En Cisjordanie, la colonisation par les routes: « Nous appliquons la souveraineté de facto [d’Israël en Cisjordanie] » (la ministre des transports, Miri Regev)

En Cisjordanie, la colonisation par les routes

Les projets, en cours ou planifiés, de constructions routières représentent le plus important développement d’infrastructures au profit des colonies israéliennes depuis les années 1990, selon une étude de l’ONG Breaking the Silence. 

Par Louis Imbert(Jérusalem, correspondant)

Publié le 07 décembre 2020 à 00h00 – Mis à jour le 08 décembre 2020 à 10h51 

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/07/en-cisjordanie-la-colonisation-par-les-routes_6062419_3210.html

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Israël s’est engagé depuis cinq ans dans la planification et, déjà, dans la construction d’infrastructures routières à échelle massive en Cisjordanie, au bénéfice des colonies. Jamais une telle accélération des travaux publics n’avait été observée dans les territoires palestiniens conquis et occupés en 1967, depuis les chantiers ouverts dans la foulée des accords de paix d’Oslo, dans les années 1990. C’est la conclusion d’une enquête importante, publiée lundi 7 décembre par l’organisation non gouvernementale israélienne Breaking the Silence (« rompre le silence »), composée de vétérans de l’armée, qui documente les abus commis par les occupants de la Cisjordanie.

Un plan d’aménagement routier qui répond à plusieurs objectifs:

Faciliter la circulation des colons vers Israël et fragmenter le territoire cisjordanien

Faciliter la circulation des colons vers Israël et fragmenter le territoire cisjordanien

Contourner les zones habitées palestiniennes

Intégrer les colonies ultraorthodoxes proches de la « ligne verte »

Inclure les colonies de la banlieue de Jérusalem

Cartographie Le Monde · Sources : Breaking the Silence ; OCHA 

De tels travaux s’inscrivent dans le temps long, en « enracin[ant] le contrôle d’Israël sur les territoires occupés, en poursuivant la banlieusardisation des colonies israéliennes et en fragmentant le territoire palestinien, [ils] contribue[nt] à cimenter la réalité d’un Etat avec des droits inégaux » entre Israéliens et Palestiniens, qui s’étend de fait du Jourdain à la Méditerranée, estime l’ONG.

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Pour dresser un tableau cohérent de ces projets, répartis entre plusieurs ministères, l’armée qui contrôle les territoires, et divers organes de planification, l’ONG Breaking the Silence s’est basée notamment sur les comptes rendus de réunions d’un sous-comité parlementaire sur les affaires civiles et de sécurité en « Judée-Samarie », la dénomination de la Cisjordanie employée par l’Etat hébreu. Un organe lié au suivi par la Knesset des affaires étrangères et de défense.

Des territoires palestiniens quadrillés par des routes

Certes, de nombreux colons ont exprimé leur déception face au gel, en juillet, du projet d’annexion d’une partie de la Cisjordanie, promise par le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Mais il ressort de ce rapport qu’ils ne peuvent s’estimer oubliés par l’Etat. Depuis cinq ans, selon Breaking the Silence, Israël a engagé ou planifié de façon crédible la construction de 107 kilomètres de nouvelles routes et la rénovation ou le doublement de 230 kilomètres de voies existantes.

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Le 10 novembre, la ministre des transports, Miri Regev, a présenté à des représentants des colonies un plan de développement routier de la « Judée-Samarie » à l’horizon 2045, qui donne cohérence à ces chantiers, ainsi qu’à d’autres de plus long terme. Dimanche 6 décembre, Mme Regev soulignait encore leur logique, en annonçant une extension de budget pour quatre routes : « Nous appliquons la souveraineté de facto [d’Israël en Cisjordanie] », affirmait-elle.

Bien des projets amalgamés dans ce plan ne verront éventuellement le jour que dans des décennies, après s’être heurtés aux réalités budgétaires et démographiques. Mais il dessine une logique : un quadrillage des territoires palestiniens par un réseau de routes croisées, poursuivant une politique formulée dès l’après-1967, puis dans les années 1980, en plusieurs phases. Il répond aussi à un manque : « Les infrastructures existantes ne peuvent attirer beaucoup plus de colons dans les territoires. Elles ont vieilli et excèdent leurs limites », estime Dror Etkes, spécialiste de la colonisation au sein de l’ONG Kerem Navot, qui a assisté les auteurs de ce rapport, et qui confie avoir été impressionné « par le degré d’avancement [de ces projets] et par la qualité de leur planification ».

Scinder les territoires palestiniens

Dans le détail, la première logique des maîtres d’œuvre, démontre Breaking the Silence, est d’étayer et de prolonger des axes pénétrants qui coupent d’est en ouest la Cisjordanie. Ces routes ont d’ores et déjà contribué à découper en communautés partiellement étanches les territoires palestiniens, qui s’organisent naturellement selon un axe nord-sud, suivant leur profil montagneux. Leur développement répond à un impératif d’emploi : en 2019, près de 60 % des colons travaillaient en Israël. Ces routes contribuent à faire des colonies, dont l’économie locale n’est pas viable, des banlieues des bassins d’emploi israéliens.

Le deuxième nœud de construction se situe autour de Jérusalem. Il s’agit de faciliter les entrées dans la Ville sainte, depuis une ceinture de colonies développées dès après 1967. C’est le cas du doublement en cours d’une partie de la route 60, dite « des tunnels », pour en faire un axe à quatre voies, qui file vers le bloc de colonies du Goush Etzion, au sud. Ce dernier doit également bénéficier de multiples travaux, pour certains déjà engagés, permettant son extension et son meilleur raccordement à Israël.

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A l’est de Jérusalem, ces plans s’articulent autour d’un projet déjà ancien de ceinture périphérique, qui doit permettre aux colons de pénétrer en ville, en évitant à la fois le trafic congestionné du centre et surtout les quartiers arabes conquis en 1967, puis annexés, grâce à une série de ponts, de tunnels et de parkings. Ils se doublent d’un projet qui permettrait d’exclure les automobilistes palestiniens de la zone dite E1, qu’Israël entend de longue date annexer. Son accaparement par l’Etat hébreu achèverait de scinder les territoires palestiniens en deux moitiés nord et sud, et de repousser le principal point de contrôle militaire barrant l’entrée est de Jérusalem dans la pente de l’autoroute 1, qui file vers la vallée du Jourdain.

Attirer les juifs ultraorthodoxes dans les colonies

« C’est une logique de ségrégation qui guide ces projets, en conclut Yehuda Shaul, le principal auteur du rapport. Le développement est autorisé pour les Palestiniens, nous connectons leurs villages, mais aussi longtemps que cela n’entre pas en collision avec les intérêts des colons. »

Troisième axe de ces travaux : le développement des routes dites « de contournement », qui épargnent aux colons la traversée de villes palestiniennes, et qui ont contribué à multiplier par près de trois la population des implantations depuis 1995 (ils sont aujourd’hui environ 440 000 colons en Cisjordanie, et 230 000 autour de Jérusalem). Au nord, une telle route est planifiée pour désenclaver les implantations des alentours de Naplouse, peuplées de militants radicaux.

Il y a là un impératif démographique : la croissance des colonies s’essouffle. Passée sous la barre des 4 % annuels, elle est essentiellement le fait d’une forte natalité locale. D’où le dernier axe de ces plans de constructions, le moins avancé mais peut-être le plus important pour l’avenir. Il s’agit d’attirer des juifs ultraorthodoxes, aux taux de natalité record, loin à l’intérieur des territoires palestiniens.

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Cette communauté assure déjà la moitié de la croissance des colonies. Mais elle demeure cantonnée au bord de la « ligne verte » de cessez-le-feu de 1949, qui marque la frontière d’un futur Etat palestinien. Les projets envisagés par le ministère des transports visent à connecter leurs deux principales villes dans les territoires, Beitar-Illit et Modiin-Illit, à des zones d’implantation plus avancée. A l’est de Ramallah, où se construisent déjà des logements qui leur sont destinés, ces routes paraissent chères et complexes à construire. Mais d’autres ont plus de chances de voir le jour à moyen terme, dans la région du Goush Etzion.

Louis Imbert(Jérusalem, correspondant)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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