Covid-19 : avec l’immunothérapie, « nous avons la possibilité de traiter les patients âgés et les plus fragiles »
TRIBUNE
De nouveaux traitements permettent de diviser par trois le risque d’hospitalisation. Dans une tribune au « Monde », douze professeurs de médecine appellent les autorités françaises à autoriser l’immunothérapie.
Publié le 07 décembre 2020 à 05h45 – Mis à jour le 07 décembre 2020 à 13h20 Temps de Lecture 6 min.
Tribune. Les patients âgés et/ou fragiles (obésité, diabète, insuffisance rénale chronique, pathologies cardio-pulmonaires chroniques, cancers, maladies auto-immunes, déficits immunitaires) sont à risque de développer des formes sévères de Covid-19. Leur risque d’hospitalisation dans un service de médecine ou de réanimation est de 15 à 20 %.
Actuellement, ces patients n’ont accès à aucun traitement spécifique et sont suivis à domicile par leur médecin, puis hospitalisés en cas d’aggravation. De nouveaux traitements bloquant l’entrée du virus dans les cellules viennent de montrer leur capacité à diviser par trois le risque d’hospitalisation dans deux études randomisées en double aveugle contre placebo qui ont inclus plus de 1 000 patients.
Logistique complexe
Le principe de ces traitements repose sur l’immunothérapie passive. Comme pour d’autres infections, telles que le tétanos ou la rage, elle consiste à apporter rapidement au patient infecté des anticorps qui persistent quelques semaines environ, afin de guérir l’infection. La perfusion de plasma de patients convalescents et hyperimmunisés contre le virus SARS-CoV-2 est un exemple d’immunothérapie passive.
Faisant l’objet en France d’une autorisation temporaire d’utilisation, elle montre son intérêt chez certains patients très fragiles. Cependant, ce traitement nécessite une logistique complexe, n’est pas exempt de risque infectieux, varie d’un plasma à l’autre en efficacité, et n’est pas adapté à un traitement à grande échelle en pleine pandémie.
De manière très intéressante, on a pu isoler, à partir du sang de patients guéris, la séquence génétique spécifique aux lymphocytes qui sécrètent les anticorps protecteurs, et synthétiser ces derniers à grande échelle. Ce processus de synthèse est déjà utilisé pour de nombreux biomédicaments prescrits dans le traitement de diverses maladies inflammatoires et auto-immunes.
Diminution du risque d’hospitalisation
Plusieurs entreprises pharmaceutiques sont engagées dans cette course, comme c’est le cas pour les vaccins. La capacité de ces anticorps à bloquer l’entrée du virus dans les cellules a été démontrée en laboratoire, puis testée chez des patients récemment infectés dans des essais cliniques répondant aux standards les plus exigeants de la recherche clinique (études randomisées en double aveugle contre placebo). Les résultats de ces essais commencent à être connus.
Pour le bamlanivimab, 309 patients ont reçu une administration unique de cet anticorps à différentes doses, et 143 patients le placebo. La perfusion de cet anticorps a été réalisée chez des patients présentant des symptômes de la maladie, ne nécessitant pas d’hospitalisation, au maximum trois jours après un test positif pour le SARS-CoV-2.
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Le critère principal de l’étude – la diminution de la charge virale au onzième jour – a été atteint avec l’une des trois doses. Chacune d’entre elles a permis une diminution du risque d’hospitalisation avec, chez les patients à risque de forme sévère (environ 70 % des patients inclus dans l’étude), un risque d’hospitalisation de 4 % sous bamlanivimab et de 15 % sous placebo. Aucun patient sous bamlanivimab n’a été hospitalisé en réanimation. Et la tolérance du traitement a été très satisfaisante. Ces résultats ont été publiés dans l’une des revues médicales de référence, le New England Journal of Medicine.
Concernant le casirivimab et l’imdévimab, le détail des résultats intermédiaires n’est pas encore publié. Le communiqué de l’Agence américaine des produits alimentaires et des médicaments (FDA) indique que 533 patients ont été traités par différentes doses de l’association de ces deux anticorps et 266 patients par placebo. La charge virale, critère principal de l’étude, a diminué significativement plus rapidement chez les patients traités par anticorps : 3 % des patients à risque élevé de forme sévère traités par anticorps ont été hospitalisés, contre 9 % des patients sous placebo.
Premiers antiviraux spécifiques
L’intérêt de ces anticorps pourrait diminuer dans le futur, lorsque la vaccination sera généralisée et la couverture vaccinale très importante. Néanmoins, les patients âgés et fragiles ne sont pas nécessairement ceux qui produiront le plus d’anticorps en réponse à la vaccination, et ces anticorps pourraient rester précieux en cas d’infections des sujets à haut risque de forme sévère les résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes par exemple, ou les patients ayant eu une transplantation d’organe.
Dans l’immédiat, les résultats des deux études cliniques ont conduit la FDA à délivrer une autorisation exceptionnelle d’utilisation (emergency use authorization) de ces anticorps aux Etats-Unis, le 9 novembre pour le bamlanivimab et le 21 novembre pour l’association casirivimab-imdévimab, chez les patients récemment infectés, non hospitalisés et à risque de forme sévère. D’autres pays, comme le Canada, et certains pays européens sont eux aussi en train de permettre l’accès à ces traitements.
Il s’agit en effet des premiers traitements antiviraux spécifiques depuis le début de la pandémie, les traitements antérieurs peu ou pas efficaces, comme le remdésivir –, provenant d’un « repositionnement », c’est-à-dire initialement développés pour traiter d’autres infections. Ce traitement ne s’adresse pas à tous les patients, mais seulement à une population particulièrement à risque de forme sévère, dans les jours qui suivent les premiers symptômes et avant une aggravation nécessitant l’hospitalisation (le bamlanivimab n’est plus efficace à un stade plus tardif de l’infection).
Accélération du calendrier
Il faut maintenant espérer que les autorités françaises sauront trouver un cadre pour permettre, dès les prochains jours, l’accès de ces anticorps aux patients à risque de forme sévère, tout en continuant l’étude de leur tolérance et de leur efficacité, et l’évaluation du rapport coût/bénéfice.
La situation sanitaire justifie une accélération du calendrier. L’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), équivalent de l’emergency use authorizationaméricaine, est l’un des cadres réglementaires possibles et permettrait, si nécessaire, l’arrêt immédiat de l’accès au médicament si un « signal » de mauvaise tolérance apparaissait dans les études en cours.
En plus de « dépister-tracer-isoler », nous avons enfin la possibilité de traiter les patients âgés et les plus fragiles pour éviter leur hospitalisation prolongée et le risque de complications sévères. L’accès à ces traitements, dont certains sont fabriqués en France, permettrait également de diminuer le risque de saturation de l’hôpital. Ne passons pas à côté de cette chance !
Pr Djillali Annane, médecin intensiviste réanimateur, doyen de la faculté de médecine Simone-Veil, déclare être membre du Covid-19 Clinical Management and Characterization Working Group de l’OMS et de la plate-forme académique Remap-CAP (financement européen) qui teste de nombreuses interventions pour le Covid-19, avoir obtenu un programme hospitalier de recherche clinique pour gérer les centres français participant à Remap-CAP, être investigateur principal d’un essai clinique sur le ravulizumab, anticorps monoclonal contre le C5a, sponsor Alexion, ne percevant aucune rémunération ; Pr Eric Caumes,infectiologue à la Pitié-Salpétrière et déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts ; Pr Michel Cogné, immunologiste à Rennes, président de la commission scientifique spécialisée Immunité-Infection de l’Inserm, déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts ; Pr Samira Fafi-Kremer,virologue à Strasbourg, déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts ; PrJacques-Eric Gottenberg, rhumatologue à Strasbourg, déclare, dans le cadre d’études évaluant des traitements en rhumatologie ne concernant pas le Covid-19, avoir reçu des honoraires des compagnies qui développent le bamlanivimab, le casirivimab et l’imdévimab ; PrYvon Lebranchu, professeur émérite d’immunologie à Tours, déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts ; Pr Jean-Louis Mandel, généticien, professeur au Collège de France et à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire à Strasbourg, déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts ; Pr Renato Monteiro, immunologiste, président de la Société française d’immunologie, chef de service à l’hôpital Bichat, à Paris, déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts ; Pr Jean-François Nicolas, immunologiste à Lyon, déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts ; Pr Philippe Sansonetti, professeur émérite à l’Institut Pasteur et au Collège de France, membre de l’Académie des sciences, déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts ; Pr Jean Sibilia, rhumatologue à Strasbourg, déclare, dans le cadre d’études évaluant des traitements en rhumatologie ne concernant pas le Covid-19, avoir reçu des honoraires de la compagnie qui développe le bamlanivimab ; Pr Hervé Watier, immunologiste, coordinateur du laboratoire d’excellence (LabEx) MAbImprove, à Tours, déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts.