« L’ultragauche a su, contre toute attente, se renouveler et acquérir une influence notoire. »

Christophe Bourseiller : « L’ultragauche a su, contre toute attente, se renouveler et acquérir une influence notoire »

L’ essayiste spécialisé dans l’étude des extrémismes politiques revient sur ce courant resté marginal mais toujours actif, avec lequel « zadistes » ou blacks blocs entretiennent « une filiation indéniable ». 

Propos recueillis par Abel MestrePublié hier à 02h47, mis à jour hier à 19h36  

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/25/christophe-bourseiller-l-ultragauche-a-su-contre-toute-attente-se-renouveler-et-acquerir-une-influence-notoire_6067459_3232.html

L’écrivain et journaliste Christophe Bourseiller.
L’écrivain et journaliste Christophe Bourseiller. YANN LEGENDRE

Entretien. Comédien, journaliste, écrivain, historien, Christophe Bourseiller est spécialisé dans l’étude des extrémismes politiques comme l’illustre L’Extrémisme : une grande peur contemporaine (CNRS Editions, 2012) ou encore Histoire générale de l’ultragauche (Denoël, 2003). La régénération de ce courant l’a d’ailleurs amené à en proposer un nouvel opus avec Nouvelle histoire de l’ultragauche (Editions du Cerf, 392 pages, 24 euros).

Votre nouveau livre reprend la matrice de « Histoire générale de l’ultragauche », parue en 2003. Qu’est-ce qui a changé en vingt ans ?

En 2003, je pensais, à tort, que l’ultragauche était un phénomène propre au XXe siècle et qu’il allait s’éteindre au XXIe siècle pour deux raisons : d’abord parce que l’ultragauche s’était bâtie en référence à l’Union soviétique, en affirmant qu’il s’agissait, non pas d’un « Etat ouvrier dégénéré » mais d’une dictature, d’un capitalisme d’Etat. Comme l’URSS avait disparu, ce landmark n’avait plus de raison d’être.

« Plus à gauche que l’ultragauche, il n’y a pas. Ils se considèrent comme les ennemis ultimes de ce monde »

D’autre part, ce courant avait été gravement « endommagé » par l’engagement de certains de ses acteurs dans le négationnisme à partir de la fin des années 1970. Sur cette base, je pensais qu’il était en voie d’extinction. Je me trompais lourdement. Il s’est avéré que, durant les vingt dernières années, plusieurs générations ont vu le jour et l’ultragauche a su, contre toute attente, se renouveler et acquérir une influence notoire.

Il y a souvent une confusion entre ultragauche et extrême gauche. Quelles sont les différences ?

L’ultragauche n’est absolument pas l’extrême gauche. Si on devait schématiser, l’ultragauche est un courant qui s’inclut dans l’extrême gauche. Le terme d’extrême gauche recouvre un ensemble de courants politiques, de groupes, qui luttent pour un changement radical de société, et qui veulent y parvenir par la violence, pour aboutir à la révolution communiste. Dans ces groupes, il y a ceux qui sont autoritaires, comme les maoïstes ou les trotskistes, et d’autres qui sont antiautoritaires, l’ultragauche. Celle-ci incarne ainsi schématiquement le pôle antiautoritaire de l’extrême gauche.

Mais il y a plus. Ceux que l’on classe dans l’ultragauche se distinguent aussi par une sorte de surenchère : plus à gauche que l’ultragauche, il n’y a pas. Ils se considèrent comme les ennemis ultimes de ce monde, et n’éprouvent pas le besoin d’établir des stratégies politiques, ils veulent le détruire, en frappant les symboles de l’Etat, du capitalisme ou encore de l’autorité.

Y a-t-il une filiation entre les groupes d’ultragauche des origines et ceux d’aujourd’hui ?

Je me suis attaché à démontrer qu’il y avait une filiation indéniable, entre ceux que l’on étiquette comme les « zadistes », d’un côté, ou les blacks blocs, de l’autre, et cette nébuleuse historique passionnante qu’est l’ultragauche. Ce sont des groupes dans lesquels figurent plusieurs générations, où il y a un passage de relais. Les activistes contemporains plongent leurs racines dans les réflexions théoriques de l’ultragauche. Cette dernière a toujours survécu, de manière clandestine et marginale, en apparaissant de temps en temps, comme un serpent de mer. Ce que nous vivons aujourd’hui n’est que la continuité d’une longue histoire.

Chez les nouvelles générations, les post-situationnistes sont parmi les plus dynamiques. Vous vous attardez largement sur l’Internationale situationniste. Comment expliquez-vous la permanence de ce courant ?

Tous les groupes d’aujourd’hui se réclament de bien des penseurs, mais la référence ultime qui soude tout le monde, c’est Guy Debord [1931-1994]. Sa lecture a été un électrochoc pour de nombreux jeunes et pour les générations ultérieures. On voit bien que l’engagement d’une grande partie des héritiers de l’ultragauche dans l’écologisme radical répond à une prescription très ancienne de Debord, qui date de 1972. Dans Les Thèses sur l’Internationale situationniste et son temps, il estime que le plus grand danger qui menace l’humanité est incarné par les « nuisances » [notamment la pollution. Ces « nuisances » constituant pour Debord « un immense facteur de révolte »].

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De même, la ruralisation d’une partie de l’ultragauche rappelle également le comportement de Guy Debord qui a choisi de s’installer à la campagne, dans des fermes isolées, loin de tout. Pour comprendre les autonomes et les zadistes, la réponse tient dans la puissance de feu de la pensée de Guy Debord. Cela dit, la création des ZAD [« zones à défendre » ou « zones d’autonomie durable »]s’explique aussi par la théorisation dans les années 1990 par l’Américain Hakim Bey des « zones d’autonomie temporaire ».

On parle régulièrement de « menace de l’ultragauche ». Est-ce une réalité ?

J’ai l’impression que l’on a beaucoup exagéré la menace de l’ultragauche. S’appuyant sur l’expérience historique d’Action directe [groupe terroriste actif dans les années 1980], beaucoup de policiers ont pensé qu’un nouvel épisode terroriste pouvait advenir. Mais, jusqu’à présent cela n’a pas été le cas. Il y a des actes de sabotage, des cars de police incendiés de temps en temps, des choses assez pénibles, mais on n’a pas vu des épisodes terroristes d’ultragauche.

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Cependant, il est certain qu’il existe en France un volant de 2 000 à 3 000 personnes qui incarnent une gauche libertaire au sein de laquelle se trouvent 700 à 800 activistes prêts à passer à l’acte, à se former en black bloc ou en « cortège de tête » pour s’inscrire dans la tradition de l’autonomie, qui est une très vieille tradition. On peut estimer, en effet, que le premier « cortège de tête » est apparu dans les années 1970.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  « Nouvelle histoire de l’Ultragauche » de Christophe Bourseiller : plongée dans une « nébuleuse historique passionnante »

Abel Mestre

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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