Covid-19 : la fin de l’illusion du « zéro mort » en Suède
En octobre, un message viral louait l’absence de restrictions et les excellents chiffres sanitaires du royaume scandinave. Mais la situation s’est rapidement dégradée.
Publié le 07/12/2020 mis à jour hier à 11h38
La Suède, dont la Constitution interdit la restriction des libertés de déplacement, est longtemps passée pour un modèle de gestion. Mais son bilan épidémiologique s’est aggravé. TT NEWS AGENCY / via REUTERS
Ce qui s’en disait en France
Déjà considérée comme le contre-modèle rêvé dans le discours anticonfinement du printemps, la Suède est longtemps passée sur les réseaux sociaux, cet automne, pour un havre de bon sens, de liberté et de sécurité. « La situation économique de la Suède, sans confinement ni masque, est meilleure qu’avant la crise de mars. CQFD », peut-on lire sur Twitter. « Suède sans confinement, sans masque. Avec restaurants et discothèques ouverts. Hier encore, zéro mort ! », continue d’affirmer un message Facebook viral.
POURQUOI C’EST AUJOURD’HUI FAUX
Cette affirmation, très populaire en octobre, a été démentie au long des semaines, à mesure que la situation sanitaire en Suède a empiré.
D’abord, concernant les morts : si la seconde vague a été clémente en octobre, avec seulement quelques morts par jour en moyenne, elle s’est aggravée en novembre : le décompte quotidien des disparus du Covid-19 a été multiplié par dix même s’il reste très inférieur à celui de la France. Surtout, le nombre quotidien de cas ne fait que croître avec un pic à près de 8 000 le 17 novembre laissant redouter une saturation des hôpitaux.
Ensuite, à propos des restrictions : prenant acte du peu de résultat de sa stratégie libérale, le gouvernement suédois a opéré un virage *vers des mesures plus restrictives en novembre. Depuis le 10 novembre, les bars et les restaurants doivent fermer à 22 h 30, jusqu’au 28 février au moins. Par ailleurs, les recommandations officielles sont très suivies par la population. Ainsi, dans plusieurs régions, les habitants se sont conformés aux suggestions de leurs élus : travailler à la maison, éviter les transports en commun, les salles de sport et les magasins, limiter les contacts à la sphère familiale.
Cet article est extrait d’une recension, déja publiée, sur les comparaisons hâtives entre les restrictions en France et dans d’autres pays.
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Le Monde
Voir aussi:
Italie, Suède, Etats-Unis, Québec…: déplacements limités, rassemblements limités ou annulés, fermetures d’écoles:
Covid-19: les mesures dans les différents pays (Argentine, Espagne, Suède) doivent être appréciées en fonction du contexte, mais pas toujours suivant la mortalité induite (Les décodeurs du Monde):
https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2020/12/01/4827/
*« N’allez pas à la gym, n’organisez pas de dîner. Annulez tout » : la Suède change de stratégie pour endiguer l’épidémie de Covid-19
La hausse rapide des contaminations et des décès a obligé le gouvernement à annoncer, lundi, des mesures « sans précédent dans l’histoire moderne » du pays.

Est-ce la fin de la stratégie suédoise face au coronavirus ? La question est débattue, depuis que le premier ministre social-démocrate, Stefan Löfven, a annoncé, lundi 16 novembre, l’interdiction des rassemblements publics de plus de huit personnes, à partir du 24 novembre, et pour quatre semaines au moins. Si formellement, la jauge ne s’applique pas aux réunions privées, le chef du gouvernement a enjoint aux Suédois d’en faire « la nouvelle norme », pour les mois qui viennent.
« N’allez pas à la gym, ni à la bibliothèque, n’organisez pas de dîner, ni de fête à la maison, a-t-il imploré. Annulez tout (…). Et ne cherchez pas à contourner [les recommandations]. » Le ton grave, soulignant l’urgence de la situation qui « va empirer », Stefan Löfven a précisé que les mesures étaient « sans précédent dans l’histoire moderne » du pays. Le 10 novembre, son gouvernement avait déjà décidé d’interdire la vente d’alcool à partir de 22 heures, forçant les bars et les restaurants à fermer à 22 h 30, jusqu’au 28 février 2021 au moins.
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Même au plus fort de la pandémie, au printemps, la Suède n’avait pas adopté de telles restrictions. Préférant les recommandations aux interdictions, le royaume s’était alors distingué, en refusant de confiner sa population et en gardant ses écoles et collèges ouverts.
Augmentation des contaminations
Début juin, l’approche suédoise semblait être un échec : le pays de 10 millions d’habitants totalisait alors quatre fois plus de morts que ses trois voisins nordiques, ayant opté pour un semi-confinement. Même sur le plan économique, ses résultats étaient moins bons, avec une baisse de 8,6 % de son produit intérieur au deuxième trimestre (contre – 7,4 % pour le Danemark, – 6,3 % pour la Norvège et – 3,2 % pour la Finlande).
Cet été, la Suède est parvenue à contrôler la pandémie. Et pendant plusieurs semaines, au début de l’automne, le pays a semblé éviter la seconde vague. Interrogé par Le Monde, à la mi-septembre, le chef épidémiologiste Anders Tegnell, architecte de la stratégie suédoise, vantait une approche « durable », dont il estimait qu’elle « commençait à fonctionner ».
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Mais à la mi-octobre, les contaminations se sont mises à augmenter, doucement d’abord, puis de plus en plus vite, pour atteindre 4 600 cas journaliers, la semaine dernière (en hausse de 27 % par rapport à la semaine précédente). Selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), le taux d’incidence atteint désormais 551 cas pour 100 000 habitants (contre 53 pour la Finlande, 294 pour la Norvège et 760 pour le Danemark).
Les critiques se multiplient
Tous les signaux sont passés au rouge. Alors que début octobre, une vingtaine de patients étaient soignés en réanimation – contre 550 fin avril – ils étaient de nouveau 150, le 16 novembre. Les décès (6 164 au total) sont également en hausse – entre quinze et vingt par jour, contre deux ou trois, il y a un mois – de même que les infections dans les maisons de retraite, alors que les laboratoires d’analyses sont saturés, partout dans le royaume.
Espérant endiguer cette recrudescence, vingt des vingt et une régions du pays ont durci leurs recommandations. Elles demandent à leurs habitants de travailler à la maison, d’éviter les transports en commun, les salles de gym et les magasins, de limiter les contacts à la sphère familiale… Plusieurs régions ont également rétabli l’interdiction des visites dans les maisons de retraite, levée le 1er octobre.
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Le royaume a-t-il réagi trop tard ? Ces derniers jours, les critiques montent contre l’agence de la santé publique et son chef épidémiologiste, accusés de ne pas avoir anticipé la seconde vague, et surestimé l’effet d’une éventuelle immunité dans la population. Les responsables régionaux reprochent au gouvernement des messages contradictoires et un manque de fermeté.
Pour justifier le changement de stratégie, le premier ministre a constaté qu’au printemps, les Suédois avaient suivi les recommandations, mais que « le respect[des directives] était beaucoup plus faible » désormais. Stefan Löfven a précisé, cependant, que « tout ne pouvait pas être réglé à l’aide de la loi ». Il ne dispose d’ailleurs toujours pas des bases légales, pour fermer les bars ou les commerces, ni imposer un confinement. Une loi est en préparation, mais elle ne sera pas adoptée avant l’été prochain.
Alors en attendant, constate le journal Svenska Dagbladet, la Suède adopte un « lockdown lagom », terme utilisé pour décrire le caractère suédois, qui veut dire « ni trop ni trop peu ». Quant au masque, si les autorités sanitaires n’en recommandent toujours pas le port, le premier ministre a constaté qu’il n’était« pas interdit » dans les transports en commun.Notre sélection d’articles sur le coronavirus
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Anne-Françoise Hivert(Malmö (Suède), correspondante régionale)
En Suède, la pandémie due au coronavirus révèle la marginalisation des plus âgés
La surmortalité dans les maisons de retraite fragilise le bilan des autorités dans le seul pays européen qui n’a pas généralisé le confinement.
Dans le nord de Stockholm, à Solna, vingt-sept des quatre-vingt-seize résidents d’une maison de retraite ont succombé au Covid-19. Au sud de la capitale suédoise, Judiska Hemmet, un établissement de confession juive, a perdu une dizaine de ses soixante-quinze résidents. Parmi eux : les derniers survivants, en Suède, des camps de concentration nazis. Et la liste ne fait que continuer.
Le pays, qui a choisi une stratégie basée sur le volontariat plutôt que des mesures obligatoires de confinement face à l’épidémie, avait pourtant fait de la protection des plus âgés une priorité, en plus d’éviter la surcharge de ses hôpitaux. Or, si la Suède a réussi à éviter le débordement de ses services de réanimation, en doublant sa capacité d’accueil, avec plus de 1 100 lits désormais, elle a échoué à protéger ses aînés.
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Sur les 2 679 personnes ayant succombé au Covid-19, un tiers au moins résidait en maison de retraite – les statistiques incluent tous les décès constatés dans les trente jours d’un test positif au virus. A Stockholm, principal foyer de l’épidémie, où les visites dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes avaient pourtant été prohibées dès le 18 mars, avant l’interdiction nationale le 1er avril, 45 % des 1 406 décès provoqués par le Covid-19 ont été enregistrés dans des maisons de retraite.
Signal d’alarme début mars
Lors de son traditionnel discours du 1er mai, diffusé cette année sur Facebook, le premier ministre social-démocrate, Stefan Löfven, a estimé que « les conflits politiciens devaient attendre ». Mais il ne fait déjà plus aucun doute que, succès ou non de la stratégie suédoise, la propagation du Covid-19 dans les maisons de retraite soit considérée comme un scandale.
D’autant que les employés, les syndicats et les chercheurs avaient tiré le signal d’alarme dès le début du mois de mars, en voyant ce qui se passait en Espagne et en Italie. « On sait que, faute de place en maison de retraite en Suède, on y retrouve les plus fragiles, qui sont souvent atteints de démence et de pathologie variées, et particulièrement vulnérables au Covid-19 », explique le professeur Ingmar Skoog, directeur du Centre du vieillissement et de la santé à l’université de Göteborg
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Pendant plusieurs semaines, pourtant, le personnel a manqué de matériel de protection. Lundi 20 avril, dans la commune de Värnamo, dans le sud du pays, les salariés d’une maison de retraite ont cessé le travail, faisant valoir leur droit de retrait, après que huit résidents ont été testés positifs au Covid-19. Ils n’ont repris qu’une fois que la mairie leur a fourni des masques.
Selon Ann Georgsson, ombudsman du syndicat Kommunal, qui représente les employés communaux, c’est loin d’être un cas isolé : « Nos adhérents nous disent qu’il y a de grosses lacunes dans la protection des salariés, y compris en ce qui concerne l’équipement de base, qui est pourtant obligatoire depuis 2018. » L’Office suédois de l’environnement du travail a reçu des centaines de plaintes d’employés, qui craignaient d’avoir été exposés au virus sur leur lieu de travail.
Le 14 avril, une vingtaine de chercheurs ont signé une tribune dans le journal Dagens Nyheter. Ils y exigeaient le confinement immédiat de Stockholm et fustigeaient la stratégie suédoise. Son principal architecte, l’épidémiologiste en chef Anders Tegnell, rejette les critiques. La contamination des maisons de retraite, estime-t-il, « n’est pas un échec de notre stratégie, mais de notre façon de protéger nos aînés ».
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Ingmar Skoog approuve : « La pandémie révèle les dysfonctionnements de notre société dans la prise en charge des personnes âgées. Depuis les années 1990, avec la décentralisation et la pression constante sur les coûts, la situation n’a fait qu’empirer et les inégalités augmenter. »
Un rapport publié en mars, par la direction aux affaires sociales, dresse un tableau peu reluisant de la situation. Alors que le nombre de personnes âgées ne cesse d’augmenter, dans une société vieillissante, les budgets des communes, en difficultés financières, sont eux en baisse. Le personnel compétent disparaît : en 2017, la Suède comptait 37 médecins gériatres pour 100 000 habitants, contre 47 en 2006.
Enorme turnover du personnel
Les conditions de travail se sont également détériorées. Un quart des employés des établissements pour personnes âgées ou des sociétés d’aide à domicile sont en contrat à durée déterminée. Un cinquième est embauché à l’heure. « S’ils ne travaillent pas, ils risquent de perdre leur droit au chômage, ce qui est une grosse incitation pour continuer à venir travailler, même avec des symptômes », remarque Ingmar Skoog.
S’y ajoute l’énorme turnover du personnel, multipliant les risques de contamination. Professeure de sciences sociales à l’université de Stockholm, Marta Szebehely rappelle qu’« un senior bénéficiant de l’aide à domicile voit en moyenne seize personnes différentes sur quinze jours (contre douze en 2007) et qu’un employé se rend chez plus d’une dizaine de personnes par jour ».
Signe du malaise : en pleine épidémie due au coronavirus, les employés des maisons de retraite parlent rarement à visage découvert. Les médias du royaume ont même révélé que des communes avaient imposé le silence à leurs employés. Des familles n’ont appris que très tard la contamination de leurs proches.
La colère gronde. Le 2 avril, des militants antifascistes ont tagué la résidence d’Irene Svenonius, la présidente conservatrice de la région stockholmoise, connue pour ses positions favorables à la privatisation du service public. Des actes de vandalisme condamnés par la classe politique du royaume.Notre sélection d’articles sur le coronavirus
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Anne-Françoise Hivert(Malmö (Suède), correspondante régionale)Contribuer