Ella Adoo-Kissi-Debrah, 9 ans, « tuée » par la pollution de l’air
La justice britannique a reconnu que la mort de l’enfant en 2013, après des crises d’asthme sévère, était liée à la pollution de l’air à Londres. Une première.
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Des années que la question hantait les nuits et les jours de Rosamund Adoo-Kissi-Debrah : « La pollution de l’air a-t-elle tué ma fille ? » La justice britannique a fini par y apporter une réponse claire : oui, « la pollution de l’air a contribué au décès d’Ella ». Dans une décision sans précédent rendue mercredi 16 décembre à Londres, le coroner, officier de police chargé d’établir les causes des morts violentes, a jugé que le décès d’Ella Adoo-Kissi-Debrah le 15 février 2013, à l’âge de 9 ans, n’était pas seulement dû à une insuffisance respiratoire aiguë causée par un asthme sévère, comme l’avait d’abord conclu la justice en 2014, mais le résultat d’une exposition chronique à des niveaux de pollution élevés, liés au trafic routier. Ella vivait dans le quartier populaire de Lewisham, à 25 mètres du South Circular, un axe très fréquenté du sud de la capitale. « Sur le certificat de décès d’Ella, il y aura désormais la vraie raison : la pollution », confie au MondeRosamund Adoo-Kissi-Debrah.
Derrière son masque bariolé assorti à son boubou traditionnel ghanéen, on devine un sourire de soulagement mais aussi de satisfaction après sept années d’un « rude combat ». Un combat pour Ella. Pour ses jumelles de 13 ans. Pour « toutes ces familles qui souffrent en silence ». « Cette décision ne me ramènera pas ma fille, mais j’espère qu’elle débouchera sur une prise de conscience collective, dit calmement Rosamund qui a élevé seule ses trois enfants. La pollution de l’air tue sept millions de personnes tous les ans [selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS)]. A Londres, au moins douze enfants meurent chaque année des suites de crises d’asthme à cause de l’air toxique qu’ils respirent. Ça ne peut plus durer. J’attends maintenant la réponse du gouvernement, de nos gouvernements. »
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« Tueur invisible »
Après la disparition brutale d’Ella, Rosamund a abandonné son métier de professeure de psychologie et de philosophie pour « sensibiliser », « éduquer » face à cette « urgence sanitaire ». Son histoire tragique, elle l’a racontée à la presse britannique. Avec conviction. Le prestigieux Times a lancé une campagne « Clean Air for All » en 2019. Des journalistes viennent de Suède ou de Corée du Sud recueillir son témoignage. Maria Neira, directrice à l’OMS, en a fait son « ambassadrice de cœur » dans sa croisade contre la pollution de l’air. « La décision de la justice britannique est historique, s’enthousiasme la docteure Neira. Nous allons désormais pouvoir nous appuyer sur ce jugement pour passer à la vitesse supérieure, accentuer la pression sur les gouvernements et épargner des vies comme celle d’Ella qu’on n’a pas pu sauver. »
Le jugement du coroner aura une « portée juridique immense », prédit également l’avocate de la mère d’Ella, Jocelyn Cockburn. Jusqu’ici, les victimes de ce « tueur invisible » se cachaient derrière des « statistiques froides ». Désormais, elles ont un visage : le grand sourire, les yeux pétillants et les nattes virevoltantes d’Ella. Sa maman le conserve toujours précieusement auprès d’elle, sur son smartphone.
Une façon de ne jamais oublier qu’Ella, avant d’être terrassée par les crises à répétition, était une petite fille pleine de vie. Toujours dans les premiers de la classe. A 6 mois dans l’eau de la piscine municipale. A 9 mois au club de gym du quartier. Musicienne, elle jouait aussi bien du piano, de la guitare que du cornet à piston. Ella avait un rêve : devenir pilote dans la Royal Air Force.
En un peu moins de trois ans, Ella enchaîne les séjours aux urgences et les hospitalisations
Le cauchemar, lui, a commencé en octobre 2010. Ella et sa mère décident d’escalader le monument commémorant le grand incendie de Londres de 1666. Au cours de l’ascension, Ella se plaint de ne plus pouvoir monter les marches. Elle est à bout de souffle. Rosamund ne prête pas attention. Mais quelques jours plus tard, ses poumons sifflent comme ceux d’un vieux fumeur. Son état se dégrade. Après Noël, les médecins la placent en coma artificiel. Le début du calvaire. En un peu moins de trois ans, Ella enchaîne les séjours aux urgences et les hospitalisations. Vingt-sept, a compté Rosamund. Souvent, elle doit la porter sur son dos. Parfois, elle doit lui faire un massage cardiaque en pleine nuit quand sa respiration s’arrête. Le 15 février 2013, la nuit de la Saint-Valentin, ses « pouvoirs magiques » n’ont pas pu faire de miracle. Ella succombe d’un arrêt cardiaque à l’hôpital de Lewisham.
Lewisham, mais aussi le King’s College Hospital, le Great Ormond Street Hospital, le St George’s Hospital, le St Thomas Hospital : Rosamund et Ella avaient consulté tous les spécialistes. Les docteurs lui avaient administré des cures d’antibiotiques en intraveineuse, la boostaient aux stéroïdes, lui avaient fait passer des batteries d’examens pour détecter une épilepsie, une mucoviscidose et finir par diagnostiquer un asthme sévère. Mais aucun médecin n’avait évoqué la piste de la pollution de l’air. Et, en 2014, la justice conclut qu’Ella est morte d’une « insuffisance respiratoire aiguë causée par un asthme sévère ».
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Soutien du nouveau maire de Londres
Un an plus tard, Rosamund est contactée par un certain Stephen Holgate. Professeur en immunopharmacologie à l’université de Southampton, il étudie l’asthme et la pollution de l’air depuis près de quarante ans. M. Holgate a lu l’histoire d’Ella dans la presse. Il a une intuition. Il l’expose à Rosamund : l’asthme dont souffrait la fillette a vraisemblablement été provoqué et aggravé par la pollution de l’air, et le fait d’habiter près d’une voie de circulation très dense n’a rien arrangé. « J’étais dévastée, se souvient Rosamund. Nous regardions dans la mauvaise direction : nous cherchions une explication médicale alors que la cause était environnementale. Si je l’avais su à l’époque, la première chose que j’aurais faite, c’est déménager. »
« Si les niveaux de pollution de l’air n’avaient pas dépassé les limites légales, Ella ne serait pas morte », professeur Stephen Holgate
Le professeur Holgate se met au travail. Pendant deux ans, il passe ses nuits à éplucher le dossier médical d’Ella et à analyser les niveaux de pollution relevés dans son quartier. Il met en évidence que les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote (NO2), gaz très toxique émis principalement par les véhicules diesel, dépassent régulièrement et largement les limites légales et les recommandations de l’OMS. Surtout, il constate que les crises d’Ella et les hospitalisations surviennent majoritairement à l’automne ou en hiver, lors des pics de pollution. A contrario, ses bronches lui accordent un répit passager au printemps et à l’été, lorsque les niveaux de particules sont plus bas. Conclusion du professeur Holgate : les séjours aux urgences d’Ella ont un « lien frappant » avec les pics de pollution autour de son domicile.
Sur la base de ces nouveaux éléments, Rosamund crée une fondation, lance une pétition pour obtenir la révision des conclusions de la justice et reçoit le soutien du nouveau maire de Londres, Sadiq Khan, lui-même asthmatique, dans sa demande d’une nouvelle enquête. Elle l’obtient en décembre 2019. Un an et deux semaines d’audiences plus tard, le coroner adjoint du district sud de Londres, Philip Barlow, a été convaincu par les arguments du professeur Holgate : « Ella vivait sur le fil du rasoir. Un très petit changement pouvait avoir des conséquences dramatiques. » La nuit de l’ultime crise a coïncidé avec un épisode de pollution particulièrement sévère. Holgate va plus loin : il considère que « si les niveaux de pollution de l’air n’avaient pas dépassé les limites légales, Ella ne serait pas morte ».
De quoi engager la responsabilité des autorités locales. Lors des audiences, un représentant du Grand Londres a reconnu que les limites d’exposition au NO2 ne seraient pas atteintes avant 2025. Il a aussi admis que l’actuel premier ministre, Boris Johnson, avait retardé de trois ans, en 2010, lorsqu’il était maire de Londres, l’extension de la zone à faible émission – censée éradiquer les voitures les plus polluantes –, pour ne pas pénaliser les conducteurs après la crise économique de 2008.
« Les autorités avaient l’opportunité de prendre les mesures susceptibles de réduire les niveaux de pollution mais elles ne l’ont pas fait, a estimé le coroner adjoint, mercredi 16 décembre. Cet échec a sans doute contribué au décès d’Ella. » Le juge doit rendre un second verdict dans un mois, avec des recommandations destinées aux pouvoirs publics. Rosamund espère « une nouvelle loi contre la pollution de l’air », seule à même, selon elle, de rendre l’air un peu plus respirable dans son quartier de Lewisham. A défaut, elle se résout à « déménager » loin de ce maudit South Circular. Même si les jumelles ne sont pas prêtes à poursuivre leur vie ailleurs que dans « la maison d’Ella ».
Stéphane Mandard(Londres, envoyé spécial)
La santé environnementale doit devenir « une priorité du XXIe siècle », alerte un rapport parlementaire
Un rapport parlementaire adopté mercredi exhorte à s’attaquer aux causes environnementales de maladies comme l’obésité ou les cancers pédiatriques.
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La santé environnementale, comprendre les impacts qu’ont les humains sur l’environnement et, en effet boomerang, leurs conséquences sur la santé humaine, doit être « une priorité du XXIe siècle ». Tel est le message principal du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale adopté mercredi 16 décembre par les députés.
Il prend une résonance particulière en pleine crise du coronavirus. « Qui n’a pas perdu un proche atteint par le Covid-19, une maladie qui fait son lit des comorbidités d’origine environnementale ? Cancers, obésité, diabète ont constitué des terreaux favorables à la létalité du virus, écrit la rapporteuse, Sandrine Josso. Et nous savons d’ores et déjà que ces maladies sont dues, au moins en partie, à des facteurs environnementaux d’origine humaine, comme l’usage des pesticides ou l’ingestion de perturbateurs endocriniens. »
A l’initiative de cette commission d’enquête, la députée (MoDem) de Loire-Atlantique a été confrontée à ces maladies dont les réponses des pouvoirs publics nourrissent des « inquiétudes » et une « défiance » croissante parmi la population. A titre personnel car l’un de ses enfants a eu un cancer, et parce qu’une commune de sa circonscription, Sainte-Pazanne, fait face à de nombreux cas de cancers pédiatriques.
L’enjeu est considérable. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 15 % de la mortalité française serait liée à des causes environnementales au sens large : pollution de l’air, qualité de l’alimentation, mode de vie, etc.
« Indicateurs imprécis »
Depuis 2004, la France dispose d’un plan national santé environnement (PNSE). Il est censé programmer un ensemble d’actions visant à prévenir et à réduire les risques sanitaires liés aux dégradations de l’environnement sous toutes leurs formes : pollutions de l’air, de l’eau ou des sols, exposition aux produits chimiques dangereux, aux champs électromagnétiques ou au bruit.
Le quatrième PNSE, qui doit couvrir la période 2020-2024, était en consultation publique jusqu’au 9 décembre. Sera-t-il plus efficace que les précédents ? La rapporteuse en doute : « Il n’y a ni chiffre ni contenu. » Le PNSE 3 – qui comportait 110 mesures contre 19 « actions » pour celui-là – n’avait fait l’objet d’aucun suivi ou presque. Avec, au bout du compte, aucun impact sanitaire positif mesurable. Le rapport pointe ainsi des « indicateurs imprécis » qui rendent une « véritable évaluation difficile » ou encore « un pilotage éclaté qui nuit à l’intelligibilité et à la crédibilité des actions ».
Au-delà du PNSE, le rapport appelle à « une réorientation de nos politiques ». Selon la commission d’enquête, présidée par Elisabeth Toutut-Picard (Haute-Garonne, LRM), cette réorientation doit passer d’abord par un changement de paradigme : « Développer la recherche préventive, qui ne représente à ce jour qu’une faible fraction de l’effort consenti en faveur de la recherche curative. »
Parmi la vingtaine de propositions retenues par les membres de la commission, figure ainsi en première place la nécessité de développer des programmes de recherche intégrant des approches méthodologiques relevant des sciences humaines et sociales, centrés sur les effets combinés (les fameux « effets cocktail ») et les effets dus aux expositions multiples à faible dose. Cette proposition fait écho aux affaires médiatiques comme celle des « bébés sans bras » ou aux attentes de parents qui, un peu partout en France, de l’ancien site minier de Salsigne à la zone portuaire de Fos-sur-Mer en passant par la vallée polluée de l’Arve, ont décidé de prendre les choses en mains (en organisant par exemple eux-mêmes le dépistage de polluants chez leurs enfants par le recours à des laboratoires indépendants) face à l’« inertie » de l’Etat.
Prévenir l’obésité
Dans le même registre, le rapport préconise de renforcer l’effort de recherche prévu dans la loi de programmation de la recherche afin d’établir les causes environnementales à travers l’étude de « l’exposome », c’est-à-dire l’ensemble des expositions à des facteurs environnementaux, et de prendre davantage en compte les effets combinés et les multi-expositions dans l’évaluation des risques sanitaires. Cette tâche incombe aujourd’hui essentiellement à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dont la position a été mise à mal dans plusieurs dossiers liés aux pesticides.
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La commission d’enquête recommande par ailleurs de « placer les cancers pédiatriques au cœur de la prochaine stratégie décennale de lutte contre le cancer ». En France, un cancer est diagnostiqué chez un enfant ou un adolescent toutes les quatre heures, selon les chiffres de l’Institut national du cancer, soit 2 200 mineurs en moyenne par an. « La plupart survivent, mais certains en meurent. Les parents, eux, sont démunis face à ces drames », commente la présidente de la commission, Mme Toutut-Picard.
Le rapport insiste en outre sur une maladie en pleine explosion chez les jeunes : l’obésité. La commission propose de transformer l’actuelle « feuille de route » obésité en « une stratégie nationale de prévention de l’obésité », incluant le traitement de ses facteurs environnementaux, ou encore de créer un diplôme de « médecin obésitologue ».
Santé environnementale : La commission d’enquête parlementaire fait 22 propositions
ENQUETE Le but : améliorer la recherche sur l’impact sur la santé de facteurs environnementaux d’origine humaine20 Minutes avec AFP

Vingt-deux propositions ont été formulées, ce mercredi, par une commission d’enquête parlementaire pour mieux prendre en compte l’impact sur la santé de facteurs environnementaux d’origine humaine, comme les pesticides et les perturbateurs endocriniens.
« Il aura fallu la crise terrible suscitée par l’épidémie que nous traversons pour créer enfin un consensus autour de l’idée que la santé environnementale doit être une priorité du XXIe siècle », relève la députée Sandrine Josso (Modem) dans un communiqué.
Lutte contre les cancers pédiatriques
« Cancers, obésité, diabète, ont constitué des terreaux favorables à la létalité du virus » du Covid-19, poursuit-elle, faisant valoir que ces maladies « sont dues, au moins en partie, à des facteurs environnementaux d’origine humaine, comme l’usage des pesticides ou l’ingestion de perturbateurs endocriniens ». La commission d’enquête parlementaire fait 22 propositions pour améliorer la recherche, notamment sur les « effets combinés (effets cocktail) et les effets dus aux expositions multiples à faible dose » et la formation des médecins sur la santé environnementale.
Elle propose aussi de prendre en compte les facteurs environnementaux dans la lutte contre l’obésité ainsi que la création d’un « diplôme de médecin obésitologue, qui permette une prise en charge au long cours ». Selon ce rapport, il faut « placer les cancers pédiatriques au cœur de la prochaine stratégie décennale de lutte contre le cancer ». Le règlement Reach, qui prévoit l’enregistrement des substances chimiques dans l’Union européenne, doit « intégrer les effets perturbateurs endocriniens parmi les toxicités prises en compte dans l’examen des produits » lors de sa révision, selon le communiqué.Selon un sondage, les Français sont très soucieux d’écologie et de santé environnementalePLANÈTEConvention citoyenne : Mentionner la défense de l’environnement dans la Constitution, un coup d’épée dans l’eau ?