Des panneaux solaires à l’île d’Yeu ?

A L’Ile-d’Yeu, soleil pour tous… ou presque

Au printemps, la mairie et Engie ont lancé l’initiative Harmon’Yeu, censée promouvoir l’autoconsommation collective grâce à l’énergie solaire. Une première en France. Mais ce projet pilote, prévu pour durer deux ans, est grevé par de nombreuses contraintes. 

Par Nabil Wakim(L’Ile-d’Yeu, Vendée, envoyé spécial)Publié le 16 décembre 2020 à 01h15 – Mis à jour le 16 décembre 2020 à 06h20 

https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/12/16/a-l-ile-d-yeu-soleil-pour-tous-ou-presque_6063523_3234.html 

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David Augereau est l'un des cinq producteurs d'électricité du quartier de Ker Pissotte, à L'Ile-d'Yeu.
David Augereau est l’un des cinq producteurs d’électricité du quartier de Ker Pissotte, à L’Ile-d’Yeu. JEAN-MARIE LE PROVOST / PHOTOPQR / OUEST FRANCE / MAXPPP

Des rangées de charmantes maisons blanches aux volets bleus, de vieilles voitures de collection, des balades à vélo : l’image de carte postale de l’île d’Yeu (Vendée) a encore fait descendre du bateau plus d’un million de touristes en 2020 au cours de la saison estivale, et ce en dépit des mesures sanitaires liées au Covid-19.

Derrière cette vision idyllique, la réalité est plus crue. « Nous sommes une île ultradépendante. On a besoin du continent pour tout : l’eau, les déchets, l’électricité et même les produits agricoles. Alors, si on peut produire un peu nous-mêmes, et qu’on peut faire ça entre voisins, on ne va pas se l’interdire », observe Antoine Vinet, enseignant en mécanique à l’école des pêches de L’Ile-d’Yeu, en montrant fièrement de son jardin, à l’écart des circuits touristiques, les panneaux photovoltaïques installés sur son toit.

A la différence d’une installation classique, la production d’électricité n’est pas uniquement utilisée pour la consommation de sa maison. Elle bénéficie également à 23 autres logements partenaires, soit environ 70 habitants.

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L’initiative, appelée « Harmon’Yeu » et lancée conjointement par la mairie et l’énergéticien Engie (ex-GDF-Suez) au printemps, est une première en France. Ce projet d’autoconsommation collective vise à tester un modèle encore balbutiant, qui pourrait se développer au cours des prochaines années.

Concrètement, dans le quartier de Ker Pissot, cinq propriétaires ont installé 64 panneaux solaires sur leur maison, et cette production est partagée entre les habitants du quartier, dont une dizaine de logements sociaux de Vendée Habitat. « Je comptais en mettre sur ma maison de toute façon »,explique M. Vinet, qui possède aussi une voiture électrique.

« On ne sera jamais en autarcie »

« Pour moi, ce modèle, c’est l’avenir, surtout sur l’île d’Yeu. On ne veut pas être figés dans une vision carte postale des années 1950. » C’est l’une des raisons qui ont incité le maire, Bruno Noury, à miser sur ce projet. « On ne sera jamais en autarcie, mais dépendre complètement de l’extérieur n’est pas une bonne chose », souligne l’édile, pour qui Yeu se veut à la pointe des sujets portant sur la transition énergétique.

L’île compte plus de 200 véhicules électriques sur son territoire, pour 4 800 habitants, un quasi-record pour l’Hexagone. Il faut dire que le coût du carburant, particulièrement onéreux, a convaincu de nombreux Islais de changer leurs habitudes.

Quelques maisons plus loin, Nicolas Breteau participe lui aussi, à sa manière, à l’expérimentation, mais sans produire : son rôle est de stocker l’électricité. Il a fait installer par les promoteurs du projet, dans une petite pièce de sa maison, une batterie de la taille d’un grand frigo, qui sert à emmagasiner une partie de la production. Il se heurte à des problèmes très concrets : la gestion des données se fait par Internet et, du fait d’un réseau instable dans l’île, les déconnexions sont fréquentes. « Sinon, j’espère surtout que cela peut nous permettre de faire des économies sur la facture d’électricité », relève M. Breteau, pour qui « il est trop tôt pour savoir ».

Si cette expérimentation permet de réduire la dépendance à l’égard du réseau, on est loin de l’autonomie totale

Engie et la mairie préfèrent insister sur le très fort taux d’autoconsommation. En effet, 96 % de l’électricité produite est consommée par les habitants. Mais cette production ne couvre que 28 % des besoins de la petite communauté. Autrement dit, si cela permet de réduire la dépendance à l’égard du réseau, on est loin de l’autonomie totale…

C’est le défi de la variabilité des énergies renouvelables : le solaire produit fortement en milieu de journée, mais ce n’est pas le moment où les besoins des habitants sont les plus importants. Lorsque la production est trop élevée, elle est utilisée pour mettre en marche les ballons d’eau chaude de six habitants. Elle peut aussi être stockée dans la batterie de M. Breteau. Néanmoins, cela implique aussi de bouleverser ses modes de consommation, notent les habitants rencontrés.

« Le vrai test sera l’hiver »

« Moi, je m’arrange pour recharger ma voiture électrique en fin de matinée », explique ainsi Antoine Vinet. « Ce test est une première de ce type, et cela nous aide à comprendre les enjeux essentiels : bien dimensionner l’installation, affiner notre outil de gestion de données ou intégrer progressivement les batteries des véhicules électriques, par exemple », note Jean Bertrand-Hardy, directeur innovation de la branche d’Engie pour les clients particuliers.

Afin d’améliorer l’efficacité du dispositif, les participants disposent d’une application mobile pour tenter de faire coïncider leur consommation avec la production. Ont-ils modifié leurs habitudes électriques ? Il est prématuré pour le dire, estime-t-on à la mairie. « Le vrai test sera l’hiver, puisque l’essentiel du chauffage sur l’île est électrique », reconnaît M. Bertrand-Hardy.

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Le maire, enthousiaste, espère se servir de cette expérience comme d’un tremplin. D’autant que les contraintes architecturales sont nombreuses et empêchent l’installation de panneaux photovoltaïques visibles de la route. « On ne va pas mettre du solaire partout à l’île d’Yeu, affirme M. Noury, mais il ouvre des perspectives. » Il songe ainsi à élargir le dispositif, en faisant participer des propriétaires de résidence secondaire, dans une île qui connaît parfois des tensions entre îliens et visiteurs occasionnels. L’élu se félicite aussi des débats que soulève ce projet : « Il y a eu une forte adhésion des habitants, mais aussi des discussions de fond sur l’énergie, sur les données, sur ce qu’on veut en faire. »

Pour quel modèle économique ? La question reste ouverte, reconnaît-on chez Engie, qui a engagé la plupart des financements, soit environ 2 000 euros par foyer. La mairie a créé un poste de chargé de mission en vue de suivre le projet. L’expérimentation doit durer deux ans, à l’issue desquels les habitants concernés pourront racheter leur installation à un prix qui n’est encore défini. « Sinon, on désinstalle tout et on ira ailleurs, mais ce n’est pas l’idée », assure Jean Bertrand-Hardy. Pour que l’opération soit viable, il est essentiel que les participants voient leur facture d’électricité baisser, et qu’un certain nombre d’obstacles administratifs soient levés.

Procédures trop complexes

La France reste encore un acteur mineur dans l’autoconsommation : elle comptait environ 85 000 sites spécifiques début 2020, contre plus de 500 000 en Allemagne, dont 200 000 sont associés à un système de stockage domestique. Toutefois, selon le cabinet PwC, l’autoconsommation individuelle attire de plus en plus, avec une croissance de 63 % entre fin 2019 et fin 2020. Cette tendance inquiète pourtant le régulateur du secteur, qui ne voit pas d’un bon œil le fait que des communautés énergétiques puissent s’extraire progressivement du giron des réseaux nationaux.

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« C’est une très bonne chose que des gens souhaitent produire leur électricité. Mais cela ne peut pas se faire au détriment de la solidarité nationale », expliquait ainsi au Monde, fin 2018, le président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), Jean-François Carenco. « [Mais] il y a une ligne rouge à ne pas franchir : tout le monde doit contribuer à financer les réseaux. Sinon c’est du communautarisme énergétique ! Est-ce que l’on doit payer moins d’impôts parce qu’on vit au soleil ? », raillait-il. Les promoteurs de l’autoconsommation estiment, eux, que le régulateur et l’administration sont trop rigides et rendent la mise en place de ce type d’expérimentation trop complexe. « Si Engie n’avait pas géré la partie juridique, je ne sais pas si on serait allés au bout », admet M. Vinet.

Les participants d’Harmon’Yeu ont quelque peu essuyé les plâtres. Un exemple parmi d’autres : chaque producteur doit avoir un contrat individuel avec les 23 autres participants, même s’ils participent à un projet collectif. Le gouvernement a engagé, depuis deux ans, un assouplissement des règles, après un lobbying intense de la part du secteur des énergies renouvelables. « C’est une logique que je veux massifier dès lors que l’énergie proviendra de sources renouvelables », assurait, en octobre, la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, qui a étendu d’un à dix kilomètres la possibilité, pour un producteur, de partager son électricité avec ses voisins. Cependant, la filière estime que les contraintes sont encore trop nombreuses et les procédures, trop complexes.

A L’Ile-d’Yeu, un autre projet d’énergies renouvelables, d’une tout autre ampleur, pourrait changer la donne dans les années à venir. Un parc d’éoliennes en mer de près de 500 mégawatts – l’équivalent, en capacité installée, d’un demi-réacteur nucléaire – doit voir le jour en 2024 ou 2025 au large de la côte nord-ouest de l’île, face à Noirmoutier. Il sera, lui aussi, opéré par Engie. De quoi permettre à l’île de produire sa propre électricité et d’être un peu moins dépendante du continent.

Nabil Wakim(L’Ile-d’Yeu, Vendée, envoyé spécial)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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