« L’affaire du siècle » : « Les juges français doivent oser défendre le droit à un environnement sain et un climat stable »
TRIBUNE
Le jeudi 14 janvier se tient au tribunal administratif de Paris la toute première audience de « L’affaire du siècle » : cette action en justice climatique qui résonnera bien au-delà des frontières de la France doit absolument aboutir, expliquent, dans une tribune au « Monde », les principaux auteurs d’actions en justice climatiques à travers le monde.
Publié aujourd’hui à 12h12, mis à jour à 12h21 Temps de Lecture 4 min.
Tribune. La question de savoir si nous serons collectivement en mesure de répondre au dérèglement climatique est bel et bien l’affaire de notre siècle. Car le climat nous concerne toutes et tous, avec d’importants impacts sur les écosystèmes, notre santé, notre capacité à vivre sur cette planète, et évidemment sur nos économies et nos modèles politiques.
Mais aussi, sur la justice sociale, car il devient de plus en plus évident que nous ne sommes pas tous touchés de la même manière par les modifications du climat, à travers le monde, ainsi que sur nos territoires ; et que de la même manière, nous ne sommes pas équitablement protégés. Les Etats n’ont pas plus le droit de violer les droits fondamentaux des citoyens que de ne pas agir pour le climat. Il s’agit d’un seul et même combat.
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Le climat est donc une affaire de justice, et pas seulement des politiques. Ou pour le dire plus clairement : si les moyens et méthodes d’action pour le climat relèvent bien de choix politiques, agir pour le climat devrait déjà être compris partout comme une obligation s’imposant aux autorités publiques, et plus encore au sein des démocraties et états de droit.
Mille actions en justice
C’est ce que chacun d’entre nous défend dans son pays, c’est aussi ce que les jeunes Portugais défendent face à une trentaine d’Etats européens dont on attend encore une réaction politique à la hauteur de l’enjeu climatique. Au cours des dix dernières années, plus de mille actions en justice climatique ont été recensées à travers le monde. Parmi elles, celle de Urgenda a emporté victoire sur victoire depuis 2015, jusqu’à la toute dernière, en décembre 2019, devant la Cour Suprême néerlandaise.
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Cette décision, de la plus haute juridiction d’un des Etats membres de l’Union européenne (UE), devrait inspirer les tribunaux du monde entier. Dans son arrêt, la Cour suprême néerlandaise a estimé que, sur la base des droits humains fondamentaux, les Pays-Bas ont le devoir de faire leur juste part dans la lutte contre la crise climatique et doivent donc réduire leurs émissions plus rapidement que ce à quoi la politique de l’époque était disposée à s’engager. Les droits et principes appliqués par la Cour suprême néerlandaise sont universels. Concomitante du lancement de « L’affaire du siècle », elle doit aussi éclairer la décision qui sera celle des juges français.
Les Etats n’ont pas plus le droit de violer les droits fondamentaux des citoyens que de ne pas agir pour le climat. Il s’agit d’un seul et même combat
Partout les faits sont clairs : malgré les rapports scientifiques de plus en plus alarmistes, malgré les engagements internationaux de nos Etats vis-à-vis des droits humains aussi bien que du climat, leur action est bien trop lente. Selon les estimations de l’ONU, à partir des derniers engagements pris par les Etats visant à augmenter les objectifs de 2030 et à atteindre le zéro net par les principaux émetteurs tels que l’UE, la Chine, le Japon et la nouvelle administration américaine entrante, l’augmentation de la température mondiale atteindrait encore 2,5 °C à la fin du siècle, dépassant largement les objectifs de l’Accord de Paris.
Parmi les pays dont nous sommes originaires, la France se distingue : elle a à la fois une empreinte carbone plus basse que la moyenne européenne, puisque son modèle énergétique repose en grande partie sur le dangereux nucléaire ; mais elle est incapable de la réduire. La France est ainsi l’un des pays dans lesquels les émissions importées ont augmenté le plus vite ; en somme : depuis les années 1990, l’empreinte carbone de la France a quasiment stagné et ceci, malgré l’avancée des technologies et des solutions disponibles pour l’amoindrir.
Absence de volonté politique
Ce que soulève « L’affaire du siècle », c’est le fossé qui sépare les engagements pris au sein même de la loi française avec les objectifs réellement atteints. Ce qui la rend plus légitime encore, c’est l’accélération du réchauffement climatique et l’augmentation des objectifs climat des pays occidentaux et a fortiori, de l’Union européenne dont la France fait partie. Car le risque est que l’écart actuel, déjà fort dommageable, ne fasse que se creuser. Que l’absence de volonté politique, encore démontrée par le dédain des propositions de la Convention citoyenne pour le Climat, ne contribue à pousser la France encore plus loin des rails climatiques.
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Les juges français doivent oser défendre le droit à un environnement sain et un climat stable. Ils doivent aussi comprendre que leur décision fera date et concerne bien plus que la population française. Etablir une obligation d’action climatique aux Etats dans le cadre de l’état de droit est une nécessité et une urgence.
Avec cette tribune, nous tenons à affirmer notre soutien à cette grande action en justice dont les conclusions résonneront bien au-delà des frontières de France. Mesdames et messieurs les juges, soyez clairvoyants : de la décision qui sera la vôtre repose, en partie, l’avenir de la planète et de l’humanité.
Les signataires : Adelaïde Charlier et Camille Etienne, activistes française et belge pour le climat, Friday for future ; Filippo Fantozi, Marjan Minnesma et Dennis Van Berkel, Urgenda, Pays-Bas ; Serge de Gheldere, Lambert Schoenmaekers, Ignace Schops, Sarah Van Riel, Johan Van Den Bosch et Sarah Tak, Klimaatzaak, l’Affaire climat belge ; Lucie Greyl, A Sud – Ecologia e Cooperazione ONLUS, Italie ; Anne Mahrer, coprésidente des Aînées pour la protection du climat, Suisse ; Dr Gearóid Ó Cuinn, directeur du Global Legal Action Network, engagé auprès des six jeunes Portugais ayant saisi la Convention européenne des droits de l’homme pour inaction climatique de trente-trois Etats européens ; Marie Toussaint, fondatrice et ex-présidente de Notre affaire à tous, eurodéputée écologiste ; Wendel Trio, directeur de CAN Europe (Climate Action Network Europe) ; Dr Roda Verheyen, avocate de l’environnement, engagée dans le People’s Climate Case et l’affaire Huaraz, Saul versus RWE, Allemagne ; Ridhima Pandey, engagée dans une action en justice contre l’Inde ; Alexandria Villaseñor, fondatrice d’Earth Uprising International, qui a saisi le Comité international des droits de l’enfant pour inaction climatique de cinq Etats pollueurs : France, Allemagne, Argentine, Brésil et Turquie.