Sciences Po et Le Siècle, l’école du pouvoir et le club de la nomenklatura décapités par un inceste !

Comment Olivier Duhamel, accusé d’inceste, a cultivé son art du secret

Par  Raphaëlle Bacqué et  Ariane Chemin

Publié le 14 janvier 2021 à 02h59 – Mis à jour le 14 janvier 2021 à 16h14

https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/14/olivier-duhamel-l-art-du-secret_6066184_3224.html

ENQUÊTE

Qui savait ? L’onde de choc des accusations d’inceste contre le politiste rattrape certains de ses proches. Notre enquête montre comment il a longtemps réussi à faire régner le silence en contrôlant ses réseaux.

21 avril 2017. Les amis parisiens d’Evelyne Pisier sont réunis dans l’hôtel particulier qui abrite le Centre national du livre, le CNL, pour célébrer la mémoire de l’universitaire, deux mois après sa mort. La fin du quinquennat de François Hollande approche et le président est passé se joindre au groupe des fidèles de celle qui pilota la direction du livre du temps de Jack Lang. Avant de s’asseoir à ses côtés, le politiste et juriste Olivier Duhamel, l’époux de la défunte, a passé son bras au-dessus de l’épaule du chef de l’Etat, comme pour signer leur complicité. C’est lui qui chante le plus fort et tape des mains avec le plus d’entrain lorsque Teo Saavedra, un Chilien emprisonné sous Pinochet, prend sa guitare pour entonner Hasta Siempre, ce chant révolutionnaire cher à « Evelyne », qui, au milieu des années 1960, aima Fidel Castro quatre ans durant.

Olivier Duhamel tient la main de Nadia Marik, la veuve de l’ancien directeur de Sciences Po Richard Descoings, qui passe désormais l’été dans la maison de vacances d’« Olivier », à Sanary-sur-Mer (Var). Le politiste paraît insouciant. Bien sûr, il a aperçu les regards des trois enfants de sa femme (nés de son premier mariage, avec Bernard Kouchner) se détourner quand il les a croisés, mais, en ce jour particulier, il est le veuf, et c’est lui qu’on réconforte. Ce soir, plus que jamais, il se sent intouchable.

Lire l’enquête :Olivier Duhamel, l’inceste et les enfants du silence

Depuis qu’en 2008 les trois enfants d’Evelyne Pisier (une fille et deux garçons) sont venus dire à leur mère que ce beau-père autrefois admiré avait abusé sexuellement du plus jeune des garçons lorsque celui-ci avait 13 ou 14 ans, Duhamel vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Jusque-là, ses beaux-enfants sont restés dans l’ombre et le silence. Sa réputation et sa surface sociale le protègent plus sûrement qu’un bouclier, mais quelques mots dans la presse pourraient couper net cette carrière si soigneusement bâtie.

Jeux d’influence

Qui le sait ? Une semaine exactement après la cérémonie d’avril 2017, Olivier Duhamel se retrouve à la table de la salle à manger de Sciences Po avec le directeur, Frédéric Mion, et Brigitte Macron. Depuis des mois, il distribue conseils et notes à son mari qui, maintenant il en est sûr, sera bientôt élu. Duhamel fait déjà la bise à Ismaël Emelien, le conseiller politique du futur président, qui a été son élève ici même, rue Saint-Guillaume. « Mon meilleur poulain », répète le politiste. En cette fin avril, chacun, devant Brigitte Macron, dresse à son tour le portrait-robot du premier ministre idéal. Un jeu, bien sûr, mais Duhamel en est.

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Les présidents changent, les ministres passent. Olivier Duhamel est déjà du côté du nouveau pouvoir. Il a été à bonne école. Dans le vaste appartement parisien de son père, Jacques, plusieurs fois ministre de Pompidou, des kyrielles d’hommes politiques, comme Edgar Faure, viennent déguster avenue Raymond-Poincaré le koulibiac de Benita, la cuisinière des Duhamel. Plus tard, Olivier Duhamel aimait lui-même aller jouer au poker et partager un whisky en bord de Seine dans la maison de Boissise-la-Bertrand (Seine-et-Marne) de l’ancien président du conseil – un as de toutes les combinaisons de la IVe et de la Ve.

En ce printemps 2017, personne ne devine qu’avec la disparition d’Evelyne Pisier l’une des chaînes qui enserrent le secret d’Olivier Duhamel vient de sauter. Lui-même en a-t-il conscience ? Depuis des années, il n’a pas été vraiment inquiété. En 2009, lorsque la rumeur de relations sexuelles avec le plus jeune des fils d’Evelyne a commencé à circuler, l’incrédulité générale a été sa meilleure protection. « Un inceste ? Lui ? Impossible », répondaient les nouveaux initiés. Comment imaginer pareil comportement d’un homme qui dit le droit toute la journée ? L’inceste traverse toutes les couches sociales, mais, dans son monde, cercle de sociologues, de juristes, de médecins, de psys, de cinéastes et de journalistes, on semble encore l’ignorer. La révolution #metoo n’a pas encore fait basculer ces esprits soixante-huitards et féministes qui ont accompagné la révolution sexuelle et ne jurent que par la « liberté ».

Les ficelles du régime

Rares sont ceux – des femmes, en majorité – qui ont osé affronter Olivier Duhamel directement. C’est un détail oublié de cette histoire : l’homme n’est pas facile. Il a pourtant l’air cool, avec ses bracelets brésiliens, son briquet pendu par un cordon autour du cou et ses éternels polos. Même aux dîners du Siècle, ce club où se croise l’élite du pouvoir, il refuse la cravate, pourtant longtemps obligatoire. D’un côté, il cultive son allure anti-establishment ; de l’autre, il navigue avec une belle aisance au cœur de la nomenklatura. Il est puissant et influent ; ses colères sont intimidantes, sa façon d’humilier écrasante, ses blagues et ses remarques souvent liées au sexe.

Il adore arranger des couples ou parrainer les nouvelles unions. Dans la vie professionnelle, il a la passion du piston. Devant lui, on a toujours un peu l’impression de passer un examen. Suis-je bon ? Serais-je invité dans son émission ? Il est le prof, toujours, malgré – ou peut-être à cause de – la menace d’opprobre qui plane au-dessus de lui. Au lieu de rentrer la tête, il continue d’échafauder des plans de carrière. Il « regrette », assurait sa femme, qui le soutenait sans réserve. « Tu sais, il n’arrête pas de se torturer », a-t-elle ajouté un jour devant son jeune fils. Pourtant, dans le même temps, il juge sa carrière entravée par les reproches de ses beaux-enfants. Julien Kouchner, l’aîné, entend même sa mère soupirer : « A cause de tout ça, Olivier a dû renoncer à être membre du Conseil constitutionnel. »

Entrer au Conseil « constit », c’est le Graal de Duhamel. Superviser les lois, censurer les gouvernements, surplomber les partis, imprimer sa marque par-delà les alternances, voilà, à ses yeux, la quintessence du pouvoir. Il a été, en 2001, l’un des initiateurs de l’inversion du calendrier entre législatives et présidentielle, puis l’un des concepteurs des primaires socialistes. A défaut des couloirs feutrés du siège des gardiens de la Constitution, il tient au Palais-Royal les conférences de rédaction de sa revue, Pouvoirs, qu’il codirige un temps avec son ami Marc Guillaume, un conseiller d’Etat aussi agile que lui pour tisser sa toile. Lorsqu’ils sont ensemble, ces spécialistes de la chose politique et des institutions ont l’impression de tenir les ficelles du régime.

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Dans des cercles qui leur sont parfois communs, il arrive que Bernard Kouchner éreinte publiquement ce« salaud » de Duhamel. Informé en 2009 par son fils des abus sexuels subis vingt ans plus tôt, l’ancien ministre et son épouse, la journaliste Christine Ockrent, se sont rangés au souhait du jeune homme de ne pas porter plainte, mais ils aimeraient qu’on ne déroule pas pour autant le tapis rouge au politiste.

Des dizaines de personnes entendent ainsi, par eux, parler des agissements de Duhamel, comme le conseiller Alain Minc – « Il y a trois ans ; depuis, je ne lui ai plus serré la main » –, le communicant Jacques Séguéla – « En 2011 » – et la patronne de France Culture, Sandrine Treiner, la même année – contrairement à ce qu’elle a affirmé le 7 janvier aux auditeurs devant la médiatrice de la chaîne. Dès ce moment, la directrice s’arrange pour que le politologue ne soit plus convié à l’antenne : « Je faisais explicitement part de mes préventions devant mes équipes. Cela a créé une zone de vigilance. »

Un appétit d’ogre pour le pouvoir

A l’extérieur, la statue qu’Olivier Duhamel s’est acharné à construire se lézarde, mais tient encore parfaitement debout. Le politiste reçoit l’admiration et la reconnaissance que, dans son cercle familial, ne lui offrent plus ses beaux-enfants. Depuis 2009, ceux-ci ne descendent plus passer l’été dans le Var, comme autrefois. A Paris ou à Sanary, une nouvelle bande les remplace un temps, sans savoir ni comprendre ce qui se joue dans l’intimité : la chercheuse Géraldine Muhlmann, élève chérie d’Evelyne, les journalistes Ali Baddou et Nicolas Demorand, qui aiment taper le carton avec le constitutionnaliste. Chaque sujet d’actualité chasse l’autre. Olivier Duhamel défend Dominique Strauss-Kahn, accusé de viol à New York, Richard Descoings, retrouvé mort dans un parfum de scandale, ou le réalisateur Roman Polanski. Toujours dissocier l’homme de l’artiste…Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’embarras du cinéma face à Roman Polanski

Il approche les 70 ans mais conserve un appétit d’ogre pour le pouvoir. Boulimique de jetons de présence et d’honneurs, il empile les titres de manière étourdissante. Il est déjà, depuis 2016, président de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), institution au cœur de Sciences Po, et directeur de collection chez Dalloz, la maison d’édition juridique. Il a aussi pris la présidence du conseil d’administration de Teach for France, une association créée par Nadia Marik. On le compte encore au sein du Club des juristes, et, depuis 2010 et sa retraite de professeur, il émarge comme avocat associé au sein du cabinet de son vieux complice Me Jean Veil.

Au-dessus du seuil d’alerte

Professeur honoraire à Sciences Po, Olivier Duhamel est devenu une diva. Outre sa retraite de professeur, il a obtenu de la FNSP, en 2018, une rémunération mensuelle de 3 000 euros brut, alors que ses prédécesseurs ne bénéficiaient que d’un défraiement de quelques centaines d’euros. Les conseils d’administration qu’il préside sont animés par ses blagues, auxquelles tout le monde rit bruyamment, et les rentrées scolaires par ses conférences inaugurales. Dans la salle à manger de l’institut d’études politiques, il trône comme aux banquets de Sanary, lâchant ses volutes de fumée malgré les interdictions.

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Il se grise aussi de médias : en plus de « Mediapolis », son émission hebdomadaire sur Europe 1, lui, l’homme de gauche, a décroché une chronique à Valeurs actuelles. C’est comme si la mort de son épouse, en 2017, avait fait tomber les ultimes garde-fous. Ce n’est jamais assez. « Au moins, cache-toi », conseillent pourtant les rares qui osent lui parler, mais il n’écoute plus personne. En janvier 2020, il accepte, pour deux ans, la présidence du Siècle. Et prend tous les risques, dont le plus gros : la télévision. Deux fois par semaine, le voici sur LCI, distribuant d’un ton péremptoire éloges et mauvais points.

Pendant des années, le prof de droit public a martelé dans son cours de droit constitutionnel ces phrases de L’Esprit des lois, de Montesquieu : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Personne ne lui applique l’adage. Il pointe à plusieurs conseils d’administration, prend des actions dans une maison de production à Marseille, se montre de plus en plus gourmand pour ses conférences : en 2020, il demandait – sans succès – 10 000 euros pour une intervention sur les questions prioritaires de constitutionnalité.

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Il ne s’est pas retiré à Sanary, comme il le dit à la presse, mais a conservé un petit studio au cœur de Paris, afin de courir conseils d’administration et médias. Et, désormais, les enterrements. Le 18 septembre 2020, au cimetière parisien du Père-Lachaise, les amis entourent le producteur de documentaires Michel Rotman, qui vient de perdre sa femme, Josée. Une nouvelle fois, Olivier Duhamel est au centre, juste derrière le micro, appuyé sur une tombe. Personne ne l’entend interroger l’un de ses neveux occupé à l’éviter : « Pourquoi une telle distance ? »

C’est la énième alerte qu’Olivier Duhamel prend pour la première fois au sérieux. Il ignore encore que sa belle-fille Camille Kouchner a déjà bouclé le manuscrit de son livre La Familia grande (Seuil, 208 pages, 18 euros) et qu’il va bientôt entraîner dans sa chute tous ceux qui, jusque-là, s’inclinaient devant son pouvoir.

Lire la tribune :Après l’affaire Olivier Duhamel, « l’omerta sur l’inceste pourrait bien se briser »

Raphaëlle Bacqué -Ariane Chemin

*A Sciences Po, l’onde de choc de la démission d’Olivier Duhamel

Le politologue, visé par des accusations d’inceste, a quitté ses fonctions lundi 4 janvier. Il présidait la Fondation nationale des sciences politiques depuis 2016. 

Par Soazig Le NevéPublié le 06 janvier 2021 à 10h16 – Mis à jour le 06 janvier 2021 à 12h01  

Temps de Lecture 3 min. 

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Une déflagration s’est abattue sur Sciences Po, lundi 4 janvier. Dans l’après-midi, le politologue Olivier Duhamel met fin à toutes ses fonctions, dont celle de président de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), l’instance chargée de la gestion financière et des orientations stratégiques de l’institut d’études politiques parisien.

Dans la foulée, Le Monde publiait un article révélant des accusations d’inceste le visant.Dans un livre, à paraître le 7 janvier (Seuil, 208 pages, 18 euros), intitulé La Familia grande, la juriste Camille Kouchner accuse son beau-père d’avoir agressé sexuellement pendant plusieurs années son frère jumeau, alors adolescent.

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S’adressant par mail aux vingt-quatre membres du conseil d’administration de la FNSP, le président démissionnaire explique sa décision. Il dit être « l’objet d’attaques personnelles » et affirme son désir de « préserver les institutions dans lesquelles [il]travaille ». Entre toutes, « l’institution » Sciences Po est sans doute celle qui lui est la plus chère depuis plusieurs décennies. Celle où il a fait carrière en formant des générations d’étudiants lorsqu’il enseignait le droit constitutionnel et les sciences politiques.

« Il était intouchable »

Conseiller du président du Conseil constitutionnel, membre du Comité consultatif pour la révision de la Constitution, député européen (PS), membre de la Convention sur l’avenir de l’Europe, membre du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la VRépublique, fondateur et directeur de la revue Pouvoirs, mais aussi animateur et chroniqueur sur LCI et Europe 1, président du club Le Siècle et membre du comité directeur de l’Institut Montaigne… Le constitutionnaliste Olivier Duhamel, 70 ans, a marqué les trente dernières années par son engagement public.

Lire l’enquête : Olivier Duhamel, l’inceste et les enfants du silence

Mais celui que Sciences Po présente sur son site Web comme « expert dans l’étude des institutions, de la vie politique et de leurs influences réciproques » aurait fini par en incarner une forme de dévoiement, selon ses détracteurs, qui voudraient profiter de l’occasion pour dépoussiérer la gouvernance de l’école. En 2015, son prédécesseur, Jean-Claude Casanova, avait été renvoyé devant la cour de discipline budgétaire et financière, à la suite de l’affaire du salaire mirobolant de l’ancien directeur Richard Descoings. En 2016, l’arrivée de M. Duhamel à la tête de la FNSP – dont il était membre du conseil d’administration depuis 1995 – avait fait naître un espoir qui reste déçu. Loin des préoccupations pédagogiques et stratégiques de l’école, son mandat illustrerait simplement l’influence de l’entre-soi et d’une caste déconnectée des réalités.

C’est uniquement sous le couvert de l’anonymat que les langues se sont déliées au sein de l’institution de la rue Saint-Guillaume. « Il était intouchable, relate un membre du conseil d’administration de la FNSP, composé de dix femmes et de quinze hommes. Duhamel était le président d’une espèce d’aristocratie et les membres enseignants et étudiants n’avaient aucun pouvoir sur lui. » « C’était à l’image des conseils d’administration du CAC 40, poursuit un autre. Des gens qui se fréquentent, ont des relations entendues et policées, mais dont la plus-value des décisions reste très minime pour le projet académique de Sciences Po. »

« Stupeur » du directeur

« Olivier Duhamel est quelqu’un à qui on ne s’oppose pas, confirme une autre source au sein de l’école. Il aimait raconter qu’il était copain avec tout le monde dans le microcosme politique. » 

« Ça ne va pas redorer le blason de notre école », déplore Arthur Moinet, membre du conseil d’administration de la FNSP entre avril 2018 et novembre 2020. L’ancien élu étudiant garde le souvenir d’une instance « duale »« Nous étions deux étudiants et trois professeurs, et presque tout le reste, c’était des proches d’Olivier Duhamel », rapporte-t-il estimant ce modèle de gouvernance « complètement dépassé ».

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Dans un message adressé aux enseignants, salariés et étudiants de Sciences Po, le directeur, Frédéric Mion – qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien, pas plus qu’Olivier Duhamel –, a fait part, mardi, de sa « stupeur »« Le respect absolu de la personne, de sa dignité, de son intégrité morale et physique, de son consentement, est une valeur cardinale de notre institution », a-t-il simplement déclaré.

Mardi 5 au soir, Sciences Po a modifié la liste des membres du conseil d’administration de la fondation. En lieu et place de la photo et du nom d’Olivier Duhamel figurent une silhouette rouge et la mention « président(e) en cours de désignation ».

Un conseil d’administration extraordinaire nommera, le 13 janvier, un président intérimaire, parmi les neuf membres « représentants des fondateurs », indique l’école. Y figurent notamment Louis Schweitzer, président d’honneur de Renault, Henri de Castries, président de l’Institut Montaigne, Marc Guillaume, préfet de Paris et d’Ile-de-France, et Laurence Parisot, directrice associée de Gradiva. Cette dernière a déclaré sur Twitter, mardi : « L’inceste devrait être un crime imprescriptible. Point. »

Soazig Le Nevé

**Sciences Po, cœur du pouvoir d’Olivier Duhamel

Le constitutionnaliste, accusé d’inceste, influence depuis trente ans l’école des élites et ses directeurs, de Richard Descoings à Frédéric Mion. 

Par Raphaëlle BacquéPublié le 08 janvier 2021 à 01h58 – Mis à jour le 08 janvier 2021 à 16h02  

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Temps de Lecture 7 min. 

Olivier Duhamel, à Science Po Paris, le 19 mai 2016.
Olivier Duhamel, à Science Po Paris, le 19 mai 2016. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Les accusations d’inceste de Camille Kouchner contre son beau-père Olivier Duhamel ont décapité d’un coup ce qui fait le cœur des élites françaises : Sciences Po et Le Siècle. Autant dire l’école du pouvoir et le club de la nomenklatura. Au sommet de l’une et de l’autre de ces deux institutions, le constitutionnaliste, visé par une enquête pour « viols et agressions sexuelles », y incarnait une forme de permanence des coteries françaises, transpartisanes et intemporelles. Au Siècle, on lui trouvera sans difficulté un remplaçant. Mais l’affaire ébranle bien plus durement Sciences Po dont il était, à travers la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), l’un des dirigeants influents.

Dans cette école, qui a vu passer cinq présidents de la République, des quantités de ministres, bon nombre de patrons et des journalistes en pagaille, le scandale paraît toujours raconter – même injustement – les travers de la fine fleur du pays. Il résume en tout cas ce qu’était le pouvoir de ce professeur que rien n’a ébranlé pendant si longtemps.

Science du réseau

A Sciences Po, Olivier Duhamel est une sorte de diva depuis plus de trente ans. Bien avant de devenir l’un de ses dirigeants, il y a donné le cours-phare sur les institutions publiques, dispensé aux premières années. Mais il a toujours été bien plus qu’un bon pédagogue. Au sein de l’école de l’élite, il appliquait ce qu’il ne dispense pas dans ses cours : une science du réseau qui est, plus efficacement que la connaissance du droit, le moteur du pouvoir.

A son arrivée, à la fin des années 1980, il n’est pourtant que simple maître de conférences. Mais ce fils de ministre tutoie tout de suite les instances dirigeantes. Tout va ensuite très vite. En 1991, c’est à lui que le patron de Sciences Po, Alain Lancelot, s’adresse pour parrainer au Siècle, dont il est membre depuis plusieurs années déjà, celui qui passe pour son dauphin, le jeune Richard Descoings. Bon investissement. En 1996, « Richie », comme les étudiants surnomment Descoings, devient directeur de Sciences Po. Et choisit Olivier Duhamel comme « conseiller spécial ».

Lire l’enquête : Olivier Duhamel, l’inceste et les enfants du silence

C’est la première fois qu’un directeur est épaulé par un « special advisor, comme en ont les présidents américains », se flatte Olivier Duhamel. La nomination fait pourtant tiquer quelques-uns. Dans les fiches d’évaluation que les étudiants remplissent chaque année sur leurs profs (la réforme a été impulsée par Richard Descoings), plusieurs élèves ont expliqué que le professeur Duhamel utilisait leurs travaux pour écrire des pans entiers de ses livres… Péché véniel, balaie « Richie », qui s’enthousiasme : « Olivier connaît tout le monde ! »

C’est vrai. Duhamel n’appartient pas à la haute fonction publique comme le conseiller d’Etat Descoings, mais il possède mieux qu’un passeport au sein des grands corps de l’Etat : une camaraderie de longue date avec bon nombre de ministres, de patrons, de journalistes en vue. Le Parti socialiste l’a d’ailleurs investi, en 1997, pour devenir député européen.

Cela ne l’empêche pas de continuer à assurer ses cours sur le droit constitutionnel et la politique comparée. Au sein du conseil d’administration de la FNSP, il est toujours là pour défendre les transgressions de son patron. Des parents viennent en effet se plaindre. « Richie » envoie des messages enflammés à leur fils, élève de première année. « Le garçon est majeur ! », répond Duhamel à une secrétaire de l’administration qui s’inquiète d’une possible accusation de harcèlement et d’un abus de pouvoir.

Soutien de DSK

Lorsque Descoings propose de confier à Dominique Strauss-Kahn (DSK) son grand cours d’économie de première année, pour la rentrée 2000, Olivier Duhamel, ami de DSK et surtout d’Anne Sinclair, mène campagne dans les médias et au sein de l’institution pour l’ancien ministre de l’économie.

Le conseil d’administration, en effet, hésite. Un an et demi plus tôt, DSK, pris dans le scandale de la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF), a dû démissionner de Bercy. Il est alors soupçonné de « corruption passive » dans l’affaire de la mutuelle étudiante, mais aussi mis en examen pour « recel d’abus de biens sociaux » dans l’affaire Elf. Peut-il, dans ces conditions, enseigner à des étudiants ? « Achetons-le à la baisse et, s’il devient président de la République un jour, ce sera formidable », répète Duhamel.

A Strauss-Kahn, Descoings et son conseiller spécial passent tout. L’ancien ministre de l’économie se voit accorder une prime exceptionnelle et l’on ferme les yeux sur sa manie de draguer les étudiantes. Une fois directeur général du Fonds monétaire international (FMI), DSK continue d’ailleurs d’aider Sciences Po en animant, avec Anne Sinclair, de Washington, des soirées de récolte de fonds pour l’école.

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Quand, un an après la chute du patron du FMI, accusé de viol par une employée du Sofitel de New York, Richard Descoings est retrouvé mort dans une chambre d’hôtel de Manhattan, Olivier Duhamel est encore là pour défendre le bilan de « Richie » et les primes faramineuses que ce dernier s’est octroyées, ainsi qu’à son épouse, Nadia Marik, et aux membres de la direction. Le constitutionnaliste le fait avec la morgue qui est dans son caractère. Dans Libération, le voilà qui s’emporte contre les journalistes, « érigés en procureurs des mœurs », qui enquêtent sur DSK et s’interrogent sur Descoings.

Duhamel agace, avec ses manières tour à tour enjôleuses ou brutales, mais Sciences Po est un petit monde où les intérêts s’entrecroisent. Avec le président de la FNSP d’alors, Jean-Claude Casanova, et celui du conseil de direction, Michel Pébereau, tous deux des libéraux affirmés, l’ex-élu socialiste Olivier Duhamel se démène pour organiser la succession de Descoings et empêcher tout droit d’inventaire sur un héritage qui est aussi le leur.

Directeur général de l’enseignement scolaire, ancien recteur de l’académie de Créteil, Jean-Michel Blanquer paraissait être le meilleur candidat ? Il est éliminé d’emblée. Comme le professeur de sciences politiques Dominique Reynié, le président de l’université Paris-II Louis Vogel, l’économiste Jean Pisani-Ferry ou le directeur de Sciences Po Lille, Pierre Mathiot.

Invité des Macron à La Rotonde

L’ancien compagnon de Richard Descoings et patron de la SNCF Guillaume Pepy, mais aussi le secrétaire général du Conseil constitutionnel, Marc Guillaume, qui codirige la revue Pouvoirs avec Olivier Duhamel, ont une autre idée : Frédéric Mion. Conseiller d’Etat comme l’était Descoings, il a autrefois dirigé la section Service public de Sciences Po. Pour autant, il n’a pas postulé lors de la première procédure de recrutement. Son projet tient d’ailleurs en trois pages de pures généralités. Aucune importance.

« Manifestement, ce qui se jouait n’avait rien à voir avec une quelconque réforme de l’institution. C’était même le contraire », témoigne l’un des recalés de l’époque. Duhamel n’a jamais eu peur de s’engager. Il fait donc campagne pour ce quadragénaire qui promet d’être plus policé que « Richie » et de préserver son héritage. En 2013, Frédéric Mion est nommé directeur de Sciences Po.

Un an plus tôt, l’élection de François Hollande à la présidence de la République a renforcé l’entregent d’Olivier Duhamel. Il connaît le nouveau chef de l’Etat de longue date, comme le secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet. C’est d’ailleurs Duhamel qui plaide auprès du président, avec la nouvelle directrice de la stratégie et du développement de Sciences Po, Brigitte Taittinger, épouse de M. Jouyet, pour que le ministère de la défense vende à Sciences Po l’hôtel de l’Artillerie, au cœur de Paris. Bernard Arnault, le patron de LVMH, qui en proposait un prix plus élevé, doit s’incliner

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Autant dire qu’en 2016, lorsque Jean-Claude Casanova cède la présidence de la FNSP, personne ne conteste Olivier Duhamel. C’est un poste d’influence, plus que de véritable décision. Frédéric Mion s’en accommode fort bien : il n’aime ni les conflits ni l’inconnu.

Avec son habituel sens des réseaux, le constitutionnaliste a rencontré, grâce à Laurent Bigorgne, qui fut autrefois le second de Descoings et dirige désormais l’Institut Montaigne, le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, et son épouse, Brigitte. En février 2017, alors que son épouse, Evelyne Pisier, meurt, il se noie dans la campagne électorale. Au mois de mai, Sciences Po est aux anges : Duhamel a été l’un des invités des Macron à La Rotonde, dans l’entre-deux-tours, et Frédéric Mion est un ami intime du futur premier ministre Edouard Philippe.

Lors des conseils d’administration de l’école, les deux hommes se font la bise et se donnent du « cher ami ». En 2019, l’ancienne ministre de la culture Aurélie Filippetti a pourtant rapporté au directeur de Sciences Po les accusations d’inceste dont le président de la FNSP fait l’objet. Jean Veil, l’avocat dont Olivier Duhamel est l’associé, a-t-il confié à ce dernier que Frédéric Mion s’en était inquiété auprès de lui ?

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Le constitutionnaliste ne montre en tout cas aucune inquiétude. Pas plus que le patron de Sciences Po, qui lui confie même la leçon inaugurale à la rentrée 2020. Tous deux continuent à diriger l’école du pouvoir. Comme si de rien n’était.

Raphaëlle Bacqué

Le préfet Marc Guillaume, qui se dit « trahi », quitte toutes les fonctions où il a travaillé avec Olivier Duhamel

L’ex-secrétaire général du gouvernement a démissionné des conseils d’administration de Sciences Po, de la revue « Pouvoirs » et du club Le Siècle. Il a assuré au « Monde » qu’il n’était « pas au courant des accusations d’inceste » contre l’universitaire. 

Par Raphaëlle Bacqué et Ariane CheminPublié le 13 janvier 2021 à 12h18 – Mis à jour le 14 janvier 2021 à 07h55  

Temps de Lecture 2 min. 

https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/13/affaire-duhamel-le-prefet-marc-guillaume-quitte-ses-fonctions-a-sciences-po-a-pouvoirs-et-au-siecle_6066111_3224.html

Le préfet d’Ile-de-France, Marc Guillaume, en octobre 2020 à Paris.
Le préfet d’Ile-de-France, Marc Guillaume, en octobre 2020 à Paris. LUDOVIC MARIN / AFP

Le conseiller d’Etat Marc Guillaume, ancien secrétaire général du gouvernement et actuel préfet d’Ile-de-France, a annoncé, mercredi 13 janvier, sa démission de tous les conseils d’administration où il siégeait avec Olivier Duhamel : la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), la revue Pouvoirs, qu’il a longtemps codirigée avec le politologue, et le club Le Siècle. « Fréquentant Olivier Duhamel depuis des années, je me sens trahi et condamne absolument ces actes », a indiqué Marc Guillaume dans un bref communiqué.

Joint au téléphone mercredi 6 janvier par Le Monde, M. Guillaume, 56 ans, nous avait déclaré qu’il « n’était pas au courant des accusations d’inceste portées contre Olivier Duhamel et telles que rapportées par Camille Kouchner ». Dans son livre La Familia grande (Ed. Seuil), publié jeudi 7 janvier et déjà vendu en cinq jours à plus de 21 300 exemplaires, selon l’indicateur GfK, cette juriste de 45 ans dénonce les agressions incestueuses imposées par son beau-père, Olivier Duhamel, à son frère jumeau pendant plusieurs années, alors que le jeune garçon avait 13 ou 14 ans.Lire l’enquête : Olivier Duhamel, l’inceste et les enfants du silence

Lors de cet entretien, Marc Guillaume avait refusé de nous indiquer s’il avait été alerté de ces faits début 2018. A cette époque, le directeur de Sciences Po, Frédéric Mion, avait été solennellement informé de ces faits par l’ancienne ministre socialiste de la culture Aurélie Filippetti – ce qu’il a reconnu au Monde, le 6 janvier.

Mme Filippetti tenait ses informations d’une des plus proches amies d’Olivier Duhamel, Janine Mossuz-Lavau, aujourd’hui directrice de recherche émérite au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) et mise au courant dès le début des années 2010. « Je vais avertir Marc Guillaume »avait alors lancé M. Mion, selon Mme Filippetti.

Respecté et redouté

« Imperator », « Léviathan », « premier ministre bis », « M. Non », « grand chambellan »… C’est ainsi que l’on surnommait Marc Guillaume. Grand connaisseur des arcanes de l’Etat, présidant pendant des années les comités de sélection des directeurs d’administration, cet inconnu du grand public faisait figure de parrain de la haute fonction publique, à la fois « faiseur de rois » et « coupeur de têtes », comme le racontait Le Monde.

Lire le portrait de 2020 : Marc Guillaume, la disgrâce du « grand chambellan »

Détesté pour son arrogance et sa brutalité, il était respecté pour sa science du droit, mais aussi redouté. Censé contrôler la validité juridique des réformes du gouvernement, on lui reprochait de juger trop souvent de leur opportunité politique et de freiner le changement.

Le 6 août 2020, Marc Guillaume avait été placé une première fois sous le feu des projecteurs. Le Monde avait révélé que, deux ans plus tôt, dans une omerta totale, les conseillères de l’Elysée au grand complet avaient dénoncé dans une note de deux pages« les comportements sexistes au plus haut niveau de l’Etat », dans laquelle il était visé au premier chef. Blagues misogynes, mise à l’écart des femmes, humiliations publiques, les exemples étaient si nombreux que le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, et son adjointe, Anne de Bayser, avaient été obligés de faire état de la protestation des « conseillères » à Matignon.

En juillet 2020, au moment de changer de premier ministre, plusieurs visiteurs du soir vinrent expliquer à Emmanuel Macron que Matignon comptait en vérité « trois têtes » : Edouard Philippe, mais aussi son directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas, et le secrétaire général du gouvernement, Marc Guillaume. Autrement dit, qu’il fallait « les couper ensemble ».

Fait rare sous la Ve République, Marc Guillaume a quitté ses fonctions avec Edouard Philippe. Il a été nommé, en juillet 2020, préfet d’Ile-de-France et de Paris, son poste actuel, où il continue de distiller en haut lieu sa fine connaissance des rouages de l’Etat et où il continue de rêver à son Graal : la vice-présidence du Conseil d’Etat.

Raphaëlle Bacqué et  Ariane Chemin

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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