La présidence portugaise de l’Union européenne veut relancer « l’Europe sociale »
Avec la crise, le Vieux Continent devrait compter plus de 30 millions de travailleurs pauvres, déplorent l’Observatoire social européen et l’Institut syndical européen.
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C’est le gouvernement du Portugal, à la tête de l’Europe pour six mois, qui l’affirme : la relance, lors de la période post-Covid, sera économique, numérique, « verte », mais elle devra aussi être sociale. En présentant son programme d’action, le premier ministre socialiste, Antonio Costa, a, du même coup, ressuscité un thème que la pandémie et ses lourdes conséquences ont largement éclipsé, celui de « l’Europe sociale ». La relance et la transition auxquelles se prépare l’Union ne pourront entraîner « des ruptures insupportables », insistait M. Costa. « Il ne peut y avoir de relance économique sans relance sociale », acquiesce Oliver Röpke, président du groupe des travailleurs pour le Comité économique et social européen, une assemblée consultative.
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Pour conforter sa réflexion, le dirigeant portugais s’inspirera sans doute des données et des recommandations publiées, mardi 12 janvier, par l’Observatoire social européen et l’Institut syndical européen. L’imposant Bilan social que ces deux institutions installées à Bruxelles publient chaque année revêt, cette fois, une dimension particulière, avec, d’une part, une mobilisation sans précédent de l’Union et de ses pays membres pour tenter de limiter les effets de la crise et, d’autre part, la perspective d’un risque social majeur. « Une bombe prête à exploser », affirme Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats.
Le bilan établi par les deux organisations ne pouvait évidemment prendre en compte, en raison de ses délais de réalisation, les évolutions les plus récentes de la crise (le lancement de la vaccination, l’impact exact d’une deuxième, voire d’une possible troisième vague, la prolongation de mesures de confinement…), et, partant, l’ampleur précise des chocs subis par les pays. Dans le rapport, certaines données chiffrées font, dès lors, défaut.
« Une réaction spectaculaire »
On peut toutefois se référer à des estimations officielles pour évaluer l’ampleur des problèmes. Celles d’Eurostat, par exemple, qui indiquent que le nombre de pauvres ou de personnes à la limite de la pauvreté était déjà de 107,5 millions en Europe à la fin de 2019, soit 21,4 % de la population. Une proportion qui devrait s’accroître. A la mi-2020, déjà, le niveau global de l’emploi avait baissé de 2,7 %. M. Visentini souligne, de son côté, que 40 millions de personnes ont dû se résoudre au chômage temporaire à cause du Covid-19.
La pandémie de Covid-19 fera naître d’autres urgences et entraînera d’autres inégalités, en particulier chez les femmes
Le plan de relance européen et le budget à long terme (1 800 milliards d’euros au total) qui sont censés « reconstruire l’Europe », le projet SURE pour limiter les effets de la pandémie sur l’emploi, le Fonds de garantie Covid et d’autres mécanismes de soutien ont, certes, représenté « une réaction spectaculaire », souligne leBilan social. Qui rappelle aussi que les dernières années ont été marquées par une série d’initiatives, dont une directive sur les conditions de travail ou l’instauration d’une Autorité européenne du travail. Il reste néanmoins à concrétiser, entre autres, le Socle européen des droits sociaux, lequel a fixé, en 2017, des principes qui attendent toujours d’être traduits en actes.
La pandémie fera naître d’autres urgences et entraînera d’autres inégalités. En particulier chez les femmes, indiquent les auteurs du Bilan social. Elles sont surreprésentées dans les secteurs les plus durement touchés (le tourisme, la restauration, la culture) ou dans des emplois à temps partiel offrant une rémunération faible et une sécurité très aléatoire.
Mesures « socioécologistes »
Celles qui pratiquent le télétravail ont dû souvent cumuler leur activité professionnelle avec la garde des enfants, quand les écoles étaient fermées, et avec des tâches ménagères accrues. Le secteur de la santé, dans lequel elles sont très nombreuses, a, lui, été en première ligne et pas toujours récompensé. Les syndicats déplorent les insuffisances de la Stratégie 2020-2025 pour l’égalité des genres, adoptée en mars 2020 par Bruxelles.
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Autre inquiétude : le nombre des travailleurs pauvres (ils seraient désormais 30 millions) devrait encore augmenter. La directive sur le salaire minimum, adoptée en octobre 2020 par la Commission, serait un remède, mais Business Europe, le lobby patronal européen, s’y oppose farouchement. La question sera au cœur du « sommet social » que la présidence portugaise convoquera, en mai, à Porto, avec, peut-être, de nouveaux engagements concrets, espère la ministre du travail, Ana Mendes Godinho.
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La transition climatique devrait être également abordée à cette occasion. Sera-t-elle « juste », comme le promet Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne ? Les auteurs du Bilan social s’inquiètent en voyant que les montants prévus à cet effet sont passés de 40 milliards à 10 milliards d’euros lors de la négociation houleuse du budget de l’Union, en juillet 2020. Ils plaident donc pour des mesures « socioécologistes », jugeant que l’objectif premier de ce Green Deal n’est pas réellement pertinent : l’objectif avoué d’une augmentation de la croissance économique risque, selon eux, d’entraîner l’abandon des exigences de justice sociale et d’inclusion du plus grand nombre.