L’attestation de déplacement, « un mal nécessaire », uniquement Français ?

L’attestation de déplacement, un mal nécessaire ?

D’autres pays ont fait le choix de réduire les mouvements de personnes sans recourir à cette contrainte, qui sera levée en France à partir du mardi 15 décembre, entre 6 heures et 20 heures. 

Par Alexandre PedroPublié le 11 décembre 2020 à 04h49 – Mis à jour le 11 décembre 2020

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/12/11/l-attestation-de-deplacement-un-mal-necessaire_6062976_3244.htmlà 05h58  

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Contrôle d’attestation de déplacement pendant le confinement, dans le bois de Boulogne à Paris, le 14 novembre.
Contrôle d’attestation de déplacement pendant le confinement, dans le bois de Boulogne à Paris, le 14 novembre. CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

« A partir du 15 décembre, nous pourrons nous déplacer sans attestation. » C’était une promesse de Jean Castex, le 2 décembre, que le premier ministre a confirmé jeudi 10 décembre. Pour les allergiques aux démarches administratives, aux applis, et pour ceux qui ont renoncé à l’imprimante, cette annonce est un soulagement. Si entre 6 heures et 20 heures, il ne sera plus nécessaire de noter son heure de sortie avant de partir en balade ou de vérifier auquel des neuf motifs dérogatoires correspond une visite chez sa grand-mère souffrante, les attestations resteront néanmoins en vigueur pour le couvre-feu à 20 heures, qui doit prendre le relais du confinement.

Pour l’exécutif, la question du recours aux attestations ne se pose même pas. « L’attestation va avec le confinement. S’il n’y avait plus l’attestation, il n’y aurait plus de confinement », a assuré le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, sur France 2, le 25 novembre. Circulez, il n’y a rien à voir ni à débattre. « Nous n’avons pas évoqué ce point spécifique lors des débats à l’Assemblée nationale autour du deuxième confinement », constate le député La République en marche Sacha Houlié, membre de la commission chargée de proroger l’état d’urgence sanitaire. Sans en être un défenseur énamouré (« C’est peu satisfaisant intellectuellement »), l’élu de la Vienne reconnaît à cet outil son efficacité pour casser la progression de l’épidémie de coronavirus. « Le confinement et des mesures pour le rendre palpable, comme les attestations, ont une très grande efficacité. Le R0 est passé bien en dessous de 1 et le taux d’incidence a baissé de 900 pour 100 000 au moment du confinement à [107] aujourd’hui », estime-t-il.

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Pourtant, aucune étude ne permet de confirmer, ou d’infirmer, l’effet du système d’attestation sur la courbe des contaminations. « L’attestation de déplacement est une bonne chose pour nous, indique-t-on seulement au ministère de la santé. Elle est la conséquence de la mise en place d’un confinement qui permet de limiter la propagation du virus. Mais ce n’est pas nous qui pouvons mesurer son efficacité et rendre compte de l’efficacité des contrôles. » Et de renvoyer la balle du côté de la place Beauvau.

Selon les chiffres communiqués par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, jeudi soir, plus de 285 000 verbalisations ont été effectuées depuis le 30 octobre, pour 3 millions de contrôles effectués. Contacté par Le Monde, le ministère s’est dit « un peu en peine » pour fournir des éléments concrets afin de mesurer la proportion de Français qui sont sortis avec leur attestation en règle. « Par définition, on sait juste qui on a verbalisé, pas ce qu’on a évité. Mais dans ce cadre précis, on est d’abord dans une police préventive », y rappelle-t-on.

Un goût certain pour la bureaucratie

Face à une situation tout aussi inédite, d’autres pays européens n’ont pas imité l’Italie, pionnière du genre début mars et modèle pour l’attestation à la française. La Grande-Bretagne et l’Allemagne limitent les déplacements, les sanctionnent si besoin mais dispensent leur population de signer un document. Les Allemands sont donc invités à renoncer aux déplacements non nécessaires et à ne jamais être plus de deux dans la rue. Fédéralisme oblige, les amendes varient d’un Land à l’autre en cas de non-respect de la distanciation sociale (500 euros à Berlin, 1 000 euros dans la Hesse).

« En Suisse, en Allemagne, en Autriche et dans le nord de l’Europe, l’attestation est une méthode seulement impensable », observe Antoine Flahaut, professeur de santé publique à l’université de Genève. A défaut de pouvoir comparer l’efficacité des mesures de confinement avec et sans attestation – faute de données existantes –, le scientifique voit surtout dans leur utilisation une raison culturelle. « Les pays germanophones ou nordiques reposent davantage sur l’adhésion et la participation citoyenne, en matière de santé publique en tout cas, poursuit-il. Mais il existe une forte adhésion des citoyens en France aussi, comme l’atteste le respect du confinement, et, au-delà, le fait que les courbes chutent. »

Cette attestation est souvent raillée et perçue comme un symbole du goût français pour la bureaucratie. Le pays ne fait pourtant pas complètement exception en Europe. Certaines régions espagnoles (la Catalogne et la communauté de Madrid, par exemple) ont mis en place des justificatifs de mobilité cet automne ; la Grèce, sous une forme différente (notamment une autorisation accordée par l’envoi d’un SMS), et l’Italie, en fonction des zones de circulation du virus, ont aussi cherché à limiter les déplacements à travers ce dispositif.

« Absurdistan »

Mais c’est bien la France qui a été moquée en « Absurdistan » par l’hebdomadaire allemand Die Zeit, dans un article très repris et commenté. Correspondante à Paris du magazine, Annika Joeres y plaint ces malheureux Français obligés de sortir avec « une attestation pour emmener les enfants à l’école, une autre pour aller se procurer du sirop pour la toux à la pharmacie, une troisième pour aller acheter une baguette, une quatrième pour se rendre sur son lieu de travail ».

Député Les Républicains de l’Eure-et-Loire, Olivier Marleix prend un exemple concret pour ridiculiser ce système d’attestation. « Si vous avez un chien en laisse, pourquoi en remplir une pour prouver que vous le promenez ? Le chien se suffit à lui-même. On voit que le génie technocratique français a pris son pied pendant les confinements. On aurait dû faire plus confiance au civisme des Français plutôt que vouloir tout réglementer depuis Paris. » Dans les rangs politiques, les critiques viennent surtout de la droite, où la « bureaucratie » est un épouvantail et où l’on instruit un procès en « infantilisation ».

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Antoine Flahaut voit plutôt dans ces attestations le moyen de conforter les Français dans leur désir de sécurité sanitaire. « Il n’est pas impossible qu’ils attendent de leurs autorités politiques qu’elles prennent des mesures fermes, voire autoritaires, pour valider leurs propres décisions, les mesures qu’ils s’imposent déjà pour eux-mêmes, note le scientifique. En nous assignant à résidence, le gouvernement valide l’idée que nous devons diminuer nos interactions sociales. »

« Contrat moral »

Si ce dispositif reste perçu comme pénible, c’est peut-être bien sa raison d’être. « Ces attestations sont inconsciemment dissuasives par leur côté rébarbatif et jouent ainsi sur nos niveaux de déplacements en les diminuant, et c’est bien là l’objectif du gouvernement », estime Lise Bourdeau-Lepage, professeure de géographie à l’université Lyon-III, autrice d’une étude sur « l’impact du confinement sur le bien-être ».

Un objectif dont les contraintes n’ont pas toujours été comprises. « Le gouvernement a agi sur l’aspect spatial et temporel, poursuit l’universitaire. Mais il n’a pas donné d’éléments explicatifs pour justifier de réduire nos déplacements à une heure et un kilomètre. A-t-il fait ce choix parce que c’était facile à retenir ? Tout cela traduit un manque de confiance réciproque entre les Français et leurs gouvernants. » Des déplacements qui seront autorisés entre régions à partir du 15 décembre.

Face aux reproches de manque de pédagogie et d’« infantilisation » faits à sa majorité, Sacha Houlié juge au contraire que l’attestation engage avant tout la responsabilité de celui ou celle qui la signe. « Dans les faits, c’est une autorisation qu’on s’accorde à soi-même. Il s’agit d’une sorte de contrat moral. » Les auto-attestations écrites forceraient donc les Français à réfléchir à leurs responsabilités dès qu’ils mettent le nez dehorsaprès 20 heures. Mais ce « contrat moral » a tout de même été assorti d’une menace pécuniaire pour le rendre plus opérant. « Sans l’amende de 135 euros, pas grand monde ne prendrait la peine de remplir ces attestations, appuie Lise Bourdeau-Lepage. Pour une bonne partie des Français, il s’agit d’un montant dissuasif. » La peur du gendarme reste bien le fondement de ce système d’attestations.

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Alexandre Pedro

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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