Loi solidarité et renouvellement urbain : vingt ans de volontarisme au nom de la mixité sociale
Votée en 2000, la loi SRU imposait aux villes de se doter de 20 % de logements sociaux en 2020. Certains maires se refusent toujours à construire « social » malgré les sanctions financières.
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Il y a vingt ans, le 13 décembre 2000, la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) était adoptée. Avec une mesure très emblématique : l’article 55 qui imposait (et impose toujours d’ailleurs) aux communes urbaines de se doter, sur leur parc de résidences principales, de 20 % de logements sociaux d’ici à 2020, un seuil porté pour 60 % des communes, avec la loi Duflot de 2013, à 25 % en 2025. Vingt ans après, où en est-on ? Entre 2000 et 2019, près de 870 000 logements sociaux ont été construits dans les communes dites déficitaires. Mais il aura fallu vingt ans de volonté politique ferme et repousser plusieurs tentatives parlementaires – et sur le terrain – de contourner cette loi ou d’en réduire la portée.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le bilan mitigé de la loi SRU, vingt ans après sa création
En 1997, à la faveur des élections législatives, Jacques Chirac perd sa majorité à l’Assemblée ; la gauche revient au pouvoir. Lionel Jospin, premier ministre, nomme Jean-Claude Gayssot, un communiste, ministre de l’équipement, des transports et du logement. Ce dernier est secondé par le socialiste Louis Besson, chargé du logement et vrai initiateur du texte. Trois ans plus tard, M. Gayssot, s’exprimant au Palais-Bourbon, rappelle que la gauche a à cœur de « s’attaquer aux inégalités, faire une ville mieux équilibrée, plus sûre, plus solidaire ». Dix-neuf ans après la décentralisation de 1981, qui a confié aux maires les compétences d’urbanisme, les bailleurs sociaux se plaignent, en effet, de ne pas pouvoir construire dans certaines collectivités et la production de logements sociaux a été divisée par deux, passant de 100 000 logements par an à 50 000. « Certaines communes se sont cantonnées dans une logique de refus de l’accueil, sur leur sol, de logement social », argumente alors M. Gayssot.

L’article 55 de la loi SRU entend donc, selon Louis Besson, « corriger cette tendance et répartir de façon plus équilibrée le logement social, dans un souci de mixité ». A l’époque, 728 communes de plus de 3 500 habitants (ou de plus de 1 500 en Ile-de-France), faisant partie d’agglomérations de plus de 50 000 habitants, sont concernées.

Le texte innove par rapport aux précédentes lois sur la ville avec son mécanisme d’incitation-coercition. Il confie aux préfets le soin de fixer des objectifs triennaux de construction ou de création à partir de bâtiments existants à chaque commune déficitaire afin qu’elle rattrape son retard. Si elle n’y parvient pas, une contribution de solidarité de 1 000 francs (150 euros) par logement manquant et par an est prélevée, sorte d’amende décidée par l’Etat mais, par un système habile et vertueux, versée à la communauté urbaine pour être réinvestie dans le logement social, donc redonnée aux maires entreprenants.
Record d’amendements
A l’époque, ces dispositions choquent les députés des partis d’opposition de droite et du centre. Le député (RPR) du Val-de-Marne Gilles Carrez, maire du Perreux-sur-Marne, spécialiste de l’urbanisme, prend la tête de la fronde et dénonce une « méthode normative, uniforme, centralisée, dogmatique. Il s’agit surtout de clouer au pilori un certain nombre de villes par une sorte de coercition exercée par l’Etat qui nie complètement les réalités locales. Au Perreux, ajoute-t-il en tant que maire, on ne voit pas très bien comment substituer aux 700 pavillons de la ville, les 1 839 logements collectifs sociaux que je devrai construire ». Eric Raoult, député (RPR) de Seine-Saint-Denis, maire du Raincy et ancien ministre de la ville, déclare, lui, qu’il n’appliquera pas cette loi « idiote et coûteuse, qui créera dans [s]a ville un climat de peur sociale », qu’il attise d’ailleurs avec de grands panneaux annonçant « Ici, bientôt, des logements sociaux ». Selon certains de ces contestataires tout en nuances, on en revient au « Gosplan » soviétique, et il ne manque qu’un « petit goulag au milieu » de ces nouveaux quartiers…

Après l’examen de 3 200 amendements, un record à l’époque, la loi est adoptée le 13 décembre 2000 par 303 voix contre 218, « non sans effort pour rassembler une majorité, même à gauche », se souvient Thierry Repentin, alors chef de cabinet de Louis Besson et infatigable défenseur de cette loi.

« C’est une loi fondatrice de la politique du logement, un pilier de la République, reconnaît Grégoire Fauconnier, géographe, auteur de Loi SRU et mixité sociale : le vivre-ensemble en échec ? (Omniscience, 238 pages, 20 euros). Elle a eu des effets très positifs, à tel point que certains élus de droite l’ont défendue, notamment Jacques Chirac, après sa réélection, en 2002. Le thème de sa campagne était la lutte contre la fracture sociale et il a empêché que des amendements de six sénateurs de droite vident l’article 55 de sa substance. En 2005, après des émeutes en banlieue, et alors que des élus UMP le pressaient d’assouplir le dispositif, Jacques Chirac a opposé une fin de non-recevoir et réclamé une application sans réserves de la loi. »
Politique du chiffre
De multiples tentatives, en 2006 et 2007, de battre en brèche la loi SRU en modifiant certains paramètres, comme mutualiser l’objectif des 20 % à l’échelle intercommunale ou comptabiliser dans ces 20 % d’autres types de logements, par exemple en accession sociale à la propriété, échouent. Alors âgé de 93 ans, l’abbé Pierre vient en personne en fauteuil roulant, le 24 janvier 2006, à l’Assemblée, puis le 30 mars, au Sénat, lors de l’examen de la loi Borloo sur le logement, pour défendre la loi SRU, en appelant au président de la République, Jacques Chirac.

En 2013, la ministre du logement du gouvernement Hollande, Cécile Duflot, porte le seuil à 25 % pour les villes qui en ont besoin et recule l’échéance à 2025. Devant les faibles résultats obtenus, la loi Duflot durcit, au passage, les sanctions en laissant aux préfets la possibilité de quintupler les prélèvements financiers des communes « carencées » en logements sociaux, c’est-à-dire celles qui, déficitaires par manque flagrant de volonté, font l’objet de sanctions. Elle va même plus loin en autorisant les préfets à se substituer aux maires pour prendre la compétence d’exercer le droit de préemption voire délivrer des permis de construire, et instaure des obligations dites qualitatives parmi les logements sociaux créés, dont un minimum de 30 % de très sociaux et de 30 % d’intermédiaires. « Ce n’est vraiment qu’à partir de 2012, quand les préfets ont fait preuve de fermeté et que l’Etat a cessé de se montrer faible face aux élus qui s’acharnaient contre cette loi, que la construction HLM a décollé dans le millier de communes déficitaires », se souvient Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat, ancienne ministre du logement de 2016 à 2017.
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« La loi SRU n’est, aujourd’hui, plus contestée dans l’Hémicycle, mais elle l’est sur le terrain, avec de multiples contournements permettant à certains maires de satisfaire à l’obligation chiffrée sans accueillir aucune famille », regrette Grégoire Fauconnier. Ici, l’on ne crée que du social haut de gamme, dit PLS, là, on multiplie les logements étudiants ou les places en Ehpad, qui sont comptabilisés dans les 20 % à raison d’un logement par chambre ou par place. « Cela permet de faire du chiffre et de loger une population un peu hors sol, sans enfant, peu demandeuse d’infrastructures publiques ou sociales », remarque le géographe.

Dans les Yvelines, à Voisins-le-Bretonneux et Croissy-sur-Seine, les chambres d’étudiants, en Ehpad ou en foyer de jeunes actifs constituent 95 % des nouveaux logements sociaux créés ; la ville d’Orsay (Essonne) a atteint son quota dès 2006 en conventionnant, c’est-à-dire en basculant dans le régime HLM, ses 930 chambres universitaires ; Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes) a fait bondir son taux de logements sociaux de 6 % à 18 % en multipliant les chambres en Ehpad et en conventionnant des logements pour militaires.
Au palmarès des récalcitrants
Quelques maires se refusent toujours à construire « social » malgré les sanctions financières, que certains se vantent de préférer payer, voire en font un argument électoral. Le maire de Mimet (Bouches-du-Rhône), dont le parc HLM plafonne à 4,15 %, a même fondé une Association des villes carencées, qui compte une centaine de membres sur les 269 communes dans ce cas, comptabilisées en 2017. Selon la Fondation Abbé-Pierre et son palmarès triennal des « communes récalcitrantes », publié le 8 décembre, douze communes, dont trois en Ile-de-France et neuf en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et dans le Gard mitoyen, battent un record de mauvaise volonté en étant six fois de suite, tous les trois ans depuis 2002, « en constat de carence », c’est-à-dire sanctionnées pour de bon.
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« Les logements HLM sont indéniablement mieux répartis dans les agglomérations urbaines et cette loi a stimulé leur construction là où ils manquaient, observe Tristan-Pierre Maury, économiste et coauteur de l’étude « Vingt ans après, la loi SRU produit une mixité de façade », publiée par l’institut des hautes études pour l’action dans le logement. Mais le mouvement a été contrarié par l’appauvrissement, dans la même période, des locataires de ce parc social qui se spécialise peu à peu dans l’accueil des plus pauvres. Les 20 % des ménages les plus riches se rassemblent plus que jamais dans leurs enclaves de prospérité et, lorsque la loi SRU a permis la construction de logements sociaux dans les quartiers chics, ils sont plutôt occupés par la frange la plus aisée des publics éligibles à un HLM. »
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La loi SRU aura en effet permis de fondre les HLM dans la ville et de modifier leur image de grands ensembles inhumains où régnerait l’insécurité. Elle a poussé les élus à créer des quartiers mixtes avec chacun sa part de logements sociaux, construits, dans 60 % des cas, par le même promoteur privé que ceux en accession, dessinés par le même architecte, proposant les mêmes matériaux et prestations : « Les HLM ont gagné la bataille architecturale, affirme Grégoire Fauconnier. Il y a certes encore des levées de boucliers à l’annonce d’un programme comportant des HLM, mais, une fois sortis de terre, ils sont acceptés, appréciés même puisque, avec l’explosion des prix de l’immobilier, ils permettent à des ménages aux revenus modestes ou moyens, de rester dans leur quartier », ce qui est le but originel de la loi SRU.Des objectifs qui demeurent plus que jamais d’actualité
Avec 870 000 logements HLM construits entre 2000 et 2019 dans des communes qui en manquaient, soit la moitié de la production totale, le bilan de la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) est flatteur. Une poignée d’élus y restent encore idéologiquement réfractaires ou ont du mal, à cause de la configuration de leur territoire, à atteindre leur quota : 301 communes comptent, fin 2019, moins de 10 % de HLM, loin des 20 % à atteindre cette année et plus encore des 25 % en 2025. Les mécanismes incitatif et coercitif de la loi s’interrompront-ils en 2025, avec l’extinction de la loi ?
« La loi SRU a été et est encore utile et efficace, et il faut promouvoir la mixité et le logement social, qui est un service public, plaide Emmanuelle Wargon, ministre du logement. On s’approche de la falaise, en 2025 : envisageons dès maintenant la suite et donnons de la visibilité aux élus, d’autant que l’on sent bien que certains d’entre eux jouent la montre et comptent échapper à leurs obligations. » En juillet, la ministre a d’ailleurs donné aux préfets des instructions de fermeté dans les constats de carence au terme du bilan triennal 2017-2019. De grandes villes comme Neuilly-sur-Seine, Cannes, Royan, Le Vésinet, Montrouge ou Toulon sont dans le viseur des préfets, qui prendront leur décision fin décembre.
« Pacte républicain »
Pour assurer une suite à la loi SRU, une nouvelle loi est donc nécessaire et le gouvernement a d’ores et déjà introduit, dans le projet de loi relatif au renforcement des principes républicains, ex-projet de loi de lutte contre les séparatismes, un amendement l’autorisant à légiférer par ordonnance sur ce sujet. « Ce n’est pas admissible que le Parlement soit privé de débat sur un sujet aussi essentiel, la mixité sociale, plaide Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat, qui fédère 631 bailleurs sociaux. Nous devons donc prolonger la loi et examiner la situation des élus réfractaires qui bafouent le pacte républicain. Le préfet doit peut-être se substituer à eux pour la délivrance des permis de construire. On pourrait aussi intégrer un objectif de nombre de places d’hébergement d’urgence, pour un meilleur équilibre sur le territoire. Enfin, là où la demande est très forte, en Ile-de-France, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, le taux de 25 % n’est peut-être pas suffisant. »
Selon Mme Wargon, il faut distinguer les communes proches de l’objectif, dont la nouvelle loi pourrait atténuer l’effort à fournir en fonction des circonstances locales. « Celles qui sont dans la moyenne, auxquelles elle pourrait accorder un délai de trois ou six ans, et les franchement carencées, détaille la ministre. Il faut aussi prendre en compte les spécificités locales et s’autoriser à dépasser les 25 % : une ville comme Marseille, dont le parc de logements en centre-ville, qui joue un rôle social de fait, est insalubre, a besoin de plus. Bordeaux, Lyon, le pays de Gex ou l’Ile-de-France, où les loyers du parc privé sont trois fois plus élevés que ceux du public, également. »
Mme Wargon a chargé la commission d’application de l’article 55 de la loi SRU, présidée par Thierry Repentin, l’un de ses concepteurs, de lui faire des propositions précises pour la mi-janvier. « Le combat pour le logement social doit se poursuivre plus que jamais, pour loger, désormais, les 2 millions de demandeurs en attente,plaide M. Repentin. C’est bien d’applaudir chaque soir le personnel soignant, les éboueurs, les caissières, mais difficile de leur signifier qu’ils n’ont pas le droit d’habiter cetaines villes ou quartiers. On peut revoir la cartographie, moduler les taux selon les besoins et aider les bailleurs sociaux à sortir les projets par des aides à la pierre. »Voir plus