Le nombre de cas peut augmenter très vite, malgré les mesures de distanciation sociale (Vittoria Colizza INSERM)

Vittoria Colizza : avec le variant britannique, « le nombre de cas peut augmenter très vite, malgré les mesures de distanciation sociale »

Selon la chercheuse spécialisée dans la modélisation des épidémies, les mesures actuellement en vigueur seront insuffisantes pour contrer les variants plus contagieux, dont l’arrivée va limiter l’impact de la vaccination sur la dynamique de l’épidémie

Propos recueillis par David Larousserie et Chloé Hecketsweiler

Publié aujourd’hui à 03h22, mis à jour à 09h42  

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/01/27/vittoria-colizza-avec-le-variant-britannique-le-nombre-de-cas-peut-augmenter-tres-vite-malgre-les-mesures-de-distanciation-sociale_6067715_3244.html

Temps de Lecture 7 min. 

La chercheuse Vittoria Colizza dirige, à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), un laboratoire spécialisé dans la modélisation des épidémies. Si la fermeture des écoles n’apparaît pas inéluctable, un nouveau confinement lui semble la seule mesure à même de permettre de reprendre le contrôle de l’épidémie dès lors que le variant britannique − baptisé « VoC 202012/01 » − aura pris le dessus sur les variants historiques. L’appliquer uniquement aux plus de 65 ans n’empêcherait pas les hôpitaux d’être débordés si le virus circulait librement dans le reste de la population.

Quelle est la situation épidémique en France ?

L’incidence est encore très élevée, sans doute en lien avec la réouverture des commerces fin novembre 2020 et la reprise des activités. La mobilité des personnes a augmenté. Nous sommes dans une situation où le R effectif [le nombre moyen de personnes contaminées par une autre], ou taux de reproduction, est supérieur à 1. Il est de 1,2, ce qui montre une augmentation lente mais constante et progressive à laquelle on doit opposer des mesures.

Modéliser devient très complexe car plusieurs mesures de lutte contre l’épidémie se superposent à des niveaux différents. Le premier confinement n’est pas comme le deuxième où, à côté de l’ouverture des écoles, il y avait aussi davantage de mobilité. Il est vraiment difficile de distinguer les effets de chaque intervention, surtout quand il s’agit d’une mesure nuancée comme le couvre-feu.

Lire aussi : Ces modélisateurs qui anticipent la pandémie

Le président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, a indiqué que le variant britannique était déjà présent à « des niveaux de 7 %, 8 % ou 9 % dans certaines régions françaises ». Cela modifie-t-il les perspectives pour les prochaines semaines ?

Pour modéliser la diffusion de ce variant, nous avions pris pour point de départ une prévalence de 1,4 % au début de l’année selon les premières estimations de l’enquête « flash » réalisée les 7 et 8 janvier. Les dernières estimations laissent penser qu’elle était plutôt de 2 % ou plus, ce qui signifie qu’il a un peu plus d’avance que prévu.

En décembre 2020, les premières estimations de la London School of Hygiene and Tropical Medicine et de l’Imperial College indiquaient que ce variant était jusqu’à 70 % plus transmissible que les variants historiques. Or, au vu de ce qu’on observe en Grande-Bretagne et en Irlande, où la courbe s’est vite inversée après la mise en place d’un confinement strict, on peut écarter ce scénario « pessimiste ». C’est une bonne nouvelle !

 Lire aussi  Covid-19 : le variant britannique pourrait être plus létal, prévient Londres

En attendant d’autres données, nous prenons comme hypothèse que le variant britannique est 50 % plus contagieux que les variants historiques, ce qui correspond à la valeur médiane estimée par les deux études. Le variant sud-africain, qui pourrait déjà représenter 1 % des cas en France, va aussi avoir un impact sur l’épidémie. On ne sait toutefois pas dans quelles proportions il sera plus contagieux, pas plus qu’on ne connaît encore sa capacité à infecter des personnes déjà immunisées.

Vittoria Colizza, directrice de recherches à l’Inserm, à Paris, 29 avril 2020. FREDERIC STUCIN / PASCO

A quel moment faut-il s’inquiéter ?

Bien avant de voir quoi que ce soit, car nous n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre : le nombre de cas est déjà élevé, et les hôpitaux bien remplis.

Ce qui s’est passé en Angleterre et en Irlande montre que le nombre de cas peut augmenter très vite, malgré les mesures de distanciation sociale. On a observé le même phénomène au Portugal et en Espagne, où l’épidémie a flambé de façon assez soudaine. Ce point de bascule est cependant difficile à anticiper car, dans les premiers temps, le variant circule à bas bruit. Sa propagation ne se voit pas dans le nombre de cas − à moins de séquencer le virus − ou dans les données d’hospitalisation.

Lire aussi  L’irruption des variants à travers le monde, sujet d’étude et d’inquiétude

On peut faire le parallèle avec ce qui s’est passé au moment de la première vague avec une phase de propagation silencieuse suivie d’une augmentation rapide. Toute la question aujourd’hui est de savoir où on se situe sur la courbe. Dans notre modèle, le variant britannique devient dominant à partir du mois de mars, mais il y a encore beaucoup d’incertitudes.

D’où l’importance des enquêtes conduites en ce moment pour évaluer la circulation du VoC 202012/01 en France…

Cela va nous aider à mieux calibrer nos modèles, en plaçant à intervalles réguliers des points sur la courbe. Nous n’avons pas encore tous les résultats de la première enquête flash et la deuxième a commencé cette semaine. Disposer de données en France est très important car les estimations faites dans d’autres contextes épidémiques peuvent être influencées par les mesures locales et le comportement des gens.

L’accélération de l’épidémie est-elle inévitable ?

Les mesures de distanciation sociale vont nous permettre de gagner du temps, afin de vacciner le plus de personnes possible. C’est exactement ce qu’ont fait les Anglais avec un confinement strict, écoles fermées.

Le confinement, c’est ce qui permet de ramener le R en dessous de 1. La vaccination finira par avoir un impact, mais d’ici à mars, le nombre de personnes vaccinées sera insuffisant pour infléchir la courbe. On s’attend à ce que cela commence à avoir un impact sur la dynamique épidémique à partir du mois d’avril.

La fermeture des écoles est-elle inévitable ?

A la sortie du premier confinement, nous avons modélisé différents scénarios de réouverture des écoles. Lorsque l’incidence diminue, la réouverture des écoles ne pose pas de problème. En revanche, à partir du moment où l’incidence est constante ou augmente, cette ouverture, notamment les collèges et lycées, a un effet significatif sur la circulation du virus, et sur le nombre d’hospitalisations.

Lire aussi  « Variant anglais » ou « VoC 202012/01 », le casse-tête de la dénomination des mutations du Covid-19

Pendant des mois, il y a eu un débat autour de la question : « Oui ou non y a-t-il de la contagion dans les écoles ? » Bien évidemment qu’il y a de la contagion ! Mais le risque dépend de toutes les mesures prises par ailleurs.

Si on fait le choix de les garder ouvertes, il faut être prêt à fermer beaucoup d’autres choses. Avec le variant, cela va devenir un point clé.

Le vaccibus sillonne les communes rurales de la Marne pour vacciner les habitants les plus reculés, le 22 janvier à Vrigny. AGNES DHERBEYS / MYOP POUR « LE MONDE »

Une autre mesure pourrait être de confiner les personnes les plus âgées. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas certaine que cela ait des effets suffisants. En étudiant de quelle façon les mesures barrières étaient adoptées, nous avons constaté que les plus de 65 ans se protègent déjà 30 % de plus que les autres. C’est une différence énorme.

Par ailleurs, cela supposerait que les plus âgés n’aient aucun contact avec les plus jeunes, ce qui est impossible. Ils ont des contacts avec leur famille, avec le personnel soignant ou les personnes qui les aident à la maison. Ils ne peuvent éviter toutes les situations à risque, et le virus finira toujours par circuler d’une classe d’âge à une autre.

Enfin, il y a aussi une fraction importante de personnes hospitalisées de moins de 65 ans : confiner les plus de 65 ans n’empêcherait pas les hôpitaux d’être débordés si le virus circulait librement dans le reste de la population.

Où en est-on de l’évaluation de l’efficacité du couvre-feu ?

Il n’y a pas encore de réponses claires, notamment sur l’impact d’un passage de 20 heures à 18 heures. Lors des premières mesures de couvre-feu, au moment des vacances de la Toussaint, nous avions pu observer un motif récurrent : une diminution de la mobilité nocturne, puis, la semaine suivante, un ralentissement de la croissance de l’épidémie.

C’est moins clair aujourd’hui. On s’attend à ce qu’il y ait un effet mais il est difficile de le quantifier. On peut sans doute dire que cela ne sera pas suffisant pour les nouveaux variants plus contagieux sur le long terme.

L’analyse des données de mobilité diurne ou nocturne − que nous communique Orange de façon anonymisée − peut nous aider à repérer un certain relâchement ou une adaptation des comportements face aux mesures.

 Lire aussi  Ce que l’on sait de l’efficacité des vaccins et des anticorps sur les variants du Covid-19

Au deuxième confinement, la mobilité n’a jamais été autant réduite que lors du premier confinement, et elle est repartie plus vite à la hausse. Cela traduit une moindre adhésion aux mesures. Il y a une certaine fatigue. C’est un paramètre à prendre en compte dans les futures décisions.

Une stratégie d’élimination du virus, dite « No Covid » − comme ont réussi à le faire l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou des pays asiatiques − fait débat en Allemagne. Est-elle envisageable en France ?

Les pays occidentaux n’ont jamais eu cet objectif d’éradication. Le succès de certains pays m’a l’air très lié à certaines de leurs caractéristiques et paraît difficile à reproduire chez nous. En Europe, le contrôle des frontières est par exemple bien plus difficile à mettre en place qu’en Nouvelle-Zélande ou en Australie, qui sont des îles. Leurs politiques de traçage et d’isolement sont aussi bien plus strictes.

Cela aurait éventuellement été possible après la première vague, lorsque le nombre de cas était très faible. Mais comme ce n’était pas l’objectif, nous n’avons pas suivi cette voie, qui aurait demandé une forte coordination européenne. Aujourd’hui, c’est impossible à mettre en œuvre. D’autant plus que de nouveaux variants arrivent et compliquent la situation.

Quels scénarios testez-vous pour la suite ?

Nous regardons l’effet qu’aurait un confinement comme celui du printemps ou celui de l’automne. Il faut comprendre que les mesures prises jusqu’à aujourd’hui, même si elles sont bien respectées, vont être moins efficaces face à un virus plus contagieux.

Peut-on penser qu’à l’été, avec une grande part de la population vaccinée ou immunisée, l’épidémie s’arrêtera ?

Le nouveau variant, plus contagieux, augmente mécaniquement le seuil dit « d’immunité collective » qui fait régresser l’épidémie sans mesure de contrôle, et qui était estimé à 66 %-70 % environ pour les variants historiques. Même avec 40 % de vaccinés, nous serons donc loin de ce seuil. La vaccination compensera en quelque sorte l’assouplissement des mesures restrictives. On pourra rouvrir certains lieux, mais sans abandonner le masque.Notre sélection d’articles sur le Covid-19

Retrouvez tous nos articles sur le nouveau coronavirus dans notre rubrique

Sur l’épidémie :

Et aussi :

David Larousserie et  Chloé Hecketsweiler

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire