La France semble avoir déléguées à d’autres pays la recherche scientifique, tant d’initiatives nationales ayant été retoquées, freinées ou ignorées (David Larousserie – le Monde)

La crise du Covid aurait dû permettre de mobiliser davantage la recherche scientifique

Des discours d’Emmanuel Macron aux conversations de comptoirs, la pandémie a transformé la science en sujet de débat quotidien. Une opportunité pour expliquer que la science n’est pas qu’une somme de connaissances et une source d’autorité, mais une démarche. Elle a été manquée. 

Par David Larousserie

Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 06h00  

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/01/21/la-crise-du-covid-aurait-du-permettre-de-mobiliser-davantage-la-recherche-scientifique_6067032_1650684.html

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Analyse. Comment se répandent les nouveaux variants anglais, sud-africains ou autres en France ? Ces souches résistent-elles au vaccin ? Dans quelles circonstances de la vie quotidienne se contamine-t-on le plus ? La ventilation est-elle efficace ? Quelle est la part des asymptomatiques ? Un couvre-feu avancé de deux heures est-il efficace ? Autant de questions capitales qui restent sans réponses et que la France semble avoir déléguées à d’autres pays, tant d’initiatives nationales ayant été retoquées, freinées ou ignorées. Comme si tout n’était pas fait pour se donner les moyens de savoir.

Il en est ainsi des tests randomisés, qui permettraient d’avoir une représentation de la prévalence du virus plus fidèle que celle tirée de résultats sur les seules personnes positives ou hospitalisées. En Ile-de-France, l’idée s’est enlisée. En Lorraine, elle a été mise en place cet été mais les résultats, pourtant connus, ne sont toujours pas diffusés. Ainsi encore de la technique du pooling, qui permet d’utiliser moins de tests et d’obtenir des « photographies » plus larges pour le même coût ; une technique qui consiste à tester non pas « échantillon par échantillon », mais en groupe. Souvent suggérée, elle n’a jamais reçu de feu vert. Ou même du séquençage des génomes viraux, seule technique à pouvoir identifier la nature des virus présents et leurs variants. Elle est à la traîne et aucun effort national ne s’est organisé.

C’est la rigueur qui établit la confiance

La patrie de Descartes aurait-elle renoncé à la science ? Certes, nos dirigeants ne sont pas parmi les plus cultivés en la matière. Dans son discours du 12 mars 2020, le président Macron prenait le nom de la maladie pour celui du virus. Au Sénat, la ministre de la recherche, Frédérique Vidal, confondait deux techniques de microscopie pour déclarer non prioritaire celle qui justement aurait permis de voir le fameux virus et dont la France est sous-équipée. Plus tard, de nombreux responsables fascinés n’hésitaient pas à donner avec deux chiffres après la virgule la valeur du taux de reproduction, calculé sur des données qui ne permettaient pas une telle précision. Et le 12 janvier, le ministre de la santé, Olivier Véran, déclarait que 1 % des variants retrouvés dans les tests positifs étaient anglais, avant même que tous les génomes suspects soient séquencés.

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Mais il y a pire. En plus de cette ignorance, les dirigeants réduisent la science à deux de ses dimensions, à savoir la considérer comme un corpus de connaissances et une marque d’autorité. Or, la science est avant tout une démarche, la fameuse méthode scientifique qui justement permet d’acquérir de la connaissance avec des règles, dont la rigueur contribue à établir la confiance et assure in fine l’autorité. En des temps d’incertitude comme aujourd’hui, cette dimension « dynamique » doit être privilégiée par rapport à celle, figée, d’une autorité qui détiendrait une vérité. Aucun comité scientifique, fût-il de qualité, n’est à même de produire de nouvelles connaissances. Pour cela, il faut expérimenter, faire des hypothèses, les tester, débattre… et organiser un minimum cette stratégie ; une vision absente, à de rares exceptions près, dans le pays depuis le début de la pandémie.

Une bataille se gagne aussi sur le terrain de l’information et du renseignement

Le dépistage massif en cours à Roubaix est une initiative d’un groupe de chercheurs qui y pensaient depuis le printemps. Dans certaines universités, des enseignants ont eux-mêmes fabriqué des capteurs de CO2 pour estimer la qualité des ventilations et ont élaboré des protocoles de reprise des cours, sans recevoir toujours le soutien de leur présidence. L’Institut hospitalo-universitaire de Marseille, dirigé par Didier Raoult, a séquencé près du tiers des séquences de génomes viraux français, faisant presque aussi bien que chacun des deux Centres nationaux qui en ont la charge. Une surveillance des eaux usées s’organise petit à petit…

Voir la science « mise en culture »

Bien sûr, tout n’est pas aussi sombre et la recherche française a su se distinguer sur plusieurs fronts. Mais il est dommageable de constater le manque de mobilisation générale et de coordination au niveau national pour la recherche, au moment où jamais le public n’a autant absorbé et discuté de science. Même les plus optimistes, qui rêvaient de voir la science « mise en culture », au même rang que la littérature, le sport ou la musique, n’auraient jamais imaginé que, dans ce qu’il reste des cafés du commerce, on cause tranquillement d’ARN messager, de spicule, de taux de reproduction, d’immunité de groupe… comme on l’aurait fait pour critiquer un arbitre, un film ou une chanteuse.

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Dommage et dommageable aussi car le doute s’installe lorsque des décisions techniques sont prises. Sur quoi reposent le chiffre de 6 pour le cercle d’amis, le couvre-feu à 18 heures, une ouverture d’école… ? Est-ce sur la science, l’intuition, l’autorité, le mimétisme ? Dans Le Monde du 19 novembre 2020, un collectif de chercheurs appelait, pour lever cette ambiguïté, à réunir des « états généraux ou une conférence de consensus, en harmonie avec la communauté internationale et les connaissances scientifiques, tout en impliquant au maximum la société française dans sa diversité ».

Cela n’avait évidemment aucun sens de déclarer la guerre à un virus. Mais quitte à y croire, une conséquence s’imposait alors. Celle qu’une bataille se gagne aussi sur le terrain de l’information et du renseignement. Il fallait donc s’organiser pour « savoir » et augmenter les connaissances sur ce virus en stimulant toutes les bonnes volontés. Et prouver ainsi que la passion pour la recherche et la science, souvent proclamée, n’est pas un vain mot.

David Larousserie

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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