En raison de son prolongement, la seconde vague, en france, est plus meurtrière

La seconde vague de Covid-19 en France est plus meurtrière que la première

Si le taux de mortalité dans les hôpitaux a été divisé par deux depuis avril, près de 32 500 personnes sont mortes des suites de la maladie lors des cinq derniers mois, contre un peu moins de 30 300 entre février et juillet. 

Par Delphine RoucautePublié aujourd’hui à 11h05, mis à jour à 12h05

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/12/29/une-deuxieme-vague-plus-meurtriere-que-la-premiere_6064736_3244.html  

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Saint-Etienne, le 23 décembre 2020. Un homme agé de 84 ans, décédé de la Covid-19 arrive au crématorium Montmartre pour la cérémonie funéraire.
Saint-Etienne, le 23 décembre 2020. Un homme agé de 84 ans, décédé de la Covid-19 arrive au crématorium Montmartre pour la cérémonie funéraire. Bruno Amsellem / Divergence pour «Le Monde»

Alors que la pandémie de Covid-19 s’est déclenchée il y a près d’un an, le monde compte ses morts et se rapproche dangereusement des deux millions au rythme de quelque 15 000 décès par jour. En France, depuis février, l’épidémie a d’ores et déjà causé la mort de 62 746 personnes, dont 43 551 à l’hôpital, selon Santé publique France. Ces données agrègent les chiffres issus des hôpitaux et des Ehpad et ne comptent donc pas les quelques milliers de personnes mortes chez elles.

La deuxième vague, qui a débuté dès août alors que celle du printemps finissait à peine, se révèle plus longue et plus meurtrière : 32 481 personnes sont mortes des suites de la maladie lors des cinq derniers mois, quand elles étaient 30 265 entre février et juillet. Le déséquilibre va encore s’intensifier dans les semaines voire les mois à venir, puisque la cinétique de cette deuxième flambée épidémique marque actuellement un plateau élevé : la deuxième vague n’est pas finie. La saison hivernale et les retrouvailles de fin d’année font par ailleurs craindre une augmentation de la circulation du virus, d’autant plus qu’un nouveau variant plus contagieux a été identifié au très proche Royaume-Uni.

En moyenne, au 25 décembre, 12 053 personnes sont testées positives chaque jour.

Moins de malades en services de réanimation

Ce tableau noir est toutefois à nuancer : une vague plus meurtrière ne signifie pas nécessairement un virus plus létal. « Si la deuxième vague s’était déroulée avec les mêmes paramètres de transmission que la première, c’est-à-dire avec un taux de reproduction de l’ordre de 3 au mois de mars, alors qu’il était inférieur à 1,5 au mois d’octobre, sa violence aurait été incomparablement plus grande », souligne l’épidémiologiste Antoine Flahault. Par ailleurs, « le taux de mortalité dans les hôpitaux a été divisé quasiment par deux par rapport au début de la première vague, et cela sans grande innovation thérapeutique, seulement par une meilleure gestion des soins des formes sévères de la maladie », explique le directeur de l’Institut de santé globale à Genève. A nombre d’hospitalisations comparables, beaucoup moins de malades ont été admis en services de réanimation.

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Cependant, l’automne a été marqué par un confinement moins strict qu’au printemps, qui n’a pas réussi à faire chuter l’incidence aux niveaux espérés par le gouvernement pour maîtriser l’épidémie – l’objectif de 5 000 nouveaux cas par jour établi par le président Emmanuel Macron s’éloigne, avec une moyenne de 15 000 tests positifs ces derniers jours. Par ailleurs, la saison hivernale est la meilleure alliée du virus. Une étude française publiée dans Plos One en novembreétablit une corrélation entre la température ambiante et la sévérité de l’épidémie à partir de données hospitalières de la région parisienne. « Lorsque la température baisse, on observe alors une augmentation significative des admissions en réanimation huit jours après et des décès hospitaliers quinze jours après », écrivent les auteurs.

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Certaines régions paient toutefois de plus lourds tributs à l’épidémie, comme c’est le cas du Grand-Est, d’Auvergne-Rhône-Alpes et de la Bourgogne-Franche-Comté. Selon la plate-forme de visualisation de données CovidTracker, 47 départements étaient, au 28 décembre, dans une situation pire que le pic de la première vague au niveau des hospitalisations.Notre sélection d’articles sur le coronavirus

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Delphine Roucaute

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Ces deux régions et ce département enregistrent des taux d’incidence très importants. Certains élus appellent à des reconfinements locaux 

Par Delphine Roucaute et Sofia FischerPublié hier à 05h34, mis à jour hier à 12h11  

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/12/28/covid-19-l-executif-inquiet-pour-trois-regions_6064628_3244.html

A mi-chemin entre le 24 et le 31 décembre, l’exécutif garde les yeux rivés sur l’évolution des indicateurs de l’épidémie due au SARS-CoV-2 en France. « Le virus circule encore tropa mis en garde Olivier Véran dans les colonnes du Journal du dimanche (JDD). 15 000 contaminations détectées par jour en moyenne, alors qu’on était descendu à 11 000… L’objectif des 5 000 s’éloigne. »

A tel point que le gouvernement n’exclurait pas un éventuel reconfinement. « Nous n’excluons jamais des mesures qui pourraient être nécessaires pour protéger des populations. Ça ne veut pas dire qu’on a décidé, mais qu’on observe la situation heure par heure », a avancé, dimanche, le ministre de la santé.

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La France apparaît scindée en deux

Une éventuelle flambée de l’épidémie à la faveur des retrouvailles familiales de Noël ne pourra commencer à se lire dans les indicateurs qu’aux alentours du 5 janvier, notamment au niveau des hospitalisations.

Mais, déjà, les taux d’incidence inquiètent depuis une dizaine de jours. La France apparaît scindée en deux, entre une « moitié ouest » enregistrant majoritairement une incidence inférieure à 150 nouveaux cas par semaine pour 100 000 habitants, et « une moitié est »  affichant des taux d’incidence allant jusqu’à 357 pour 100 000 habitants dans les Ardennes, 337 en Meurthe-et-Moselle ou 341 dans les Alpes-Maritimes.

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Dans le Grand-Est, la situation épidémique s’est fortement dégradée depuis le début du mois. « Du 14 au 20 décembre, 12 760 nouveaux cas [de Covid-19] ont été enregistrés, soit une augmentation de 70 % en trois semaines », a averti l’Agence régionale de santé (ARS) le 24 décembre. Ainsi, 1 340 nouveaux patients atteints d’une forme grave de la maladie ont été hospitalisés (+ 31 % par rapport à la semaine précédente), dont 155 en réanimation (+ 57 %). « L’activité Covid-19 des établissements de santé est désormais similaire à celle enregistrée la semaine juste avant le début du deuxième confinement », conclut l’ARS dans un communiqué.

Situation très tendue

A Nancy, en particulier, le taux d’incidence est le deuxième plus élevé de France, à 310 nouveaux cas par semaine pour 100 000 habitants. A la mi-décembre, le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) a dû déclencher son « plan blanc » et commencé à déprogrammer jusqu’à 50 % de ses interventions pour prioriser les malades atteints du Covid-19.

Cette situation très tendue a poussé le maire (Parti socialiste) de la ville et président de la métropole, Mathieu Klein, à demander un reconfinement régionalisé « dès après le week-end qui suit Noël pour limiter la circulation [du virus] et éviter un nouveau confinement [national], qui sera de toute façon dramatique ». « Plus on attend, plus les décisions tardent, plus l’impact à la fois sur la santé des habitants et sur l’hôpital va être fort et déflagrateur », a-t-il plaidé sur France Bleu Sud Lorraine le 22 décembre.

Même son de cloche du côté du maire (Les Républicains, LR) de Reims (Marne), Arnaud Robinet, qui suggère un reconfinement territorialisé après Noël. Le président (LR) de la région, Jean Rottner, après s’être exprimé en faveur d’un « reconfinement court » qui permettrait de faire « rechuter les courbes », s’est entretenu dimanche 2 décembre, dans la soirée, avec Olivier Véran. « Rien n’est exclu », a fait savoir M. Rottner au Monde à l’issue de cet échange, y compris un reconfinement généralisé ou un couvre-feu différent ciblant les universités.

L’exécutif est en effet inquiet de la situation dans « la région Grand-Est, la Bourgogne-Franche-Comté et le département des Alpes-Maritimes, à commencer par Nice », a fait savoir Olivier Véran dans le JDD« Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser flamber l’épidémie à nouveau. Nous prendrons les mesures nécessaires si la situation devait s’aggraver. »

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Selon le groupe de modélisation de l’équipe de recherche Evolution théorique et expérimentale (ETE), des reconfinements décidés dès le lendemain de Noël ou le 2 janvier auraient « un effet relativement comparable à l’horizon du 1er février », avec environ 2 000 personnes en soins intensifs.

Pic épidémique majeur à Nice

A Nice, cela fait plusieurs jours que le nombre de nouveaux cas s’envole et que la tension hospitalière s’intensifie. Jusque-là plutôt épargnée par le Sars-CoV-19 par rapport aux autres grandes métropoles, la ville connaît un pic épidémique majeur.

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Le département tout entier enregistre un taux d’incidence plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale. Il était de 340 le 23 décembre, selon l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France (SPF), indiquant que la situation est désormais similaire à celle de fin octobre, au début du deuxième confinement, sans que cela soit lié à une politique de dépistage massive.

A Nice, la semaine de Noël a compté quinze admissions supplémentaires en réanimation, soit un total de 57 lits occupés au sein du service Covid-19. Le taux de positivité s’est rapproché des 7 %, contre à peine 5,5 % juste avant Noël. Une situation qui s’expliquerait par un certain « relâchement », selon le maire (LR), Christian Estrosi, notamment en raison de « ceux qui se rendent à Monaco pour pouvoir accéder aux restaurants et bars qui restent ouverts ». En conséquence, il a annoncé « prendre sur le département des mesures plus strictes afin de contenir la circulation du virus, notamment en contrôlant la frontière avec Monaco ». « Par ailleurs, alors que la campagne de vaccination débute, j’ai demandé que Nice puisse bénéficier d’une semaine d’avance en commençant les injections dès cette semaine pour les personnes les plus fragiles », a-t-il fait savoir au Monde.

L’enjeu de la semaine à venir est de savoir si les Français auront respecté les préconisations gouvernementales pendant les fêtes. Selon l’enquête SPF-CoviPrev réalisée du 14 au 16 décembre, 83 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles fêteraient Noël avec au maximum six adultes, 92 % pensent faire de même au Nouvel An.

**« Voir un cercueil entrer dans nos services, c’était du jamais-vu » : à Saint-Etienne, la colère et la détresse face au Covid-19

Par  Rémi Barroux

Publié aujourd’hui à 06h22, mis à jour à 10h13

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/12/29/covid-19-a-saint-etienne-la-colere-et-la-detresse-face-a-une-deuxieme-vague-meurtriere_6064721_3244.html

REPORTAGE

Dans les crématoriums, les Ehpad et les hôpitaux de cette ville de 175 000 habitants, le nombre de décès atteste la force de l’épidémie et le ressentiment de la population à l’égard du gouvernement grandit.

Dans le hall du crématorium de Montmartre, sur les hauteurs de Saint-Etienne, une vingtaine de personnes attend, à distance respective les unes des autres, le début de la cérémonie. Le cercueil vient d’arriver, passe au scanner pour vérifier que le corps ne contient pas d’appareil électronique, puis est installé dans l’imposante salle, illuminée grâce à de grandes baies vitrées par la lumière d’un soleil vif et inattendu en ce mercredi 23 décembre.

Deux compagnons de l’Union nationale des combattants ont apporté le drapeau et la médaille de « porte-drapeau officiel » du défunt. « On serait beaucoup plus nombreux, avec tous les camarades, s’il n’y avait pas toutes ces restrictions », souligne l’un d’eux, tout en cherchant un endroit pour installer le drapeau tricolore aux couleurs des anciens de l’Algérie.Lire aussi L’Elysée tiendra un conseil de défense sur le Covid-19 mardi, la campagne de vaccination se poursuit

Annie Béal vient de perdre, à quelques jours d’intervalle, ses deux parents, André et Juliette, morts du Covid-19. Son père est décédé le 17 décembre à l’âge de 84 ans, « le jour de mon anniversaire, confie-t-elle, deux semaines après son épouse. Ils étaient comme deux perruches, inséparables, ils voulaient tout faire pareil. Je suis sûre que mon père s’est, en quelque sorte, suicidé. Lui qui était autonome et sortait faire ses courses, ne portait souvent pas de masque, il ne se protégeait quasiment plus ». La mère, 83 ans, résidait, elle, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et, comme le dit sa fille, « elle n’aurait pas été beaucoup plus loin », atteinte par d’autres pathologies. La série noire ne s’arrête pas là puisqu’elle a aussi perdu sa belle-sœur, de six ans plus jeune qu’elle, à cause du même virus.

Alors, Annie, 58 ans, secrétaire dans le bâtiment, est en colère. « On nous ment, les décisions sont prises trop tard, proteste-t-elle. Il aurait fallu confiner à 100 %. Et tant pis si on perd quatre ou cinq mois d’économie, de toutes les façons, on va la mettre à sec. En Chine, au plus fort de l’épidémie, les gens ne sortaient pas du tout, l’armée veillait. Si c’est pour sauver des vies, il faut être prêt à faire plus de sacrifices. »

« Mise en bière immédiate »

Pourtant, Annie Béal raconte que le meilleur ami de son cousin, un aubergiste de 43 ans, s’est suicidé à cause de la perte d’activité. La mort est féroce, et ce qui pourrait contribuer à la rendre plus supportable, les cérémonies en particulier, est quasi inaccessible. Lors de la crémation de sa mère, le 9 décembre, quatre personnes seulement étaient présentes, car Annie et son mari avaient été testés positifs. Pour son père, il a fallu limiter à une vingtaine de participants, qu’il faut alors choisir. Le crématorium a gardé les cendres de sa mère et Annie va repartir avec les deux urnes pour les déposer, ensemble, au columbarium du cimetière.

Dans une petite pièce de ce beau bâtiment tout en blanc et en verre, inauguré en décembre 2018, plusieurs dizaines d’urnes attendent d’être emportées. Ce mercredi, alors que deux cérémonies de crémation se déroulent en même temps – le crématorium compte trois appareils –, une mère et sa fille viennent récupérer l’urne contenant les cendres d’un parent décédé en octobre.Lire aussi Aux victimes du coronavirus, un dernier et si discret hommage

L’activité n’a jamais été aussi intense. Alors que le crématorium assure environ 200 cérémonies par mois, le chiffre est monté à 300 en avril et, en novembre, il a atteint 400, le double de l’activité habituelle. « En temps normal, on peut monter jusqu’à neuf cérémonies par jour, alors que, en novembre, on a atteint le chiffre de vingt-deux quotidiennes », témoigne Caroline Barge, la directrice de l’établissement. La preuve que le coronavirus est bien responsable de l’inflation se lit sur les certificats de décès : « Ils portent la mention “mise en bière immédiate”, ce qui signifie que, dès le décès, le corps doit être glissé dans une housse aussitôt fermée », explique la quadragénaire.

En veste noire et pantalon sombre, souriante et prévenante, Caroline Barge se démultiplie, avec son équipe, pour assurer le surplus d’activité dans des conditions plutôt difficiles. « Au début de la première vague, il n’y avait pas de cérémonie. Là, on peut en organiser, parfois avec des liaisons par Skype, mais les gens sont frustrés. Les familles n’ont pas pu voir les défunts bien préparés, cela accentue encore la peine », déplore-t-elle.

« Une fragilité plus forte »

Le directeur d’une entreprise de pompes funèbres de Saint-Etienne (qui souhaite rester anonyme) confirme le regain d’activité. « On a doublé le nombre de réceptions de familles et de convois funéraires à organiser, avec le même nombre de personnels et de véhicules, affirme le quinquagénaire qui, en ce début de matinée, attend, sur fond de musique baroque, son premier rendez-vous. Je sais que la cérémonie ne pourra pas avoir lieu avant au moins une semaine, alors que, en temps normal, il faut compter quarante-huit heures : les délais se sont étirés de façon épouvantable. »

Au milieu des cercueils et des accessoires funéraires, le directeur décrit son attachement à son métier – « c’est un travail étonnant, compliqué, on fonctionne avec la peine des gens, mais on n’est pas là pour consoler, on doit juste les accompagner » – mais aussi sa colère. « Le Covid nous écrase, les directives changent de semaine en semaine. Alors que les délais étaient de six jours entre le décès et l’inhumation ou la crémation, cela vient de changer et on est passé à vingt et un jours », soupire-t-il en brandissant un épais document d’une trentaine de pages datant du 30 novembre et signé du Haut Conseil de la santé publique.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Covid-19 : l’exécutif s’inquiète pour le Grand-Est, la Bourgogne-Franche-Comté et les Alpes-Maritimes

A Saint-Etienne, dans cette ville de 175 000 habitants, le nombre de décès enregistrés pour la deuxième vague atteste de l’offensive. Selon le service d’état civil, les mois d’octobre et de novembre, avec respectivement 208 et 270 morts, représentent une augmentation de 53 % et 127 % par rapport à la même période en 2019. En avril et en mai, ces hausses n’étaient que de 9 % et 18 %. « Lors de la première vague, on a été exemplaire, on a eu autour de 1 % de décès dans les Ehpad[la ville en gère cinq, soit quelque 500 résidents], alors que là, ce doit être dix fois plus », avance le maire (Les Républicains), Gaël Perdriau.

Pour l’élu, « la brutalité des décès » est d’autant plus forte que la population ne comprend pas les mesures prises. « Avec les contradictions dans les annonces, les inepties, on se dit que la crise a été mal gérée, que l’on aurait pu sauver des personnes. La mort est souvent vécue comme une forme d’injustice et, dans ce contexte, on cherche des réponses rationnelles qui n’étaient pas là, poursuit Gaël Perdriau, qui a lui-même perdu des proches à cause du virus. J’ai plus ressenti la détresse psychologique, une fragilité plus forte lors de cette deuxième vague, autant de la part des soignants que de la population. »

Mise à distance des familles

A 25 ans, Marie Gil ne pensait pas devoir être confrontée à ce qu’elle a vécu dans l’Ehpad où elle travaille comme infirmière. En un week-end, elle a vu mourir six résidents du Covid-19. « Tout s’est enchaîné très vite, on a découvert les cas en même temps. Je n’étais pas prête à ce genre de situation. Là, on était obligé d’enchaîner », se rappelle la jeune femme.

Mais la violence ultime, pour elle, a été de devoir mettre le corps d’un défunt dans la housse, de « remonter la fermeture Eclair et de devoir aider la personne des pompes funèbres, qui était seule, à transférer le corps dans le cercueil et porter celui-ci jusque dans le véhicule ». « Normalement,détaille sa jeune collègue, Chloé Galifi, aide-soignante de 20 ans, on fait la toilette, on apprête le défunt, on le recouvre d’un drap en laissant le visage découvert pour la famille. » Là, rien, juste l’anéantissement.Lire aussi Les résidents d’Ehpad représentent 44 % des morts du Covid-19

La résidence Buisson, un des Ehpad gérés par la ville, a été fortement meurtrie. Lors de la première vague, zéro décès, « le virus n’était pas rentré ». Mais cet établissement de 78 lits en a compté douze en octobre et novembre. « 84 % de nos résidents ont eu le Covid, et 74 % de nos personnels, indique Nathalie Roche, la directrice de l’établissement. Cela a été violent de voir les collègues malades, de voir la force et la rapidité de propagation du virus. » La seule présence d’un cercueil dans la résidence a choqué. « C’était du jamais-vu de voir un cercueil entrer dans un de nos services, ajouté à la mise en bière immédiate qui empêche d’accompagner comme on le voudrait des résidents avec lesquels on vit depuis des mois, voire des années, et enfin qu’une infirmière aide à mettre le corps dans le cercueil… C’était plus que traumatisant », insiste-t-elle.

En Ehpad comme à l’hôpital, les mots sont les mêmes pour dire la brutalité du moment. Le virus bien sûr, la maladie et la mort, et surtout la mise à distance des familles. Comme un deuxième châtiment. « Ce qu’on a dû mettre en œuvre va à l’encontre de tout ce qu’on préconise sur la place du malade, celle de la famille, regrette Jean-Baptiste Séblain, jeune directeur de 32 ans de l’hôpital privé de la Loire (HPL), à Saint-Etienne.Dans le même temps, on ne peut pas faire courir un risque en favorisant l’accès au malade. »

« Grosse souffrance des équipes »

L’établissement a également été touché par l’augmentation des décès dus au Covid-19 : 26 lors de la première vague et 87 à l’automne. « Il y a une grosse souffrance des équipes, avec l’intensité des entrées, rapporte Laurent Gergelé, 42 ans, médecin anesthésiste à l’HPL. Tous nos soignants ne sont pas formés à la fin de vie. Une infirmière qui travaille en orthopédie peut être choquée par des discussions sur la mise en place d’une sédation profonde et continue, si le patient la demande. »

Il a aussi fallu gérer les angoisses des familles, éloignées, répondre aux coups de fil quotidiens, « parfois plusieurs fois par jour pour un même patient. Alors, quand on a soixante malades dans le service, cela devient de la folie, décrit Geoffroy Nicolas, 41 ans, médecin au service des soins palliatifs de l’HPL. La dégradation de l’état de santé peut être très rapide, les gens ne comprennent pas. Leur parent, très âgé parfois, paraissait en bonne santé. La famille accepte moins bien alors une décision de limitation de traitement, qui peut aller jusqu’à l’arrêt thérapeutique ».

Dans le service de gériatrie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne, qui a enregistré 60 décès en trois mois, alors qu’il en dénombre un par semaine en temps normal, les tensions ont aussi été vives. « On a connu des conflits, car des décès sont survenus sans qu’on puisse anticiper et prévenir les familles afin qu’elles viennent dire au revoir. Des médecins se sont fait traiter de “geôlier”, de “nazi”. Il y avait beaucoup de colère parfois envers les soignants », témoigne le professeur Thomas Celarier, le chef du pôle gériatrique du CHU.

Comme l’hôpital privé de la Loire, le centre hospitalier de la ville a constaté la hausse du nombre de morts dus au Covid-19 : 90 décès en mars-avril et 180 en octobre, novembre et décembre. Ici aussi, alors que tout s’accélérait, il a fallu prendre le temps, celui d’expliquer, de réexpliquer, pour éviter les conflits avec les familles.

« Il ne peut pas y avoir de banalisation. Pour chaque patient, on doit discuter du projet de soins. Les soins palliatifs ne sont pas des soins d’agonie, ils ne sont pas l’antichambre de la mort », souligne Pascale Vassal, chef du service des soins palliatifs au CHU. Il faut échanger quotidiennement et collectivement sur la notion de « juste soin », pour « prendre la moins mauvaise décision », ajoute-t-elle. Et pouvoir accompagner du mieux possible le patient et sa famille, dans ce contact, si délicat, avec la mort.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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