Des associations et des syndicats dénoncent des « arrestations arbitraires » lors de la manifestation parisienne contre la loi sécurité globale
A Paris, parmi les 5 000 manifestants selon la police, le double selon les organisateurs, 124 ont été placés en garde à vue dont au moins deux journalistes : un reporter du média « QG » et un autre du collectif Reporters en colère (REC).
Temps de Lecture 3 min.

Plusieurs associations et syndicats ont dénoncé dimanche 13 décembre des « arrestations arbitraires » lors de la manifestation, la veille, contre la très controversée proposition de loi sécurité globale à Paris, où près de 150 manifestants ont été interpellés.
« Interpellations en masse, charges infondées faisant éclater le cortège, retenues sans motif légitime au-delà du délai légal, gardes à vue notifiées à la chaîne sur la base d’infractions pénales dévoyées… » : pour ces associations dont Attac, le Syndicat national des journalistes (SNJ) ou la Ligue des droits de l’Homme, la liste des « dérives inadmissibles » est longue.
« Comme nous le redoutions, poursuivent-ils dans leur communiqué, la manifestation parisienne, bien que dûment déclarée par un collectif d’organisations et autorisée par la Préfecture de police, s’est transformée en souricière. »
Lire aussi Manifestations sous tension à Paris et dans le reste de la France contre la loi « sécurité globale »
Un reporter relâché dimanche sans poursuite
Des milliers de personnes ont manifesté, samedi 12 décembre, pour la troisième semaine d’affilée en France, sans incidents majeurs, pour dénoncer la très controversée proposition de loi sécurité globale, à leurs yeux « liberticide », et le projet de loi du gouvernement sur les « séparatismes ». Ces manifestations ont réuni plus de 26 000 personnes dans tout le pays selon le ministère de l’intérieur, quelque 60 000 personnes selon les organisateurs.
A Paris, parmi les 5 000 manifestants selon la police, le double selon les organisateurs, 124 ont été placés en garde à vue, dont au moins deux journalistes : un reporter du média QG et un autre du collectif Reporters en colère (REC).
La garde à vue du premier a été prolongée dimanche, a fait savoir la fondatrice de QG, Aude Lancelin. Il est soupçonné d’« attroupement en vue de commettre des violences », de « refus d’obtempérer à un ordre de dispersion » et de « dissimulation du visage » alors que, selon la fondatrice de QG, il portait un simple masque de protection. Le reporter du collectif REC a, lui, été relâché dimanche sans poursuite, a fait savoir Emmanuel Vire, du SNJ-CGT, à l’AFP.
Deux lycéens interpellés dans le cortège ont eux aussi été libérés sans poursuite dimanche après-midi, tandis que deux lycéennes mineures ont, elles, écopé d’un rappel à la loi, a ajouté Emmanuel Vire.
Trente personnes étaient toujours en garde à vue dimanche soir
Selon un bilan provisoire du parquet de Paris dimanche soir, sur les 19 mineurs placés en garde à vue, 14 ont obtenu un classement sans suite dont 5 après un rappel à la loi et 4 ont reçu une convocation devant le délégué du procureur. Un dernier a vu sa garde à vue levée pour poursuite de l’enquête.
Sur les 105 majeurs en garde à vue, 66 ont bénéficié d’un classement sans suite dont 27 après un rappel à la loi. Six personnes seront jugées en comparution immédiate lundi et une autre a accepté une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Deux personnes ont pour leur part été libérées sans être poursuivies à ce stade mais l’enquête les concernant se poursuit. Trente personnes étaient toujours en garde à vue dimanche soir.
Le député LFI Eric Coquerel a dénoncé sur Twitter la garde à vue « complètement autoritaire de nombreux manifestants ». Il a indiqué avoir exercé dimanche son « droit de visite parlementaire dans les commissariats » où étaient retenus des manifestants. D’autres élus LFI comme Alexis Corbière et Danielle Simonnet se sont rendus devant des commissariats de la capitale aux côtés des familles et amis.
Après deux manifestations contre la loi sécurité globale marquées par des violences à Paris, les forces de l’ordre ont samedi changé de tactique en intervenant tout au long de la manifestation par « bonds offensifs », pour interpeller toute personne soupçonnée de vouloir constituer un « bloc ». Selon les forces de l’ordre, ces « blocs » se constituent de petits groupes très mobiles qui se greffent sur le cortège pour détruire des commerces et en découdre avec la police.
Adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, la loi sécurité globale suscite depuis des semaines de vives critiques de la part de la gauche, des journalistes et des ONG de défense des libertés, notamment son article 24, qui pénalise la diffusion malveillante d’images des forces de l’ordre. Le texte est accusé par ses détracteurs de porter atteinte aux libertés de la presse, d’expression et de manifester « et d’instaurer des outils de surveillance de masse ». Ces critiques ont été renforcées par le passage à tabac filmé du producteur de musique Michel Zecler par des policiers, le 21 novembre. Face au tollé provoqué par l’article 24, le gouvernement a finalement laissé au Parlement le soin de trouver une nouvelle formulation alors que le texte doit passer devant le Sénat en janvier.
Dialogue avec la rédaction, mercredi 16 décembre à 18 h : « Peut-on parler d’une dérive autoritaire de l’Etat en France ? »
Le Monde avec AFP
Loi « sécurité globale » : le sentiment d’un dialogue impossible après les violences dans la manifestation à Paris
Après une marche très perturbée, la stratégie policière est de nouveau mise en cause, tandis que le ministre de l’intérieur dénonce « les casseurs ».
Temps de Lecture 8 min.
Plus de 90 rassemblements et un même mot d’ordre : le retrait de la loi sur la « sécurité globale ». Selon le ministère de l’intérieur, 52 350 personnes ont manifesté samedi 5 décembre dans toute la France, dont 5 000 dans le rassemblement parisien qui a difficilement pu faire entendre ses revendications.
Six cents mètres, soit à peine un arrêt de métro. C’est en effet ce qu’il aura fallu à la « marche des libertés » parisienne pour finir bloquée dans les heurts et les gaz lacrymogènes. Résultat : 26 adultes et trois mineurs ont été placés en garde à vue. Et un dialogue une nouvelle fois impossible entre les deux camps, qui voient chacun dans cette journée la démonstration des violences inadmissibles de l’autre. « Les casseurs cassent la République. Soutien à nos policiers et nos gendarmes », a tweeté le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. Pour l’avocat Arié Alimi, membre de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et présent dans le cortège, « le préfet Lallement a délibérément saboté la manifestation ».
Il est 17 h 15 la marche des libertés s’est dispersée, les pompiers s’affairent autour de voitures incendiées et de… https://t.co/9YD38y1xCw— pibzedog (@Pierre Bouvier)
Pierre Bouvier est journaliste au Monde.
Si les tensions sont rapidement montées entre les black blocs et les forces de l’ordre, le cortège a bien tenté de tenir, presque habitué désormais à devoir attendre que les heurts se calment à l’avant pour pouvoir continuer son parcours. Pas cette fois. Noyés sous les gaz lacrymogènes, les manifestants en deuxième ligne sont poussés à reculer plusieurs fois. Les gigantesques ballons des syndicats finissent eux-mêmes par refluer et la grande majorité des manifestants quittent le rassemblement, les yeux rougis par les gaz, la colère et la déception.
Et la violence reprend. Jets de projectiles, voitures incendiées, banques vandalisées, Abribus détruits et barricades montées… De jeunes hommes en noir tenteront même d’empêcher une camionnette de la CGT de fuir par une rue adjacente pendant qu’une autre estampillée du drapeau du syndicat SUD claironne « état d’urgence, Etat policier, on ne nous empêchera pas, de manifester »… tout en reculant. Une partie des manifestants parviendra tout de même à rejoindre la place de la République, lieu d’arrivée prévu d’une manifestation qui a tourné à la catastrophe.

Un objectif : « converger »
La mobilisation avait pourtant bien commencé, notamment après les propos d’Emmanuel Macron la veille, qui avait concédé pour la première fois, dans une interview sur le média en ligne Brut, le terme de « violences policières ». Certes, les rangs étaient plus clairsemés que la semaine précédente, où 46 000 personnes s’étaient rassemblées à Paris selon le ministère de l’intérieur – 200 000 selon les organisateurs – contre la proposition de loi « sécurité globale », adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale mardi 24 novembre, et contre sa mesure-phare, qui prévoit de restreindre la possibilité de filmer les forces de l’ordre.
Mais l’objectif était ailleurs que celui du nombre : cette semaine, il fallait « converger ». Les revendications contre la proposition de loi « sécurité globale » s’étaient donc mêlées au rassemblement prévu contre la précarité. Le rapport ?« C’est simple, il n’y a pas de libertés sans droits sociaux », résume Murielle Guilbert, codéléguée générale de l’Union syndicale Solidaires. La secrétaire confédérale de la CGT, Céline Verzeletti, abonde : « On assiste à des réformes de régression sociale liées à des choix politiques. C’est la même logique dans toutes ces lois liberticides : ce gouvernement ne veut pas supprimer les violences sociales et policières, il veut les invisibiliser. » Dans cette convergence des libertés et des droits sociaux, Arié Alimi voyait même « un réveil du peuple de gauche ». Auquel, selon lui, la Préfecture de police de Paris aurait répondu samedi par « la stratégie de la terre brûlée ».

Même convergence, sans heurts majeurs, à Lille, où plus de 2 000 personnes ont manifesté. Parmi elles : des militants des droits humains, les drapeaux d’organisations syndicales, comme Solidaires et la CGT, des partis politiques, comme La France insoumise (LFI) et Europe Ecologie-Les Verts (EELV), des membres d’un collectif de sans-papiers, des « gilets jaunes »… Une partie était venue pour une autre manifestation organisée au même endroit tout juste une heure après, pour défendre les salaires, l’emploi et la protection sociale. Tout le cortège finira par défiler ensemble. « On est en solidarité contre toutes les mesures de régression sociale et la politique policière de Macron, résume Jean-Claude Cuvelier, 75 ans. Je veux des gardiens de la paix, pas des forces de l’ordre. » L’ancien professeur de géographie, encarté depuis cinquante ans au Parti communiste français (PCF), fait partie des doyens de cette manifestation où la jeunesse est fortement représentée.
A Lyon, « oui aux poulets, non aux patates »
Tout comme à Lyon, où derrière le camion sono piloté par les syndicalistes une grande majorité de jeunes brandissent des pancartes, déclinant humoristiquement leurs slogans hostiles aux articles de la loi « sécurité globale ». Comme ce « Oui aux poulets, non aux patates ». Parmi eux, Léo et Amélie, lycéens, ont rejoint la manifestation en voyant les annonces sur les réseaux sociaux. « Avec cette loi, j’ai l’impression qu’on rentre dans une dictature, ce n’est pas possible », s’insurge Léo, 17 ans, en racontant l’agression « du producteur dans son immeuble », en référence à l’affaire Michel Zecler. « L’interdiction de filmer, ça donne l’impression qu’ils veulent cacher des choses », ajoute Amélie, 16 ans. Lycéens et étudiants défilent joyeusement rive gauche du Rhône. Certains en fanfare, d’autres en cercle autour d’une musique électronique, telle une rave-party ambulante. Ils sont suivis de militantes féministes. Puis viennent quelques élus, moins nombreux que samedi dernier. Surtout des écologistes, comme Thomas Dossus, sénateur (EELV) du Rhône, écharpe tricolore en bandoulière, ou Lucie Vacher, vice-présidente (EELV) de la métropole de Lyon.
Après les violents incidents de la semaine dernière, le préfet avait bouclé la Presqu’île pour préserver les commerçants. Ce qui n’a pas empêché les tensions. Au milieu de la manifestation, qui a rassemblé 5 000 personnes selon la préfecture, un grand étendard est agité, représentant Guignol en version pyrotechnique. Avec un titre : « Jeune garde de Lyon », rassemblant un groupe soudé de militants antifascistes frappant des mains et entonnant slogans et chants révolutionnaires. Près d’eux, des groupuscules très mobiles, équipés, tout de noir vêtu, remontent le cortège et provoquent les policiers. Comme la semaine dernière, ils lancent des projectiles et déclenchent en retour des jets de grenades lacrymogènes. Les affrontements ralentissent à plusieurs reprises la manifestation. Lorsque le rassemblement effiloché arrive place Bellecour, de nouveaux incidents éclatent. Policiers et gendarmes dispersent les groupes violents à coups de lacrymogène, de canon à eau et de déplacements. Les tensions se poursuivent à la nuit tombée. Le centre de Lyon est coupé en deux. La place Bellecour enfumée. Sept personnes sont interpellées, six blessées, dont trois policiers.
Des tensions qui ont découragé les manifestants à Bordeaux, d’autant que plusieurs appels avaient été lancés, créant la confusion. Tout d’abord, vendredi 4 décembre au soir place de la Victoire, un rassemblement « contre les lois liberticides » a accueilli entre 150 et 200 personnes à l’appel de la LDH bordelaise et de plusieurs syndicats. Pas de déambulations, mais des prises de parole. Puis, samedi après-midi, deux rendez-vous ont été donnés : le premier « en honneur aux mutilés et blessés », le second « contre la régression sociale ».
Mais l’arrêté préfectoral pris le 4 décembre par la préfète de Nouvelle-Aquitaine, Fabienne Buccio, interdisant toute manifestation dans plusieurs secteurs du centre-ville bordelais, ainsi qu’une pluie importante ont eu raison de la mobilisation. « Le parcours déclaré a été bloqué par la préfecture, donc les gens ont préféré ne pas venir pour ne pas être gazés », estime ainsi Jean, qui compte plus de vingt années de manifestations à Bordeaux à son actif. Lui a tenu à manifester jusqu’au bout, malgré le froid glacial. Même constat pour Gaëlle, croisée place de la Victoire, qui déplore le peu de mobilisation, alors qu’elle trouve si essentiel de se déplacer pour dénoncer la précarité grandissante. « Clairement, les gens avaient peur de se faire arrêter. »
« La Manif de toutes les colères » à Caen
A Caen, près de 1 300 manifestants se sont retrouvés autour de revendications qui dépassent le cadre de la loi « sécurité globale », avant que la tension ne monte. « C’est la manif de toutes les colères », scande au mégaphone un représentant des « gilets jaunes » qui constituent une bonne partie du cortège. « Au plus fort du mouvement des “gilets jaunes”, on a subi des violences policières. Personne ne l’aurait su s’il n’y avait pas eu des citoyens pour les filmer. » Une militante du collectif d’aide aux migrants du port de Ouistreham poursuit : « Les policiers confisquent les portables des migrants, leur seul moyen de communication avec leurs familles au pays, leurs tentes et leurs duvets. Ils se font gazer. On récupère régulièrement des vidéos de ces violences policières, qui deviennent des preuves devant les tribunaux. Ces images peuvent sauver des vies. »
Les autorités ont interdit l’accès à l’hypercentre commerçant, où nombreux sont ceux qui effectuent leurs achats de Noël. Un fleuriste regarde passer les manifestants. « Qu’est-ce qu’ils nous veulent encore. On souffre déjà assez comme ça. Qu’ils nous foutent la paix un samedi ! La police est bien gentille de les laisser passer. »
Peu après 16 heures, le cortège a terminé sa boucle et arrive, comme prévu, devant la préfecture, place Gambetta. « Jusqu’ici, tout va bien », note un manifestant. La tension monte d’un cran alors que les premiers projectiles sont lancés contre les gendarmes. Dernière sommation. Un « dispersez-vous » est accueilli par des jets de pétards, des tirs de fumigènes et un cocktail Molotov qui s’embrase au pied d’un véhicule de la gendarmerie. Les grenades lacrymogènes pleuvent et les slogans antipolice prennent le dessus : « Tout le monde déteste la police. » S’engage alors un jeu du chat et de la souris entre forces de l’ordre et manifestants dans les rues de Caen. La vitre d’un Abribus est brisée et quelques pétards sont encore lancés, mais le groupe finit par se disperser. Il est 17 h 30 quand les derniers récalcitrants sont contrôlés par la police, non loin de l’hôtel de ville. Vérification des pièces d’identité et des dérogations en vigueur. Un policier souffle. « Je me demande ce qu’on fait là. Parfois, je me dis que je vais changer de boulot. On nous critique, mais c’est nous qui en prenons plein la gueule. Qu’est-ce qui se passera quand on ne sera plus là ? » Dix minutes plus tard, la police repart. Fin de service. Les illuminations de Noël viennent de s’allumer.Notre sélection d’articles sur la loi « sécurité globale »
Retrouvez tous nos articles sur la proposition de loi sur la « sécurité globale » dans notre rubrique.
- Résumé : les principales mesures de la proposition de loi
- Vos questions, nos réponses : « L’épisode de l’article 24 montre le poids que s’est octroyé Gérald Darmanin dans le dispositif gouvernemental »
- Analyse : Filmer les policiers, un droit bafoué avant même la loi sur la « sécurité globale »
- L’éditorial du « Monde » : Dans la police, une grave crise de commandement
- Portrait : Gérald Darmanin, la tête de pont sécuritaire du gouvernement
- Tribune : « Nous n’accréditerons pas nos journalistes pour couvrir les manifestations »
- Interview : « Avec toutes ces lois sécuritaires, nous construisons les outils de notre asservissement de demain »
Voir plus
Richard Schittly(Lyon, correspondant), Lucie Soullier, Laurie Moniez(Lille, correspondance), Claire Mayer(Bordeaux, correspondante) et Marylène Carre(Caen, Correspondante)
« La France a une réputation à perdre » : la presse étrangère s’inquiète d’une « dérive vers la répression »
Après le passage à tabac d’un producteur de musique noir à Paris par des policiers, certains médias internationaux font le parallèle avec la mort de George Floyd aux Etats-Unis.
Temps de Lecture 5 min.

Que ce soit à l’occasion des manifestations de « gilets jaunes » ou lors d’« incidents isolés plus récents », « les images de violence policière sont devenues tristement familières ces dernières années » en France, constate le quotidien britannique The Financial Times dans un éditorial. Le passage à tabac d’un producteur de musique noir, Michel Zecler, par des policiers dans le 17e arrondissement de Paris, a mis le feu aux poudres.
« La tempête souffle désormais partout (…) et elle ne semble pas se calmer », juge ainsi le titre espagnol El País. En pleine polémique autour de la proposition de loi « sécurité globale » – notamment l’article 24, qui prévoit de pénaliser jusqu’à un an de prison et 45 000 euros d’amende l’usage d’images du visage des forces de l’ordre « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à [leur] intégrité physique ou psychique » –, la vidéo de Loopsider a choqué au-delà des frontières de l’Hexagone
.Lire notre récit : Une pluie de coups et des mensonges… Retour sur le passage à tabac du producteur de musique Michel Zecler par trois policiers
« Avant que celle-ci ne devienne virale sur les réseaux sociaux, les agents [de police] ont dit que Zecler les avait en fait attaqués et qu’il résistait à leur arrestation » – l’homme ne portait pas de masque, obligatoire à Paris dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 –, rappelle le média indépendant MintPress News. Jusqu’à la transmission des images de vidéosurveillance par l’avocate de M. Zecler au parquet de Paris, le producteur faisait l’objet d’une enquête pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « rébellion », classée depuis. La loi « sécurité globale » pourrait être le début d’un « moment George Floyd » en France, estime le site. Le quotidien belge Le Soir dresse aussi un parallèle avec le sort de cet Afro-Américain, tué fin mai lors d’une interpellation brutale aux Etats-Unis et dont la mort s’était accompagnée d’une vaste mobilisation mondiale contre les violences et les préjugés des forces de l’ordre.
« Dysfonctionnements structurels »
En juin, la plate-forme d’informations Euractiv se faisait l’écho d’un rapport de 2019 du Réseau européen contre le racisme (ENAR) sur les crimes à motivation raciale et le racisme institutionnel : ces infractions sont en augmentation sur le Vieux Continent, mais ne sont souvent pas signalées. « Pour les victimes de ces crimes, les mauvais traitements, les abus et les violences de la part de la police sont un facteur déterminant dans la décision de ne pas les signaler aux forces de l’ordre », rapportait alors l’étude.
Quatre policiers ont été mis en examen après le passage à tabac de Michel Zecler, dont trois pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique », avec plusieurs circonstances aggravantes, dont « des propos à caractère raciste ». Pourtant, déplore Le Soir, « en maintenant à son poste le très controversé préfet de police de Paris, Didier Lallement, [le ministre de l’intérieur] Gérald Darmanin laisse entendre que les faits n’ont été commis à ses yeux que par des brebis galeuses qui ne mettent pas à mal l’institution policière ». Une ligne « individualiste » que le ministre a tenue, lundi 30 novembre, lors de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.
Lire aussi le compte-rendu : Face aux députés, Gérald Darmanin joue la carte de l’apaisement
Mais, pour le journal belge, « ce sont pourtant des dysfonctionnements structurels qui sont en cause. Déjà lors de la crise des “gilets jaunes”, à l’hiver 2018-2019, la police avait été critiquée pour sa doctrine du maintien de l’ordre et pour de violents dérapages dans les manifestations ».
Lundi, M. Darmanin était d’ailleurs invité à réagir devant les députés « sur les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre ont eu recours à la force lors de différents événements survenus à Paris depuis la manifestation du 17 novembre », date de la première mobilisation contre la proposition de loi « sécurité globale ». Parmi lesdits événements : l’évacuation brutale d’un camp de migrants installé place de la République ou encore la Marche des libertés, organisée samedi, et lors de laquelle un photographe syrien a reçu un coup de matraque sur le visage.
Lire aussi le récit : « Ça m’a plus fait mal à l’intérieur, moralement », confie Ameer Al-Halbi, photographe blessé à la Marche des libertés
Pour le quotidien américain The New York Times, le texte de loi « sécurité globale » et le projet de loi sur les « séparatismes », présenté quelques mois auparavant, « soulignent ce que les critiques ont appelé une dérive alarmante vers la répression dans la politique du gouvernement [français] ». Ces textes s’inscrivent dans un contexte où « la France a vécu trois des cinq dernières années en état d’urgence » et où la gestion de l’épidémie est coordonnée par un conseil de défense « qui n’est pas très transparent et prend ses décisions en dehors des procédures normales des pouvoirs exécutif et législatif », remarque de son côté le journal allemand Frankfurter Rundschau. « La nouvelle loi [sécurité globale] est dangereuse pour le gouvernement de Paris, qui a une réputation à perdre [en Europe et dans le monde]. L’application de l’article [24] pourrait l’amener à se retrouver devant la Cour européenne de justice », ajoute Deutsche Welle.
« Le désir d’un Etat protecteur »
A moins de deux ans de l’élection présidentielle, l’exécutif est en posture d’équilibriste. « L’approche stricte de M. Macron en matière de sécurité, d’immigration et d’extrémisme islamiste aliène les anciens partisans du centre gauche. Mais s’il critique trop la police, il risque de mettre en colère les forces de sécurité débordées qui travaillent en état d’alerte élevé contre le terrorisme, et les électeurs de droite qui se sont montrés favorables à sa politique », résume le titre irlandais The Irish Times.
Pour de nombreux titres étrangers, l’attitude récente du gouvernement témoigne d’un basculement à droite : « M. Macron a perdu la confiance de nombreux électeurs de gauche qui ont contribué à le propulser vers la victoire en 2017. Ses chances de réélection dépendent de l’élargissement de son électorat à la droite de l’éventail politique », estime ainsi The Financial Times.
D’autant que la France est confrontée, selon le New York Times, à une « vague nationale d’anxiété », renforcée par l’assassinat du professeur Samuel Paty, le 16 octobre, pour avoir montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet, ou encore l’attaque d’une basilique de Nice, à quelques jours de la Toussaint, qui a fait trois morts.
Reste que si « la pandémie, la crise économique et une série d’attentats terroristes ont, à juste titre, créé le désir d’un Etat protecteur, protéger la police de ses propres excès n’est pas la bonne façon de l’assurer », argue The Financial Times.Notre sélection d’articles sur la loi « sécurité globale »
Retrouvez tous nos articles sur la proposition de loi sur la « sécurité globale » dans notre rubrique.
- Résumé : les principales mesures de la proposition de loi
- Vos questions, nos réponses : « L’épisode de l’article 24 montre le poids que s’est octroyé Gérald Darmanin dans le dispositif gouvernemental »
- Analyse : Filmer les policiers, un droit bafoué avant même la loi sur la « sécurité globale »
- L’éditorial du « Monde » : Dans la police, une grave crise de commandement
- Portrait : Gérald Darmanin, la tête de pont sécuritaire du gouvernement
- Tribune : « Nous n’accréditerons pas nos journalistes pour couvrir les manifestations »
- Interview : « Avec toutes ces lois sécuritaires, nous construisons les outils de notre asservissement de demain »
Voir plus