La chercheuse Dominique Costagliola, qui s’est fortement investie dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus, reçoit l’une des plus hautes distinctions scientifiques françaises

Discours « cash » et rigueur scientifique : l’épidémiologiste Dominique Costagliola, Grand Prix de l’Inserm 2020

La chercheuse, qui s’est fortement investie dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus, reçoit l’une des plus hautes distinctions scientifiques françaises. 

Par Sandrine CabutPublié le 08 décembre 2020 à 11h17 – Mis à jour le 08 décembre 2020 à 13h46  

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/12/08/discours-cash-et-rigueur-scientifique-l-epidemiologiste-dominique-costagliola-grand-prix-de-l-inserm-2020_6062612_1650684.html

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Dominique Costagliola montre l’évolution, par tranche d’âge, du nombre de cas de Covid-19 de mi-mars à fin avril, lors du premier confinement
Dominique Costagliola montre l’évolution, par tranche d’âge, du nombre de cas de Covid-19 de mi-mars à fin avril, lors du premier confinement Francois GUENET/INSERM

Au fil des mois, elle est devenue de plus en plus présente dans les médias, recherchée pour ses analyses pertinentes de l’épidémie de coronavirus et son discours « cash ». Qu’elle critique la méthodologie des études de Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine ou la gestion de la crise par les décideurs, Dominique Costagliola affiche une indépendance totale.

Avec le SARS-CoV-2 comme avec le VIH, sur les plateaux télé comme sur Twitter, et quel que soit son interlocuteur, l’épidémiologiste et biostatisticienne applique la même méthode : du bon sens, de la science et de la pédagogie. Son propos peut être radical mais il est toujours argumenté, fondé sur des données et des faits, martèlent ceux qui l’ont côtoyée sur le plan professionnel.

Contactée pour ce portrait, la directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm), 66 ans, précise qu’elle aura une « actu Inserm » le 8 décembre. L’actu en question est en fait l’annonce du Grand Prix de cet institut de recherche, qui lui est décerné cette année. L’Inserm l’avait déjà distinguée en 2013 avec son « prix Recherche » pour ses travaux sur le VIH. Une ligne de plus sur un CV impressionnant, comme le nombre de ses publications (539 sur la base de données PubMed).

« Dire ce que je pense »

Comment résumer autant de titres et de casquettes, dont l’énumération lui a pris pas moins de huit minutes lors de son audition au Sénat, le 15 septembre, par la commission d’enquête sur la gestion de la crise sanitaire ? Dans son appartement parisien, où elle télétravaille depuis le premier confinement et nous reçoit entre deux réunions virtuelles, Dominique Costagliola s’amuse de la remarque. Puis s’explique : « Je voulais que les sénateurs sachent exactement d’où je parlais, et d’abord qu’il soit clair que j’étais compétente en pharmaco-épidémiologie et en évaluation du médicament. Plus que certains experts entendus ce jour-là… »(comprendre Didier Raoult, qui avait d’ailleurs refusé une audition commune).

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Le récit fleuve de ses activités et missions visait aussi à la clarté sur ses collaborations avec l’infectiologue Yazdan Yazdanpanah et la virologue Marie-Paule Kieny, auditionnés en même temps qu’elle. Et sur ses liens avec des laboratoires pharmaceutiques. « Dans le flou artistique autour de la défense de l’hydroxychloroquine, il y a l’idée que ceux qui en disent du mal ont des liens d’intérêt avec l’industrie, rappelle-t-elle. Je voulais montrer que les miens, que j’ai toujours mentionnés d’emblée quand j’ai été missionnée par des ministres, de droite comme de gauche, n’ont jamais été considérés comme des conflits et ne m’empêchent pas de dire ce que je pense d’un médicament. »

La nouvelle pandémie l’a cueillie à un peu plus d’un an de la retraite (elle s’arrêtera en août 2021), alors qu’elle commençait à passer la main. Dès janvier, elle a été impliquée dans le suivi du Covid, principalement au sein du comité scientifique de REACTing, le consortium de l’Inserm qui coordonne la recherche française pendant les épidémies.

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Assignée à résidence, avec des horaires de travail à rallonge, cette passionnée de voyages et d’Asie a eu comme hobby principal la cuisine, partageant les photos de ses plats sur Facebook.

Un parcours peu linéaire

Proche de plusieurs membres du conseil scientifique, rencontrés au fil de sa vie professionnelle, elle trouve plutôt utile d’être en dehors de cette instance, pour s’exprimer librement. Et dire tout haut ce que certains d’entre eux pensent tout bas, probablement. « Quand Jean Castex a été auditionné à l’Assemblée nationale, mi-novembre, il s’est en quelque sorte dédouané de ne pas avoir pris de mesures contraignantes en septembre en se référant aux rassuristes”, estime la chercheuse. Il n’y a pas de rassuristes dans le conseil scientifique, alors pourquoi écouter ces imbéciles qui sont mauvais plutôt que les membres d’un conseil qu’on a nommés ? »

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Elle est aussi sans concession sur l’absence de membres de la société civile dans la gestion de la crise : « Quand vous regardez les missions de la Conférence nationale de santé et sa composition, vous vous dites : “Comment est-il possible qu’elle n’ait pas été associée à la réflexion et aux décisions ?” On a créé tout un tas de machins pour la représentation des citoyens et, lorsqu’il y a une crise, on voit bien que ce n’est que de l’affichage puisqu’on ne les sollicite pas. » Pour cette chercheuse engagée, qui travaille depuis des décennies avec le milieu associatif du VIH, « ne pas prendre le pari de l’intelligence et de la discussion concertée est d’un rétrograde absolu ».

« C’est notre pilier dans le monde du VIH, et une référence en biostatistiques. » Christine Rouzioux, virologue

« C’est une femme de caractère et une scientifique extrêmement solide. Elle a toujours eu son franc-parler, et j’aime bien parce que c’est fondé scientifiquement », résume Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, qui la connaît depuis plus de trente ans. Pratiquement depuis ses débuts dans la recherche sur le VIH, en fait. C’était au milieu des années 1980, après un parcours peu linéaire. Maîtrise de physique en poche, cette fille de militaire rentre sur titres en deuxième année d’école d’ingénieurs. A Telecom, elle s’ennuie ferme jusqu’à s’inscrire dans l’option qui va lui ouvrir de nouveaux horizons : génie biologique et médical. Le polytechnicien et épidémiologiste Alain-Jacques Valleron, chez qui elle fait un DEA puis une thèse, deviendra son « père de sciences », sur le volet épidémiologie et modélisation ; la fonction maternelle étant dévolue au docteur Eveline Eschwège, qui l’éduque à la recherche clinique. Une large palette de compétences à laquelle elle n’a jamais renoncé.

Travail en tandem féminin

Recrutée à l’Inserm en 1982 comme attachée de recherche sur le diabète, elle va se tourner vers le sida à partir de 1986. D’abord pour développer des modèles statistiques estimant les « paramètres cachés » de l’épidémie, telles la durée d’incubation et l’incidence de cette infection ; puis pour des recherches plus en lien avec la clinique et les traitements. Elle a souvent travaillé en « tandem féminin », a-t-elle souligné dans son allocution à l’Académie des sciences, où elle a été élue en 2017.

« Quand on fait un dispositif expérimental, on voit peut-être 14 pierres, mais on ne sait pas s’il y en a 15 ou 12 000. » Dominique Costagliola

En modélisant des données d’une cohorte collectées par la virologue Christine Rouzioux, elle montre ainsi au début des années 1990 que la transmission mère-enfant du virus se fait surtout au moment de l’accouchement ou du dernier mois de grossesse. « Elle a tout de suite perçu l’impact possible sur la prévention, se rappelle la virologue. C’est notre pilier dans le monde du VIH, et une référence en biostatistiques. »

L’infectiologue Christine Katlama, qui travaille avec elle de longue date sur l’optimisation des traitements antirétroviraux, salue de son côté les partenariats que la chercheuse sait établir avec les cliniciens : « Elle écoute, comprend et revient avec une vraie proposition. Toutes ces années, Dominique s’est imbibée du médical, et nous d’elle, et ce sont ces émulsions qui sont fantastiques. »

Pour Dominique Costagliola, les deux grands moments de sa carrière sont les résultats des études sur la transmission mère-enfant, et ceux de l’étude Ipergay en 2015, qui a montré une efficacité à 86 % du traitement préventif du VIH par la PrEP, la prophylaxie pré-exposition. Elle en redéroule le fil avec passion, et une précision millimétrique. « C’était un peu du travail dans l’ombre, mais très marquant pour moi », dit-elle sobrement.

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Marc Dixneuf, directeur général de l’association de lutte contre le VIH Aides, souligne, lui, son rôle essentiel dans la stratégie de dépistage du VIH. « Elle avait une vision très claire sur cette question. A l’époque, elle était quasiment la seule à dire qu’il fallait tout mettre en œuvre pour que ceux qui en ont besoin soient dépistés, pour être traités. » Pour lui, les quatre années passées à ses côtés au Conseil national du sida ont été « comme un post-doctorat ».

Cinglante pour la bonne cause

Brillante, rigoureuse, mais également hypersensible, la professeur Costagliola est aussi réputée pas commode, très exigeante, cinglante parfois… Mais toujours pour la bonne cause. Marc Dixneuf n’est pas près d’oublier cette réunion vers 2004-2005, avec des représentants d’un laboratoire pharmaceutique venus spécialement des Etats-Unis pour proposer une nouvelle stratégie avec leur médicament. Dès qu’ils se sont mis à parler, Dominique Costagliola les a tout de suite arrêtés en leur disant que c’était faux. « En trois minutes, elle les a explosés », s’amuse le DG d’Aides. Emmanuelle Boëlle-Le Corfec, qui a fait sous sa direction une thèse de sciences, spécialité biomathématiques, dans les années 1990, se souvient pour sa part d’un passage délicat. « Mon article avait été refusé par une revue, j’étais bloquée, et j’ai senti qu’elle voulait que je rebondisse seule. Sur le moment, ça a été difficile à vivre mais quand j’ai passé le cap, j’ai pris conscience que faire de la recherche, c’était aussi être autonome, et que ce n’était pas linéaire. Finalement, ça m’a fait progresser. »

Sur l’écran d’ordinateur de la scientifique et sa bannière Twitter, il y a une photo d’un joli village coloré et escarpé. C’est l’île de Procida, dans la baie de Naples, où est né son grand-père paternel, marin, et qu’il a quittée pour vivre à Oran. Mais c’est au Japon qu’elle rêve de retourner. A Kyoto, elle aime tant le jardin sec du Ryoan-ji, avec ses 15 pierres, dont jamais plus de 14 ne sont visibles, quel que soit l’endroit d’où on les contemple. « Pour moi, c’est l’allégorie de la science, confie Dominique Costagliola. Quand on fait un dispositif expérimental, on voit peut-être 14 pierres, mais on ne sait pas s’il y en a 15 ou 12 000. Ça permet de rester modeste. »

Sandrine Cabut

« En France, nous avons raté le déconfinement »

Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique, estime pourtant que le discours du chef de l’Etat va dans la bonne direction. 

Propos recueillis par Hervé Morin et Pascale SantiPublié le 29 octobre 2020 à 05h12 – Mis à jour le 29 octobre 2020 à 09h13  

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/29/l-epidemiologiste-dominique-costagliola-en-france-nous-avons-rate-le-deconfinement_6057732_3244.html

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Epidémiologiste et biostatisticienne, Dominique Costagliola est directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm). Spécialiste du VIH, elle est impliquée dans le suivi de la pandémie de Covid-19, notamment en tant que membre du comité scientifique de REACTing, le consortium de l’Inserm qui coordonne la recherche française pendant les épidémies.

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Face au Covid-19, les Français ont souvent le sentiment de s’être pliés aux mesures demandées. Et pourtant, Emmanuel Macron a été contraint d’annoncer un reconfinement. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

La France n’est pas le seul pays d’Europe où la situation n’est pas bonne. C’est un virus très transmissible, et il faut un très grand respect d’un ensemble de procédures pour réussir à le contrôler. Notons aussi que les pays démocratiques qui y sont parvenus ont pris très tôt des mesures très strictes, et que certains, comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, sont des îles, ce qui facilite le contrôle de la circulation du virus.

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En France, nous avons raté le déconfinement. Peut-être pas au début, mais à partir du 22 juin (phase 3 du déconfinement qui avait débuté le 11 mai), il n’y avait plus de mesures réellement contraignantes. Il a fallu que les experts se roulent par terre auprès de l’exécutif pour obtenir de nouvelles mesures de contrôle. On sent l’influence de chacun des ministres dans ce type de décision. Par exemple, le protocole sanitaire quasi inexistant dans les écoles, encore allégé après la rentrée scolaire de septembre, est nul.

Par ailleurs, la doxa a été de revenir travailler en présentiel, même quand le télétravail était possible. Je rappelle que la circulaire dans les services publics disant que l’on peut télétravailler deux ou trois jours par semaine ne date que de début octobre, ce qui est sidérant. Personne ne dit que le télétravail est formidable, mais c’est un moindre mal, qui n’a pas trop de conséquences humaines et sociales – il faudra voir le détail de ce qui sera proposé à la suite des annonces du président Macron.

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Regrettez-vous que le gouvernement n’ait pas agi plus tôt ?

Avoir des regrets ne change rien à la situation actuelle. L’augmentation du nombre de personnes contaminées a démarré à la mi-juillet chez les moins de 40 ans, puis cela a frémi la deuxième quinzaine d’août chez les plus de 40 ans, et la hausse était nette début septembre.

La conférence de presse du premier ministre, Jean Castex, le 15 septembre, au cours de laquelle rien n’a été annoncé, a été une occasion perdue : on avait déjà de l’eau aux chevilles. Cela aurait pu être possible de casser la dynamique à ce moment-là, avec des mesures moins fortes que celles annoncées aujourd’hui : plus on tarde et plus le processus épidémique est enclenché, et plus on est dans cette phase de croissance rapide, nécessitant d’agir fortement. Egrener des mesures comme on l’a fait depuis juin est la mauvaise méthode.

Cela a-t-il été le cas du couvre-feu ?

Si les gens se retrouvent au café à 18 heures au lieu de 20 heures, ça ne change rien.

Les mesures annoncées mercredi soir peuvent-elles infléchir le cours de l’épidémie ?

Le discours, qui a été formaté par le conseil scientifique, va dans le bon sens, mais le diable est dans les détails des mesures que chaque ministre va préciser.

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Il faut dès maintenant se préparer à l’après-confinement pour avoir une vie un tout petit moins désespérante, et ne pas être obligés de faire du « stop and go »encore longtemps. C’est-à-dire, au-delà des indispensables gestes barrières – la distance, le port du masque, le lavage des mains, l’aération… –, bien tester, tracer, isoler. Il ne suffit pas de faire deux millions de tests par semaine, il faut tester avec un but, ce qui est rendu compliqué aujourd’hui par le nombre de cas.

Est-ce une erreur de ne pas avoir fermé les écoles ?

J’aurais certainement fermé les lycées. Pour le reste, là encore je demande à voir le détail du protocole sanitaire. S’il est sérieux, pourquoi pas ? Cela signifie le masque pour tout le monde, réfléchir à encadrer les cours d’éducation physique et la cantine, où on ne le porte pas. Je ne dis pas que c’est facile, mais on connaît des pistes. Les enfants sont beaucoup plus adaptables que les adultes.

Il faut penser en termes de santé publique. Pour les plus jeunes, la Société française de pédiatrie a annoncé que les enfants sont peu transmetteurs, mais ce n’est pas si clair dans la littérature scientifique. Quand bien même ce serait vrai, cela ne veut pas dire qu’ils ne transmettent pas. En effet, ils ont beaucoup de contacts à l’école avec d’autres enfants et des adultes. Certes, le risque peut être faible, mais, étant donné le grand nombre d’enfants, le nombre de cas d’infection peut être important.

Emmanuel Macron a indiqué que « le virus circule en France à une vitesse que même les prévisions les plus pessimistes n’avaient pas anticipée », avec un nombre de contaminations qui a doublé en moins de deux semaines, à 50 000 cas. Avez-vous été surprise par cet emballement ?

Le fait qu’un virus respiratoire – certes on a surtout l’expérience des virus grippaux, ce que n’est pas le coronavirus – circule plus à l’automne et en hiver qu’au printemps et en été, ce n’est pas un scoop.

L’effet de la température sur la circulation des virus n’est pas univoque dans la littérature scientifique. Mais, quand le temps se refroidit, on vit plus à l’intérieur, on est plus les uns sur les autres. Les nouvelles épidémies, lorsqu’elles commencent aux beaux jours, connaissent généralement un second pic à l’automne ou à l’hiver – en tout cas avec la grippe. Ces derniers jours, on a été surpris par l’accélération brutale, mais quand on est dans un processus de transmission exponentiel, à un moment la courbe s’infléchit et c’est brutal.

Faut-il donc bien s’attendre à 9 000 patients en réanimation à la mi-novembre, comme l’a annoncé Emmanuel Macron ?

Rien de ce qui est décidé aujourd’hui ne va l’empêcher. Même au doigt mouillé, quand vous voyez que le nombre de cas progresse chez les plus de 40 ans, vous savez que trois semaines après, cela va augmenter à l’hôpital.

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C’est exactement ce qui s’est produit, à peu près à partir du 20 septembre. Les modélisations plus sophistiquées peuvent éclairer les effets d’actions éventuelles, mais l’ordre de grandeur est disponible en regardant les données des nouveaux diagnostics.

Le chef de l’Etat a aussi évoqué une deuxième vague pire que la première…

Avec les prédictions du nombre de personnes hospitalisées et en réanimation, le fait que la circulation soit plus difficile à combattre que pendant l’été, que cela va durer plus longtemps, on peut en effet s’y attendre. Même si la prise en charge des patients s’est améliorée et a réduit la mortalité, cela va être plus compliqué.

La durée annoncée du confinement vous semble-t-elle suffisante ?

Le délai de revoyure à deux semaines est le minimum pour voir apparaître une inflexion, avec des données consolidées. Il n’est pas sûr que partir sur au moins quatre semaines de confinement soit suffisant. Mais c’est bien d’avoir fixé un objectif de retour à 5 000 cas positifs par jour, car tout le monde pourra en juger.

Le confinement ne peut-il avoir lui-même des effets sanitaires très importants ?

Si on ne fait pas de confinement, on les subira de toute façon parce qu’on ne pourra pas prendre en charge les autres pathologies, ce qui engendrera des décès. On voit déjà que pour prendre en charge les patients hors Covid-19, il va falloir pousser les murs. En outre, dans cette situation, les effets psychosociaux sont peu pris en compte.A

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Concernant le contrecoup sanitaire de la crise économique induite par un confinement, il est très difficile de se livrer à des comparaisons internationales, car la pandémie court toujours. Certains disent qu’avec un confinement, on veut noyer l’économie. Pas du tout. Le problème est que nous sommes dans une situation telle que si on ne prend pas ces mesures, ce sera pire, y compris du point de vue de l’économie.

On n’a d’ailleurs pas l’impression que la situation économique soit bien meilleure dans les pays où on a décidé de laisser filer la pandémie, même si les données restent partielles. Après la grande peste où 30 % à 50 % de la population européenne avaient disparu, il y avait eu un grand boom économique. Est-ce cela que l’on veut ?

*Dominique Costagliola : « Durant la crise du Covid-19, certains chercheurs ont choisi de malmener la science »

L’épidémiologiste critique la gestion des essais cliniques et le mode de diffusion de certains résultats scientifiques depuis l’apparition de la pandémie due au SARS-CoV-2. 

Propos recueillis par Sandrine Cabut

Publié le 06 juin 2020 à 18h00 – Mis à jour le 10 juin 2020 à 09h37  

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/06/06/dominique-costagliola-durant-la-crise-du-covid-19-certains-chercheurs-choisissent-de-malmener-la-science_6042019_1650684.html

Dominique Costagliola, en 2018, à l’Académie des sciences.
Dominique Costagliola, en 2018, à l’Académie des sciences. JULIETTE AGNEL / ACADEMIE DES SCIENCES

Epidémiologiste et biostatisticienne, Dominique Costagliola est directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm). Spécialiste du VIH, elle est impliquée depuis janvier dans le suivi de la pandémie de Covid-19, notamment en tant que membre du comité scientifique de REACTing, le consortium de l’Inserm qui coordonne la recherche française pendant les épidémies.

Beaucoup d’essais cliniques ont été lancés pour tester des médicaments anti-Covid-19, souvent avec de faibles effectifs, parfois redondants, comme pour l’hydroxychloroquine, dans une vingtaine d’études rien qu’en France… Pourquoi cette dispersion ?

Cela a été le cas en Chine, et en France aussi, faute d’une autorité unique capable d’amener à des coopérations. Dans notre pays, n’importe quel hôpital peut être promoteur d’études, c’est totalement décentralisé. De plus, dans cette période d’urgence, il y a eu pléthore de financements.

L’Agence nationale de la recherche (ANR), qui, habituellement, ne finance pas d’études cliniques, a lancé un appel d’offres spécifique Covid pour lequel des études cliniques étaient éligibles, avec des montants qui ne couvrent pas totalement les frais d’un essai, mais sont suffisants pour l’amorcer. Des appels à projets « Flash Covid » ont aussi été créés pour des programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC), au niveau national et régional. En tant que membre du jury de certains de ces PHRC, j’ai par exemple constaté que deux projets concurrents, dans la même région, avaient été retenus dans le cadre du PHRC régional. Il aurait été plus raisonnable que les deux équipes travaillent ensemble.

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est, elle, chargée d’autoriser les essais cliniques, en vérifiant les prérequis scientifiques et les conditions de surveillance de ceux-ci, mais elle n’a pas le pouvoir de refuser des études parce qu’elles sont redondantes, ou celui de demander aux investigateurs de collaborer. Le problème se pose aussi pour les comités de protection des personnes (CPP), qui donnent leur avis sur les conditions, notamment éthiques, des projets cliniques. Choisis par tirage au sort, les CPP ont connaissance des projets qui leur sont soumis, mais n’ont pas forcément une vision globale à un moment donné. Pour cela, ils peuvent consulter la base européenne où sont enregistrés tous les essais cliniques, mais ils seraient à la limite de leur compétence s’ils refusaient d’autoriser un projet sous prétexte que c’est le douzième testant la même molécule…

Au sein de REACTing, nous avons essayé de jouer un rôle de coordination auprès d’équipes venant nous présenter leurs projets. Au total, nous en avons examiné plus de 80, mais nous n’avons pas de pouvoir décisionnaire car ce n’est pas nous qui accordons les financements. Et tous les projets ne nous sont pas soumis.

La coopération européenne, et notamment l’essai Discovery, à l’initiative de la France et qui devait recruter 3 100 personnes dans plusieurs pays, n’a pas non plus bien fonctionné. Quelles sont les pistes pour faire mieux à l’avenir ?

Cette étude, qui vise à comparer quatre médicaments aux soins courants[remdesivir, lopinavir/ritonavir associé ou non à interféron bêta, hydroxychloroquine], a démarré très rapidement en France, mais il a été compliqué de faire participer les autres pays prévus, pour différentes raisons. Par exemple, l’Italie et l’Espagne ont finalement choisi de contribuer seulement à Solidarity, un essai clinique proche de Discovery, porté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En Belgique, les centres ont décidé de rejoindre Solidarity, mais les autorités sanitaires équivalentes à l’ANSM ont estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de surveillance de la tolérance des traitements, et ils ont refusé le protocole.

Au Royaume-Uni, le National Health Service (NHS) a, lui, interdit aux investigateurs de prendre part à Discovery car le pays a décidé de se concentrer sur un seul gros essai, appelé Recovery. Cette étude, qui évalue plusieurs traitements, est très modulaire et elle a déjà évolué plusieurs fois. Plus de 10 000 patients ont déjà été recrutés. Contrairement à nous, les Britanniques se sont extrêmement bien organisés et ont mis en place un programme de recherche clinique unique qui explore plusieurs directions, mais en nombre limité.

Actuellement, on prépare un projet européen, pour constituer une plate-forme avec un réseau d’investigateurs et d’hôpitaux identifiés. L’idée est de se mettre en ordre de marche pour qu’en cas de deuxième vague ou de nouvelle émergence on puisse commencer des études sans délai. Par ailleurs, les ministères de la santé et de la recherche ont commandé un rapport qui devra soumettre des propositions pour éviter cette cacophonie qui a fait perdre beaucoup d’énergie.

Cette cacophonie dans les essais peut-elle expliquer qu’aucun médicament n’ait vraiment démontré son efficacité sur le nouveau coronavirus ?

Jusqu’ici, il s’agit de repositionnement de molécules, qui n’ont pas été initialement conçues pour traiter le Covid-19, et dans de tels contextes on ne peut pas s’attendre à des résultats spectaculaires.

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Les données d’une étude américaine suggèrent une efficacité du remdesivir, un antiviral, mais qui n’est pas majeure et qu’il faut confirmer. Comme l’épidémie reflue en France, il n’y a plus beaucoup de recrutements de malades dans Discovery. Mais il y aura peut-être suffisamment d’inclusions dans l’essai Solidarity pour conclure, puisque l’épidémie est toujours active dans certains pays, en Amérique du Sud ou en Iran, où arrive une deuxième vague.

S’il y avait un médicament très efficace, nous l’aurions déjà vu. A défaut, l’objectif actuel est de sélectionner quelques traitements qui fonctionnent un peu. En cas de deuxième vague, nous pourrons alors évaluer à quel moment ils sont le plus utiles, tester des combinaisons…

Qu’en est-il de l’hydroxychloroquine ? Dès la première étude de l’équipe du professeur Raoult, vous avez été très critique sur sa méthodologie et ses résultats.

Dans une maladie comme le Covid-19, où le taux de létalité n’est pas très élevé [moins de 1 %], seuls des essais randomisés peuvent démontrer l’efficacité d’un traitement, et affirmer le contraire est malhonnête. Jusqu’ici, l’équipe de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection n’a pas produit de données solides, et il y a de nombreuses zones d’ombre dans ses données. En outre, si Didier Raoult est passé outre l’avis négatif d’un CPP, comme l’a révélé le journal Libération, il a enfreint la loi sur les essais cliniques, ce qui devrait relever de la justice.

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Les études publiées par d’autres équipes n’ont jusqu’ici pas retrouvé d’efficacité de l’hydroxychloroquine dans le Covid-19. Ainsi, un essai randomisé mis en ligne le 3 juin sur le site du New England Journal of Medicine ne met pas en évidence d’effet de cette molécule dans la prévention de l’infection chez les sujets contacts d’un cas. Ce résultat ne plaide pas en faveur d’une efficacité à une phase précoce de l’infection. Les investigateurs de cet essai ont aussi évalué l’intérêt de l’hydroxychloroquine chez les contacts symptomatiques d’un cas et leurs résultats devraient être disponibles bientôt.

Mais la récente publication de « The Lancet », qui a conclu à la toxicité de cette molécule et conduit la France à interdire l’utilisation compassionnelle et suspendre les essais, est elle aussi sous le feu des critiques.

J’ai été alertée en apprenant que cette étude provenait de l’équipe qui, avec la même base de données, avait été à l’origine d’une prépublication suggérant un effet faramineux dans le Covid de l’ivermectine, un antiparasitaire. Cet article était nul.

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L’étude observationnelle du Lancet trouve un risque accru d’arythmie cardiaque et de décès chez les patients traités par hydroxychloroquine, mais j’ai constaté que l’analyse n’est pas stratifiée par pays. Or, le risque de mourir du Covid-19 n’est pas le même d’un pays à l’autre, il dépend de la structure de la population, du niveau des soins… L’effet observé par les auteurs pourrait en partie être dû à cela, et pas forcément à l’hydroxychloroquine. Ne pas tenir tenir compte de ce paramètre est une faute de base dans ce type d’étude, et je ne comprends pas que les reviewers [relecteurs de l’article] n’aient pas demandé aux auteurs une analyse stratifiée, qui se fait très facilement. Par ailleurs, de nombreuses incohérences sur la base de données elle-même ou sur certains autres résultats ont amené The Lancet à publier une « expression of concern » [une mise en garde] sur cet article qu’il avait accepté. L’article a depuis été retiré sur demande de trois des quatre coauteurs.

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On sait que l’hydroxychloroquine, surtout associée à l’azithromycine, peut induire de nombreux effets indésirables cardiaques. Il est probable que son profil de toxicité ne soit pas le même pour le Covid-19 que dans ses indications habituelles (lupus et polyarthrite), car les doses utilisées sont plus élevées et l’infection a elle-même des conséquences sur le cœur. Mais si sa toxicité était si importante, l’étude britannique Recovery, qui porte sur un grand effectif, l’aurait observé aussi, ce qui n’est pas le cas. En revanche, ses investigateurs ont annoncé le 5 juin suspendre le bras hydroxychloroquine, faute d’effet favorable sur la mortalité.

Pour régler la question de l’efficacité, le seul moyen est de continuer les essais randomisés, donc c’est une bonne chose que les études suspendues reprennent. En revanche, dès le départ, il n’était pas légitime d’utiliser l’hydroxychloroquine en dehors des essais cliniques, en compassionnel, faute de données solides sur l’efficacité.

Après l’annonce hâtive par l’Assistance publique (AP-HP) de résultats prometteurs avec le tocilizumab, une immunothérapie, pour le traitement des formes graves, sans attendre leur publication, vous avez démissionné du comité de recherche sur le Covid-19 de l’AP-HP. Que s’est-il passé ?

Des résultats préliminaires de cette étude Corimuno-19 ont été présentés publiquement par les investigateurs au Haut Comité de santé publique, alors même que le comité indépendant chargé de la surveillance de l’essai avait estimé qu’il y avait de petites incohérences dans les données et qu’il fallait continuer. Les effets du médicament devaient être jugés au 14e jour de traitement, et ce recul n’était pas atteint chez tous les malades.

Par crainte que les résultats ne se répandent, l’AP-HP, promoteur de l’étude, a décidé de les rendre publics, sans en avertir le comité indépendant, qui s’est senti désavoué et a démissionné. J’ai ensuite démissionné car j’étais révoltée de constater que l’AP-HP continuait à dire que tout avait été bien fait. Or, elle avait mis en place une gouvernance de l’essai peu solide, avec un comité indépendant au rôle pas très clair. Les investigateurs principaux avaient accès aux données détaillées par groupe de traitement, ce qui n’est habituellement pas le cas. En tant qu’investigateur, vous êtes enthousiaste de votre idée, c’est humain, mais communiquer sur des résultats peu solides n’aide pas dans une crise, et ce système l’a permis. Aujourd’hui, toutes les données sont revues de façon très fine, et l’ANSM doit même effectuer un contrôle sur site. Au passage, que l’ANSM inspecte l’étude Corimuno et pas celles de Didier Raoult n’est pas normal, c’est vraiment deux poids deux mesures.

Cette crise malmène-t-elle la science ?

Oui, il y a des chercheurs qui choisissent de la malmener en ne se comportant pas comme des scientifiques. Quelqu’un qui vend des idées sans être capable de produire des données solides peut-il encore être qualifié de chercheur ? Cette crise fait disjoncter certains, comme l’épidémiologiste américain John Ioannidis, qui a passé toute sa carrière à critiquer la mauvaise science et qui aujourd’hui produit des analyses d’une qualité épouvantable. Les revues scientifiques publient rapidement et pas toujours à bon escient, comme le montre encore l’exemple du Lancet.

Il y a aussi une inflation des articles en prépublication, cela peut être intéressant pour discuter entre chercheurs, mais c’est un problème quand les résultats sont présentés comme ceux d’une publication. Les médias ne devraient pas en faire état tant qu’ils ne sont pas revus par les pairs.Notre sélection d’articles sur le coronavirus

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Sandrine Cabut

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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