Vaccins anti-Covid-19 : médecins et scientifiques demandent plus de transparence
Des vaccins élaborés en pleine pandémie, une campagne de vaccination de masse initiée sans données scientifiques exhaustives… pour de nombreux spécialistes, la situation est inédite.
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Des vaccins contre le Covid-19 élaborés en pleine pandémie et des campagnes de vaccination de masse initiées sans que des données scientifiques exhaustives n’aient été rendues publiques. Pour de nombreux scientifiques, la situation est inédite.
« On est dans l’excès de précipitation, dans l’emballement », commente le professeur Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, dont les propos sur les vaccins sur France Inter mardi 8 décembre ont suscité de vives réactions parmi ses pairs. « Quand on me demande mon avis, je réponds que je ne peux pas le donner car je n’ai pas les données en main, de même que les autorités, qui font comme si l’autorisation [de mise sur le marché] était acquise », déplore-t-il alors que l’Agence européenne du médicament doit donner sa réponse au plus tard le 29 décembre à la demande déposée par le tandem Pfizer/BioNTech et d’ici au 12 janvier pour Moderna.
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Mardi, le vaccin développé par AstraZeneca et l’université britannique d’Oxford est le premier à avoir vu ses résultats d’efficacité validés par une revue scientifique, The Lancet. La publication de ces résultats d’essais cliniques de phase 3 confirme que ce vaccin est efficace à 70 % en moyenne, conformément à ce qu’avait annoncé AstraZeneca le 23 novembre.
La publication scientifique des résultats de phase 3 de Pfizer et Moderna, en revanche, se fait encore attendre, même si la Food and Drug Administration a rendu publics, mardi, sur son site, plusieurs documents de l’essai de Pfizer, dont une analyse de 100 pages. « Je ne me ferai pas vacciner [pour l’un de ces vaccins] avant d’en savoir plus », prévient le professeur Caumes, même s’il salue une méthode – des vaccins à base de matériel génétique (ARN messager) – « révolutionnaire ».
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Données manquantes
Un manque de recul que le « Monsieur Vaccin » du gouvernement, Alain Fischer, a lui-même reconnu le 3 décembre au moment du dévoilement de la stratégie vaccinale et de son calendrier à compter de janvier. Pour le moment, « nous ne disposons que de communiqués de presse de la part des industriels, nous attendons avec impatience des publications scientifiques, avait-il souligné. Il y a probablement des dossiers très complets qui ont déjà été adressés aux autorités règlementaires mais dont nous n’avons pas connaissance ».Lire aussi Covid-19 : Alain Fischer, le nouveau « M. Vaccin » du gouvernement
Parmi les données manquantes à ce stade et considérées comme cruciales figurent l’efficacité chez les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités, la durée de protection et si le vaccin, dont on sait simplement qu’il diminue le nombre de cas symptomatiques, protège contre l’infection et/ou la transmission. « Or, c’est extrêmement important quand on imagine une stratégie sanitaire pour stopper la pandémie. Les gouvernements ont manqué l’opportunité d’exiger des sociétés pharmaceutiques de le démontrer alors même qu’ils ont pré-acheté des doses de vaccins et auraient pu leur mettre la pression », estime Els Torreele, chercheuse en santé publique
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La communication des résultats au sein de revues scientifiques, « c’est la responsabilité des industriels, on n’a pas le pouvoir aujourd’hui de le leur imposer, mais ils ont tout intérêt à le faire », estime pour sa part Odile Launay, infectiologue et membre du comité scientifique « vaccin Covid-19 ».
Parmi ceux qui dénoncent un manque de transparence, certains y voient avant tout les conséquences d’une logique de compétition entre industriels : « C’est ce qui nous inquiète dans la course aux vaccins actuelle, Pfizer veut aller plus vite que Moderna qui veut aller plus vite que Sanofi, etc. Le problème, c’est que ça nuit aux outils de santé qu’on est en train de développer », estime Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OT-Med). Et de souligner que si les industriels avaient fait preuve d’une plus grande transparence dès les premiers mois des protocoles, les Etats auraient pu construire leur stratégie vaccinale au printemps ou à l’été et ainsi « réfléchir à des vaccins complémentaires et non similaires ».
D’autres ne partagent pas ce point de vue d’une « rétention d’informations ». « En sciences, on a intérêt à publier le plus vite possible », rappelle ainsi Eric Caumes, formulant l’hypothèse d’un simple « retard à la publication… » Un argument aussi avancé par Odile Launay, pour qui les industriels « ont focalisé leurs efforts sur les dossiers transmis aux autorités réglementaires, c’est un peu plus long de publier dans des revues scientifiques ».Lire le décryptage : Comment fonctionnent les futurs vaccins
« Cette transparence est primordiale »
Pour certaines voix scientifiques, il aurait été d’autant plus utile de se montrer le plus transparent possible sur les données cliniques que dans cette crise inédite, les processus sont accélérés et donc que d’une certaine manière, les autorités acceptent de prendre plus de risques. « Pour avoir la confiance de la population et des scientifiques, cette transparence est primordiale. Il n’est pas normal que l’on n’ait pas accès aux données qui prouvent l’innocuité et l’efficacité des vaccins. Ça veut dire que le monde scientifique et médical doit avoir une confiance aveugle dans les autorités, qui subissent des pressions politiques énormes, ce serait le bon moment pour changer la donne », avance Els Torreele.
La publication dans The Lancet des résultats de phase 3 d’AstraZeneca est « une avancée », même si selon elle, « elle aurait dû intervenir au même moment que la publication de leur communiqué de presse en novembre ».
Au-delà de la publication scientifique des données cliniques, chercheurs comme médecins sont nombreux à réclamer la conduite d’une étude comparative entre les différents vaccins afin de déterminer notamment si certains sont plus adaptés à des types de populations en particulier. « On aurait pu faire une phase 3 combinée avec les différents vaccins, regrette Els Torreele. Cette fois, il est urgent de s’y atteler. » Notre sélection d’articles sur le coronavirus
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Covid-19 : les surprises et les enseignements des essais des vaccins d’AstraZeneca et de Pfizer
La revue « The Lancet » a publié les résultats complets du laboratoire britannique, tandis que la FDA a rendu publics ceux du groupe américain.
Depuis un mois, de nombreux scientifiques dénonçaient la « science des communiqués de presse ». La société pharmaceutique américaine Pfizer, la première, suivie par sa concurrente Moderna, puis par la compagnie anglo-suédoise AstraZeneca, avaient annoncé le succès de leurs candidats vaccins contre le Covid-19, mais sans apporter tous les détails nécessaires à la bonne interprétation de leurs résultats ni offrir la caution d’une revue scientifique de premier plan.
C’est désormais chose faite, mardi 8 décembre, pour AstraZeneca. « On nous demandait de la transparence, c’est exactement ce que nous réalisons aujourd’hui, a insisté Mene Pangalos, vice-président exécutif du laboratoire. Et nous sommes les premiers à le faire. » Devancée par ses deux concurrents dans la course au communiqué de presse, la société installée à Cambridge a passé la première l’épreuve de la publication. La revue The Lancet et ses relecteurs ont ainsi validé les résultats avancés le 22 novembre par la firme pharmaceutique et sa partenaire, l’université d’Oxford.
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L’article indique bien que son candidat vaccin, conçu selon la technologie du vecteur viral, est efficace à 70 %. « L’article confirme ce qui avait été annoncé, ce qui n’est guère surprenant, les laboratoires ne s’amusent pas à inventer des données, réagit Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie clinique et de maladies infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Il valide la stratégie du vecteur viral mais ne permet pas de trancher la question du dosage. »
Le vaccin d’AstraZeneca qualifié de « sûr » par « The Lancet »
Les investigateurs soutiennent dans l’article du Lancet que le vaccin « est sûr ». Sur le total de 23 754 volontaires qui ont participé à l’essai – dont la moitié avaient reçu un placebo –, un patient à qui ce vaccin a été administré a connu un « effet indésirable sérieux possiblement lié » à cette injection : un cas de myélite transverse (une atteinte neurologique rare) qui avait motivé l’interruption temporaire de l’essai début septembre. Deux autres cas d’effets indésirables sérieux ont été détectés, dont l’un dans le groupe placebo. D’autres encore ont été enregistrés mais ils restent modérés : fatigue, douleurs musculaires, légère fièvre… Le laboratoire devrait toutefois suivre les volontaires sur une période de deux ans pour s’assurer de l’innocuité à long terme.
C’est pourtant sur le terrain de l’efficacité et du bon dosage que vont dorénavant se concentrer les regards et les éventuelles études complémentaires. Car, dans l’essai de phase 3 engagé par AstraZeneca, un vaccin en a en réalité caché un autre. Le protocole prévoyait d’injecter deux doses de vaccin à un mois d’intervalle. C’est ce qui a été réalisé chez plus de 4 000 volontaires brésiliens et près de 5 000 volontaires britanniques. Mais un petit groupe de 2 700 Anglais a reçu par erreur une demi-dose lors de la première injection.A
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Et surprise : là où les deux doses prévues laissaient apparaître une efficacité de 62 %, le protocole fautif accouchait d’un taux de 90 %. Seul problème : « L’échantillon reste insuffisant pour tirer des conclusions », indique l’infectiologue Odile Launay, qui coordonne le Centre d’investigation clinique Cochin-Pasteur. Pire : « Il ne compte aucune personne de plus de 55 ans. » Or, l’âge constitue, on le sait, le premier facteur de risque. Alors que faire ?
L’article, rédigé par les scientifiques du laboratoire pharmaceutique et de l’université d’Oxford, détaille les résultats des deux groupes puis… les rassemble. Ce qui donne un taux global de 70 %. Si les relecteurs du Lancet n’y ont pas trouvé à redire, ce sont désormais les autorités sanitaires qui vont devoir se prononcer. Les agences médicales britannique (MHRA) et européenne (EMA) ont déjà été saisies afin de réclamer une autorisation « conditionnelle ». Mais que vont-elles étudier ? Et que vont-elles recommander ? Pour Andrew Pollard, directeur de l’Oxford Vaccine Group, qui a conçu le produit, les autorités régulatrices devraient se pencher sur le schéma initial, à deux doses pleines, « c’est ce qu’ils avaient prévu, mais nous leur avons fourni toutes les données, à eux de décider ».Lire le décryptage : Comment fonctionnent les futurs vaccins *
La FDA veut des études complémentaires
Compte tenu des limites du régime miracle, en taille d’échantillon comme en composition, il paraît effectivement peu probable que le schéma à une demi-dose soit retenu. D’autant que les 62 % affichés restent supérieurs aux 50 % exigés par l’Organisation mondiale de la santé pour qualifier un vaccin. De plus, AstraZeneca présente deux avantages majeurs : son vaccin, promis à 2,50 euros la dose est six à dix fois moins cher que ceux de ses deux concurrents. Par ailleurs, il n’exige pas une conservation à basse (– 20 °C) ou très basse (– 70 °C) température.
Il n’empêche : le passage devant les autorités sanitaires ne sera pas forcément une formalité. « Même dans le groupe principal, on manque cruellement de personnes âgées, souligne Jean-Daniel Lelièvre. Moins de 10 % de plus de 70 ans parmi les volontaires anglais, moins de 1 % parmi les Brésiliens. Or, les Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], qui seront les premières cibles de la vaccination en France, accueillent des pensionnaires souvent bien plus âgés que ça. L’agence exigera-t-elle des études supplémentaires ? Ou recommandera-t-elle le vaccin uniquement chez les plus jeunes ? »
« Hors de ce contexte de pandémie, les autorités auraient sûrement réclamé des études complémentaires, renchérit Odile Launay. Là, peut-être accorderont-elles une autorisation conditionnelle dans l’attente d’autres résultats. »
La Food and Drug Administration (FDA) américaine, elle, a d’ores et déjà fait savoir qu’elle exigeait ces fameuses études complémentaires. Pas assez de personnes âgées ni de minorités ethniques – autre groupe à risque – dans l’essai initial. La firme britannique a lancé un nouvel essai aux Etats-Unis et décidé d’attendre pour déposer son dossier d’habilitation pour une autorisation d’urgence devant l’agence américaine.
Quelques surprises au sujet du vaccin Pfizer-BioNTech
C’est donc sur deux autres candidats – les vaccins de Pfizer et de Moderna – que la FDA va se pencher en priorité. Accusée de conduire une procédure opaque, puisque ni Pfizer ni Moderna n’avaient publié leurs résultats en suivant les canons scientifiques, l’agence avait annoncé qu’elle « essaierait » de publier les dossiers et leurs données deux jours avant l’audition des candidats. Elle a tenu parole. Alors que Pfizer et son associé, l’allemand BioNTech, seront auditionnés jeudi 10 décembre, elle a rendu publics, mardi 8, sur son site, plusieurs documents, dont une analyse ** de 100 pages de l’essai qui révèle quelques surprises.
Pfizer avait réalisé son essai de phase 3 sur 44 000 volontaires recrutés aux Etats-Unis, au Brésil et en Argentine. La moitié avaient reçu deux doses de vaccin à trois semaines d’intervalle, l’autre moitié deux doses de placebo, le tout sans que les volontaires ni les médecins ne connaissent la nature du produit injecté. L’anonymat n’est levé que parmi les malades, afin de comparer l’incidence de la maladie dans les deux groupes, et donc l’efficacité du vaccin. En étudiant les personnes contaminées à partir de la deuxième semaine suivant leur seconde injection, le laboratoire avait observé que, parmi les 170 premières, 162 avaient reçu le placebo, 8 le vaccin, soit une efficacité de 95 %. Un résultat impressionnant que le document rendu public par la FDA confirme.
Mais l’examen attentif des données a permis d’aller plus loin. Les chercheurs ont observé les deux groupes dès la première injection. Si pendant dix jours, ils suivent des courbes de contamination identiques, leurs trajectoires se séparent alors clairement. En comparant les seules personnes tombées malades avant leur seconde injection, une efficacité de 52 % apparaît. La FDA met en garde : « Faute d’un suivi prolongé, on ne peut pas tirer de conclusion sur une stratégie à une dose. » Il n’empêche : aux Etats-Unis, où la pandémie atteint des sommets et menace les hôpitaux de saturation, cette perspective d’une action rapide, avant même la seconde injection, ne passera pas inaperçue.
Autre nouvelle rassurante : « Il ne semble pas qu’il y ait d’affaiblissement de la protection pendant les deux mois qui suivent la seconde dose », indique la FDA. Mais deux mois, c’est peu. L’agence recommande de conserver les deux bras de l’essai et donc de ne pas offrir le vaccin au groupe placebo, comme il l’envisageait.
Plus important encore, les groupes à risque. Toujours selon l’analyse préliminaire livrée par la FDA, les personnes âgées mais aussi les personnes obèses, celles souffrant de comorbidités ou encore issues de minorités menacées seraient aussi bien protégées que les autres. Le laboratoire l’avait jusqu’ici affirmé sans apporter de détails.
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Restent les effets indésirables. Les documents de la FDA permettent de mieux les apprécier. L’agence estime qu’il n’y a pas « de différences significatives » entre les vaccinés et le groupe placebo dans les quelques complications sérieuses enregistrées. Quatre cas de « paralysie de Bell », qui touchent les muscles faciaux, ont bien été enregistrés parmi les premiers, aucun chez les seconds. Mais l’incidence de 4 sur 20 000 n’excède pas le taux observé en population générale, insistent-ils.
En revanche, de nombreux effets indésirables modérés mais sensibles ont été enregistrés après la seconde injection de vaccin. Maux de tête, fatigue, douleurs musculaires, frissons ont touché, selon les cas, un tiers à plus de la moitié des volontaires, particulièrement les moins de 55 ans. Prévoir un congé de vingt-quatre heures pour le vaccin anti-Covid ? C’est assurément une des leçons de l’opération transparence de la FDA.Notre sélection d’articles sur le coronavirus
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Nathaniel Herzberg et Chloé Aeberhardt
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**https://www.fda.gov/media/144245/download
Vaccin antiCovid-19 : « BioNTech doit en grande partie son développement à des capitaux non européens »
TRIBUNE
Economiste et haut fonctionnaire détaché dans une institution européenne
L’économiste Paul-Adrien Hyppolite souligne, dans une tribune au « Monde », l’incapacité de l’épargne et des investisseurs européens à assurer le financement de l’innovation en Europe.
Publié le 02 décembre 2020 à 06h00 – Mis à jour le 02 décembre 2020 à 06h00 Temps de Lecture 3 min.
Tribune. BioNtech, une entreprise des biotechnologies basée en Allemagne et créée en 2008 par un couple de chercheurs, a rendu publics, lundi 9 novembre les résultats préliminaires très prometteurs d’un vaccin (BNT162b2) contre le Covid-19. Le taux d’efficacité du vaccin, de 90 % sur les premières données, est très bon même si des inconnues demeurent à ce stade, comme sa capacité à protéger des formes graves de Covid, à bloquer la transmission du virus et à procurer une immunité durable (« What Pfizer’s Landmark COVID Vaccine Results Mean for the Pandemic »).
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Si l’innocuité et l’efficacité étaient toutefois confirmées et le vaccin approuvé prochainement, ce serait un immense espoir pour le retour à une vie normale, une vraie prouesse technique compte tenu de son temps de développement, et une avancée scientifique de premier plan, puisqu’il s’agirait du premier vaccin commercialisé reposant sur la technologie à ARN messager, ouvrant notamment la voie aux traitements personnalisés du cancer (« Unlocking the Potential of Vaccines Built on Messenger RNA »).
Un profond désaveu pour ceux qui prédisaient, il y a tout juste quelques mois, l’échec et la fin de la mondialisation
L’effort de développement, de production et de commercialisation du vaccin repose sur la collaboration de BioNTech avec deux géants de l’industrie pharmaceutique : Pfizer, aux Etats-Unis, et Fosun Pharma, en Chine. Les essais cliniques ont été réalisés simultanément sur cent cinquante sites dans le monde, en Europe, aux Etats-Unis et en Chine.
Sa production impliquerait au moins trois usines de BioNTech en Allemagne, quatre sites de Pfizer (dont trois aux Etats-Unis et un en Belgique) et des chaînes d’approvisionnement et de logistique mondiales. Un profond désaveu pour ceux qui prédisaient, il y a tout juste quelques mois, l’échec et la fin de la mondialisation.
Beaucoup ne manqueront pas de se réjouir, à juste titre, du fait que la technologie à l’origine du vaccin ait été développée sur le sol européen. Pourtant, force est de reconnaître que BioNTech doit en grande partie son développement à des capitaux non européens, en particulier américains. En effet, si l’on met de côté les apports en capital des riches familles allemandes – et notamment des frères Strüngmann – qui ont au départ massivement investi dans l’entreprise, la quasi-totalité (94 %) des capitaux levés depuis sont venus des Etats-Unis ou d’Asie, d’après des calculs sur la base des informations financières accessibles au public.
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Comment expliquer que les pourvoyeurs de capitaux européens soient largement passés à côté d’une telle pépite ? Dans un entretien pour le Handelsblatt daté du 5 décembre 2019 (« Biotech-Investor Strüngmann : “In Deutschland hätten wir null Chancen gehabt” »), l’un des frères Strüngmann insistait sur la difficulté à trouver des investisseurs en Europe pour financer des entreprises de biotechnologies.
« Nous n’aurions eu aucune chance »
A la question du journaliste « Pourquoi n’êtes-vous pas entrés en Bourse en Allemagne ? » (plutôt qu’au Nasdaq à New York), il répondait laconiquement : « Ici, nous n’aurions eu aucune chance », avant d’alerter sur le risque de voir la valeur ajoutée industrielle « émigrer » et se développer ailleurs.
Bien que créée deux ans après BioNTech, la société américaine Moderna, concurrente dans les thérapies reposant sur l’ARN messager et également en bonne voie dans la course au vaccin contre le Covid-19, a pu lever jusqu’à présent deux fois plus de capitaux – 4,1 contre 1,9 milliard de dollars (environ 3,42 contre 1,6 milliard d’euros) – auprès de nombreux investisseurs et notamment de fonds d’investissement américains.
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Tous les produits de Moderna étant toujours en phase de développement clinique, cet écart de financement ne se traduit pas encore au niveau du chiffre d’affaires, mais il est bien visible dans les budgets de R&D (recherche et développement) qui sont nettement plus agressifs côté américain (1,4 milliard de dollars chez Moderna contre 490 millions chez BioNTech sur les trois dernières années).
Ce phénomène est-il spécifique à la biotech ? Il interroge en tout cas sur la capacité des investisseurs européens – et plus largement de l’épargne européenne – à financer les sociétés les plus innovantes dont nous voyons aujourd’hui plus que jamais l’importance et nous rappelle la nécessité d’encourager l’émergence et la consolidation sur le sol européen d’écosystèmes propices à l’innovation rassemblant chercheurs, entrepreneurs et investisseurs avec des moyens à la hauteur de leurs ambitions et des promesses qu’ils offrent à l’humanité.Vaccin anti-Covid-19 : une sélection de tribunes
Si un vaccin contre le virus est véritablement disponible dans les prochains mois, il faudra encore déterminer les conditions dans lesquelles il sera accessible. Et convaincre les plus réticents.
Paul-Adrien Hyppolite(Economiste et haut fonctionnaire détaché dans une institution européenne)Contribuer
Covid-19 : les 90 % d’efficacité du vaccin de Pfizer, un « résultat extraordinaire » qui pose des questions
Le résultat provisoire avancé, lundi 9 novembre, par le laboratoire américain Pfizer et l’allemand BioNTech, est spectaculaire, mais il pourrait encore évoluer et ne permet pas de déterminer la durée d’immunité apportée.

Efficace à 90 % ! Le résultat annoncé, lundi 9 novembre, par le laboratoire Pfizer et son partenaire allemand BioNTech, au cours de la troisième phase d’essai clinique de son candidat vaccin contre le Covid-19, a impressionné une bonne partie de la communauté scientifique. Sans surprise, Ugur Sahin, le PDG de la start-up de Mayence qui a conçu le produit, a souligné que ce chiffre constituait « un résultat extraordinaire ».
Akiko Iwasaki, immunologiste à l’université de Yale et référence dans la recherche en vaccinologie, n’a pas dit autre chose au New York Times : « C’est vraiment un chiffre spectaculaire. Je n’attendais pas un résultat aussi élevé. Je m’étais préparé à quelque chose autour de 55 %. » « Des résultats incroyablement excitants », a renchéri Wayne Koff, président du Human Vaccines Project. Et l’infectiologue Odile Launay, coordinatrice du réseau français de recherche clinique en vaccinologie, de résumer : « On pouvait difficilement espérer mieux. »
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Mais que signifie exactement cette annonce ? Faute de véritable article scientifique permettant de la décortiquer, c’est sur le communiqué de presse du laboratoire et le protocole déposé auparavant que l’on doit s’appuyer pour la comprendre. Dans le principe, rien de bien compliqué : cela signifie que sur dix personnes exposées au virus SARS-CoV-2, dans des conditions qui auraient dû les faire tomber malade, neuf ont été protégées. Le montrer apparaît plus complexe. Une solution aurait pu être d’infecter volontairement des personnes préalablement vaccinées, ce que l’on appelle un « challenge infectieux », et d’observer le résultat. Sauf qu’injecter un virus qui a déjà tué plus de 1,2 million de personnes et contre lequel il n’existe aucun traitement se heurte à de lourdes considérations éthiques.
Deux injections
Pfizer et BioNTech ont donc réalisé un essai dit de phase 3. Ils ont enrôlé 43 538 participants. A la moitié d’entre eux, ils ont administré leur vaccin. L’autre moitié, le groupe témoin, a reçu un placebo. Le tout sans que les volontaires sachent dans quel « bras » de l’expérience ils se trouvaient. Puis tous sont rentrés chez eux. Les chercheurs ont alors attendu les contaminations. Le chiffre de 90 % affiché signifie donc que les personnes vaccinées ont eu 90 % de risque en moins d’attraper la maladie, ou encore qu’ils ont été dix fois moins nombreux à la contracter.
Les volontaires de cet essai ont, en réalité, reçu deux injections. La seconde, administrée trois semaines après la première, a permis de « booster » la réponse immunitaire. Selon le protocole déposé par Pfizer, les analyses ne prennent en compte que les personnes ayant présenté des symptômes au moins sept jours après le rappel. Celles-ci sont alors testées par PCR pour vérifier qu’elles ont bien été infectées par le SARS-CoV-2.
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Un premier point d’étape devait être réalisé une fois enregistrées les 32 premières contaminations. Mais la Food and Drug Administration (FDA), aux Etats-Unis, a demandé d’attendre la déclaration de 62 malades. Finalement, ce sont même 94 malades qui ont vu leur dossier étudié. Ce dernier travail n’a pas été réalisé par Pfizer, mais par une commission indépendante. Si bien que Kathrin Jansen, vice-présidente et responsable de la recherche sur les vaccins du géant américain, ignorait encore mardi « le nombre exact » de personnes contaminées dans chaque bras de l’expérience.
Entre 30% et 70% pour le vaccin contre la grippe
« Ce ne sont que des résultats provisoires et ils peuvent évoluer », a souligné Bruno Pitard, directeur de recherche au CNRS (Nantes) et spécialiste des vaccins à acide nucléique. Le protocole prévoit en effet de refaire des analyses une fois atteint le chiffre de 164 contaminations. Si le nombre de contaminations devait augmenter parmi les personnes vaccinées, cela conduirait évidemment à réduire l’efficacité du vaccin, mais aussi à laisser supposer que l’immunité apportée par le produit reste de courte durée.
M. Pitard émet une autre réserve. « Ils devraient aussi vérifier si le vaccin est efficace pour toutes les catégories, les personnes âgées, celles souffrant de comorbidités, les minorités qui sont les plus touchées… Là, on pourra savoir de quelle efficacité on parle. »
Le chiffre de 90 % apparaît quoi qu’il en soit très élevé. Il se rapproche des vaccins contre la rougeole ou la rubéole, qui avoisinent les 95 %, dépasse largement celui contre les oreillons, qui plafonne à 75 %, et plus encore contre la grippe, qui oscille entre 30 % et 70 % selon les années et l’âge de la personne concernée. Reste une dernière question : contre quoi va-t-il protéger ? Contre la maladie et ses symptômes, comme semble l’indiquer le protocole, ou contre l’infection ? Face à une pandémie en partie répandue par des porteurs asymptomatiques, la question apparaît essentielle.Notre sélection d’articles sur le coronavirus
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