La détresse d’une jeunesse qui se sent sacrifiée

Covid-19 : le dilemme du gouvernement face à la détresse d’une jeunesse qui se sent sacrifiée

Entre promesse de réouverture partielle des universités et impératifs sanitaires, le gouvernement est appelé à clarifier ses intentions. 

Par Sarah BelouezzaneSylvia Zappi et Julie CarriatPublié aujourd’hui à 05h48, mis à jour à 09h19  

Temps de Lecture 5 min. 

https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/01/28/covid-19-le-dilemme-de-l-executif-face-a-la-detresse-d-une-jeunesse-qui-se-sent-sacrifiee_6067873_823448.html

Emmanuel Macron rencontre des étudiants à la Maison des étudiants de l’université Paris-Saclay, jeudi 21 janvier.
Emmanuel Macron rencontre des étudiants à la Maison des étudiants de l’université Paris-Saclay, jeudi 21 janvier. JEAN CLAUDE COUTAUSSE pour « LE MONDE »

C’est une promesse que 2,7 millions d’étudiants ne sont pas près d’oublier. « Un étudiant doit avoir les mêmes droits qu’un salarié (…) S’il en a besoin, il doit pouvoir revenir à l’université un jour par semaine »a déclaré Emmanuel Macron, jeudi 21 janvier, en visite sur le plateau de Saclay (Essonne), annonçant en outre la mise à disposition de deux repas quotidiens à 1 euro dans les Crous et la création d’un « chèque psy ».

Une semaine a passé, et la perspective d’un reconfinement semble désormais se rapprocher potentiellement dans une forme « très serrée », selon l’expression utilisée mercredi 27 janvier par Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement. Qu’adviendra-t-il alors de la promesse du chef de l’Etat aux étudiants ?

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Au gouvernement, on réfute l’existence d’une génération « sacrifiée », en mettant en avant notamment le dispositif « Un jeune, une solution » pour l’emploi. Mais, pour l’enseignement supérieur, les mesures annoncées à la fin de l’année 2020 pour une rentrée de janvier échelonnée, ont vite été dépassées par l’ampleur de la détresse psychique d’une partie de la jeunesse.

Les 9 et 12 janvier, dans la région lyonnaise, deux étudiants ont tenté de mettre fin à leurs jours en se défenestrant. « Il faut d’urgence agir pour le bien-être des étudiants. Cela ne peut durer, des vies sont en jeu », a alors réagi L’Echarde, le syndicat des étudiants de l’ENS Lyon. Le constat fait désormais l’unanimité : ces jeunes « paient un lourd tribut », selon les mots de Jean Castex. Après avoir rendu visite à des étudiants strasbourgeois, samedi, le premier ministre a décroché son téléphone, mardi, pour répondre à un jeune influenceur auteur d’une vidéo dans laquelle il déplore la ruine des « meilleures années de nos vies ».

Le chantier de l’égalité des chances gagne en urgence

Interrogé, lors de cette discussion, sur la possibilité de maintenir ce jour de présentiel à l’université malgré un confinement, le chef du gouvernement répond par une interrogation : « Même quand on est confinés, on a pu parfois prévoir un certain nombre d’exceptions. Est-ce que, compte tenu de la réalité des étudiants, on les fait entrer dans les exceptions ? »

Dans son entourage, on prévient que « différentes options vont être travaillées, concertées » dès jeudi, avec les parlementaires, les associations d’élus et les partenaires sociaux. Une ouverture limitée des universités « n’est pas forcément incompatible avec une forme de confinement à déterminer », prévient-on, tout en appelant à la prudence.

Dans ce contexte, le chantier de l’égalité des chances annoncé par le gouvernement devient un peu plus urgent. Sauf bouleversement de l’agenda pour cause de Covid-19, des annonces sont attendues vendredi, avec la présentation d’un premier volet « politique de la ville ». Une manière d’occuper le terrain, à l’heure où les critiques sur l’abandon d’une génération montent en puissance.

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Jusque dans la majorité, on s’inquiète de cette détresse. Dimanche, lors d’un entretien avec M. Castex, plusieurs responsables de La République en marche (LRM) ont « poussé sur le fait que, même si on doit renforcer les contraintes, on ouvrira les universités. De la maternelle à l’université, on doit pouvoir donner des cours, serait-ce en mode dégradé », rapporte un cadre du parti. D’autres appellent à accélérer. « Il faut aller plus vite et plus fort pour lutter contre la précarité et l’isolement », demandait, dans l’Hémicycle, le 12 janvier, la députée (LRM) des Bouches-du-Rhône Anne-Laurence Petel.

Pour le PS, un axe majeur de la campagne des régionales

Une partie de la majorité rejette la faute sur la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Certains la trouvent trop peu active et « profondément méprisante pour les parlementaires », selon un « marcheur » historique qui conclut : « Si on a un sujet avec les étudiants, ce n’est pas pour rien… » Le délégué général du mouvement, Stanislas Guerini, a pour sa part apporté, dans un entretien au Monde, une solution concrète : créer un prêt à taux zéro de 10 000 euros pour les jeunes de 18 à 25 ans. A Matignon, on assure sobrement que « cette proposition est étudiée ».

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Au-delà des rangs de LRM, l’idée fait bondir les oppositions de gauche, agacées par les refus répétés des « marcheurs » d’étendre le revenu de solidarité active (RSA) aux 18-25 ans. « Mettons la corde au cou des jeunes dès leurs 18 ans, avec un crédit ! Endetter encore plus les jeunes, les étudiants ! », s’est par exemple exclamée, sur Twitter, l’eurodéputée écologiste Karima Delli. Le député La France insoumise de l’Ariège Michel Larive abonde : « L’avenir qu’ils promettent aux jeunes, c’est le recours à l’endettement. Cela pourrait être risible si l’état d’urgence sociale de notre jeunesse n’était pas si alarmant. » 

Côté socialiste, on est attentif aux états d’âme de la jeunesse. Même si les relais lycéens et étudiants sont affaiblis, c’est par d’autres canaux, élus locaux, parents de jeunes adultes et adolescents, que remonte l’ampleur du mal-être après dix mois de pandémie. Au PS, on n’a pas de mots assez durs pour tancer le retard de la prise de conscience des ministres. « Répondre à cette détresse par une heure de psy ou les deux repas à 1 euro, c’est une goutte d’eau dans l’océan. Le gouvernement ne semble pas réaliser l’ampleur des dégâts », juge Pierre Jouvet, secrétaire national aux élections. « Les élus ont tenté de pallier, sur ce sujet, l’inaction du gouvernement, mais cela ne suffit pas. Ce sujet doit devenir la priorité sur tous les dossiers d’emploi et de politiques publiques », assure Gabrielle Siry-Houari, porte-parole du parti.

RSA dès 18 ans ou dotation universelle au démarrage de la vie active, le PS compte faire des jeunes un axe majeur de la campagne des régionales.

Dati à Macron : « Entendez la détresse »

A droite, chez Les Républicains (LR), la question préoccupe aussi depuis plusieurs mois un parti désireux d’affirmer une ligne plus sociale. Il y a dix jours, une lettre ouverte rédigée par l’ex-garde des sceaux Rachida Dati à l’attention du président de la République a fait particulièrement mouche. « Emmanuel, je vous demande que la question étudiante soit prise en compte à chaque nouvelle étape de la gestion de cette crise », a-t-elle ainsi exhorté. « Entendez que la détresse d’Heidi [une étudiante autrice d’une lettre à Emmanuel Macron] n’est pas moins grande que celle de Mauricette, sa détresse, c’est la peur de décrocher dès la première année d’un système où ses parents n’ont jamais pu entrer et qui est son seul espoir d’un avenir », poursuit-elle, soulignant les enjeux d’égalité des chances des étudiants.

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Président (LR) de la commission des finances à l’Assemblée nationale, Eric Woerth avait quant à lui proposé dès novembre 2020, sur France Inter, une « allocation de détresse ponctuelle liée aux conséquences de la crise »« Ce n’est pas l’entrée dans un système d’assistanat, précise-t-il au Monde, mais un dispositif ciblé et immédiatement réversible. »

Damien Abad, patron des députés LR, s’interroge : « On a eu raison de maintenir les écoles ouvertes mais je ne comprends pas pourquoi on sacrifie le supérieur… »Pour le moment, le gouvernement assure de son écoute. Passé le temps des consultations, la nature du troisième confinement devrait clarifier le sort réservé aux étudiants.Notre sélection d’articles sur le Covid-19

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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