« Aux Etats-Unis, l’initiative privée a échoué à résoudre le problème de la Santé »
CHRONIQUE
L’échec cinglant du projet de société commune de couverture santé entre Amazon, JPMorgan et Berkshire Hathaway laisse la très complexe réforme de ce secteur entre les mains de la future administration Biden, explique Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».

Pertes et profits.
A eux trois, ils emploient 1,5 million de personnes aux Etats-Unis. Amazon, JPMorgan et Berkshire Hathaway comptent parmi les entreprises les plus puissantes du pays. Quand ils ont annoncé, en 2018, la constitution d’une société commune destinée à réformer la couverture santé de leurs employés pour un coût faible et une bonne qualité de service, les actions des grandes compagnies spécialisées du pays ont dégringolé à Wall Street. Les trois hommes d’affaires les plus prestigieux du pays, Jeff Bezos, Jamie Dimon et Warren Buffett, allaient enfin créer la rupture dans le système réputé l’un des plus chers et des moins efficaces au monde.
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Trois ans après, les protagonistes tirent brutalement le rideau sur leur ambition commune. La société sera fermée le mois prochain. Jamie Dimon a beau affirmer qu’il s’agissait plutôt d’un incubateur d’idées qui a apporté des enseignements inestimables, c’est bel et bien un échec cinglant. Aucun des trois acteurs ne s’est épanché sur les raisons de cet abandon, alors que, plus que jamais, la santé est au cœur des préoccupations des citoyens américains.
Ce système morcelé entre d’innombrables acteurs privés et publics coûte près de 3 500 milliards de dollars chaque année, soit près de 17 % du produit intérieur brut (PIB) américain (le coût est de 11 % du PIB en Europe) pour des résultats médiocres en matière d’espérance de vie et d’égalité de traitement. L’initiative privée a échoué à résoudre un problème d’intérêt général.
Les trois entreprises ont vite divergé sur leurs besoins spécifiques, très différents, entre un marchand, un banquier et un conglomérat financier et industriel.
Système avantageux
Elles ont gardé et développé leur propre système plutôt que de le fusionner. De plus, le management du projet a été confié à un ponte de l’université Harvard, le chirurgien Atul Gawande, auteur de best-sellers et chroniqueur au New Yorker. Peut-être pas le profil idéal pour gérer un programme aussi complexe. Il a quitté le navire en mai 2020 pour conseiller le candidat Joe Biden sur la crise liée au Covid-19. D’autres dirigeants sont également partis de la structure.
Finalement, Jeff Bezos, l’infatigable patron d’Amazon, préfère développer sa propre activité dans ce domaine. Ses employés dans l’Etat de Washington bénéficient d’un système avantageux avec téléconsultations de médecins, visites à domicile et tarifs préférentiels. Tous systèmes qu’il envisage de commercialiser à l’extérieur. A commencer par la pharmacie, l’un de ses plus importants paris du moment. Après avoir racheté en 2018 le pharmacien en ligne PillPack, il a lancé, en novembre 2019, son propre service de vente de médicaments.
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Avec la puissance d’achat de ses centaines de millions de clients, il négocie sans intermédiaire avec les laboratoires pharmaceutiques, promettant de fortes baisses de prix. Pour le reste, c’est-à-dire l’architecture nationale d’un système à revoir en profondeur, c’est au président élu, Joe Biden, que reviendra cette tâche herculéenne qui a déjà bien occupé ses prédécesseurs Barack Obama et Donald Trump.