Les origines du doute sur les vaccins au pays de Pasteur

Aux racines de l’hésitation vaccinale en France

2 janv. 2021 Par Caroline Coq-Chodorge– Mediapart.fr

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Au pays de Pasteur, le vaccin a longtemps été une fierté nationale. Mais la confiance s’est érodée. Les campagnes ratées ont fait le lit des discours anti-vaccins et complotistes. Les éclairages d’une philosophe, d’un sociologue et d’un pharmacologue.

La France a retrouvé un fragile contrôle de l’épidémie, déjà menacé par le variant anglais plus virulent. Et plus que tout autre pays, elle entre dans la campagne de vaccination dans l’hésitation. « Les politiques sont dans leurs petits souliers », dit l’historienne et philosophe des sciences Annick Opinel, chercheuse à l’Institut Pasteur et membre du comité technique des vaccinations à la Haute Autorité de santé, dont les recommandations guident les priorités de la campagne vaccinale.

« Le principe de précaution peut aller dans un sens, ou un autre : faut-il vacciner vite, ou prendre son temps ? Il n’y a pas de réponse précise, il faut une bonne dose d’humilité, c’est impossible d’être sûr de soi. » C’est ce qu’elle déclarait mi-décembre. Depuis, de nombreuses questions sont levées sur les risques du nouveau vaccin ARNm de BioNTech/Pfizer, et la polémique monte sur la lenteur de la vaccination en France : au 1er janvier, seules 332 personnes étaient vaccinées, contre 168 000 en Allemagne, 2,79 millions aux États-Unis, 1 million en Grande-Bretagne et en Israël.

Mais ces derniers jours, le principe de précaution semble basculer de la prudence devant un nouveau vaccin vers l’urgence de vacciner au plus vite pour protéger les plus fragiles et, à moyen terme, arrêter l’épidémie.

Le ministre de la santé Olivier Véran, qui assumait de prendre son temps au journal de France 2 le 30 décembre, a changé de pied : il a annoncé le 31 décembre que la campagne allait « prendre de l’ampleur » : dès lundi, la vaccination sera lancée pour les professionnels de santé de plus de cinquante ans ; début février seront ouverts pour les plus de 75 ans des « centres de vaccination ».Vaccination à l'hôpital de l'Hotel-Dieu à Paris, le 2 janvier 2021. © Sameer Al-DOUMY / AFP 

Vaccination à l’hôpital de l’Hotel-Dieu à Paris, le 2 janvier 2021. © Sameer Al-DOUMY / AFP

Cela n’a rien d’évident de s’inoculer un virus inactivé, ou désormais une molécule d’ARN contenant un code génétique, pour se protéger d’une maladie. Les vaccins ont toujours suscité des résistances, dès leur apparition à la fin du XIXsiècle : « C’était le cas dans la plupart des pays, explique le psychosociologue Jocelyn Raude. En Grande-Bretagne, aux États-Unis ou au Brésil, on a vu se former des brigades anti-vaccination, il y a eu des manifestations, des émeutes à Rio de Janeiro. »

Mais en France au contraire, il y a eu, pendant un siècle, « un consensus politique et culturel très fort dans l’opinion, qui a duré près d’un siècle », poursuit-il. « La vaccination moderne et la figure de Pasteur étaient des sources de fierté nationale. Les vaccins pouvaient même être considérés un instrument de soft power pour la France. »

Dans le monde, l’efficacité des vaccins a très vite emporté l’adhésion de la population : « La vaccination a fait disparaître la poliomyélite en quelques mois, c’était spectaculaire. Cette maladie infectieuse laissait handicapées de nombreuses personnes, qui étaient visibles dans la société. L’effet sur la rougeole a aussi été très net. Mais les personnes qui ont vu les conséquences de ces grandes maladies infectieuses ont aujourd’hui plus de 70 ans. Cette mémoire est en train de disparaître. »

Depuis la fin du XXe siècle, les controverses autour des vaccins se multiplient. En France, explique Jocelyn Raude, « elles apparaissent autour des vaccins au cours de la campagne vaccinale contre l’hépatite B ».

  • La vaccination contre l’hépatite B a raté sa cible, sous l’influence des laboratoires

À partir de 1994, sous l’impulsion du ministre de la santé Philippe Douste-Blazy, la France se lance dans une vaste campagne de vaccination contre ce virus, à l’origine de cirrhoses et de maladies du foie. Elle suit les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, en 1992, recommande la vaccination universelle contre l’hépatite B, en privilégiant les nourrissons et les adolescents.

Si le virus est très présent dans les pays en développement, il l’est beaucoup moins dans les pays riches, la prévalence du virus y est inférieure à 2 %. Pourtant, les autorités françaises ont tenu « des discours alarmistes et mensongers sur la gravité de l’hépatite B en France », se souvient le professeur de pharmacologie bordelais Bernard Bégaud. « Bien sûr, ce virus est à l’origine d’infections hépatiques graves, parfois mortelles. Mais on a entendu que l’hépatite B se transmettait par la salive, que ce virus faisait plus d’un mort en un jour que le Sida en une année. Tout cela était faux. La campagne de communication a été démesurée, financée par les laboratoires. On a même fait appel à des animateurs de Fun Radio qui ont fait le tour de France en camion pour sensibiliser les jeunes. »

Bernard Bégaud dirigeait alors la pharmacovigilance au sein de l’Agence du médicament et a vu remonter « 640 signalements de sclérose en plaques. Au départ, on ne comprenait pas pourquoi : la campagne ne devait viser au départ, selon les recommandations de l’OMS, que les enfants et les adolescents. Or la sclérose en plaques se déclare chez les jeunes adultes. Je me suis battu à l’époque pour obtenir le nombre de personnes vaccinées : 33 millions de personnes, 10 millions d’enfants et 23 millions d’adultes ont été vaccinés ! La campagne vaccinale a raté sa cible, aucun pays au monde n’a vacciné autant d’adultes contre l’hépatite B !  C’est à cette époque que les médecins, les professionnels de santé ont commencé à douter ».

La France est le seul pays à avoir eu autant de signaux de pharmacovigilance inquiétants, de même qu’une controverse sur cette vaccination. Les autres pays se sont eux contentés de vacciner les enfants, avec beaucoup plus d’efficacité. Alors que la France visait un taux de 80 % d’enfants et d’adolescents vaccinés, seuls 30 % l’ont été à l’issue de la campagne.

Le pharmacologue reste, aujourd’hui encore, « troublé par cette histoire ». Il conserve, à rebours de la communauté scientifique, « un doute sur l’imputabilité de ces scléroses en plaques au vaccin contre l’hépatite B. C’était peut-être une coïncidence, les scléroses en plaques se révèlent souvent à l’occasion d’un stimulus immunitaire : un simple virus, mais aussi un vaccin. Mais il y a eu des cas troublants, où les poussées de la maladie survenaient juste après les injections. Les cas signalés à l’époque n’étaient pas plus nombreux que ceux attendus, mais tous les malades ne se sont sans doute pas signalés. Les études statistiques ne permettent pas de trancher, dans un sens ou dans l’autre. Une vaste étude épidémiologique aurait dû être conduite, pour lever le doute ». 

La controverse est si vive que Bernard Kouchner, qui a succédé en 1997 à Douste-Blazy comme secrétaire d’État à la santé, décide d’interrompre la vaccination en milieu scolaire. Cette décision, ainsi que l’absence d’études approfondies de pharmacovigilance, a alors ancré le doute dans l’esprit des Français, y compris des professionnels de santé.

L’historienne et philosophe des sciences Annick Opinel a travaillé sur les archives du cabinet de Bernard Kouchner : « L’exécutif craint alors un scandale de santé publique. Bernard Kouchner a préféré mettre le holà. La responsabilité de vacciner contre l’hépatite B s’est retrouvée entre les mains des médecins généralistes. Cela a nourri des inquiétudes légitimes de parents, de la suspicion. C’est une forme d’abandon de la santé publique », regrette-t-elle.

Mais le doute ne gagne pas tout de suite l’opinion publique : « La première grande étude nationale sur la confiance dans les vaccins en France est lancée en 2000. Jusqu’en 2005, 90 % de la population française est encore très favorable au vaccin. Les doutes autour du vaccin de l’hépatite B n’ont pas encore gagné les autres vaccinations. Le basculement intervient avec la gestion de la grippe A/H1N1 », estime le sociologue Jocelyn Raude.

2010, la bascule de l’opinion publique française

  • Grippe A/H1N1, la fausse pandémie

Une alerte pandémique mondiale a été lancée par l’OMS après l’apparition, au printemps 2009, au Mexique, d’une grippe jugée alors sévère, et qui frappait un plus grand nombre de jeunes. Finalement, pendant l’hiver 2009-2010, cette grippe s’est révélée peu virulente, autant qu’une grippe habituelle.

Mais une campagne de vaccination d’ampleur mondiale a été lancée et a presque partout échoué.

La France a acheté 94 millions de doses de vaccins, pour vacciner 75 % de sa population avec deux doses. Finalement, la commande de plus de 50 millions de doses a été résiliée, car seuls 5,36 millions de Français se sont fait vacciner, 563 000 personnes seulement ont reçu les deux doses du vaccin.

« Il y a eu plusieurs niveaux de critiques à la suite de cette campagne vaccinale, analyse le psychosociologue Jocelyn Raude. Il y a d’abord une critique économique, sur le nombre de vaccins achetés, qui est tout de suite suivie par la critique sur les liens d’intérêts de plusieurs experts. Ce n’était pas une question nouvelle, mais elle n’avait pas émergé dans le débat public. 2009, c’est aussi le moment de l’explosion des réseaux sociaux, dont se saisissent les milieux conspirationnistes. La vaccination devient le cœur de leur récit, qui est déjà construit autour de la figure de Bill Gates. À l’époque, il est accusé de vouloir contrôler la population grâce à des nanoparticules dans les vaccins. On voit aussi émerger des figures vaccino-sceptiques issues du monde médical – les professeurs Luc Montagnier et Henri Joyeux – qui portent les questions autour des adjuvants dans les vaccins, en particulier les sels d’aluminium. Ces discours sont relayés par les grands médias, Henri Joyeux est invité au journal télévisé de grandes chaînes nationales. »

Très vite, la confiance dans le vaccin s’érode : « Au cours de cette période, on voit grimper le nombre de réticents à la vaccination de 10 à 40 %, poursuit le psychosociologue. Parmi eux, il n’y a pas que des complotistes ou des anti-vaccins, mais aussi des personnes inquiètes qui se posent des questions. Le scandale du Mediator, qui met au jour en 2010 les pratiques du laboratoire Servier, ferme cette séquence et installe l’idée que la vaccination est dangereuse. On voit le taux de vaccination contre la grippe s’effondrer de 66 % à 50 % parmi les personnes âgées. »

Au niveau politique, la vive polémique s’est soldée par des conclusions plutôt sages des deux commissions d’enquête parlementaire : elles ont estimé que le risque était difficile à cerner, et ont plutôt mis en cause les conflits d’intérêts au sein de l’OMS. La principale critique des sénateurs a porté sur les conditions commerciales des contrats passés avec les laboratoires. Roselyne Bachelot a défendu, bec et ongles, le principe de précaution. Il n’y a pas eu de suites judiciaires.

La gestion de la crise A/H1N1 est un traumatisme en France. À tel point qu’elle a égaré le gouvernement comme les médecins dans la gestion de la crise du coronavirus : celui-ci a été qualifié de « grippette », quand les Chinois confinaient strictement la région du Hubei. L’importance des stocks de masques, inutilisés en 2009, a été perdu de vue. Pour vacciner contre le Covid, le gouvernement a d’abord exclu la création de centres de vaccination : Olivier Véran a même raillé les « vaccinodromes », terme utilisé par les contempteurs des centres de vaccination déployés en 2009-2010. C’était pourtant le seul dispositif possible pour vacciner massivement et de la manière la plus sûre, admettaient députés et sénateurs en 2010 dans leurs rapports.

Une seule chose s’est bien passée pendant la campagne vaccinale contre la grippe A/H1N1 : le système de pharmacovigilance a permis de repérer une cinquantaine de cas de narcolepsie associés d’une manière significative à la vaccination : « Nous n’avions pas anticipé ces cas de narcolepsie, mais on a pu les repérer assez vite, se souvient le pharmacologue Bernard Bégaud. Dès lors que les effets indésirables ne sont pas cachés, que la balance bénéfice/risque reste favorable, il n’y a pas de scandale. Il faut tout dire. »

  • Les 12 vaccins rendus obligatoires pour les enfants

En 2016, est conduite par le professeur d’immunologie pédiatrique Alain Fischer, l’actuel « monsieur vaccin », une concertation citoyenne sur la vaccination qui s’est penchée sur les raisons de la baisse de la couverture vaccinale en France, en particulier des enfants. La concertation a auditionné de nombreux experts sur la question des effets secondaires, en particulier des adjuvants avec des sels d’aluminium qui occupent le débat public sur le vaccin. Elle se prononce en faveur de la vaccination, jugeant ses bénéfices certains. Mais elle insiste sur transparence des liens d’intérêts des experts, ainsi que sur la formation des médecins sur les vaccins, sommaire. Cependant, la concertation citoyenne ne se prononce pas sur les choix politiques.

La ministre Agnès Buzyn tranche : à partir du 1er janvier 2018, l’obligation vaccinale des enfants est étendue, ils doivent désormais être vaccinés contre onze maladies au lieu de trois pour pouvoir être admis en crèche ou rentrer à l’école. Cette décision est très efficace : la part des nourrissons vaccinés contre l’hépatite B augmente de 8 points, de 11 points pour le méningocoque.

Et paradoxalement, elle restaure un peu la confiance chez les Français. Selon une étude internationale publiée dans The Lancet sur la confiance dans le vaccin dans 149 pays entre 2015 et 2019, la France est le pays le plus défiant au monde, aux côtés de la Mongolie et du Japon. Mais entre 2015 et 2019, cette confiance remonte un peu.

  • Vaccination contre le Covid : la polarisation de société française

Elle s’annonce comme la plus grande campagne de vaccination jamais conduite dans le monde, et elle débute avec un vaccin faisant appel à une technologie nouvelle, l’ARN messager. Les défis sont nombreux : la négociation des contrats avec les laboratoires, la logistique, qui doit permettre une campagne massive et sûre, la pharmacovigilance.

Le pharmacologue Bernard Bégaud, préside aujourd’hui EPI-PHARE, le groupement public en épidémiologie des produits de santé, qui associe l’assurance-maladie et l’ANSM. Il n’est pas inquiet sur la qualité de la pharmacovigilance à venir : « Le Système national des données de santé est un outil exceptionnel, l’une des plus grandes bases de données de santé au monde. On va pouvoir suivre deux cohortes de patients comparables : l’une vaccinée, l’autre pas, et les comparer. Cela va bien fonctionner »,assure-t-il.

Et la France bénéficie d’ores et déjà de l’expériencedes Américains et des Britanniques, qui ont déjà vacciné plus de 3 millions de personnes : « Ils ont d’excellents systèmes de pharmacovigilance. Les questionnements sont en train d’être levés. Par rapport à la peur de la population française, c’est une bonne position. Et cela me paraît logique, et civique, de commencer par les personnes âgées, qui sont les plus fragiles. »

Le psychosociologue Jocelyn Raude met cependant en garde : « On assiste à une politisation de la question vaccinale : ceux qui sont proches des partis de gouvernement la soutiennent davantage ; ceux qui sont proches des extrêmes, à droite ou à gauche, sont méfiants. C’est devenu un marqueur identitaire. Ce qui est aussi très frappant, en France, c’est de voir le faible taux de confiance envers les institutions médicales et sanitaires. On ne voit pas ça dans d’autres pays. »

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De Pasteur à la grippe H1N1, des réticences tenaces

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Moins d’un Français sur deux se dit prêt à se faire vacciner contre le Covid-19. Retour sur une méfiance nationale très ancienne.

Dans un sondage récemment publié par Ipsos, seuls 40 % des Français interrogés ont affirmé avoir l’intention de se faire vacciner contre le Covid-19. La réticence à la vaccination n’est pas nouvelle en France et a toujours accompagné les campagnes vaccinales. Retour sur quatre moments emblé- matiques et les controverses qui les ont ac- compagnés.

1885 Pasteur et la controverse d’une «rage de laboratoire»

A la fin du XIXe siècle, Louis Pasteur met au point un vaccin contre la rage à partir d’une souche atténuée du virus. L’injection, réalisée avec succès en 1885 sur un enfant mordu par un chien soupçonné d’être enragé, est présen- tée comme une réussite. Alors qu’il semblait condamné, le jeune Joseph Meister ne développe jamais les symptômes de la rage. A l’époque déjà, le procédé mis au point par Pasteur suscite la méfiance. Certains dans le monde scientifique lui reprochent la dange- rosité de sa méthode. Plusieurs décès vinrent en effet à cette époque entacher la découverte du chimiste : on lui reprocha notamment d’avoir causé la mort de plusieurs patients en leur inoculant une émulsion de moelle de la- pin mort de la rage.

Parmi les intellectuels de tous bords, Pasteur compte aussi son lot d’ennemis. Dans le jour- nal l’Intransigeant du 2 novembre 1885, le journaliste Henri Rochefort se livre à une cri- tique acerbe de la découverte de Louis Pas- teur : «Il serait d’abord indispensable d’établir que le chien était enragé et qu’il a communiqué son mal au berger qu’il a mordu… J’attends donc, pour me réjouir du progrès scientifique qu’on proclame actuellement si haut, des dé- monstrations un peu plus convaincantes.» Premier vaccin découvert depuis le début du XIXe siècle, il est à l’époque délicat à pro- duire et sa conception à partir de germe ­encorevivantatténuésuscitel’inquiétude. Selon Laurent-Henri Vignaud, coauteur de l’ouvrage Antivax : la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours et maître de confé- rences en histoire de la science à l’université de Bourgogne, «il faudra presque dix ans pour qu’on se fie au vaccin de Pasteur et que l’on n’y voie plus de problèmes».

Les années 40 Politiques de santé publique et controverses L’après-Seconde Guerre mondiale marque un tournant dans la stratégie vaccinale adoptée par la France. L’Etat-providence, renforcé par le contexte économique des Trente Glorieuses et le progrès scientifique, permet d’accentuer les politiques publiques de lutte contre de nombreuses maladies infectieuses répandues dans le pays à cette époque. Déjà, entre les an- nées 30 et 40, trois nouveaux vaccins sont de- venus obligatoires. Après le vaccin antivarioli- que imposé depuis 1902, vient le tour du vaccin antidiphtérique en 1938, du vaccin anti- tétanique en 1940. En 1948, quatre grands mé- decins (notamment Camille Guérin et Etienne Bernard) sont invités à l’émission de radio la Tribune de Paris pour défendre l’intérêt d’une toute nouvelle vaccination obligatoire: le BCG, un vaccin contre la tuberculose.

Exaspérés par cette politique qu’ils jugent li- berticide, les sceptiques de la vaccination se regroupent pour la première fois en associa- tion. En 1954, la Ligue nationale pour la li- berté de vaccination est créée avec à sa tête le médecin Marcel Lemaire. «On était dans un contexte d’après-guerre. Le libéralisme se dé- veloppait et on tenait de plus en plus compte de l’opinion individuelle des gens. C’est notam- ment à cette époque que les premiers procès sont engagés contre les laboratoires», souligne Laurent-Henri Vignaud.

Dans une interview publiée sur le site de l’INA, datant de 1980, Yves Cochelard, mem- bre de l’association, défend la politique de la ligue devant la journaliste qui l’interroge la liberté vaccinale. A la question de savoir s’il est contre le vaccin, le militant répond être «pour la liberté avant tout». Ces groupes anti- vaccins demeurent cependant marginaux et n’eurent que peu de poids face au succès des campagnes vaccinales. «L’accès à la littéra- ture antivaccin était, avant Internet, un véri- table parcours du combattant, explique Lau- rent-Henri Vignaud. Il fallait se rendre à des réunions le soir ou aller trouver son libraire pour acheter un livre souvent difficile d’accès.»

1998 L’affaire du vaccin contre l’hépatite B


Suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la France lance en décembre 1994 une vaste campagne de vaccination contre l’hépatite B, infection du foie pouvant être mortelle sur les nourris- sons et les préadolescents. Les opérations de vaccination sont alors directement organisées dans les collèges. En tout, près d’un tiers de la population française sera vacciné entre 1994 et 1995. En 1996, près de 250 cas de sclérose en plaques, une maladie auto-im- mune chronique (et potentiellement mortelle) qui attaque le système nerveux central, sont diagnostiqués sur des patients vaccinés contre l’hépatite B. La même année, une thèse réalisée par un chercheur lyonnais, intitulée «Accidents de la vaccination contre l’hépatite B», sert de terreau aux groupes antivaccins et la polémique enfle.

Exaspérés par la politique de vaccination obligatoire qu’ils jugent liberticide, les sceptiques se regroupent pour la première fois en association. En 1954, la Ligue nationale pour la liberté de vaccination est créée.

Dans ce contexte, le ministre de la Santé de l’époque, Bernard Kouchner, suspend la vac- cination en milieu scolaire. Plus qu’un scan- dale sanitaire, Laurent-Henri Vignaud ana- lyse avant tout cette affaire comme une crise de confiance politique: «Deux gouvernements différents se sont succédé en tenant deux dis- cours radicalement opposés sur l’intérêt de la politique vaccinale contre l’hépatite B. On a tout d’abord encensé les politiques de vaccina- tion pour les suspendre brutalement au nom du principe de précaution.»

En effet, parmi les douze études épidémiolo- giques menées entre 1999 et le début des an- nées 2000, une seule a mis en évidence le lien de causalité plausible entre le vaccin et une augmentation du risque de développer la sclérose en plaques. Malgré ces démentis scientifiques, le mal était fait, entachant du- rablement la confiance des Français dans les pouvoirs publics, et par là dans ce vaccin. Un constat que déplore Bernard Bégaud, profes- seur en pharmacologie à l’université de Bor- deaux lorsqu’il est interrogé en octobre 1998 par Libération «Ce qui me frappe après coup, c’est combien il est difficile de faire bouger les choses. Les médias, par exemple, sont tous res- tés sur la position qu’ils avaient avant [re- layant les dangers potentiels du vaccin contre l’hépatite B, ndlr]», affirme-t-il. Une crise de confiance qui n’est pas sans rappeler celle que traversent les pouvoirs publics à l’heure ac- tuelle. «La gestion de la crise sanitaire par le gouvernement a entaché la confiance des Français. La crise des masques en est un exem- ple révélateur», selon Laurent-Henri Vignaud.

2009 L’échec de la campagne H1N1 

En novembre 2009 et à la suite des recom- mandations émises par l’OMS, la France dé- ploie une vaste campagne de vaccination contre la grippe H1N1, un virus contenant les gènes de virus d’origine porcine, aviaire et hu- maine. Près de 94 millions de doses sont com- mandées dès novembre auprès des laboratoi- res Sanofi-Pasteur, GlaxoSmithKline (GSK) et Novartis. La facture est élevée : «L’organisa- tion et la mise en œuvre de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 ont coûté à ce jour 670 millions d’euros», écrit l’AFP en mars 2010. Et pourtant, cette campagne est un échec. Un rapport rédigé par des députés en juillet 2010 révèle que les 1 060 centres de vaccination, censés accueillir près de 6 mil- lions de personnes par mois, n’ont vacciné, entre novembre 2009 et juin 2010 qu’un peu plus de 4 millions de personnes.

«La chose la plus dommageable à Roselyne Bachelot [ministre de la Santé et des Sports de l’époque], c’est que les Français n’ont pas cru à cette pandémie de grippe, explique Laurent- Henri Vignaud. Roselyne Bachelot n’a fait qu’appliquer le principe de précaution et a suivi les rapports de l’OMS qui étaient alar- mistes à l’époque.» Autre argument soulevé par l’historien : les Français n’ont pas pu se faire vacciner par les médecins de ville. En ef- fet, pour des raisons logistiques, afin de dé- sengorger les hôpitaux et les cabinets libéraux et «renforcer le dispositif de pharmacovigi- lance renforcée», les autorités ont exclu les gé- néralistes des centres de vaccination. «Ces derniers se sont sentis mis de côté et ont perdu confiance, explique Laurent-Henri Vignaud. Cela a eu un fort impact sur l’échec de la campagne, car on sait que les citoyens accordent un grand intérêt à l’avis de leurs médecins traitants.»

Julie Richard

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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