Covid-19 : le discours antivaccin dissimulé d’Henri Joyeux
Si l’ex-cancérologue refuse d’être présenté comme opposant à la vaccination contre le Covid-19, il appelle bien à s’en méfier et à la refuser dans un premier temps.
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Le professeur Henri Joyeux n’est pas un médecin parmi tant d’autres. A 74 ans, cet ancien cancérologue réunit de nombreux adeptes sur les réseaux sociaux, friands de ses conseils en matière de santé, notamment depuis le début de l’épidémie due au coronavirus SARS-CoV-2. Mais il est aussi critiqué par nombre de ses pairs pour des prises de position controversées sur des sujets comme la pilule, l’avortement ou la nutrition. Fait rarissime, six académies scientifiques, dont celles de médecine et des sciences, ont conjointement dénoncé certains de ses propos sur la vaccination en 2018.
Régulièrement mis en avant par les opposants à la vaccination, le professeur Henri Joyeux y est-il lui-même défavorable ? « Mais pas du tout », assurait-il à Jean-Marc Morandini sur CNews lundi 11 janvier. Pourtant, derrière cette posture, le professeur Joyeux distille un discours orienté. Sans directement énoncer de contre-vérités, son raisonnement insiste sur des points anecdotiques ou contestables, si bien qu’il dresse un tableau partial de la campagne de vaccination qui a débuté à la fin du mois de décembre.
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- Un discours trompeur sur les différents vaccins
Lorsque M. Morandini lui demande s’il est favorable à la vaccination contre le Covid-19, Henri Joyeux répond : « Je me ferai vacciner contre le coronavirus quand j’y verrai clair. Pour l’instant je vois trois vaccins, quatre vaccins qui arrivent. Il y en a encore un japonais (…). Peut-être ce sera celui-là, peut-être ce sera Sputnik V, peut-être ce sera Pfizer, peut-être ce sera Moderna. Je n’en sais rien. »
Henri Joyeux semble placer sur le même plan l’ensemble des vaccins, en évoquant simplement la nécessité d’avoir plus d’informations à leur sujet. Pourtant, plusieurs situations bien différentes coexistent. D’un côté, une partie des candidats-vaccins sont en attente d’une éventuelle autorisation européenne puis française, voire en sont encore aux premiers stades des essais cliniques. Les informations disponibles à leur sujet sont donc limitées.
Mais deux des vaccins cités (celui de Pfizer-BioNTech ainsi que celui de Moderna) ont été autorisés par l’Union européenne et la France, à l’issue d’une procédure certes accélérée, mais loin d’être permissive. Ils ont déjà été administrés des millions de fois dans le monde, sans faire apparaître pour l’heure un nombre significatif d’effets indésirables graves. Et ils offrent un bénéfice avéré pour protéger les populations contre un virus qui a déjà fait environ 2 millions de morts dans le monde. Que manque-t-il à Henri Joyeux pour y voir « clair » à leur sujet ? Contacté par Le Monde, l’intéressé n’a pas répondu à nos sollicitations pour l’heure.
- Une opposition à la vaccination immédiate des personnes âgées
Henri Joyeux défend également l’idée selon laquelle ce ne serait pas aux autorités sanitaires de fixer une stratégie de vaccination nationale, mais aux médecins de dire de manière individuelle : « Madame, monsieur, vous en avez besoin. »
Alors qu’il lui est demandé s’il recommande aux personnes âgées en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de se faire vacciner, l’ancien cancérologue répond : « Pour l’instant, je leur dis “attendez” » en citant l’exemple d’une « mamie de 92 ans » en bonne santé. Il estime préférable pour ces patients d’attendre« un mois, une semaine ou trois semaines » avant de décider de se faire vacciner.
Bien sûr, il existe des contre-indications, ce qui justifie la tenue d’une consultation préalable au vaccin. Chaque patient est libre de se faire vacciner ou non. Il est également vrai qu’on ne dispose pas aujourd’hui de certitudes, mais seulement des indices sur un possible effet du vaccin sur la transmission du virus. Mais la vaccination n’est pas qu’une affaire individuelle : se protéger contribue à diminuer le nombre de malades sur la durée, et donc à limiter le poids de l’épidémie sur le système de santé.
D’autre part, les personnes âgées sont parmi les publics les plus vulnérables face au Covid-19, surtout lorsqu’elles vivent en collectivité. A eux seuls, les résidants des Ehpad représentent près de la moitié des morts de l’épidémie en France. Là encore, Henri Joyeux ne dit pas clairement quelle information précise il lui manquerait pour conclure que la vaccination pourrait représenter un risque inférieur au Covid-19 pour une « mamie de 92 ans ».
- L’aluminium vaccinal, un sujet éloigné des questionnements actuels
Au cours de son intervention sur CNews, Henri Joyeux évoque à plusieurs reprises la présence d’aluminium comme adjuvant dans des vaccins, notamment pour le Covid-19 :
« J’ai appris aujourd’hui en Chine, vous avez Sinovac, qui vous donne un nouveau vaccin efficacité 50 %, avec aluminium dedans. Je n’en veux pas. (…) Je suis contre l’aluminium et je suis contre les abus quand ça n’est pas nécessaire. »
La présence d’aluminium sous forme d’adjuvant dans certains vaccins vise à stimuler la réponse immunitaire de l’organisme. Ce procédé est utilisé depuis les années 1920 et aucune étude scientifique n’a établi à ce jour qu’il aurait des effets négatifs qui pourraient remettre en cause les bénéfices des vaccins concernés. Qu’importe pour Henri Joyeux, qui ferraille depuis des années contre l’aluminium vaccinal, notamment par le biais d’une pétition qui a rencontré le succès et a agacé jusqu’au ministère de la santé.
Dans tous les cas, cette insistance sur la présence d’aluminium vaccinal dans le cas du Covid-19 est révélatrice. Si le vaccin développé par le laboratoire Sinovac comporte bien un adjuvant à base d’hydroxyde d’aluminium, il n’est pas autorisé en France ni ailleurs en Europe. Les deux vaccins qui le sont (ceux de Pfizer et de Moderna) en sont dépourvus, ce que le professeur Joyeux omet de signaler.
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