur de l’organisation des soins à l’agence régionale de santé (ARS) Provence-Alpes-Côte d’Azur. Sur les huit derniers jours, 404 personnes atteintes du Covid-19 ont été admises dans les différents établissements régionaux, dont 74 en réanimation. « C’est impressionnant et très élevé », s’inquiète M. Valdez. En novembre 2020, le pic régional frôlait les 2 000 personnes hospitalisées, hors réanimation. Mardi, ce bilan quotidien atteignait 1 592.
« Dans huit jours, nous aurons rattrapé le niveau le plus élevé de la deuxième vague en matière d’hospitalisation conventionnelle », prédit Dominique Rossi, président de la commission médicale des Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM), où les patients atteints du Covid-19 ont bondi de 33 % en une semaine. Un pic déjà « largement dépassé » dans les Alpes-Maritimes, selon Michel Carles, responsable du département d’infectiologie au centre hospitalier universitaire de Nice, l’Archet. « Et les chiffres de suivi de la circulation virale ne nous annoncent pas d’amélioration à venir », insiste le professeur.
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Face au rebond, l’ARS a demandé la réouverture d’une trentaine de lits Covid-19 en réanimation, portant à 702 la capacité disponible, contre 480 en temps normal. Une hausse qui n’empêche pas certains hôpitaux, comme à Nice, Antibes ou Avignon, d’être saturés et de devoir transférer des patients vers Marseille. En une semaine, une dizaine de malades ont été évacués du Vaucluse vers les Bouches-du-Rhône. « Nous avons aussi opéré trois transferts en hélicoptère depuis les Alpes-Maritimes, afin de leur laisser le temps d’ouvrir des capacités supplémentaires », note l’ARS, qui reconnaît que « l’hypothèse de transferts extra-régionaux est à l’étude pour les prochains jours ou les prochaines semaines ».
En début de semaine, Dominique Rossi a adressé un courrier à l’ensemble des médecins des sites de l’AP-HM, pour leur demander de déprogrammer les opérations non urgentes et d’interdire les visites dans la quasi-majorité des services, maternité et pédiatrie exclues. « Aujourd’hui, les déprogrammations concernent environ 30 % des interventions dans la région », confirme Anthony Valdez.

« En grande vigilance »
Dans d’autres hôpitaux, où la vague apparaît encore relativement contenue, la situation ne manque pas néanmoins d’inquiéter. Dans le Grand-Est, on retient son souffle : l’augmentation du nombre de patients contaminés a repris plus tôt, dès la mi-décembre 2020, rapporte Christian Rabaud, à la tête de la CME du CHRU de Nancy. Le rythme a ralenti ces dernières semaines, avec un « effet couvre-feu », constate le professeur, dans ce département où la mesure a été mise en place à 18 heures dès le 2 janvier.
Les patients atteints du Covid-19 en réanimation, redescendus à 32 à la mi-décembre, sont désormais 40 à 45, soit les deux tiers des lits du service en temps normal. « Cela oscille, reprend l’infectiologue. Mais on reste stable ou l’on augmente, en aucun cas la tension ne baisse, alors que nous ne sommes pas encore sous la pression du “variant”. »
« On est tous convaincus que la troisième vague est inéluctable, on s’y prépare, on ne sait ni quand ni à quelle intensité », Olivier Claris, des Hospices civils de Lyon
Un peu plus au nord, au CHR de Metz, on constate aussi une « baisse modeste » ces dernières semaines, mais le nombre de patients en soins critiques reste, lui, sur « un plateau », avec une « tension extrêmement forte », décrit la directrice de l’établissement, Marie-Odile Saillard.
« Depuis quinze jours, on fait tout pour ne pas augmenter le nombre de lits Covid, en jouant sur toutes les marges possibles, mais on arrive à un point où l’on ne va plus avoir le choix, il va falloir prendre des décisions qui ne vont pas être simples. » C’est l’annulation des opérations d’autres patients qui est en jeu : « En Moselle, nos établissements se situent déjà à un pallier de 40 % à 50 % de déprogrammation, rappelle-t-elle. Nous avons des équipes chirurgicales, des médecins qui mettent une très grosse pression pour continuer à opérer leurs patients. »
En Auvergne-Rhône-Alpes, l’ARS décrit pour sa part une lente hausse qui se poursuit, mais sans emballement à ce jour. « Le temps est couvert, mais pas tempétueux », image le directeur de l’agence, Jean-Yves Grall. « Mais nous sommes évidemment en grande vigilance, le système est déjà sous tension », pointe le docteur, qui rappelle que le niveau de patients hospitalisés au 26 janvier – soit 3 899 – dépasse déjà celui atteint lors du pic de la première vague.
Dans les services de réanimation des hôpitaux lyonnais, on assiste de nouveau, depuis dix jours, à « une augmentation du nombre d’admissions », rapporte Olivier Claris, à la tête de la CME des Hospices civils de Lyon, avec 4 à 6 entrées par jour, contre 2 à 3 auparavant. « On est tous convaincus que la troisième vague est inéluctable, on s’y prépare, on ne sait ni quand ni à quelle intensité. Ce que l’on sait, c’est qu’on part d’un niveau d’activité beaucoup plus important qu’en octobre 2020. »