La politique du grand âge, angle mort du gouvernement
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l’autonomie, veut installer début février un comité stratégique qui réunira tous les acteurs impliqués.
« Rien ne bouge ! » regrette Françoise Fromageau, gériatre, vice-présidente de la Fondation Croix-Rouge française. Depuis le début de la crise sanitaire, les acteurs associatifs engagés dans la lutte contre l’isolement des personnes âgées affichent leur « déception », leur « incompréhension » face à ce qu’ils appellent « l’inertie » du gouvernement. « C’est l’angle aveugle de la gestion de la crise », constate un haut fonctionnaire d’une agence régionale de santé. « Le sujet demeure l’impensé des politiques du grand âge », déplore Jérôme Guedj. L’ex-député PS, expert des enjeux du vieillissement, a remis entre avril et juillet quatre rapports et une note au ministère de la santé sur la lutte contre l’isolement des personnes âgées. Presque toutes ses propositions sont restées dans les tiroirs de l’Avenue Duquesne.
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l’autonomie, souhaite sortir l’exécutif du corner politique… Selon nos informations, elle installera début février un « comité stratégique de lutte contre l’isolement des personnes âgées » qu’elle rassemblera pour la première fois à cette occasion.
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Cette instance « réunira les acteurs impliqués et mettra en réseau les structures nationales qui mènent des actions en la matière [caisses de retraite, mutuelles, fondations, acteurs associatifs, secteur des HLM] pour coordonner les actions », confirme l’entourage de Mme Bourguignon. Présidé par la ministre, ce comité stratégique se retrouvera plusieurs fois par an pour faire le point. « Pour moi, l’Etat doit être un facilitateur, un offreur de services, avait déclaré MmeBourguignon, le 30 novembre, à l’occasion d’un déplacement dans la Vienne, pour que nous arrivions collectivement à mieux repérer et accompagner nos aînés isolés dans nos territoires. »
« Aucun ministère ne voulait plus nous financer »
Une décision passée inaperçue cet été avait déjà posé le cadre d’une politique publique nationale : la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), qui gère une grande partie des crédits alloués aux politiques en faveur des personnes âgées, a repris, en juillet, les missions d’un collectif associatif baptisé Monalisa (Mobilisation nationale contre l’isolement social des âgés), créé en 2013.
La loi de 2015 sur l’adaptation de la société au vieillissement avait donné pour rôle au collectif Monalisa de déployer des « équipes citoyennes » de bénévoles sur l’ensemble du territoire. Monalisa a donc labellisé « équipes citoyennes » les groupes de bénévoles des différentes associations pour les structurer et les animer. Au bout de sept ans, après avoir constitué ces équipes dans les deux tiers des départements, Monalisa est sorti des radars politiques. « Aucun ministère ne voulait plus nous financer », regrette Mme Fromageau, la présidente de ce collectif.
Selon un expert du dossier, Monalisa a « peiné à rendre compte de son action réelle » à ses financeurs publics. D’où la décision de la CNSA de cesser de lui verser au 31 décembre 2020 une subvention de 400 000 euros. Monalisa n’a plus de salariés mais la structure associative n’a pas été dissoute. « Monalisa a concouru à faire reconnaître l’isolement des personnes âgées comme un sujet politique majeur, explique Virginie Magnant, directrice générale de la CNSA. La reprise de ses missions par la CNSA va permettre de renforcer l’appui technique aux collectifs des acteurs territoriaux de lutte contre l’isolement » que sont les départements et les associations.
Outils de repérage peu efficaces
Pour autant, à ce stade, la CNSA ne dispose de nuls crédits nouveaux pour cette politique. Sur un total de près de 23 millions d’euros de fonds publics (Etat et collectivités) alloués à la lutte en faveur du lien social, la CNSA contribue à hauteur de 16 millions d’euros. « Pour l’avenir, nous sommes invités par Brigitte Bourguignon à investir de nouvelles ressources pour lutter contre l’isolement avec notamment deux postes dédiés supplémentaires. Nous faisons tout pour avoir la capacité de nous renforcer pleinement, assure Mme Magnant. On est assez confiants. » Pour un bon connaisseur du dossier, « prétendre faire mieux que Monalisa en créant deux postes sera très difficile ».
Outre la bataille financière de la CNSA à mener avec le ministère de l’économie, d’autres sujets nécessitent un arbitrage politique. Jérôme Guedj a proposé dans ses rapports que les départements soient obligés de partager avec les communes le fichier des allocataires de l’allocation personnalisée d’autonomie dont ils ont la charge. Ce qui permettrait aux communes de pouvoir contacter lors d’une crise sanitaire un panel de personnes âgées bien plus large. Aujourd’hui, pouvoir être appelé par une mairie suppose pour une personne âgée ou ses proches d’en faire la demande. L’inscription étant volontaire, les fichiers sont des outils de repérage des personnes isolées assez peu efficaces. Un tel transfert supposerait un accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). « C’est une proposition de bon sens dont nous avons discuté avec les acteurs locaux, assure l’entourage de Mme Bourguignon. Nous travaillons à sa mise en œuvre avec l’Association des départements de France et les associations d’élus du bloc communal. »
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Autre sujet épineux : le choix de la collectivité compétente pour piloter les politiques anti-isolement. Mme Bourguignon souhaite que ce soit les communes et intercommunalités. D’autres, à l’instar de Jérôme Guedj, estiment que c’est aux départements d’être « officiellement chefs de file » au motif qu’ils pilotent déjà les politiques en faveur du grand âge. Quel que soit l’arbitrage, il suppose un vote au Parlement.