Y aura-t-il assez de doses ? Inquiétudes avant le début de la campagne de vaccination pour les plus de 75 ans
Les personnes de plus de 75 ans vivant à leur domicile vont pouvoir se faire vacciner à compter de lundi. Sur le terrain, des médecins craignent de manquer de vaccins.
Y aura-t-il assez de doses pour répondre à la demande ? A la veille de l’élargissement de la campagne vaccinale à l’ensemble des « plus de 75 ans », à compter du lundi 18 janvier, la question inquiète dans les rangs des professionnels de santé. « On s’attend à des tensions et à un début de semaine difficile, pointe Jacques Battistoni, président de MG France, premier syndicat chez les médecins généralistes. La vaccination a été ouverte à un très large public, mais sans préciser que le nombre de doses restait limité… On va se retrouver avec des files d’attente, des gens frustrés. »
Plusieurs centaines de centres de vaccination doivent recevoir cette nouvelle population, qui représente environ cinq millions de personnes, appelées à se faire vacciner plus tôt que prévu, après le coup d’accélérateur décidé par le gouvernement, début janvier. Les patients « à risque », atteints de maladies graves, doivent eux aussi venir s’ajouter dans les jours qui viennent – soit environ 800 000 personnes, a annoncé le ministre de la santé, Olivier Véran, lors de la conférence de presse gouvernementale jeudi 14 janvier.
Mais le nombre global de doses de vaccins reste le même, soit 500 000 par semaine, pointent de toutes parts les médecins libéraux, en première ligne de cette nouvelle phase « grand public ». « Nous avons une forte inquiétude sur l’approvisionnement, insiste Jean-Paul Ortiz, à la tête du CSMF, premier syndicat chez les médecins libéraux. La situation est très irrégulière selon les territoires, certains centres ne rencontrent pas de difficultés, mais d’autres ont déjà du mal à avoir suffisamment de vaccins. »
Plannings d’inscriptions déjà complets
Avec une inconnue supplémentaire : le laboratoire Pfizer a annoncé, vendredi, qu’il allait devoir réduire temporairement les livraisons de nouvelles doses aux pays européens, jusqu’à début février.
Une certitude à ce jour : l’engouement pour la vaccination est là. Standards téléphoniques pris d’assaut, plannings d’inscriptions déjà complets… Dès son ouverture jeudi, la plate-forme nationale lancée par le gouvernement, « Sante.fr », a été surchargée et bloquée, avec 8 000 connexions toutes les secondes, a rapporté le ministre Olivier Véran. Vendredi, plus d’un million de rendez-vous avaient été pris auprès d’un centre de vaccination dans toute la France pour les deux injections (soit 500 000 personnes concernées), a indiqué la direction générale de la santé.
« Toutes les personnes qui souhaitent être vaccinées le seront », a assuré M. Véran, jeudi, tout en reconnaissant que, fin février, la France devrait détenir un nombre de doses inférieur à celles nécessaires à la vaccination des 6,4 millions de personnes supplémentaires appelées à se faire vacciner. « Si cela prend du temps, plusieurs semaines, soyez rassurés, en définitive, vous serez vaccinés », a-t-il insisté.
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Sur le terrain néanmoins, il faut dès à présent gérer de premières crispations. En Ile-de-France, en milieu de semaine, l’annonce de la répartition des doses entre centres de vaccination a pu donner quelques sueurs froides à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Allait-on devoir rediriger les vaccins destinés aux soignants (de plus de 50 ans ou avec comorbidité) vers les plus de 75 ans ? « Il n’y aura pas de problème d’approvisionnement pour la semaine qui vient, assure Martin Hirsch, à la tête de l’AP-HP, qui dit avoir pu obtenir 5 000 doses supplémentaires permettant de continuer « au même rythme » la vaccination des professionnels de santé et des patients vulnérables prioritaires.
Répartition « de facto »
A l’agence régionale de santé Ile-de-France, on rappelle que « le nombre de doses livrées est fini », ce qui engendre de facto une répartition. « Nous appliquons les règles de répartition définies nationalement », explique l’ARS, précisant que les doses en direction des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont sanctuarisées, puis celles restantes partagées de façon proportionnelle entre les publics cibles et selon les capacités des centres de vaccination.
Dans les nouveaux centres « ambulatoires » qui vont ouvrir pour les plus de 75 ans, la découverte du nombre de doses attribuées provoque déjà une forte déception chez certains médecins généralistes. « Nous avons monté, avec la mairie de Clamart, un centre dans la salle des fêtes dimensionné pour vacciner quelque 4 500 personnes, rapporte Jean-Paul Hamon, généraliste dans cette ville des Hauts-de-Seine. Mercredi, nous avons appris que nous allions, royalement, recevoir 420 doses… ». Pour le président d’honneur du syndicat FMF, en colère, « la vaccination va rejoindre le panthéon des réussites phénoménales de ce ministère ! »
Dans d’autres régions, le discours est plus rassurant, comme à Nancy, où les plus de 75 ans sont vaccinés depuis mercredi. « Il y a une vigilance sur l’approvisionnement, dit le maire socialiste, Mathieu Klein. Mais pour l’heure, les stocks sont suffisants pour couvrir les besoins. »
Même tonalité à Lyon. « Nous ne sommes pas dans une situation de tension, assure Claude Dussart, chef de service de la pharmacie centrale aux Hospices civils de Lyon. Nous recalibrons les choses au fur et à mesure, c’est un jeu d’équilibriste, mais à ce jour, le nombre de vaccins n’est pas un facteur limitant dans le déploiement de la campagne. »
« Une pression folle »
Il n’empêche, son confrère radiologue, Pierre-Jean Ternamian, à la tête de l’URPS-Médecins libéraux Auvergne-Rhône-Alpes, est bien plus inquiet, alors que les rendez-vous affichent déjà complet sur des sites comme celui de Gerland, rapporte-t-il. « On va avoir une pression folle. En Auvergne-Rhone-Alpes, les nouvelles catégories à vacciner représentent un million de personnes, mais nous n’aurons que 40 000 doses par semaine jusqu’au 22 février. Comment pourrait-on y arriver ? Ça va être un véritable scandale. »
Difficile aussi d’être confiant pour les jours à venir, au regard des ajustements permanents qui interviennent depuis le lancement de la campagne.
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, les super-congélateurs des hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM), centre hospitalier de référence pour les Bouches-du-Rhône, abritaient, jeudi, « assez de doses pour tenir une semaine », selon Pierre Bertault-Peres, responsable de la pharmacie de l’établissement. Mais sur les 9 500 vaccins Pfizer hebdomadaires normalement prévus, le centre marseillais n’en a reçu que la moitié.
En attendant la prochaine livraison, l’AP-HM a dû porter secours au Var, sous-doté, en lui adressant deux fois 400 doses, et doit fournir les centres dédiés aux soignants dans ses propres établissements ou à l’Hôpital européen, des Ehpad, le bataillon des marins-pompiers… Le pôle marseillais est également sollicité par des Ehpad privés pressés de vacciner leurs pensionnaires, alors que le flux devant les approvisionner via les officines de pharmacie ne sera mis en service qu’à partir du 18 janvier.
« Il règne une grande confusion dans ces questions d’approvisionnement », pointe le président de l’ordre régional des pharmaciens, Stéphane Pichon.Notre sélection d’articles sur les vaccins contre le Covid-19
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