Dépistage massif du coronavirus: Laurent Wauquiez fait cavalier seul
21 DÉCEMBRE 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE
Au Havre et à Charleville-Mézières, les premières campagnes de dépistage massif n’ont pas trouvé leur public. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez déploie une capacité de 2 millions de tests, ignorant les consignes de prudence. Des dépistages expérimentaux sans garantie d’efficacité.
Après des mois éprouvants, les Français repartent en voyage, se retrouvent, partagent des repas. Les fêtes profiteront au coronavirus si de grandes précautions ne sont pas prises : les gestes barrières, l’autoconfinement avant de retrouver ses proches, le fameux « six à table » perdu de vue par le président de la République. Car la situation épidémique se dégrade depuis une quinzaine de jours : le nombre de contaminations repart à la hausse, + 10 % en une semaine, selon le dernier bulletin hebdomadaire de Santé publique France. En moyenne, 11 000 personnes sont diagnostiquées positives chaque jour. Les malades du Covid-19 continuent à affluer à l’hôpital : 8 608 ont été hospitalisés la semaine dernière, 1 146 en réanimation.
Comment alors ne pas ruiner l’énorme effort collectif consenti pendant le deuxième confinement ? Pour que les activités économiques et culturelles à l’arrêt puissent repartir, 2021 doit commencer à un niveau épidémique soutenable pour le système de santé. La France est dans une position un peu plus favorable que ses voisins européens l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-Uni, contraints de se claquemurer en raison d’une nouvelle variante du virus qui semble se propager plus vite encore.
Pour contrebalancer les risques pris pendant les fêtes, l’État lance plusieurs campagnes de dépistage massif, présentées par Olivier Véran comme des « expérimentations ». Deux se sont déroulées la semaine dernière au Havre et à Charleville-Mézières. À partir du 11 janvier suivront Roubaix et Saint-Étienne. L’ensemble de la population de ces villes est invité à se faire dépister. Seulement, comme le craignait l’épidémiologiste Renaud Piarroux dans Mediapart, la population paraît gagnée par la lassitude : au Havre, 10 % de la population seulement s’est déplacée, 5 % à Charleville-Mézières.
Lyon, le 16 décembre 2020. La campagne de dépistage du coronavirus dans la région Auvergne-Rhône-Alpes doit se dérouler jusqu’au 23 décembre. © Nicolas Liponne / Hans Lucas via AFPCes dépistages massifs s’appuient très largement sur les tests antigéniques, qui ont le gros avantage de donner un résultat en trente minutes. Une certaine incertitude demeure sur la sensibilité de ces tests, notamment lorsque la charge virale est faible, en particulier en début d’infection. Mais la Haute Autorité de santé les a réévalués le 27 novembre et juge leur performance assez « satisfaisante » pour qu’ils soient indiqués dans toutes circonstances : avec symptômes, sans symptômes ou pour les cas contacts.
Mais il n’y aura pas assez de tests pour tous les Français, a prévenu le ministre de la santé, Olivier Véran, jeudi 10 décembre : « Si 20 millions de personnes voulaient se faire tester avant le repas de Noël, aucune structure sanitaire au monde ne serait capable d’y faire face. » Il a aussi mis en garde contre la tentation d’utiliser un test négatif comme un « totem d’immunité » incitant à lever les gestes barrières en famille. Un test peut, en effet, être faussement négatif, en particulier les tests antigéniques au début d’une infection.
« Ils sont aussi fiables pour des personnes qui ont des symptômes. Et puisqu’ils sont rendus immédiatement, ils permettent au professionnel de santé de passer des messages, au malade de s’approprier tout de suite le résultat. Mais au-delà de la période symptomatique, il y a beaucoup de faux négatifs. Un test négatif ne permet pas de lever les gestes barrières », prévient le professeur de virologie lyonnais Bruno Lina, membre du conseil scientifique, mais aussi président du conseil scientifique mis sur pied par le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, pour encadrer sa campagne de dépistage.
Laurent Wauqiez a, en effet, décidé de passer outre les recommandations du ministre de la santé. Il a annoncé, fin novembre, l’organisation d’une campagne massive de tests à destination des 8 millions d’habitants de la région. Elle a commencé mercredi 16 décembre et doit s’achever le 23. Les centres de dépistage sont démultipliés dans des gymnases, des lycées, des grandes surfaces, des gares, des stations de ski, à travers des bus itinérants dans les zones rurales. La région investit 19 millions d’euros, dont 11 millions d’euros consacrés à l’achat de 2,2 millions de tests antigéniques, 5 millions d’euros de matériel de protection (gants, surblouses, charlottes…) et 3 millions d’euros de frais liés aux infrastructures. L’acte du prélèvement est, lui, pris en charge par l’Assurance maladie à hauteur de 46 euros pour les médecins, 26 euros pour les pharmaciens et 20 euros pour les infirmiers.
Exaspéré par cette campagne mise sur pied « sans concertation », le ministre de la santé a fustigé un « effet d’annonce ». L’agacement est partagé localement. L’agence régionale de santé explique ne pas « être associée à l’initiative du président de région. Nous nous assurons simplement que l’organisation entre dans le cahier des charges national ».
À Grenoble, « nous avons été prévenus très tardivement, explique l’adjoint à la santé, Pierre-André Juven. On met simplement à disposition des lieux pour le dépistage, mais tout est pris en charge par la région. On ne s’y oppose pas, ces deux millions de tests peuvent, bien sûr, être utiles. Mais il faudrait être beaucoup plus coordonnés pour mener une campagne comme celle-là, dont le coût est énorme. Est-ce que tout cet argent est dépensé de la manière la plus efficace, sans la collaboration de l’État, des villes, des hôpitaux ? »
« C’est un gros coup de com, à quelques mois des régionales, estime-t-on au cabinet du maire de Lyon. Nous ne nous y opposons pas, nous mettons à disposition des lieux publics. Mais nous nous concentrons sur notre centre de dépistage par tests PCR au palais des sports de Gerland. Et nous avons un cas de conscience : ce dépistage par test antigénique est-il fait au bon moment, est-ce qu’il ne va pas avoir des effets négatifs ? La région achète des encarts dans la presse, fait beaucoup d’affichage public, envoie des courriers à tous les habitants de la région où il est écrit qu’il faut “se tester avant Noël pour protéger sa famille et ses proches”. »
« Si les gens comprennent qu’avec un test épidémique ils peuvent lever les gestes barrières, on aura une reprise épidémique, confirme Bruno Lina, le président du conseil scientifique régional. Nous avons travaillé sur l’information des personnes testées, nous essayons de cadrer cette campagne, pour qu’elle soit une opportunité sanitaire. »
Le virologue lyonnais Bruno Lina reconnaît ne pas avoir beaucoup de certitudes : « Ces différentes campagnes de dépistage sont des laboratoires expérimentaux : on teste des hypothèses, sans certitudes. Mais on pourra ensuite comparer la dynamique épidémique entre les territoires. Si cela marchait, si l’on pouvait ainsi rouvrir les restaurants, les théâtres, les cinémas, ce serait formidable… »
L’afflux vers les tests est, en réalité, attendu cette semaine : le conseil scientifique recommande de se faire tester mardi, mercredi ou jeudi, avant la fête de Noël, si on retrouve sa famille, en cas de prise de risque.
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En Auvergne-Rhône-Alpes, les professionnels de santé qui participent à la campagne de dépistage constatent « une demande qui augmente, après un creux fin novembre, explique Olivier Rozaire, président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) pour les pharmaciens. Dans ma pharmacie, nos rendez-vous sont complets la semaine prochaine. Sans la région, on ne pourrait pas répondre ». Lucien Baraza, président de l’URPS pour les infirmiers libéraux, participe à la campagne dans un gymnase à Grigny et assurait, vendredi dernier, « voir beaucoup de monde. Pour l’instant, nous ne sommes pas saturés, mais je crains que la situation soit plus compliquée la semaine prochaine ».
Le pharmacien et l’infirmier ont tous deux le sentiment que les tests antigéniques sont aussi fiables que les PCR : « On a réalisé la semaine dernière 128 000 tests PCR et 23 000 tests antigéniques. Le taux de positivité est sensiblement le même, autour de 9 % », explique le pharmacien. « Attention à ces perceptions intuitives », prévient toutefois Bruno Lina. Le diable se cache dans les détails, là où le coronavirus prospère.