Une tombe princière en Normandie de l’âge de bronze

L’âge du bronze s’éclaire grâce à la découverte, en Normandie, d’une nouvelle tombe « princière »

Par  Pierre Barthélémy

Publié le 08 décembre 2020 à 11h00, mis à jour hier à 06h58

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/12/08/l-age-du-bronze-s-eclaire-grace-a-la-decouverte-en-normandie-d-une-nouvelle-tombe-princiere_6062610_1650684.html

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FACTUEL

L’exhumation, dans le Calvados, d’une sépulture richement fournie d’un « petit prince de l’Armorique », datant du IIe millénaire avant notre ère, témoigne d’une société qui se complexifie et s’aristocratise.

Pour l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), les confinements se suivent et ne se ressemblent pas. Celui du printemps avait conduit à un arrêt total des opérations, lesquelles se sont en revanche poursuivies durant le confinement de l’automne. C’est ainsi que vient de s’achever la fouille, à Giberville (Calvados), dans la périphérie est de Caen, d’un vaste terrain de 4,5 hectares où se construira bientôt un lotissement. Une exploration qui a renvoyé les chercheurs presque quatre millénaires en arrière.

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Préhistoriens et historiens n’aiment rien tant que saucissonner le passé et, si l’on adopte leurs subdivisions, nous voici donc rendus dans une tranche de salami temporel nommée âge du bronze ancien II (2000 à 1600 av. J.-C.). Une époque où, de la pointe de la Bretagne au Cotentin, en passant par les îles anglo-normandes, fleurissent les tombes des « petits princes de l’Armorique », ainsi que les avait joliment appelés l’archéologue Jacques Briard (1933-2002). A Giberville, en 2016, les fouilles dites de diagnostic – des sondages du terrain effectués pour déterminer leur « charge » archéologique – avaient « tapé » dans une de ces sépultures « princières ».

Des inhumations très codifiées

Les travaux menés cet automne sont allés bien au-delà de cette approche préliminaire et ont mis au jour quatre ensembles funéraires totalisant « une cinquantaine de tombes dont une quinzaine avec des ossements », précise Emmanuel Ghesquière, archéologue à l’Inrap et responsable de l’opération. En raison de la nature des sols, les os sont en effet parfois rongés, jusqu’à disparaître. C’est ainsi que, dans la tombe « princière », seuls deux fragments d’une jambe ont résisté au temps mais ils sont suffisants pour dire que le défunt a été enterré sur le dos et la tête du côté est. « En général, les hommes ont la tête à l’est et les femmes à l’ouest, précise Cyril Marcigny, lui aussi archéologue à l’Inrap et spécialiste de l’âge du bronze. Les inhumations sont très codifiées à l’époque. »

« C’est un travail monstrueux. Il est très difficile pour les meilleurs tailleurs de pierre d’aujourd’hui d’obtenir un tel résultat. » Cyril Marcigny, archéologue

Puisque les os ne sont plus vraiment là pour nous renseigner sur ce personnage, il faut faire parler son viatique pour l’au-delà. C’est au centre de recherches archéologiques de Bourguébus, véritable caverne d’Ali Baba où l’on se promène entre des céramiques préhistoriques et des morceaux de char de la seconde guerre mondiale, qu’est stocké le matériel issu de cette tombe assez exceptionnelle. Avec des gants en tissu et beaucoup de soin, Emmanuel Ghesquière déballe la lame, cassée en deux et en partie oxydée, de ce qui ressemble à un long poignard en bronze mais qui pourrait plutôt être une épée courte.

Puis ce sont quatorze pointes de flèche en silex qui sortent ensachées de la boîte, dont aucune ne semble avoir jamais servi. « Ce sont des pointes dites armoricaines, typiques avec leur forme ogivale assez longue, prolongée par des ailerons biseautés et un petit pédoncule qui s’insérait dans la hampe de la flèche, explique Emmanuel Ghesquière. Pour les fabriquer, les tailleurs partaient d’un gros éclat et l’affinaient avec une alène en cuivre, par pression, retirant des esquilles de silex parfois inférieures au millimètre. » « C’est un travail monstrueux, ajoute Cyril Marcigny. Il est très difficile pour les meilleurs tailleurs de pierre d’aujourd’hui d’obtenir un tel résultat. Ces pointes très fines ne circulent que dans certaines sphères et ne se retrouvent que dans les sépultures de l’élite. » Dans la tombe ont aussi été retrouvés des fragments d’ambre, provenant probablement de perles. Tous ces objets indiquent le statut élevé du défunt.

Le temps des élites

Au début du IIe millénaire avant notre ère, « une aristocratie se met en place. On sort d’un monde néolithique plus égalitaire, avec moins de complexité sociale, souligne Cyril Marcigny. On passe de sépultures collectives à des tombes individuelles. » Et apparaissent les tombes princières contenant du matériel de luxe ou de prestige, signalées par des tumulus parfois impressionnants. « On y retrouve souvent, comme à Giberville, de l’armement en bronze, des pointes de flèche d’apparat, des parures, des bijoux, des brassards d’archer, poursuit l’archéologue. Ces personnages modifient la société de l’époque, accaparent le territoire et aussi le monde marin avec des pêcheries. Ce sont des gens qui avaient de gros moyens. » Les objets se font témoins d’un système d’échange et de commerce à longue distance : métaux venus d’Angleterre – région qui, à l’ouest de l’Europe, est la première à maîtriser le bronze, alliage de cuivre et d’étain –, silex de Touraine, ambre de la Baltique…

Le nom de « prince » n’est peut-être pas juste, étant donné que ces personnages s’avèrent tout de même assez nombreux. Sans doute est-il plus exact de parler d’un système de chefferies, d’aristocrates locaux. A Giberville, l’étude du terrain montre comment ces hobereaux de l’âge du bronze structurent le territoire. On voit un système de fossés et de voies de circulation, des espaces funéraires, des terres agricoles, des trous de chasse pour piéger les gros mammifères – aurochs, chevreuils, sangliers, cerfs –, des enclos au sein desquels va se concentrer l’habitat dont il ne reste aucune trace au sol, parce que les maisons, sans doute faites de terre et de bois, étaient construites sans poteaux ni fondations.

Grâce aux nombreux travaux d’aménagement réalisés dans la plaine de Caen, les archéologues de l’Inrap, qui interviennent avant l’ouverture des chantiers, ont une vision de plus en plus précise de cet âge du bronze ancien. Même si les chefs de l’époque sont inhumés avec un attirail guerrier, il est probable que « la période était plutôt pacifique, estime Cyril Marcigny. Depuis trois ans, nous fouillons une centaine de tombes chaque année et aucun des squelettes retrouvés ne présente de traces de violence interpersonnelle. »

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Néanmoins, le temps des élites ne va pas durer plus de quelques siècles. « Cette structure politique se casse la figure vers 1700-1600 av. J.-C., ajoute l’archéologue. On ne sait pas bien pourquoi. Peut-être les chefferies finissent-elles par entrer en confrontation les unes avec les autres ? C’est aussi une période de changement climatique où les récoltes sont meilleures. La métallurgie devient aussi accessible à tous. Le résultat de tout cela est que la stratification sociale a l’air de se tasser. » Cette reconfiguration à l’âge du bronze moyen se traduit par la formation d’une véritable société (et non plus d’un maillage de chefferies) avec une forte homogénéité culturelle et matérielle sur tout le nord-ouest de la France et le sud de l’Angleterre. Quant au site de Giberville, il est abandonné à la fin du IImillénaire. Il sera réinvesti bien plus tard, aux alentours du VIIe et du VIe siècle avant notre ère, pour une autre histoire, celle de l’âge du fer.

Pierre BarthélémyBourguébus, Calvados, envoyé spécial

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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